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Pour lire en ballon/102

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Vaccination à outrance

De Jenner à Raspail. — L’échelle des vaccins. — Le médecin assureur

Aimez-vous les microbes ? on en a mis partout.

Si ce pauvre Raspail qui, le premier, a révélé aux hommes ce monde encore mal connu des infiniment petits, revenait à la vie, il serait vraiment étonné de leur succès et pourrait se montrer fier, à bon droit, d’avoir été leur parrain, comme Pasteur devait être plus tard leur père putatif.

Jenner a eu seul longtemps la gloire sans partage d’avoir découvert la vaccine contre la variole, mais depuis on a découvert les bactéries, les microbes, les infusoires, les bacilles, etc., et comme ils se trouvent que beaucoup d’entre eux engendrent une foule de maladies aussi malpropres qu’indiscrètes, les médecins se sont empressés d’inventer une vaccination contre chacun d’eux. Si vous redoutez l’incendie, adressez-vous à une compagnie d’assurances, si vous redoutez telle maladie faites-vous vacciner, c’est, paraît-il, la meilleure des assurances ; le médecin-assureur, voilà le dernier mot de la science de demain.

Aujourd’hui on vous vaccine contre la variole, contre le croup, contre la syphilis, demain on aura trouvé le vaccin du choléra et du vomito negro, ce qui ne sera déjà pas si bête, et après-demain on découvrira dans un café-concert la vaccination contre la perfidie du baiser des belles-mères, ce sera le comble de la science !

Sérieusement on va un peu vite dans cette voie de la vaccination à outrance et l’on risque fort de courir au-devant de cruelles déconvenues, comme le trop fameux docteur Kock, de Berlin, de funambulesque mémoire.

Tous les jours je relève dans les journaux des notes dans le genre de la suivante :

« Le Dr Marmorek a découvert un nouveau sérum, auquel on a donné le nom de sérum « antistreptococcique ». Cette découverte donne à la médecine une arme nouvelle pour combattre l’érysipèle, la fièvre puerpérale et la broncho-pneumonie.

Le Dr Marmorek ne veut donner aucun détail sur les travaux qui ont abouti à la découverte du sérum « antistreptococcique ». À quoi bon d’ailleurs ? Il ne pourrait que répéter ce qu’il a dit à la Société de biologie.

Une autre raison lui impose le silence : il craindrait de voir se renouveler les scènes qui se produisirent quand on annonça la découverte du sérum antidiphtéritique.

— À cette époque, dit-il, nous vîmes ici des gens implorer avec des sanglots, le précieux remède que nous ne pouvions leur donner. D’autres se fâchèrent, nous accusèrent d’être inhumains. Je voudrais éviter cela. Déjà, j’ai reçu de tous côtés, de nombreuses demandes auxquelles je suis désolé de ne pouvoir répondre. Voyez quelle quantité de sérum je possède.

Et le Dr Marmorek nous montre un minuscule flacon qui contient quelques gouttes à peine d’un liquide assez semblable à l’eau. C’est « l’antistreptococcique ».

Il lui sera impossible de satisfaire aux demandeurs avant un mois et demi ou deux mois ».

ou une autre ainsi conçue :

Si nous en croyons une note de MM. Charles Richet et Héricourt, note présentée cet après-midi à l’Académie des sciences par M. Marey, la guérison du cancer serait désormais assurée.

MM. Ch. Richet et Héricourt, ont réussi en deux circonstances à guérir des cancéreux soignés à hôpital, dans le service de M. Terrier, à l’aide d’injections de sérum de chien et d’âne auxquels l’on avait au préalable injecté les produits de la macération d’une tumeur cancéreuse.

Le traitement a été rapide et sans accidents d’aucune nature.

Voila qui me parait tout à fait charmant et suggestif, comme l’on dit à présent ; le diable, c’est que j’ai toujours peur que l’on ne donne des espérances prématurées aux pauvres gens qui sont malades et qui ne demandent qu’à croire à l’infaillibilité de toutes les découvertes des médecins.

Si cependant toutes les découvertes sont réelles, ce dont je ne doute pas, étant donnée la science bien connue de nos praticiens, je proposerai respectueusement aux chambres de voter une petite loi, conçue à peu près dans ces termes :

Article 1er. — À seule fin de prévenir le plus grand nombre possible d’épidémies et de maladies et même à provoquer leur disparition, si possible, tous les Français sont soumis obligatoirement à tous les vaccins.

Article 2. — On appliquera à tous les Français des deux sexes, y compris les Auvergnats, le vaccin de la variole à un an, celui du croup à deux ans, celui de la syphilis à trois ans, celui du choléra à quatre ans, celui du vomito negro à cinq ans, en vue de la vie coloniale, celui de l’érysipèle à six ans, celui du cancer à sept ans, celui du charbon à huit ans, celui de la rage à neuf ans, et ainsi de suite, jusqu’à la majorité, de manière à n’avoir dans l’armée que des soldats parfaitement à l’abri de toutes les contagions.

Article 3 — Si l’on se trouve, en vertu des progrès de la science, en face de plus de vingt vaccins, on devra en appliquer deux par année à tous les jeunes Français, jusqu’à leur majorité.

Je suis persuadé qu’une petite loi ainsi conçue et aussi libérale serait destinée à rendre les plus grands services à l’humanité souffrante.

— Mais, direz-vous peut-être, tous nos enfants à vingt ans, ne seront plus que des charognes ambulantes, comme certains oiseaux du Brésil.

— Oh le vilain mot, et puis qu’est-ce que cela fait, si c’est l’assurance nécessaire, recommandée et imposée par la faculté.

— Jolie perspective ! C’est pour le coup que tout le monde deviendra enragé et que Pasteur aura des clients.

— Vous êtes bien difficile et bien grincheux, moi, je trouve cela charmant et plein de promesses !