Premier Alcibiade (trad. Cousin)
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LE PREMIER
ALCIBIADE,
OU
DE LA NATURE HUMAINE.
Fils de Clinias, tu es sans doute surpris qu’ayant été le premier à t’aimer, seul je te reste fidèle, quand tous mes rivaux t’ont quitté ; et que les autres t’ayant fatigué de leurs protestations d’amour, j’aie été tant d’années sans même te parler. Et ce n’est aucune considération humaine qui m’a retenu, c’est une considération toute divine, comme je te l’expliquerai plus tard. Mais aujourd’hui [103b] que l’obstacle qui nous séparait s’est retiré, je m’empresse de t’aborder, et j’espère que désormais cet obstacle ne reparaîtra plus. Sache donc que pendant tout le temps de mon silence, je n’ai presque cessé de réfléchir et d’avoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux. Parmi ce grand nombre d’hommes orgueilleux qui se sont attachés à toi, il n’y en a pas un que tu n’aies rebuté par tes dédains ; [104a] et je veux te dire ici la cause de tes mépris pour eux. Tu crois n’avoir besoin de personne, et, qu’à commencer par le corps et à finir par l’âme, tu as trop d’avantages pour qu’aucun secours te soit nécessaire. Car, premièrement, tu te crois le plus beau et le mieux fait de tous les hommes, et, à vrai dire, il ne faut que te voir pour être bien sûr que tu ne te trompes pas : en second lieu, tu te crois de la plus illustre famille d’Athènes, qui est la première de toutes les villes grecques ; [104b] tu sais que, du côté de ton père, tu y as des amis et des alliés nombreux et puissans qui t’appuieront en toutes rencontres, et que tu n’en as pas moins, ni de moins considérables, du côté de ta mère[1] ; mais ce que tu regardes comme ta plus grande force, c’est Périclès, fils de Xantippe, que ton père t’a laissé pour tuteur à toi et à ton frère, Périclès dont l’autorité est si grande, qu’il fait tout ce qu’il veut, non-seulement dans cette ville, mais aussi dans toute la Grèce et chez les plus puissantes nations étrangères. Je pourrais encore parler de tes richesses, [104c] si je ne savais que c’est ce qui te donne le moins de vanité. Tous ces grands avantages t’ont si fort enflé le cœur, que tu as méprisé tous tes amans comme des hommes indignes de toi ; eux, à leur tour, se sont retirés. Cela ne t’a pas échappé ; et voilà pourquoi je sais bien que tu t’étonnes de me voir persister dans mon amour, et que tu cherches quelle espérance j’ai pu conserver pour te suivre encore après que tous mes rivaux t’ont abandonné.
Mais une chose que tu ne sais peut-être pas, Socrate, c’est que tu ne m’as prévenu [104d] que d’un moment. J’avais dessein de t’aborder le premier, et de te demander ce que tu veux, et ce que tu espères pour m’importuner comme tu fais, te trouvant toujours très soigneusement dans tous les lieux où je vais ; car véritablement je ne puis concevoir ce que tu prétends, et tu m’obligeras de t’expliquer.
Tu m’entendras donc volontiers si, comme tu le dis, tu as envie de savoir ce que je pense ; et je vais te parler comme à un homme qui aura la patience de m’entendre, et qui ne cherchera pas à m’échapper.
À merveille ; voyons, parle.
[104e] Prends bien garde à quoi tu t’engages, afin que tu ne sois pas surpris si j’ai autant de peine à finir que j’en ai eu à commencer.
Parle, mon cher, je t’entendrai tout le temps que tu voudras.
Il faut donc t’obéir, et, quoiqu’il soit un peu pénible de parler d’amour à un homme qui a maltraité tous ses amans, il faut avoir le courage de te dire ma pensée. Pour moi, Alcibiade, si je t’avais vu, satisfait de tels avantages, t’imaginer que tu n’as rien de mieux à faire qu’à t’y reposer toute ta vie, il y a long-temps que j’aurais aussi renoncé à ma passion ; [105a] du moins je m’en flatte. Mais je vais te découvrir de toutes autres pensées de toi sur toi-même, et tu connaîtras par là que je n’ai jamais cessé de t’étudier. Je crois que si quelque Dieu te disait tout-à-coup : Alcibiade, qu’aimes-tu mieux ou mourir tout à l’heure, ou, content des avantages que tu possèdes, renoncer à en acquérir jamais de plus grands ; oui, je crois que tu aimerais mieux mourir. Mais dans quelle espérance vis-tu donc ? Je vais te le dire. Tu es persuadé qu’aussitôt que tu auras harangué [105b] les Athéniens, et cela arrivera au premier jour, tu leur prouveras que tu mérites bien plus de crédit que Périclès et aucun des plus grands citoyens qu’ait jamais eus la république ; et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athènes, et, par là, dans toutes les villes grecques, et même chez les nations barbares qui habitent notre continent[2]. Et si ce Dieu te disait encore que tu seras maître de toute l’Europe, [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu n’y dirigeras pas les affaires, je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose, à moins de remplir la terre entière du bruit de ton nom et de ta puissance ; et je crois qu’excepté Cyrus et Xerxès, il n’y a pas un homme dont tu fasses cas. Voilà quelles sont tes espérances, je le sais, et ce n’est point une conjecture : c’est pourquoi, sentant bien que je te dis vrai, tu me demanderas peut-être : Socrate, qu’a de commun ce préambule [105d] avec ce que tu voulais me dire, pour m’expliquer la persévérance de tes poursuites ? Je vais te satisfaire, cher enfant de Clinias et de Dinomaque. C’est que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi : tant j’ai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-même ! De là vient aussi, sans doute, que le Dieu qui me gouverne ne m’a pas permis de te parler jusqu’ici, et j’attendais sa permission. Et comme tu espères que dès que tu auras fait voir à tes concitoyens [105e] que tu leur es très précieux, à l’instant tu pourras tout sur eux, j’espère aussi que je pourrai beaucoup sur toi, quand je t’aurai convaincu que je te suis du plus grand prix, Alcibiade, et qu’il n’y a ni tuteur, ni parent, ni personne qui puisse te mener à la puissance à laquelle tu aspires, excepté moi, avec l’aide du Dieu, toutefois. Tant que tu as été plus jeune, et que tu n’as pas eu cette grande ambition, le Dieu ne m’a pas permis de te parler, [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues. Aujourd’hui, il me le permet, car tu es capable de m’entendre.
Je t’avoue, Socrate, que je te trouve encore plus étrange depuis que tu as commencé à me parler, que pendant que tu as gardé le silence, et cependant tu me le paraissais terriblement. Que tu aies deviné juste mes pensées, je le veux ; et quand je te dirais le contraire, je ne viendrais pas à bout de le persuader. Mais toi, comment me prouveras-tu, en supposant que je pense ce que tu dis, qu’avec ton secours je réussirai, et que sans toi je ne puis rien ?
Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours, comme ceux que tu es accoutumé d’entendre[3] ? Non, car ce n’est pas là ma manière. Mais je suis en état, je crois, de te convaincre que je n’ai rien avancé que de vrai, pour peu que tu veuilles bien m’accorder une seule chose.
Je le veux bien, pourvu que cela ne soit pas trop difficile.
Est-ce une chose si difficile que de répondre à quelques questions ?
Non.
Réponds-moi donc.
Tu n’as qu’à m’interroger.
T’interrogerai-je, comme si tu avais les grands desseins [106c] que je t’attribue ?
Soit, si tu le veux ; je saurai du moins ce que tu as à me dire.
Voyons. Tu te prépares donc, comme je dis, à aller dans peu de jours à l’assemblée des Athéniens pour leur faire part de tes lumières. Si, au moment de monter à la tribune[4], je te prenais par la main, et te disais : Alcibiade, sur quoi les Athéniens délibèrent-ils, pour que tu te lèves et donnes ton avis ? n’est-ce pas sur les choses que tu sais mieux qu’eux ? Que me répondrais-tu ?
Je te répondrais sans aucun doute, que c’est sur les choses que je sais mieux qu’eux.
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais ?
Comment en donnerait-on sur celles qu’on ne sait pas ?
Et n’est-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres, ou ce que tu as trouvé de toi-même ?
Que pourrait-on savoir autrement ?
Mais se peut-il que tu aies appris des autres, ou trouvé de toi-même quelque chose, lorsque tu n’as voulu ni rien apprendre ni rien chercher ?
Cela ne se peut.
Eh bien ! t’es-tu jamais avisé de chercher ou d’apprendre ce que tu croyais savoir ?
Non, sans doute.
Et ce que tu sais présentement, il a été un temps où tu ne croyais pas le savoir ?
Assurément.
Mais je sais à-peu-près quelles sont les choses que tu as apprises ; si j’en oublie quelqu’une, nomme-la-moi. Tu as appris, si je m’en souviens bien, à écrire, à jouer de la lyre, et à faire tes exercices ; car pour la flûte, tu n’as pas voulu l’apprendre[5]. Voilà tout ce que tu sais, à moins que tu n’aies appris quelque autre chose à mon insu : cependant, je ne crois pas que tu sois sorti d’ici ni jour ni nuit sans que j’en aie eu connaissance.
Non ; voilà les seules choses que j’ai apprises.
Sera-ce donc quand les Athéniens délibéreront sur l’écriture, pour savoir comment il faut écrire, que tu te lèveras pour donner ton avis ?
Non, par Jupiter.
Sera-ce quand ils délibéreront sur la manière de jouer de la lyre ?
Nullement.
Mais les Athéniens n’ont guère plus la coutume de délibérer sur les différens exercices ?
Non, certes.
Sur quoi donc attendras-tu qu’ils délibèrent ? Ce ne sera pas quand ils délibéreront sur la manière de bâtir les maisons ?
Point du tout.
Car un maçon les conseillerait mieux que toi.
Tu as raison.
Ce ne sera pas non plus quand ils délibéreront sur quelque point de divination ?
Non.
Car un devin en sait plus que toi sur cette matière.
Assurément.
Qu’il soit petit ou grand, beau ou laid, de haute ou de basse naissance.
Qu’est-ce que cela fait ?
Car, sur toute chose, je pense que, pour conseiller, il faut savoir, et non pas être riche.
Sans difficulté.
Et si les Athéniens délibéraient sur la santé publique, peu leur importerait [107c] que l’orateur fût pauvre ou riche ; ils voudraient qu’il fût médecin.
Et avec raison.
Sur quoi faudra-t-il donc qu’ils délibèrent, pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis ?
Quand ils délibéreront sur leurs propres affaires.
Quoi ! quand ils délibéreront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux, pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bâtir ?
Non pas, Socrate.
Car tu n’as pas appris, je crois, à bâtir des vaisseaux. N’est-ce pas là ce qui t’empêchera de parler sur cette matière ?
J’en conviens.
Mais quand délibéreront-ils donc de leurs affaires, selon toi ?
Quand il sera question de la paix, de la guerre, ou de quelque autre affaire publique.
C’est-à-dire, quand ils délibéreront à qui il faut faire la guerre ou la paix, et comment il faut la faire ?
Précisément.
Il faut faire la paix ou la guerre à qui il est mieux de la faire ?
Oui.
Et lorsque c’est le mieux.
Sans doute.
Et pendant tout le temps que cela est le mieux.
Rien n’est plus vrai.
Si les Athéniens délibéraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6], et comment il faut faire ces différens exercices, donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maître de palestre ?
Le maître de palestre en donnerait de meilleurs, sans difficulté.
Peux-tu me dire à quoi regarderait principalement ce maître de palestre, pour ordonner avec qui, quand et comment on doit faire ces différens exercices ? Je m’explique : avec qui faut-il lutter ? N’est-ce pas avec qui cela est le mieux ?
Sans doute.
Et aussi long-temps que cela est le mieux ?
Aussi long-temps.
Et quand cela est le mieux ?
Assurément.
Et ne faut-il pas que celui qui chante s’accompagne tantôt en jouant de la lyre, et tantôt en dansant ?
Il le faut.
Et quand cela est le mieux ?
Oui.
Et aussi long-temps que cela est le mieux ?
Certainement.
Eh bien ! puisqu’il y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre, comme il y en a un dans la lutte, comment l’appelles-tu, ce mieux là ? Car, pour celui de la lutte, je l’appelle gymnastique.
Je ne t’entends pas.
Tâche de m’imiter ; pour moi, je répondrais que ce mieux, c’est ce qui est toujours bien. Or, cela est bien qui se fait selon les règles de l’art. N’est-ce pas ?
Oui.
Et l’art de la lutte, n’est-ce pas la gymnastique ?
Oui.
Et le mieux dans l’art de la lutte, je l’appelais gymnastique ?
C’est ainsi que tu l’appelais.
Eh bien ! n’avais-je pas raison ?
À ce qu’il me semble.
Courage ; à ton tour, pique-toi aussi de bien répondre. Dis-moi d’abord comment tu appelles l’art qui enseigne à chanter, à jouer de la lyre, et à bien danser. Comment l’appelles-tu d’un seul nom ? Ne saurais-tu encore me le dire ?
Non, en vérité.
Essaie, je vais te mettre sur la voie. Comment appelles-tu les déesses qui président à cet art ?
Tu veux parler des Muses ?
Assurément. Vois maintenant quel nom cet art a tiré des Muses.
Ah ! c’est de la musique que tu parles ?
Précisément ; et comme je t’ai dit que ce qui se faisait selon les règles de la gymnastique s’appelait gymnastique, dis-moi aussi à ton tour comment s’appelle ce qui se fait selon les règles de cet autre art.
Musical, je crois.
Fort bien ; continue. Et le mieux dans l’art de faire la guerre, et dans celui de faire la paix, comment [108e] l’appelles-tu ? Dans chacun des deux autres arts tu dis que le mieux dans l’un, est ce qui est plus gymnastique, et le mieux dans l’autre, est ce qui est plus musical. Tâche donc de même de me dire le nom de ce qui est le mieux ici.
Je ne saurais.
Mais si quelqu’un t’entendait raisonner et donner conseil sur les alimens, et dire : Celui-là est meilleur que celui-ci ; il faut le prendre en tel temps et en telle quantité ; et qu’il te demandât : Alcibiade, qu’est-ce que tu appelles meilleur ? Ne serait-ce pas une honte que tu lui répondisses que le meilleur c’est ce qui est le plus sain, quoique tu ne fasses pas profession d’être médecin ; et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir, et sur lesquelles tu te mêles de donner conseil, comme les sachant bien, tu ne susses que répondre lorsqu’on t’interroge ? Cela ne te couvre-t-il pas de confusion ?
Je l’avoue.
Applique-toi donc, et fais un effort pour me dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre, à qui nous croyons devoir faire l’une ou l’autre.
Quelque effort que je fasse, je ne saurais le trouver.
Quoi ! tu ne sais pas, quand nous faisons la guerre, de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes, et quel nom nous donnons à cette chose ?
Je sais que nous disons qu’on nous a trompés, ou fait violence, ou dépouillés.
Courage. Et comment ces choses arrivent-elles ? Tâche de m’expliquer la différente manière dont elles peuvent arriver.
Veux-tu dire, Socrate, qu’elles peuvent arriver justement ou injustement ?
C’est cela même.
Et cela y met une différence infinie.
Eh bien ! à quels peuples conseilleras-tu aux Athéniens de déclarer la guerre ? à ceux qui pratiquent la justice ou à ceux qui la violent ?
Terrible demande, Socrate ! Car quand même quelqu’un serait capable de penser qu’il faut faire la guerre à ceux qui pratiquent la justice, il n’oserait l’avouer.
En effet, cela n’est pas conforme aux lois, à ce qu’il paraît.
Non, sans doute ; ni honnête, non plus, d’après l’opinion.
Par conséquent, tu auras toujours en vue la justice dans tes discours ?
Il le faut bien.
Mais ce mieux dont je te parlais tantôt au sujet de la paix ou de la guerre, pour savoir à qui, quand et comment il faut faire la guerre et la paix ; n’est-ce pas toujours le plus juste ?
Il paraît, au moins.
Comment donc ! cher Alcibiade, il faut ou que, sans le savoir, tu ignores ce que c’est que le juste, ou qu’à mon insu tu sois allé chez quelque maître qui te l’ait appris, et qui t’ait enseigné à distinguer le juste et l’injuste. Qui est ce maître ? dis-le-moi, je t’en prie, afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes à lui.
Tu te moques, Socrate.
Non, je le jure par le Dieu qui préside à notre amitié[7], et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure. Je t’en prie, si tu as un maître, dis-moi qui il est.
Eh bien ! quand je n’en aurais point ? crois-tu que je ne puisse savoir d’ailleurs ce que c’est que le juste et l’injuste ?
Tu le sais si tu l’as trouvé.
Et crois-tu que je ne l’aie pas trouvé ?
Tu l’as trouvé si tu l’as cherché.
Penses-tu donc que je ne l’aie pas cherché ?
Tu l’as cherché si tu as cru l’ignorer.
T’imagines-tu donc qu’il n’y ait pas eu un temps où je l’ignorais ?
Très bien dit. Mais peux-tu me marquer précisément ce temps [110a] où tu as cru ne pas savoir ce que c’est que le juste et l’injuste ? Voyons, était-ce l’année passée que tu le cherchais, croyant l’ignorer ? ou croyais-tu le savoir ? Dis la vérité, afin que notre conversation ne soit pas vaine.
Mais je croyais bien le savoir.
Et il y a trois, quatre et cinq ans, ne le croyais-tu pas de même ?
Oui.
Avant ce temps-là tu n’étais qu’un enfant, n’est-ce pas ?
Dans ce temps-là même, je suis bien sûr que tu croyais le savoir.
Comment en es-tu si sûr ?
C’est que pendant ton enfance, chez tes maîtres et ailleurs, et lorsque tu jouais aux osselets ou à quelque autre jeu, je t’ai vu très souvent ne point balancer sur le juste et l’injuste, et dire d’un ton ferme et assuré à tel ou tel de tes camarades que c’était un méchant, un injuste, qu’il faisait une injustice[8]. N’est-il pas vrai ?
Que devais-je donc faire, à ton avis, quand on me faisait quelque injustice ?
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoré que ce qu’on te faisait fût une injustice, ou en supposant le contraire ?
Mais je ne l’ignorais point du tout, je savais parfaitement qu’on me faisait injustice.
Tu vois donc par là que, lors même que tu n’étais qu’un enfant, tu croyais connaître le juste et l’injuste.
Je croyais le connaître, et je le connaissais.
En quel temps l’avais-tu trouvé ? car ce n’était pas lorsque tu croyais le savoir.
Non, sans doute.
En quel temps croyais-tu donc l’ignorer ? Réfléchis bien, car j’ai grand’peur que tu ne trouves pas ce temps-là.
En vérité, Socrate, je ne saurais te le dire.
Tu ne connais donc pas le juste et l’injuste, pour l’avoir trouvé de toi-même ?
Il n’y a pas d’apparence.
Mais peut-être que j’ai mal répondu, en disant que je l’ai trouvé de moi-même.
Dis-moi donc comment cela s’est fait ?
Je l’ai appris, je pense, tout comme les autres.
Nous voilà à recommencer. De qui l’as-tu appris ? dis-moi.
Du peuple.
En citant le peuple tu n’as pas recours, mon cher Alcibiade, à un fort bon maître.
Quoi ! le peuple n’est-il pas capable de l’enseigner ?
Pas même d’enseigner ce qui est bien ou mal aux échecs[9], ce qui est pourtant un peu moins difficile, à mon avis, que d’enseigner la justice. Eh bien ! ne le crois-tu pas comme moi ?
Oui, sans doute.
Et s’il n’est pas capable de t’enseigner des choses moins difficiles, comment t’en enseignerait-il de plus difficiles ?
Je suis de ton avis. Cependant le peuple est capable d’enseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les échecs.
Et lesquelles ?
Notre langue, par exemple, je ne l’ai apprise que du peuple, je ne pourrais pas te nommer un seul maître que j’aie eu pour cela ; et je n’en puis citer d’autre que ce peuple, que tu trouves un si mauvais maître.
Oh ! pour la langue, mon cher, le peuple est un très excellent maître, et l’on aurait grand’raison de louer ses leçons dans ce genre.
Pourquoi ?
Parce qu’il a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maîtres.
Ceux qui veulent enseigner une chose, [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir d’abord ?
Qui en doute ?
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas être d’accord entre eux sur ce qu’ils savent, et n’en pas disputer ?
Oui.
Et crois-tu qu’ils sachent bien ce dont ils disputeraient ?
Nullement.
Comment donc l’enseigneraient-ils ?
Ils ne le pourraient d’aucune façon.
Eh quoi ! est-ce que le peuple n’est pas d’accord de la signification de ces mots, une pierre, un bâton ? Interroge qui tu voudras, tous ne répondront-ils pas [111c] de même, tous ne courront-ils pas à la même chose, s’ils veulent avoir une pierre ou un bâton ? N’en est-il pas ainsi du reste ? Car je comprends que voilà ce que tu veux dire par savoir la langue, n’est-ce pas ?
Oui.
Tous les Grecs ne sont-ils pas d’accord sur cela entre eux de particulier à particulier et de peuple à peuple ?
Certainement.
Ainsi, sous ce rapport, le peuple serait un excellent maître ?
Nul doute.
Si donc nous voulions que quelqu’un sût bien une langue, nous ne pourrions mieux faire que de l’envoyer à l’école du peuple ?
Non assurément.
Mais si, au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots d’homme ou de cheval, nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier, le peuple serait-il capable de nous l’apprendre ?
Nullement.
Et une marque bien sûre qu’il ne le sait pas, et [111e] qu’il ne pourrait l’enseigner, c’est qu’il n’est pas là-dessus d’accord avec lui-même, le moins du monde.
Tu as raison.
Et si nous voulions savoir, non pas ce que signifie le mot homme, mais ce que c’est qu’un homme sain ou malsain, le peuple serait-il en état de nous l’apprendre ?
Non, certes.
Et ne conclurais-tu pas que c’est là-dessus un assez mauvais maître, si tu le voyais en contradiction avec lui-même ?
Sans difficulté.
Eh bien ! sur le juste et sur l’injuste, en fait d’hommes [112a] ou d’affaires, crois-tu que le peuple soit d’accord et avec lui-même et avec les autres ?
Par Jupiter ! pas le moins du monde !
Et ne crois-tu pas au contraire, que c’est sur cela qu’il s’accorde le moins ?
J’en suis très persuadé.
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient été si divisés sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine, qu’ils aient pris les armes et se soient égorgés les uns les autres.
Non, en vérité.
Mais, sur le juste et l’injuste, je sais bien, moi, que, si tu ne l’as pas vu, [112b] au moins tu l’as entendu dire à beaucoup d’autres, et, par exemple, à Homère, car tu as lu l’Odyssée et l’Iliade.
Oui, assurément, Socrate.
Et le fondement de ces poèmes, n’est-ce pas la diversité des sentimens sur la justice et sur l’injustice ?
Oui.
N’est-ce pas cette dissension qui a coûté tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens, aux amans de Pénélope, et à Ulysse ?
Tu dis vrai.
Et ceux qui moururent à Tanagre[10], Athéniens, Lacédémoniens, Béotiens, et, après, à Coronée[11], où ton père Clinias fut tué, le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre, je pense, que cette diversité de sentimens sur le juste et l’injuste. N’est-ce pas ?
Peut-on le nier ?
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant d’animosité qu’il se porte aux dernières extrémités ?
Il n’y paraît certes pas.
Eh ! voilà les maîtres que tu nous cites, toi qui conviens toi-même de leur ignorance !
Je l’avoue.
Quelle apparence donc que tu saches ce que c’est que le juste et l’injuste, sur lesquels tu es si flottant, et que tu parais n’avoir ni appris des autres, ni trouvé de toi-même ?
Il n’y a pas d’apparence, d’après ce que tu dis.
Comment ! d’après ce que je dis ! Ne vois-tu pas que tu parles fort mal, Alcibiade ?
En quoi donc ?
Tu prétends que c’est moi qui dis cela ?
Quoi ! n’est-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et l’injustice ?
Non, assurément, ce n’est pas moi.
Qui donc ? Moi peut-être ?
Toi-même.
Comment ?
Tu vas le voir. Si je te demandais quel est le plus grand nombre d’un ou de deux, ne me répondrais-tu pas que c’est deux ?
Oui.
Et de combien plus grand ?
D’un.
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus qu’un ?
Moi.
N’est-ce pas moi qui interroge, et toi qui réponds ?
Oui.
Et sur le juste et l’injuste, n’est-ce pas moi qui interroge, et toi qui réponds ?
Cela est certain.
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate, et que tu les prononçasses, qui est-ce de nous deux qui les dirait ?
Moi.
Allons donc, conclus. Dans une conversation qui se passe en demandes et en réponses, qui affirme, celui qui interroge, ou celui qui répond ?
Celui qui répond, Socrate, à ce qu’il me semble.
Eh bien ! jusqu’ici n’est-ce pas moi qui ai interrogé ?
Oui.
Et toi qui as répondu ?
Assurément.
Eh bien ! qui de nous a affirmé tout ce qui a été dit ?
Il faut bien que je convienne, Socrate, que c’est moi.
Et n’a-t-il pas été dit que le bel Alcibiade, fils de Clinias, ne sachant ce que c’est que le juste et l’injuste, et pensant pourtant bien le savoir, s’en va à l’assemblée des Athéniens pour leur donner son avis sur ce qu’il ne sait pas ? N’est-ce pas cela ?
Il est vrai.
C’est donc ici le cas du mot d’Euripide : C’est toi qui l’as nommé[12] ; car ce n’est pas moi qui l’ai dit ; c’est toi, et tu as tort de t’en prendre à moi.
Tu as bien l’air d’avoir raison.
Crois-moi, mon cher, c’est une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas, ce que tu ne t’es pas donné la peine d’apprendre.
Mais j’imagine, Socrate, que les Athéniens et tous les autres Grecs délibèrent très rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste ; car cela leur paraît très clair ; et, sans s’y arrêter, ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile. Or, l’utile et le juste sont fort différens, je pense, puisqu’il y a eu beaucoup de gens qui se sont très bien trouvés d’avoir commis de grandes injustices, et d’autres qui, je crois, pour avoir été justes, ont assez mal réussi.
Quoi ! quelque différence qu’il y ait entre l’utile et le juste, [113e] penses-tu donc connaître l’utile, et ce qui le constitue ?
Qui en empêche, Socrate, à moins que tu ne demandes encore de qui je l’ai appris ou comment je l’ai trouvé de moi-même ?
Que fais-tu là, Alcibiade ? supposé que tu dises mal, et qu’il soit possible de te réfuter par les mêmes raisons que j’ai déjà employées, tu veux de nouvelles preuves, et tu traites les premières comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre : [114a] il te faut du neuf absolument. Mais, pour moi, sans te suivre dans tes écarts, je persiste à te demander d’où tu as appris ce que c’est que l’utile, et qui a été ton maître : et je te demande en une fois tout ce que je t’ai demandé précédemment. Mais je vois bien que tu me répondras la même chose, et que tu ne pourras me montrer, ni que tu aies appris des autres ce que c’est que l’utile, ni que tu l’aies trouvé de toi-même. Or, comme tu es délicat, et que tu ne goûterais guère les mêmes propos, je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Athéniens. [114b] Mais que le juste et l’utile sont une même chose, ou qu’ils sont fort différens, pourquoi ne me le prouverais-tu pas, en m’interrogeant, s’il te plaît, comme je t’ai interrogé, ou en me parlant tout de suite ?
Mais je ne sais trop, Socrate, si je suis capable de parler devant toi.
Il le faudra bien.
Et quand on sait bien une chose, n’est-il pas égal de la démontrer à un seul en particulier, [114c] ou à plusieurs à-la-fois ; comme un maître à lire montre également à un ou à plusieurs écoliers ?
Cela est certain.
Et le même homme n’est-il pas capable d’enseigner l’arithmétique à un ou à plusieurs ?
Oui.
Mais cet homme ne doit-il pas savoir l’arithmétique ? Ne doit-ce pas être le mathématicien ?
Oui.
Et, par conséquent, ce que tu es capable de persuader à plusieurs, tu peux aussi le persuader à un seul ?
Assurément.
Et ce que tu peux persuader, c’est ce que tu sais ?
Sans doute.
Quelle autre différence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] à tout un peuple, et un homme qui s’entretient comme nous le faisons maintenant, sinon que le premier a plusieurs hommes à persuader, et que le dernier n’en a qu’un ?
Il pourrait bien n’y avoir que celle-là.
Voyons donc, puisque celui qui est capable de persuader plusieurs l’est aussi de persuader un seul, exerce-toi avec moi, et tâche de me démontrer que ce qui est juste n’est pas toujours utile.
Te voilà bien méchant, Socrate.
Si méchant que je vais tout à l’heure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver.
Voyons ; parle.
Réponds seulement à mes questions.
Ah ! point de questions, je t’en prie ; parle toi seul.
Quoi ! est-ce que tu ne veux pas être persuadé ?
Je ne demande pas mieux.
Quand ce sera toi-même qui affirmeras tout ce qui sera avancé, ne seras-tu pas persuadé, autant qu’on peut l’être ?
Il me semble.
Réponds-moi donc ; et si tu n’apprends pas de toi-même que le juste est toujours utile, ne le crois jamais sur la foi d’un autre.
À la bonne heure ; je suis prêt à te répondre, car il ne m’en arrivera aucun mal, je pense.
Tu es prophète, Alcibiade. Eh bien ! dis-moi, crois-tu qu’il y ait des choses justes qui soient utiles, et d’autres qui ne le soient pas ?
Assurément, je le crois.
Crois-tu aussi que les unes soient honnêtes, et les autres tout le contraire ?
Comment dis-tu ? s’il te plaît.
Je te demande, par exemple, si un homme qui fait une action déshonnête fait une action juste ?
Je suis bien éloigné de le croire.
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnête ?
Oui.
Et, quant à l’honnête, tout ce qui est honnête est-il bon ? Ou crois-tu qu’il y ait des choses honnêtes qui soient bonnes, et d’autres qui soient mauvaises ?
Pour moi, je pense, Socrate, qu’il y a certaines choses honnêtes qui sont mauvaises.
Et, par conséquent, de déshonnêtes qui sont bonnes ?
Oui.
Vois si je t’entends bien : il est souvent arrivé à la guerre qu’un homme, voulant secourir son ami ou son parent, a été blessé ou tué, et qu’un autre, en manquant à ce devoir, a sauvé sa vie. N’est-ce pas cela que tu dis ?
C’est cela même.
Le secours qu’un homme donne à son ami, tu l’appelles une chose honnête, en ce qu’il tâche de sauver celui qu’il est obligé de secourir ; et n’est-ce pas ce qu’on appelle valeur ?
Oui.
Et ce même secours, tu l’appelles une chose mauvaise, à cause des blessures et de la mort qu’elle nous attire ?
Oui.
Mais la vaillance, n’est-ce pas une chose, et la mort une autre ?
Assurément.
Par conséquent, le secours qu’on donne à son ami dans un combat n’est pas une chose honnête et une chose mauvaise par le même endroit ?
Non.
Mais vois si ce qui fait une action honnête, ne la fait pas bonne, comme dans le cas dont il s’agit. Tu as reconnu que, du côté de la valeur, secourir son ami est honnête. Examine donc présentement si la valeur est un bien ou un mal ; et voici le moyen de bien faire cet examen. Que te souhaites-tu, à toi-même, des biens ou des maux ?
Des biens.
Et les plus grands, surtout ? Et tu ne voudrais pas en être privé ?
Non, assurément.
Que penses-tu donc de la valeur ? À quel prix consentirais-tu à en être privé ?
À quel prix ? Je ne voudrais pas même de la vie, à condition d’être un lâche.
La lâcheté te paraît donc le dernier des maux ?
Sans doute.
Égal à la mort même ?
Oui, certes.
La vie et la valeur, ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lâcheté ?
Qui en doute ?
Et tu souhaites les unes, et repousses les autres ?
Eh bien ?
N’est-ce pas que tu trouves les unes très bonnes et les autres très mauvaises ?
Sans difficulté.
Tu reconnais donc toi-même que secourir son ami à la guerre, c’est une chose honnête, par son rapport au bien, qui est la vaillance ?
Oui, je le reconnais.
Et que c’est une chose mauvaise, par son rapport au mal, c’est-à-dire, à la mort ?
Oui.
Il suit qu’on doit appeler chaque action selon ce qu’elle produit : si tu l’appelles bonne quand il en revient du bien, [116a] il faut aussi l’appeler mauvaise quand il en revient du mal.
Il me le semble.
Une action n’est-elle pas honnête en tant qu’elle est bonne, et déshonnête en tant qu’elle est mauvaise ?
Sans contredit.
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats, c’est une action honnête, et en même temps une action mauvaise, c’est comme si tu disais qu’elle est bonne et qu’elle est mauvaise.
Il me paraît que tu dis assez vrai.
Il n’y a donc rien d’honnête qui soit mauvais en tant qu’honnête, ni rien de déshonnête qui soit bon en ce qu’il est déshonnête.
Cela me paraît ainsi.
Continuons ; et considérons la chose d’une autre façon. Vivre honnêtement, n’est-ce pas bien vivre ?
Oui.
Et bien vivre, n’est-ce pas être heureux[13] ?
Oui.
N’est-on pas heureux par la possession du bien ?
Très certainement.
Et le bien, n’est-ce pas en vivant bien qu’on l’acquiert ?
Assurément.
Bien vivre est donc un bien ?
Qui en doute ?
Et bien vivre, c’est vivre honnêtement ?
Oui.
L’honnête et le bien nous paraissent donc la même chose ?
Cela est indubitable.
Et par conséquent, tout ce que nous trouverons honnête, nous devons le trouver bon ?
Nécessairement.
Eh bien ! ce qui est bon est-il utile, on non ?
Utile.
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement à la justice ?
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnête.
Et que ce qui est honnête est bon ?
Oui.
Et que ce qui est bon est utile ?
Oui.
Par conséquent, Alcibiade, tout ce qui est juste est utile.
Il me semble.
J’en ai bien l’air.
Si quelqu’un donc, pensant bien connaître la nature de la justice, entrait dans l’assemblée des Athéniens ou des Péparéthiens[14], et qu’il leur dît qu’il sait très certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises, ne te moquerais-tu pas de lui, toi qui viens de dire toi-même [116e] que la justice et l’utilité sont la même chose ?
Par les dieux, je te jure, Socrate, que je ne sais ce que je dis ; et, véritablement, il me semble que j’ai perdu l’esprit ; car les choses me paraissent tantôt d’une manière et tantôt d’une autre, selon que tu m’interroges.
Ignores-tu, mon cher, la cause de ce désordre ?
Je l’ignore parfaitement.
Et si quelqu’un te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux, deux mains ou quatre mains, ou quelque autre chose pareille, penses-tu que tu répondisses tantôt d’une façon et tantôt d’une autre ? ou ne répondrais-tu pas toujours de la même manière ?
Je commence à me fort défier de moi-même. Pourtant, je crois qu’en effet je répondrais de la même manière.
Et n’est-ce pas parce que tu sais ce qui en est ? N’en est-ce pas là la cause ?
Je le crois.
Si donc tu réponds si différemment, malgré toi, sur la même chose, c’est une marque infaillible que tu l’ignores.
Il y a de l’apparence.
Or, tu avoues que tu es flottant dans tes réponses sur le juste et l’injuste ; sur l’honnête et le malhonnête ; sur le bien et le mal ; sur l’utile et son contraire : n’est-il pas évident que cette incertitude vient de ton ignorance ?
C’est donc une maxime certaine que l’esprit est nécessairement flottant sur ce qu’il ignore ?
Comment en serait-il autrement ?
Dis-moi, sais-tu comment tu pourrais monter au ciel ?
Non, par Jupiter, je te jure.
Et ton esprit est-il flottant là-dessus ?
Point du tout.
En sais-tu la raison, ou te la dirai-je ?
Dis.
C’est, mon ami, que ne sachant pas le moyen de monter au ciel, tu ne crois pas le savoir.
Comment dis-tu cela ?
Vois un peu avec moi. Quand tu ignores une chose, et que tu sais que tu l’ignores, es-tu incertain et flottant sur cette chose-là ? Par exemple, l’art de la cuisine, ne sais-tu pas que tu l’ignores ?
Oui.
T’amuses-tu donc à raisonner sur cet art, et dis-tu tantôt d’une façon et tantôt d’une autre ? Ne laisses-tu pas plutôt faire celui dont c’est le métier ?
Tu dis vrai.
Et si tu étais sur un vaisseau, te mêlerais-tu de dire ton avis [117d] s’il faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors ? Et, comme tu ne sais pas l’art de naviguer, hésiterais-tu entre plusieurs opinions, ou ne laisserais-tu pas plutôt faire le pilote ?
Je laisserais faire le pilote.
Tu n’es donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas, pourvu que tu saches que tu ne les sais pas ?
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que l’on commet ne viennent que de cette sorte d’ignorance, qui fait qu’on croit savoir ce qu’on ne sait pas ?
Répète-moi cela, je te prie.
Ce qui nous porte à entreprendre une chose, n’est-ce pas l’opinion où nous sommes que nous la savons faire ?
Qui en doute ?
Et lorsqu’on est persuadé qu’on ne la sait pas, ne la laisse-t-on pas à d’autres ?
Cela est constant.
Ainsi, ceux qui sont dans cette dernière sorte d’ignorance ne font jamais de fautes, parce qu’ils laissent à d’autres le soin des choses qu’ils ne savent pas faire ?
Il est vrai.
Qui sont donc ceux qui commettent des fautes ? Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses.
Non, assurément.
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses, ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent qu’ils les ignorent, que reste-t-il, que ceux qui, ne les sachant pas, croient pourtant les savoir ?
Non, il n’y en a pas d’autres.
Et voilà l’ignorance qui est la cause de tous les maux ; la sottise, qu’on ne saurait trop flétrir.
Cela est vrai.
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance, n’est-ce pas alors qu’elle est pernicieuse et honteuse au plus haut degré ?
Peut-on le nier ?
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste, l’honnête, le bien, et l’utile ?
Non certainement.
Et n’est-ce pas sur ces choses-là que tu dis toi-même que tu es flottant et incertain ?
Oui.
Et cette incertitude, d’après ce que nous avons dit, n’est-elle pas une preuve que, [118b] non-seulement tu ignores les choses les plus importantes, mais que, les ignorant, tu crois pourtant les savoir ?
J’en ai bien peur.
O dieux ! en quel état déplorable es-tu, Alcibiade ! je n’ose le nommer. Cependant, puisque nous sommes seuls, il faut te le dire : mon cher Alcibiade, tu es dans la pire espèce d’ignorance, comme tes paroles le font voir, et comme tu le témoignes contre toi-même. Voilà pourquoi tu t’es jeté dans la politique avant de l’avoir apprise. Et tu n’es pas le seul qui soit dans cet état ; il t’est commun avec la plupart de ceux qui se mêlent des affaires [118c] de la république : je n’en excepte qu’un petit nombre, et, peut-être, le seul Périclès, ton tuteur.
Aussi dit-on, Socrate, qu’il n’est pas devenu si habile de lui-même : mais qu’il a eu commerce avec plusieurs habiles gens, comme Pythoclidès[15] et Anaxagore[16] ; et encore aujourd’hui, à l’âge où il est, il passe sa vie avec Damon[17], dans le dessein de s’instruire.
As-tu déjà vu quelqu’un qui sût une chose, et qui ne pût l’enseigner à un autre ? Ton maître à lire t’a enseigné ce qu’il savait, et il l’a enseigné à tous ceux qu’il a voulu ?
Oui.
Et toi, qui l’as appris de lui, tu pourrais l’enseigner à un autre ?
Il en est de même du maître de musique et du maître d’exercices ?
Certainement.
Car c’est une belle marque qu’on sait bien une chose, quand on est en état de l’enseigner aux autres.
Il me le semble.
Mais peux-tu me nommer quelqu’un que Périclès ait rendu habile, à commencer par ses propres enfans ?
Quoi ! et si Périclès n’a eu pour enfans que des imbéciles[18] ?
Et Clinias, ton frère ?
Mais tu me parles là d’un fou.
Si Clinias est fou, et que les enfans de Périclès soient des imbéciles, d’où vient que Périclès a négligé un aussi heureux naturel que le tien ?
C’est moi seul, je pense, qui en suis cause, en ne m’appliquant point du tout à ce qu’il me dit.
Mais, parmi tous les Athéniens, et parmi les étrangers, libres ou esclaves, peux-tu m’en nommer un seul que le commerce de Périclès ait rendu plus habile, comme je te nommerai un Pythodore, fils d’Isolochus, et un Callias, fils de Calliade, qui, pour cent mines, sont tous deux devenus très habiles dans l’école de Zenon[19] ?
Vraiment, je ne le saurais.
À la bonne heure. Mais que prétends-tu faire de toi, Alcibiade ? Veux-tu demeurer comme tu es, ou prendre un peu soin de toi ?
Délibérons-en tous les deux, Socrate. J’entends fort bien ce que tu dis, et j’en demeure d’accord : oui, tous ceux qui se mêlent des affaires de la république ne sont que des ignorans, excepté un très petit nombre.
Et après cela ?
S’ils étaient instruits, il faudrait que celui qui prétend devenir leur rival, travaillât et s’exerçât, pour entrer en lice avec eux, comme avec des athlètes ; mais puisque, sans avoir pris le soin de s’instruire, ils ne laissent pas de se mêler du gouvernement, qu’est-il besoin de s’exercer et de se donner tant de peine pour apprendre ? Je suis bien assuré qu’avec les seuls secours [119c] de la nature, je les surpasserai.
Ah ! mon cher Alcibiade, que viens-tu de dire là ? Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possèdes !
Comment, Socrate ? Explique-toi.
Ah ! je suis désolé pour notre amitié, si…
Eh bien ?
Si tu penses n’avoir à lutter que contre des gens de cette sorte.
Et contre qui donc ?
Est-ce là la demande d’un homme qui croit avoir l’âme grande ?
Que veux-tu dire ? Ces gens-là ne sont-ils pas les seuls que j’aie à redouter ?
Si tu avais à conduire un vaisseau de guerre qui dût bientôt combattre, te contenterais-tu d’être plus habile dans la manœuvre que le reste de ton équipage, ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes véritables adversaires, et non comme aujourd’hui tes compagnons, au-dessus desquels tu dois si fort te mettre, [119e] qu’ils ne pensent pas à lutter contre toi, mais seulement, dans le sentiment de leur infériorité, à t’aider contre l’ennemi ; si toutefois tu as réellement en vue de faire quelque chose de grand, digne de toi et de la république.
Oui, c’est ce que j’ai réellement en vue.
En vérité, est-il bien digne d’Alcibiade de se contenter d’être le premier de nos soldats, au lieu de se mettre devant les yeux les généraux ennemis, de s’efforcer de leur devenir supérieur, et de s’exercer sur leur modèle ?
Qui sont donc ces grands généraux, Socrate ?
Ne sais-tu pas qu’Athènes est toujours en guerre avec les Lacédémoniens, ou avec le grand Roi ?
Je le sais.
Si donc tu penses à te mettre à la tête des Athéniens, il faut que tu te prépares aussi à combattre les rois de Lacédémone et les rois de Perse.
Tu pourrais bien dire vrai.
Oh ! non, mon cher Alcibiade, les émules dignes de toi, c’est un Midias, si habile à nourrir des cailles[20], [120b] et autres gens de cette espèce, qui s’immiscent dans le gouvernement, et qui, grâce à leur grossièreté, semblent n’avoir point encore coupé la chevelure de l’esclave, comme disent les bonnes femmes, et la porter dans leur âme[21] ; vrais barbares au milieu d’Athènes, et courtisans du peuple plutôt que ses chefs. Voilà les gens que tu dois te proposer pour modèles, sans penser à toi-même, sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir : voilà la noble lutte qu’il te faut instituer, et, sans avoir fait aucun bon exercice, [120c] aucun autre préparatif, c’est dans cet état qu’il faut aller te mettre à la tête des Athéniens.
Mais je ne suis guère éloigné, Socrate, de penser comme toi : cependant, je m’imagine que les généraux de Lacédémone et le roi de Perse sont comme les autres.
Regarde un peu, mon cher Alcibiade, quelle opinion tu as là ?
Quelle opinion ?
Premièrement, qui te portera à avoir plus de soin de toi, [120d] ou de te former de ces hommes une haute idée qui te les rende redoutables, ou de les dédaigner ?
Assurément, c’est de m’en former une haute idée.
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi, que d’avoir soin de toi-même ?
Au contraire, je suis persuadé que ce serait un grand bien.
Ainsi, cette opinion que tu as conçue de tes ennemis, est déjà un grand mal.
Je l’avoue.
En second lieu, il y a toute apparence qu’elle est fausse.
Comment cela ?
N’y a-t-il pas toute apparence que les meilleurs natures se trouvent dans les hommes d’une grande naissance ?
Certainement.
Et ceux qui, à cette grande naissance, joignent une bonne éducation, n’y a-t-il pas apparence qu’ils ont tout ce qui est nécessaire à la vertu ?
Cela est indubitable.
Voyons donc, en nous comparant avec les rois de Lacédémone et de Perse, s’ils sont de moindre naissance que nous. Ne savons-nous pas que les premiers descendent d’Hercule, et les derniers, d’Achéménès[22] ; et que le sang d’Hercule et d’Achéménès remonte jusqu’à Jupiter ?
Et ma famille, Socrate, ne descend-elle pas d’Eurisacès, et Eurisacès ne remonte-t-il pas jusqu’à Jupiter ?
Et la mienne aussi, mon cher Alcibiade, ne vient-elle pas de Dédale, et Dédale ne nous ramène-t-il pas jusqu’à Vulcain, fils de Jupiter[23] ? Mais la différence qu’il y a entre eux et nous, c’est qu’ils remontent jusqu’à Jupiter, par une gradation continuelle de rois, sans aucune interruption ; les uns, qui ont été rois d’Argos et de Lacédémone ; et les autres, qui ont toujours régné sur la Perse, et souvent sur l’Asie, comme aujourd’hui ; au lieu que nos aïeux n’ont été que de simples particuliers comme nous. [121b] Si tu étais obligé de montrer à Artaxerce, fils de Xerxès, tes ancêtres et la patrie d’Eurisacès, Salamine, ou Égine, celle d’Éaque, plus ancien qu’Eurisacès, quel sujet de risée ne lui donnerais-tu pas ? Mais voyons si nous ne sommes pas aussi inférieurs du côté de l’éducation que du côté de la naissance. Ne t’a-t-on jamais dit quels grands avantages ont, en cela, les rois de Lacédémone, dont les femmes sont, en vertu d’une loi, gardées par les Éphores, afin qu’on soit assuré, autant qu’il est possible, qu’elles ne donneront des rois que de [121c] la race d’Hercule ? Et, sous ce rapport, le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Lacédémone, que personne n’a seulement le soupçon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi ; c’est pourquoi elle n’a d’autre garde que la crainte. À la naissance du premier né, qui doit monter sur le trône, tous les peuples de ce grand empire célèbrent cet événement par des fêtes, et, chaque année, le jour de la naissance du roi est un jour de fêtes et de sacrifices pour toute l’Asie ; tandis que nous, [121d] lorsque nous venons au monde, mon cher Alcibiade, on peut nous appliquer ce mot du poète comique :
À peine nos voisins s’en aperçoivent-ils[24].
Ensuite, l’enfant est remis aux mains, non d’une femme, d’une nourrice de peu de valeur, mais des plus vertueux eunuques de la cour, qui, entre autres soins dont ils sont chargés, ont celui de former et de façonner ses membres, afin qu’il ait la taille la plus belle possible ; et cet emploi leur attire [121e] une haute considération. Quand l’enfant a sept ans, on le met entre les mains des écuyers, et on commence à le mener à la chasse ; à quatorze, il passe entre les mains de ceux qu’on appelle précepteurs du roi. Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommée de mérite ; ils sont dans la vigueur de l’âge : l’un passe pour le plus savant ; l’autre, pour le plus juste ; le troisième, pour le plus sage : et le quatrième, pour le [122a] plus vaillant. Le premier lui enseigne les mystères de la sagesse de Zoroastre, fils d’Oromaze, c’est-à-dire, la religion ; il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs d’un roi. Le juste lui apprend à dire toujours la vérité, fût-ce contre lui-même. Le sage l’instruit à ne se laisser jamais vaincre par ses passions, et, par-là, à se maintenir toujours libre et vraiment roi, en se gouvernant d’abord lui-même. Le vaillant l’exerce à être intrépide et sans peur, car, dès qu’il craint, il est esclave. Mais toi, Alcibiade, [122b] Périclès t’a donné pour précepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi, Zopire le Thrace. Je te rapporterais ici toute la suite de l’éducation de tes adversaires, si cela n’était pas trop long, et si ce que j’ai dit ne suffisait pour en faire voir les conséquences. Quant à ta naissance, Alcibiade, à ton éducation, et à celle d’aucun autre Athénien, personne ne s’en met en peine, à vrai dire, à moins que tu n’aies un ami qui s’en occupe. Veux-tu faire attention aux richesses, [122c] à la somptuosité, à l’élégance des Perses, à la magnificence de leurs habits, à la recherche de leurs parfums, à la foule d’esclaves qui les accompagnent, enfin à tous les détails de leur luxe ? tu auras honte de toi-même, en te voyant si au-dessous. Veux-tu jeter les yeux sur la tempérance des Lacédémoniens, sur leur modestie, leur facilité, leur douceur, leur magnanimité, leur bon ordre en toutes choses, leur valeur, leur fermeté, leur patience, leur noble émulation, et leur amour pour la gloire ? dans toutes ces grandes qualités, tu ne te trouveras qu’un enfant [122d] auprès d’eux. Veux-tu, par hasard, qu’on prenne garde aux richesses, et penses-tu avoir quelque avantage de ce côté-là ? Je veux bien en parler ici pour que, tu te mettes à ta véritable place. Considère les richesses des Lacédémoniens, et tu verras combien elles sont supérieures aux nôtres. Personne n’oserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messène, pour l’étendue et la bonté ; pour le nombre d’esclaves, sans compter les Ilotes ; pour les chevaux, et les autres troupeaux qui paissent dans les pâturages [122e] de Messène. Mais sans parler de toutes ces choses, il y a moins d’or et d’argent dans toute la Grèce ensemble que dans Lacédémone seule ; car, depuis peu, l’argent de toute la Grèce, et souvent même celui de l’étranger entre dans Lacédémone, et n’en sort jamais. [123a] Véritablement, comme dit le Renard au Lion, dans Ésope, je vois fort bien les traces de l’argent qui entre à Lacédémone, mais je n’en vois point de l’argent qui en sort. Il est donc certain que les Lacédémoniens sont les plus riches des Grecs, et que le roi est le plus riche d’eux tous ; car, outre ses revenus particuliers, qui sont considérables, le tribut royal que les Lacédémoniens paient à leurs rois [123b] n’est pas peu de chose. Mais si la richesse des Lacédémoniens paraît si grande auprès de celle des autres Grecs, elle n’est rien auprès de celle du roi de Perse. J’ai ouï dire à un homme digne de foi, qui avait été du nombre des ambassadeurs qu’on envoya au grand roi, je lui ai ouï dire qu’il avait fait une grande journée de chemin dans un pays vaste et fertile, que les habitans appellent la Ceinture de la Reine ; qu’il y en avait un autre, qu’on appelle [123c] le Voile de la Reine, et qu’il y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destinées à l’habillement de la reine, et qui avaient chacune le nom des parures qu’elles devaient fournir. Si donc quelqu’un allait dire à la femme de Xerxès, à Amestris, mère du roi actuel ; Il y a à Athènes un homme qui médite de faire la guerre à Artaxerce ; c’est le fils d’une femme nommée Dinomaque, dont toute la parure vaut peut-être, au plus, cinquante mines, et lui, pour tout bien, n’a pas trois cents arpents de terre à Erchies[25] ; elle demanderait, avec surprise, [123d] sur quoi s’appuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce, et je pense qu’elle dirait : Il ne peut s’appuyer que sur ses soins et son habileté, car voilà les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs. Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui n’a pas encore vingt ans, sans nulle sorte d’expérience, et si présomptueux, que, lorsque son ami lui représente qu’il doit, avant tout, avoir soin de lui, [123e] s’instruire, s’exercer, et alors seulement aller faire la guerre au grand roi, il ne veut pas, et dit qu’il est assez bon pour cela tel qu’il est ; je pense que sa surprise serait encore bien plus grande, et qu’elle demanderait : Sur quoi donc s’appuie ce jeune homme ? Et si nous lui répondions : Il s’appuie sur sa beauté, sur sa taille, sur sa richesse, et quelque esprit naturel, ne nous prendrait-elle pas pour des fous, songeant en quel degré elle trouve chez elle tous ces avantages ? Et je crois bien que Lampyto, fille [124a] de Léotychidas, femme d’Archidamus, mère d’Agis, tous nés rois, serait fort étonnée, si, parmi tant d’avantages qu’elle rencontre chez elle, on lui disait qu’aussi mal élevé que tu l’as été, tu t’es mis en tête de faire la guerre à son fils. Eh ! n’est-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mêmes ce que nous devrions être pour leur faire la guerre ? Ainsi, mon cher Alcibiade, suis mes conseils, et obéis au précepte écrit sur la porte du temple de Delphes : Connais-toi [124b] toi-même. Car les ennemis que tu auras à combattre sont tels que je te les représente, et non tels que tu te les es figurés. Il faut pour les vaincre, du soin et de l’habileté : si tu y renonces, il te faut renoncer aussi à la gloire, et chez les Grecs et chez les autres peuples ; la gloire que tu parais aimer avec plus d’ardeur que jamais personne n’a rien aimé.
De quel soin veux-tu donc parler, Socrate ? Peux-tu me l’expliquer ? Car tu as bien l’air de m’avoir dit la vérité.
Je le puis. Mais c’est ensemble qu’il faut chercher les moyens de [124c] nous rendre meilleurs ; car, je ne dis pas qu’il faut que tu t’instruises, et non pas moi, qui n’ai sur toi, tout au plus, qu’un seul avantage.
Et quel est-il ?
C’est que mon tuteur est meilleur et plus sage que ton tuteur Périclès.
Qui est ce tuteur ?
Tu plaisantes, Socrate.
Peut-être : mais enfin je te dis la vérité ; c’est qu’en fait de soin, nous devons en avoir beaucoup de nous-même ; tous les hommes, en général, et nous deux encore plus que les autres.
Moi, certainement, Socrate.
Et moi tout autant.
Mais comment prendre soin de nous-même ?
C’est ici, mon ami, qu’il faut chasser la paresse et la mollesse.
En effet, elles seraient assez déplacées.
Très déplacées, assurément. Mais examinons ensemble. [124e] Dis-moi, ne voulons-nous pas nous rendre très bons ?
Oui.
Mais dans celui qui fait la bonté de l’homme.
Et quel est l’homme bon ?
Évidemment, l’homme bon aux affaires.
Mais quelles affaires ? Non pas celles qui concernent les chevaux ?
Non, certes.
Car cela regarde les écuyers.
Oui.
Veux-tu dire les affaires qui concernent la marine ?
Non plus.
Car cela regarde les pilotes.
Quelles affaires donc ?
Les affaires qui occupent nos meilleurs Athéniens.
Qu’entends-tu par nos meilleurs Athéniens ? Sont-ce les insensés ou les hommes de sens ?
Les hommes de sens.
Ainsi, tout homme de sens est bon ?
Oui.
Et tout insensé, mauvais.
Sans doute.
Mais un cordonnier a tout le sens nécessaire pour faire des souliers ; il est donc bon pour cela ?
Fort bon.
Mais le cordonnier est tout-à-fait dépourvu de sens pour faire des habits ?
Oui.
Et, par conséquent, il est mauvais pour cela ?
Sans difficulté.
Il suit de là que ce même homme est à-la-fois bon et mauvais ?
Il semble.
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais ?
Point du tout.
Qu’entends-tu donc par hommes bons ?
Ceux qui savent gouverner.
Gouverner quoi ? Les chevaux ?
Non.
Les hommes ?
Oui.
Les malades ?
Eh ! non.
Ceux qui naviguent ?
Je ne dis pas cela.
Ceux qui font les moissons ?
Non pas.
Qui donc ? Ceux qui font quelque chose, ou ceux qui ne font rien.
Ceux qui font quelque chose.
Et qui font, quoi ? Tâche de me le faire comprendre.
Ceux qui traitent ensemble, et qui se servent les uns des autres, comme nous vivons dans la société.
C’est donc gouverner des hommes qui se servent d’autres hommes ?
Précisément.
Gouverner, par exemple, les bossemans, qui se servent de rameurs ?
Non pas.
Car cela appartient à l’art du pilote ?
Oui.
Est-ce donc gouverner les joueurs de flûte, [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs ?
Non, pas davantage.
Car cela regarde l’art du maître des chœurs ?
Sans doute.
Qu’attends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes ?
J’entends que c’est gouverner des hommes qui vivent ensemble sous l’empire des lois, et forment une société politique.
Et quel est l’art qui apprend à les gouverner ? Comme, par exemple, si je te demandais quel est l’art qui enseigne à gouverner tous ceux qui forment l’équipage d’un navire ?
C’est l’art du pilote.
Et si je te demandais quel est l’art qui enseigne à gouverner ceux qui forment le chœur, comme nous disions tout à l’heure ?
C’est l’art du maître de chœur, comme tu disais.
Eh bien ! comment appelles-tu l’art de gouverner ceux qui forment une association politique ?
Pour moi, Socrate, je l’appelle l’art de bien conseiller.
Comment ! l’art du pilote est-il l’art de donner de mauvais conseils ?
Non.
N’est-ce pas aussi l’art d’en donner de bons ?
Assurément, pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau.
Fort bien dit. Maintenant, de quels bons conseils veux-tu donc parler, et à quoi est-ce qu’ils tendent ?
Ils tendent au salut de la société et à son meilleur état.
Et quelle est la chose dont la présence ou l’absence soutient la société, et lui procure son meilleur état ? Si tu me demandais : Qu’est-ce qui doit être et n’être point dans un corps, pour faire qu’il soit sain et dans le meilleur état ? Je te répondrais, sur le champ, que ce qui doit y être, c’est la santé ; et ce qui doit n’y être pas, c’est la maladie. Ne le crois-tu pas comme moi ?
Tout comme toi.
Et si tu me demandais la même chose sur l’œil, je te répondrais de même que l’œil est dans le meilleur état, quand la vue y est, et que la cécité n’y est pas. Et les oreilles aussi, quand elles ont tout ce qu’il faut pour bien entendre, et qu’il n’y a aucune surdité, elles sont très bien et dans l’état le meilleur possible.
Cela est juste.
Et une société, qu’est-ce qui doit y être ou n’y être pas, pour qu’elle soit très bien et dans le meilleur état ?
Il me semble, Socrate, que c’est quand l’amitié est entre tous les citoyens, et que la haine et la division n’y sont point.
SOCRATE,
Qu’appelles-tu amitié, est-ce la concorde ou la discorde ?
La concorde.
Quel est l’art qui fait sur les nombres ?
L’arithmétique.
N’est-ce pas elle aussi qui fait que, sur cela, les particuliers s’accordent entre eux ?
Oui.
Et chacun avec lui-même ?
Sans difficulté.
Et quel est ; l’art qui fait que chacun est d’accord avec lui-même [126d] sur la grandeur relative d’une palme et d’une coudée ? N’est-ce pas l’art de mesurer ?
Et lequel donc ?
Et les états et les particuliers s’accordent par là ?
Oui.
Et sur ce point, n’est-ce pas la même chose ?
La même chose.
Et la concorde, dont tu parles, quelle est-elle ? En quoi consiste-t-elle ? Et quel est l’art qui la produit ? Celle d’un état, est-ce celle du particulier, qui le fait être d’accord avec lui-même et avec les autres ?
Mais il me semble, du moins.
Quelle est-elle donc, je te prie ? Ne te lasse point de me répondre, et [126e] instruis-moi, par charité.
Je crois que c’est cette amitié et cette concorde par laquelle un père et une mère s’accordent avec leurs enfans, un frère avec son frère, une femme avec son mari.
Mais penses-tu qu’un mari puisse être d’accord avec sa femme sur ses ouvrages de laine, qu’elle entend à merveille, lui qui n’y entend rien ?
Non, sans doute.
Il ne le faut pas même, le moins du monde, car c’est un talent de femme.
Oui.
Est-il possible qu’une femme s’accorde avec son mari sur ce qui regarde les armes, elle qui ne sait ce que c’est ?
Non.
Car dirais-tu peut-être, c’est un talent d’homme.
Cela est vrai.
Il y a donc, selon toi, des talens de femmes, et d’autres réservés aux hommes.
Pourrait-on le nier ?
Il est donc impossible que, sur cela, les femmes soient d’accord avec leurs maris.
Tout-à-fait.
Et, par conséquent, il n’y aura point d’amitié, puisque l’amitié n’est que la concorde.
Non, à ce qu’il paraît.
Il n’y a pas d’apparence.
Et quand un mari fera ce qu’il doit faire, il ne sera pas aimé de sa femme ?
Non.
Ce n’est donc pas quand chacun fait ce qu’il doit faire, que la société va bien ?
Si fait, je le crois, Socrate.
Comment dis-tu ? Une société ira bien sans que l’amitié y règne ? Ne sommes-nous pas convenus que c’est par l’amitié qu’un état est bien réglé, et qu’autrement, il n’y a que désordre et confusion ?
Mais il me semble que c’est cela même qui produit l’amitié, que chacun fasse ce qu’il a à faire.
Ce n’est pas du moins ce que tu disais tout-à-l’heure ; mais comment dis-tu donc présentement ? Sans la concorde peut-il y avoir amitié ? Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires que les uns savent, et que les autres ne savent pas ?
Impossible.
Quand chacun fait ce qu’il doit faire, chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste ?
Belle demande ! chacun fait ce qui est juste.
Quand donc tous les citoyens d’un état font ce qui est juste, ils ne sauraient pourtant s’aimer ?
Mais la conséquence semble nécessaire.
Quelle est donc cette amitié ou cette concorde dont nous devons connaître le secret, et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils, pour devenir bons citoyens ? Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste, ni en qui elle se trouve ; tantôt on la trouve en certaines personnes, tantôt on ne l’y trouve plus, comme il semble par tes paroles.
Par les dieux, je te répète, Socrate, que je ne sais moi-même ce que je dis, et je cours grand risque d’être, depuis long-temps, sans m’en être aperçu, dans le plus mauvais état.
Ne perds pas courage, Alcibiade : si tu ne sentais ton état [127e] qu’à l’âge de cinquante ans, il te serait difficile d’y apporter du remède ; mais à l’âge où tu es, voilà justement le temps de le sentir.
Mais quand on le sent, que faut-il faire ?
Répondre à quelques questions, Alcibiade. Si tu le fais, j’espère qu’avec le secours de Dieu, toi et moi, nous deviendrons meilleurs, au moins s’il faut ajouter foi à ma prophétie.
Cela ne peut manquer, s’il ne tient qu’à répondre.
Voyons donc. Qu’est-ce qu’avoir soin de soi, de peur qu’il ne nous arrive souvent, [128a] sans que nous nous en apercevions, d’avoir soin de toute autre chose que de nous, quand nous croyons en avoir soin ? Quand un homme a-t-il réellement soin de lui ? Quand il a soin des choses qui sont à lui, a-t-il soin de lui-même ?
Il me le semble.
Comment ? Quand un homme a-t-il soin de ses pieds ? Est-ce quand il a soin des choses qui sont à l’usage de ses pieds ?
Je ne t’entends pas.
Ne connais-tu rien qui soit à l’usage de la main ? Par exemple, une bague, pour quelle partie du corps est-elle faite ? N’est-ce pas pour le doigt ?
Sans doute.
De même, les souliers ne sont-ils pas pour les pieds ?
Assurément.
Quand donc nous avons soin des souliers, avons-nous soin des pieds ?
En vérité, Socrate, je ne t’entends pas encore bien.
Eh quoi ! Alcibiade, ne dis-tu pas qu’on a bien soin d’une chose ?
Oui.
Et quand on rend une chose meilleure ? ne dis-tu pas qu’on en a bien soin ?
Oui.
Et quel est l’art qui rend les souliers meilleurs ?
L’art du cordonnier.
C’est donc par l’art du cordonnier que nous avons soin des souliers ?
Oui.
Est-ce aussi par l’art du cordonnier que nous avons soin de nos pieds, ou n’est-ce pas par l’art qui rend le pied meilleur ?
C’est par celui-là.
Oui.
Et cet art, n’est-ce pas la gymnastique ?
Précisément.
C’est donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds, et par l’art du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont à l’usage de nos pieds ?
Justement.
C’est par la gymnastique que nous avons soin de nos mains, et par l’art de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont à l’usage de la main ?
Oui.
C’est par la gymnastique que nous avons soin de notre corps, et par l’art du tisserand, et par plusieurs [128d] autres arts, que nous avons soin des choses du corps ?
Cela est hors de doute.
Et, par conséquent, l’art par lequel nous avons soin de nous-mêmes, n’est pas le même que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont à nous ?
Évident.
Quand donc tu as soin des choses qui sont à toi, tu n’as pas soin de toi.
Nullement.
Car ce n’est pas par le même art, à ce qu’il paraît, qu’un homme a soin de lui et des choses qui sont à lui.
Non, assurément.
Eh bien ! quel est l’art par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mêmes.
Je ne saurais le dire.
Nous sommes déjà convenus que ce n’est pas celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelqu’une des choses qui sont à nous, mais celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mêmes ?
Cela est vrai.
Mais pouvons-nous connaître l’art qui raccommode les souliers, si nous ne savons auparavant ce que c’est qu’un soulier ?
Non.
Et l’art qui arrange les bagues, si nous ne savons auparavant ce que c’est qu’une bague ?
Cela ne se peut.
Quel moyen donc de connaître l’art qui nous rend meilleurs nous-mêmes, si nous ne savons ce que c’est que nous-mêmes ?
Cela est absolument impossible..
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaître soi-même, et était-ce quelque ignorant qui avait écrit ce précepte sur le temple d’Apollon ? ou est-ce, au contraire, une chose très difficile et peu commune ?
Pour moi, Socrate, j’ai cru souvent que c’était une chose commune, et, souvent aussi que c’était une chose fort difficile.
Mais, Alcibiade, que cela soit facile ou non, toujours est-il que si nous le savons une fois, nous saurons bientôt quel soin nous devons avoir de nous-mêmes ; et que si nous l’ignorons, nous ne parviendrons jamais à connaître la nature de ce soin.
Sans difficulté.
Courage donc. Par quel moyen trouverons-nous l’essence absolue des choses ? Par là, nous trouverons bientôt ce que nous sommes nous-mêmes ; et si nous ignorons cette essence, nous nous ignorerons toujours.
Tu dis vrai.
Suis-moi donc bien, je t’en conjure par Jupiter. Avec qui t’entretiens-tu présentement ? Est-ce avec moi ?
Oui, c’est avec toi.
Et moi avec toi,
Oui.
C’est Socrate qui parle ?
Oui.
C’est Alcibiade qui écoute ?
Cela est vrai.
C’est avec la parole que Socrate parle ?
Où en veux-tu venir ?
Parler et se servir de la parole est la même chose ?
Sans doute.
Celui qui se sert d’une chose, et ce dont il se sert, ne sont-ce pas des choses différentes ?
Comment dis-tu ?
Un cordonnier, par exemple, se sert de tranchets, d’alênes et d’autres instrumens ?
Oui.
Et celui qui se sert du tranchet, est-ils différent de l’instrument dont il se sert ?
Oui, certes.
De même, un homme qui joue de la lyre n’est-il pas différent de la lyre dont il joue ?
Qui en doute ?
C’est ce que je te demandais tout à l’heure, si celui qui se sert d’une chose te paraît toujours différent de ce dont il se sert ?
Très différent.
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instrumens, ou ne coupe-t-il pas avec ses mains ?
Avec ses mains aussi.
Il se sert donc de ses mains ?
Oui.
Et, pour travailler, il se sert aussi de ses yeux ?
Aussi.
Et nous sommes tombés d’accord que celui qui se sert d’une chose est différent de la chose dont il se sert ?
Nous en sommes tombés d’accord.
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent ?
Cela est sensible.
Et l’homme se sert de tout son corps ?
Fort bien.
Ce qui se sert d’une chose est différent de la chose qui sert ?
Oui.
L’homme est donc autre chose que le corps qui est à lui ?
Je le crois.
Qu’est-ce donc que l’homme ?
Je ne saurais le dire, Socrate.
Tu pourrais, au moins, me dire que c’est ce qui se sert du corps.
Cela est vrai.
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que l’âme ?
Non, aucune autre.
C’est donc elle qui commande ?
Très certainement.
Et il n’y a personne, je crois, qui ne soit forcé de reconnaître.
Quoi ?
Que l’homme est Une de ces trois choses…
Lesquelles ?
Ou l’âme, ou le corps, ou le composé de l’un et de l’autre.
Eh bien ?
Or, nous sommes convenus, au moins, que l’homme est ce qui commande au corps ?
Nous en sommes convenus.
Le corps se commande-t-il donc à lui-même ?
Nullement.
Car nous avons dit que le corps ne commande pas, mais qu’on lui commande.
Sans doute.
Ce n’est donc pas là ce que nous cherchons ?
Il n’y a pas d’apparence.
Mais est-ce donc le composé qui commande au corps ? Et ce composé, est-ce l’homme ?
Peut-être.
Rien moins que cela ; car l’un ne commandant point comme l’autre, il est impossible que les deux ensemble commandent.
Cela est incontestable.
Puisque ni le corps, ni le composé de l’âme et du corps ne sont l’homme, il ne reste plus, je pense, que cette alternative, ou que l’homme ne soit rien absolument, ou que l’âme seule soit l’homme.
Il est vrai.
Faut-il te démontrer encore plus clairement que l’âme seule est l’homme ?
Si nous n’avons pas très approfondi cette vérité, elle est assez prouvée, et cela suffit. Nous l’approfondirons davantage quand nous arriverons à ce que nous mettons de côté [130d] maintenant, comme d’une recherche trop difficile.
Qu’est-ce donc ?
C’est ce que nous avons dit tout-à-l’heure, qu’il fallait premièrement chercher à connaître l’essence absolue des choses ; mais au lieu de l’essence absolue, nous nous sommes arrêtés à examiner l’essence d’une chose particulière, et peut-être cela suffira-t-il ; car, après tout, nous ne saurions en nous-mêmes remonter plus haut que notre âme.
Non, certainement.
Ainsi donc, c’est un principe qu’il faut admettre, que, lorsque nous nous entretenons ensemble, toi et moi, c’est mon âme qui s’entretient avec la tienne ?
Tout-à-fait.
Et c’est ce que nous disions il n’y a qu’un moment, que Socrate parle à Alcibiade, en adressant la parole, non à sa figure, comme il semble, mais à Alcibiade lui-même, c’est-à-dire à son âme.
Cela est fort vraisemblable.
Celui qui nous ordonne de nous connaître nous-mêmes, nous ordonne donc de connaître notre âme.
Je le crois.
Celui qui connaît son corps connaît donc ce qui est à lui, et non ce qui est lui ?
Oui.
Ainsi, un médecin ne se connaît pas lui-même, en tant que médecin, ni un maître de palestre, entant que maître de palestre ?
Non.
À plus forte raison, les laboureurs et tous les autres artisans sont-ils plus éloignés de se connaître eux-mêmes ; en effet, ils ne connaissent pas même ce qui est à eux, et leur art les attache à des choses qui leur sont encore plus étrangères [131b] que ce qui est immédiatement à eux ; car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui être utile.
Tout cela est très vrai.
Si donc c’est une sagesse de se connaître soi-même, il n’y a aucun d’eux qui soit sage par son art.
Je suis de ton avis.
Et voilà pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de l’étude d’un honnête homme.
Cela est certain.
Ainsi, pour revenir à notre principe, tout homme qui a soin de son corps, a soin de ce qui est à lui, et non pas de lui ?
J’en tombe d’accord.
Tout homme qui aime les richesses, ne s’aime ni lui, ni [131c] ce qui est à lui, mais une chose encore plus étrangère que ce qui est à lui ?
Il me le semble.
Celui qui ne s’occupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires ?
Non.
Si donc quelqu’un est amoureux du corps d’Alcibiade, ce n’est pas Alcibiade qu’il aime, mais une des choses qui appartiennent à Alcibiade.
Je le crois.
Celui qui aime Alcibiade, c’est celui qui aime son âme.
Il le faut bien.
Voilà pourquoi celui qui n’aime que ton corps, se retire dès que ta beauté commence à passer.
Il est vrai.
Mais celui qui aime ton âme ne se retire jamais, tant que tu désires et recherches la perfection.
Il semble, au moins.
Et c’est ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point, et te demeure fidèle après que la fleur de ta beauté est ternie, et que tous tes amans se sont retirés.
Et tu fais bien, Socrate ; ne me quitte point, je te prie.
Travaille donc de toutes tes forces à devenir tous les jours plus beau.
J’y travaillerai.
Voilà bien où tu en es : Alcibiade, fils de Clinias, n’a jamais eu, à ce qu’il paraît, et n’a encore qu’un seul amant ; et cet amant, digne de le plaire, c’est Socrate, fils de Sophronisque et de Phénarète.
Rien de plus vrai.
Mais ne m’as-tu pas dit, lorsque je t’ai abordé, que je ne t’avais prévenu que d’un moment, et que tu avais dessein de me parler, et de me demander pourquoi j’étais le seul qui ne me fusse pas retiré ?
En effet, c’était mon dessein.
Tu en sais présentement la raison ; c’est que je t’ai toujours aimé toi-même, et que les autres n’ont aimé que ce qui est à toi. La beauté de ce qui est à toi commence à passer, au lieu que la tienne commence à fleurir ; [132a] et, si tu ne te laisses pas gâter et enlaidir par le peuple athénien, je ne te quitterai de ma vie. Mais je crains fort qu’amoureux de la faveur populaire comme tu l’es, tu ne te perdes, ainsi que cela est arrivé à un grand nombre de nos meilleurs citoyens, car le peuple du magnanime Érechthée[26] a un beau masque ; mais il faut le voir à découvert. Crois-moi donc, Alcibiade, prends les précautions que je te dis.
Quelles précautions ?
C’est de t’exercer, et de bien apprendre ce qu’il faut savoir pour te mêler des affaires de la république. Avec ce préservatif, tu pourras aller sans rien craindre.
Tout cela est fort bien dit, Socrate ; mais tâche de m’expliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mêmes.
Mais cela est fait ; car, avant toutes choses, nous avons établi qui nous sommes ; et nous craignions que, faute de le bien savoir, nous n’eussions soin de toute autre chose que de nous-mêmes, sans nous en apercevoir.
Précisément.
Nous sommes convenus ensuite que c’est de l’âme qu’il faut avoir soin ; que c’est là la fin qu’on doit se proposer.
Nul doute.
Et qu’il faut laisser à d’autres le soin du corps et des choses qui s’y rapportent.
Cela peut-il être contesté ?
Voyons, comment pouvons-nous entendre cette vérité de la manière la plus claire possible ? Car, dès que nous l’entendrons bien, il y a grande apparence que nous nous connaîtrons parfaitement nous-mêmes. N’entendons-nous pas bien, je te prie, l’inscription de Delphes, dont nous avons déjà parlé, et le sage précepte qu’elle renferme ?
Que veux-tu dire par là, Socrate ?
Je m’en vais te communiquer ce que je soupçonne que veut dire cette inscription, et le conseil qu’elle nous donne. Il n’est guère possible de te le faire entendre par d’autre comparaison que par celle-ci, qui est tirée de la vue.
Comment dis-tu cela ?
Prends bien garde. Si cette inscription parlait à l’œil, comme elle parle à l’homme, et qu’elle lui dît : Regarde-toi toi-même, que croirions-nous qu’elle lui dirait ? Ne croirions-nous pas qu’elle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle l’œil peut se voir ?
Cela est évident.
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et l’œil et nous-mêmes ?
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables.
Tu dis fort bien. N’y a-t-il pas aussi dans l’œil quelque petit endroit qui fait le même effet qu’un miroir ?
Il y en a un assurément.
As-tu donc remarqué que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil, ton visage paraît dans cette partie de l’œil placé devant toi, qu’on appelle la pupille, comme dans un miroir, fidèle image de celui qui s’y regarde ?
Cela est vrai.
Un œil donc, pour se voir lui-même, doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de l’œil, qui est la plus belle et qui a seule la faculté de voir.
Évidemment.
Car s’il regardait quelque autre partie du corps de l’homme, ou quelque autre objet, hors celui auquel ressemble cette partie de l’œil, il ne se verrait nullement lui-même.
Tu as raison.
Un œil donc qui veut se voir lui-même, doit se regarder dans un autre œil, et dans cette partie de l’œil, où réside toute sa vertu, c’est-à-dire la vue.
Assurément.
Mon cher Alcibiade, n’en est-il pas de même de l’âme ? Pour se voir, ne doit-elle pas se regarder dans l’âme et dans cette partie de l’âme où réside toute sa vertu, qui est la sagesse, ou dans quelque autre chose à laquelle cette partie de l’âme ressemble ?
Il me paraît, Socrate.
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de l’âme plus intellectuelle que celle à laquelle se rapportent la science et la sagesse ?
Non, certainement.
Cette partie de l’âme est donc sa partie divine et c’est en y regardant et en y contemplant l’essence de ce qui est divin, Dieu et la sagesse, qu’on pourra se connaître soi-même parfaitement.
Il y a bien de l’apparence.
Se connaître soi-même, c’est la sagesse, comme nous en sommes convenus.
Oui.
Ne nous connaissant pas nous-mêmes, et n’étant point sages, pouvons-nous connaître nos vrais biens et nos vrais maux ?
Eh ! comment les connaîtrions-nous, Socrate ?
Car il n’est pas possible que celui qui ne connaît pas Alcibiade, connaisse ce qui appartient à Alcibiade, comme appartenant à Alcibiade.
Non, par Jupiter ! cela n’est pas possible.
Nous ne pouvons donc connaître ce qui est à nous, comme étant à nous, si nous ne nous connaissons nous-mêmes ?
Assurément.
Et si nous ne connaissons pas ce qui est à nous, nous ne connaîtrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont à nous ?
Je l’avoue.
Nous n’avons donc pas très bien fait tantôt quand nous sommes convenus qu’il y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mêmes, et qui cependant connaissent ce qui est à eux. Non, ils ne connaissent pas même les choses qui sont à ce qui est à eux ; car ces trois connaissances, se connaître soi-même, connaître ce qui est à soi, et connaître les choses qui sont à ce qui est à soi, [133e] semblent liées ensemble, et l’effet d’un seul et même art.
Il est bien vraisemblable.
Tout homme qui ne connaît pas les choses qui sont à lui, ne connaîtra pas non plus celles qui sont aux autres.
Cela est constant.
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres, il ne connaîtra pas celles qui sont à l’état.
C’est une conséquence sûre.
Un tel homme ne saurait donc jamais être un homme d’état ?
Non.
Il ne saurait même être un bon économe.
Non.
Il ne sait pas même ce qu’il fait.
Pas du tout.
Et est-il possible qu’il ne fasse pas des fautes ?
Impossible.
Faisant des fautes, ne fait-il pas mal, et pour lui et pour le public ?
Sans doute.
Et se faisant mal, n’est-il pas malheureux ?
Très malheureux.
Et ceux pour qui agit un tel homme ?
Malheureux aussi.
Il n’est donc pas possible que celui qui n’est ni bon ni sage soit heureux ?
Non, sans doute.
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux ?
Très malheureux.
Ce n’est donc point par les richesses que l’homme se délivre du malheur, c’est par la sagesse ?
Assurément.
Ainsi, mon cher Alcibiade, les états, pour être heureux, n’ont besoin ni de murailles, ni de vaisseaux, ni d’arsenaux, ni d’une population nombreuse, ni de puissance, si la vertu n’y est pas.
Non, certainement.
Et, si tu veux bien faire les affaires de la république, il faut [134c] que tu donnes de la vertu à ses citoyens.
J’en suis très persuadé.
Mais peut-on donner ce qu’on n’a pas ?
Comment le donnerait-on ?
Il faut donc, avant toutes choses, que tu penses à acquérir de la vertu, toi, et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses qui sont à lui, mais aussi de l’état et des choses qui sont à l’état.
Sans difficulté.
Ce n’est donc pas l’autorité et le crédit de faire tout ce qu’il te plaira ; mais la sagesse et la justice que tu dois chercher à te procurer à toi et à l’état.
Cela me paraît très vrai.
Car si la république et toi vous agissez sagement et justement, vous vous rendrez les dieux favorables.
Il est probable.
Et, pour cela, vous ne ferez rien sans avoir, comme je l’ai dit tantôt, l’œil fixé sur la lumière divine.
Oui.
Car c’est en vous regardant dans cette lumière que vous vous verrez vous-mêmes, et reconnaîtrez les biens qui vous sont propres.
Sans doute.
Mais, en faisant ainsi, ne ferez-vous pas bien ?
Certainement.
Si vous faites bien, je veux me rendre garant que vous serez heureux.
Et tu es un très bon garant, Socrate.
Mais si vous faites mal, et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de ténèbres, vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de ténèbres, ne vous connaissant pas vous-mêmes.
Vraisemblablement.
Mon cher Alcibiade, représente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire, et qui n’ait point de jugement ; que doit-on en attendre dans les affaires particulières ou publiques ? Par exemple, qu’un malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tête, sans avoir l’esprit médical, et qu’il ait assez d’autorité pour que personne n’ose lui rien dire, que lui arrivera-t-il ? Ne ruinera-t-il pas sa santé, selon toute apparence ?
Oui, vraiment.
Et, dans un vaisseau, si quelqu’un, sans avoir ni l’esprit ni l’habileté d’un pilote, a pourtant la liberté de faire ce que bon lui semble, vois-tu ce qui lui arrivera, à lui et à ceux qui s’abandonnent à sa conduite ?
Ils ne peuvent manquer de périr tous.
Et n’en est-il pas de même de l’état, de l’autorité et [135b] de la puissance ? privés de la vertu, leur perte n’est-elle pas infaillible ?
Infaillible.
Par conséquent, mon cher Alcibiade, ce n’est pas du pouvoir qu’il faut acquérir pour toi et pour la république, mais de la vertu, si vous voulez être heureux.
Tu dis très vrai, Socrate.
Et avant qu’on soit en possession de la vertu, plutôt que de commander soi-même, il est meilleur, je ne dis pas à un enfant, mais à un homme, d’obéir à un plus vertueux que soi.
Je le crois.
Et le meilleur est aussi le plus honnête ?
Nul doute.
Le plus honnête est aussi le plus convenable ?
Sans difficulté.
Ainsi il est convenable à l’homme vicieux d’être esclave, car cela lui est meilleur ?
Assurément.
Le vice est donc servile ?
J’en conviens.
Et la vertu, libérale ?
Oui.
Mais, mon ami, ne faut-il pas éviter la servilité ?
Oui, certes.
Eh bien ! mon cher Alcibiade, sens-tu donc l’état où tu es ? Es-tu dans l’état d’un homme libre ou d’un esclave ?
Il me semble que je le sens très bien.
Et sais-tu comment tu peux sortir de l’état où tu es ? car je n’oserais le nommer, en parlant d’un homme comme toi.
Mais je crois le savoir.
Et comment ?
S’il plaît à Socrate.
Tu dis fort mal, Alcibiade.
Comment faut-il donc dire ?
S’il plaît à Dieu.
Eh bien ! je dis donc s’il plaît à Dieu ; et j’ajoute que nous risquons désormais de changer de personnage ; tu feras le mien, et je ferai le tien. À compter d’aujourd’hui, c’est à moi à le faire la cour, et me voilà ton amant.
Alors, mon cher Alcibiade, mon amour ressemblera fort à la cigogne, si, après avoir fait éclore dans ton sein un jeune amour ailé, celui-ci le nourrit et le soigne à son tour.
Oui, Socrate ; et, dès ce jour, je vais m’appliquer à la justice.
Je souhaite que tu persévères ; mais, sans me défier de ton bon naturel, en voyant la force des exemples qui règnent dans cette ville, je tremble qu’ils ne l’emportent sur toi et sur moi.
Notes
[modifier]- ↑ Par son père Clinias, il descendait d’Eurisacès, fils d’Ajax ; et du côté de sa mère Dinomaque, il était Alcméonide, et descendait de Mégaclès.
- ↑ Les Thraces et les Macédoniens.
- ↑ Allusion à l’habitude qu’avait Alcibiade d’écouter les longs discours des sophistes.
- ↑ Τὸ βῆμα. C’était une pierre un peu élevée au milieu du Pnyx, l’assemblée des Athéniens, où l’orateur montait pour haranguer.
- ↑ Parce qu’elle lui enflait les joues désagréablement. (Plut. Vie d’Alcibiade, ch. II.)
- ↑ Hippocrate parle de cette espèce de lutte dans le XIe livre de la Diète, ch. II. — Pollux. liv. II, 163. — Suidas, au mot ἀκροχειρίζεσθαι.
- ↑ Jupiter, ὁ Φιλίος.
- ↑ Voyez la Vie d’Alcibiade dans Plutarque.
- ↑ Voyez le Phèdre.
- ↑ Bataille gagnée par les Athéniens contre les Lacédémoniens, pour l’indépendance de la Béotie, sous le commandement de Myronides. (Voyez le Menexène. — THUCYDIDE, I, 108. — WESSERLING, sur Diodore de Sicile, XI.)
- ↑ Bataille perdue par les Athéniens contre les Béotiens et les Lacédémoniens, dix ans environ après la victoire de Tanagre. (THUCYDIDE, I, 113. — DIOD. XII, 8.)
- ↑ EURIPIDE, Hippolyte, v. 352. — RACINE, Phèdre, acte I, scène III.
- ↑ Εὖ πράττειν, signifie à-la-fois, se bien conduire, et être heureux. Bien vivre, en français, a ce double sens.
- ↑ Habitans de la ville et de l’île de Péparèthe, une des Cyclades.
- ↑ Musicien pythagoricien, maître d’Agathoclès, Lamproclès, et de Damon.
- ↑ Voyez Plutarque, Vie de Périclès. REISKE, t. I, p. 595.
- ↑ Plutarque, Vie de Périclès. Sous le voile de la musique, il cachait sa profession, qui était d’enseigner la politique. Il fut frappé de l’ostracisme, comme aristocrate.
- ↑ Parale et Xantippe. Voyez le Mênon, et la Vie de Périclès, par Plutarque.
- ↑ Zénon, d’Élée, disciple de Parménide. Voyez le Parménide.
- ↑ Plutarque, Vie d’Alcibiade.
- ↑ Il porte encore à sa tête la chevelure de l’esclave, proverbe populaire pour désigner un affranchi qui a conservé les habitudes d’esclave (Voyez le Scholiaste et Olympiodore.)
- ↑ Achéménès était fils de Persée.
- ↑ Voyez Euthyphron, tome I, page 37.
- ↑ On ne sait quel est ce poète. Le Scholiaste dit qu’on attribue ce vers à Platon le comique.
- ↑ Erchies, dème de la tribu Eantide ; selon d’autres, de la tribu Egéide.
- ↑ Homère, Iliade, liv. II, v. 647.