Progrès et Pauvreté/Livre 3

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Traduction par P. L. Le Monnier.
Guillaumin et Cie (p. 145-214).

LIVRE III

LES LOIS DE LA DISTRIBUTION

Les machines inventées en premier lieu pour accomplir quelque mouvement particulier, sont toujours les plus complexes ; ensuite les artistes découvrent qu’avec moins de roues, avec moins de principes de mouvement qu’on en avait d’abord employé, les mêmes effets sont plus facilement produits. De même les premiers systèmes philosophiques sont toujours les plus complexes, et on pense généralement qu’un lien particulier, ou principe, est nécessaire pour unir chaque couple d’apparences qui semblent désunies ; mais il arrive souvent qu’on trouve ensuite un seul grand principe suffisant pour relier entre eux tous les phénomènes séparés que l’on trouve dans une espèce entière de choses. – Adam Smith, Essai sur les principes qui dirigent les Recherches philosophiques, avec des exemples tirés de l’Histoire de l’Astronomie.


CHAPITRE PREMIER.

L’ÉTUDE LIMITÉE AUX LOIS DE DISTRIBUTION — LA RELATION NÉCESSAIRE DE CES LOIS.

Les chapitres précédents auront j’espère prouvé d’une manière concluante, que l’explication courante donnée au nom de l’économie politique, du problème que nous essayons de résoudre, n’est nullement une explication.

Pourquoi, avec le progrès matériel, les salaires au lieu d’augmenter tendent-ils à baisser, c’est ce que ne peut pas expliquer la théorie d’après laquelle l’accroissement des travailleurs tend constamment à diviser en parts plus petites la somme de capital avec laquelle sont payés les salaires. Car, ainsi que nous l’avons vu, les salaires ne viennent pas du capital, mais sont le produit direct du travail. Chaque travailleur producteur, crée son salaire à mesure qu’il travaille, et avec chaque travailleur additionnel, quelque chose s’ajoute au véritable fonds des salaires, addition au fonds commun de richesse qui, généralement parlant, est beaucoup plus considérable que la somme qu’il reçoit comme salaire.

La baisse des salaires ne peut pas non plus être expliquée par la théorie que la nature accorde moins à mesure qu’augmentent les emprunts que lui fait la population s’accroissant ; car l’efficacité croissante du travail fait de l’état progressif un état de production s’accroissant continuellement par tête, et les pays où la population est la plus dense, toutes les autres choses étant égales, sont toujours les pays les plus riches. Jusqu’à présent nous n’avons fait qu’accroître l’embarras qu’on éprouve en face du problème. Nous avons détruit une théorie, qui, d’une certaine manière adoptée par la mode, expliquait les faits existants ; mais avec cela nous n’avons fait que rendre les faits existants plus inexplicables. C’est comme si, alors que le système de Ptolémée régnait en maître, on avait simplement prouvé que le soleil et les étoiles ne tournent pas autour de la terre. Les phénomènes du jour et de la nuit, et du mouvement apparent des corps célestes, seraient restés inexpliqués et la vieille théorie se serait inévitablement raffermie avant qu’une meilleure ne vint l’ébranler à nouveau et prendre sa place. Notre raisonnement nous a conduits à cette conclusion que chaque travailleur producteur produit son propre salaire, et qu’un accroissement dans le nombre des travailleurs, augmenterait le salaire de chacun ; au lieu que d’après les apparences il semble que les faits soient ceux-ci : il y a beau coup de travailleurs qui ne peuvent obtenir un emploi rémunérateur, et un accroissement dans le nombre des travailleurs amène une diminution dans les salaires. En résumé nous avons prouvé que les salaires devraient être très élevés là où ils sont très bas.

Néanmoins, même en ne faisant que cela, nous avons fait quelque progrès. En découvrant qu’il est inutile de chercher à un endroit ce qu’on désire, on est bien près de trouver ce qu’on cherche. Nous avons au moins limité le champ de notre étude. Une chose maintenant est pour nous bien claire : la cause qui, en dépit de l’énorme accroissement de la puissance productive, limite le grand corps des producteurs à la plus petite part du produit avec laquelle on puisse vivre, n’est pas la limitation du capital, ni la limitation des forces de la nature qui répondent au travail. Donc, puisqu’on ne trouve pas cette cause dans les lois qui limitent la production de la richesse, on doit la chercher dans les lois qui gouvernent la distribution. Étudions les donc maintenant.

Il sera nécessaire de revoir dans ses principaux détails le sujet complet de la distribution de la richesse. Pour découvrir la cause qui, à mesure que la population augmente et que les arts productifs progressent, aggrave la pauvreté des basses classes, nous devons d’abord trouver la loi qui détermine quelle part du produit est distribuée au travail sous forme de salaire. Pour trouver la loi des salaires, ou du moins pour être certain de l’avoir trouvée, nous devons aussi chercher les lois qui fixent la part du produit allant au capital, et la part du produit allant aux propriétaires terriens, car comme la terre, le travail et le capital s’unissent pour produire la richesse, c’est entre eux trois que le produit doit être partagé.

Ce qu’on entend par le produit ou la production d’une communauté, c’est la somme de richesse produite par cette communauté, le fonds général d’où sont tirés (aussi longtemps que le stock existant antérieurement n’est pas amoindri) toute consommation et tous revenus. Comme je l’ai déjà expliqué, le mot production ne signifie pas simplement la fabrication des choses, mais encore la plus-value donnée aux choses qu’on transporte ou qu’on échange. Il y a production de richesse dans une communauté purement commerciale, comme il y en a dans une communauté purement agricole ou industrielle ; et dans un cas comme dans l’autre, une part de ce produit doit aller au capital, une part au travail, et une part aux propriétaires de la terre, si la terre a une valeur. En fait, il y a une portion de la richesse produite qui constamment prend la place du capital, constamment consommé et remplacé. Mais il n’est pas nécessaire d’en tenir compte, si nous considérons le capital comme constant, ce que nous faisons ordinairement en parlant du capital ou en y pensant. Quand nous parlons du produit, nous voulons donc désigner cette part de la richesse produite, en plus de ce qui est nécessaire pour remplacer le capital consommé dans la production ; et quand nous parlons d’intérêt ou de revenu du capital, nous désignons ce qui va au capital après le remplacement fait.

De plus, c’est un fait dans chaque communauté qui a dépassé les premiers degrés de développement, qu’une portion du produit soit prise sous forme d’impôts et consommée par le gouvernement. Il n’est pas besoin de tenir compte de cela en cherchant les lois de distribution. Nous pouvons considérer les impôts soit comme n’existant pas, soit comme réduisant d’autant le produit ; de même pour ce qui est enlevé au produit par certaines formes de monopole, dont nous parlerons dans un chapitre subséquent (chap. IV) et qui ont des résultats analogues à ceux des impôts. Après avoir découvert les lois de distribution nous pourrons voir quelle influence ont sur elles, les impôts, si même ils en ont.

Il nous faut découvrir par nous-mêmes ces lois de distribution, ou au moins deux sur trois. Car on verra qu’elles n’ont pas été correctement exprimées (au moins dans leur ensemble) par l’économie politique courante, dans les traités les plus classiques.

La terminologie employée le prouve immédiatement. Dans tous les ouvrages d’économie politique on nous dit que les trois facteurs de production sont la terre, le travail et le capital, et que le produit complet est primitivement distribué en trois parts correspondantes. Trois termes sont donc nécessaires, chacun d’eux représentant clairement une de ces parts à l’exclusion des autres. D’après sa définition, le mot rente exprime assez clairement la première de ces parts, celle qui va aux propriétaires de la terre. D’après sa définition, le mot salaire exprime assez clairement la seconde de ces parts, celle qui constitue la récompense du travail. Mais quant au troisième terme, celui qui devrait exprimer ce qui revient au capital, il règne à son propos dans les ouvrages classiques l’ambiguïté et la confusion la plus embarrassante.

De tous les mots en circulation, celui qui exprime le plus exclusivement l’idée de revenu pour l’emploi du capital, est celui d’intérêt, qui, tel qu’on s’en sert en général, implique l’idée de revenu pour l’emploi du capital, et exclut toute idée de travail dans son usage, de tout risque, excepté ceux qui peuvent être impliqués dans l’assurance. Le mot profit, tel qu’on l’emploie ordinairement, est presque synonyme de re venu ; il signifie un gain, une somme reçue en plus d’une somme dépensée, et renferme souvent des recettes qui font à proprement parler partie de la rente ; en même temps il signifie aussi presque toujours une recette qui, en réalité, est un salaire, et une compensation pour les risques particuliers attachés aux différents usages du capital. À moins de faire violence à la signification du mot, on ne peut donc pas s’en servir en économie politique pour signifier cette part du produit qui va au capital, en opposition aux parts qui vont au travail et à la terre.

Tout cela, les livres classiques d’économie politique le reconnaissent bien. Adam Smith montre bien comment le salaire et la compensation pour les risques courus entrent dans les profits, en rappelant que les profits considérables des pharmaciens et les gains médiocres des détaillants sont en réalité le salaire de leur travail et non l’intérêt de leur capital ; et que les grands profits qu’on fait parfois dans des affaires où les risques sont nombreux, ne sont en réalité que la compensation de ces risques qui, à la longue, réduisent le revenu du capital à un taux ordinaire ou même au — dessous de l’ordinaire. Dans les ouvrages qui ont paru depuis, on a donné des exemples semblables et appliqué formellement au mot profit son sens général, avec peut-être exclusion de la rente. Dans tous ces ouvrages, on dit au lecteur que les profits sont faits de trois éléments, le salaire pour la surveillance, la compensation pour les risques, et l’intérêt ou revenu pour le capital.

Ainsi, ni avec sa signification commune, ni avec la signification que lui donne l’économie politique, le mot profit ne peut trouver de place dans la discussion de la distribution de la richesse entre les trois facteurs de la production. Que l’on prenne le mot avec sa signification commune, ou avec celle qu’on lui a spécialement assignée, quand on parle de la distribution de la richesse en rente, salaires et profits, c’est comme si on parlait de la division de l’humanité en hommes, femmes et êtres humains. C’est cependant ce qu’on fait, au grand embarras du lecteur, dans les traités classiques. Après avoir nettement décomposé les profits en salaires de la surveillance, en compensation des risques, et en intérêt ou revenu net pour l’emploi du capital, on commence à traiter de la distribution de la richesse entre la rente de la terre, les salaires du travail, et les profits du capital.

Je suis persuadé qu’il y a des milliers d’hommes qui se sont battus la cervelle à propos de cette confusion de termes et qui ont abandonné la lutte de désespoir, en pensant que puisque la faute ne pouvait être attribuée à ces grands penseurs, ils devaient s’en prendre à leur propre stupidité. Si cela peut leur servir de consolation, qu’ils prennent l’Histoire de la Civilisation de Buckle, et ils verront comment un homme qui avait certainement une idée merveilleusement claire de ce qu’il avait lu, et qui avait lu les principaux économistes y compris Smith, a été égaré par cette confusion des profits et de l’intérêt. Car Buckle (vol. I, ch. II et notes), parle constamment de la distribution de la richesse en rente, salaires, intérêt et profits.

Il ne faut pas s’en étonner. Car après avoir décomposé les profits en salaires, assurance et intérêt, ces économistes, en déterminant les causes qui fixent le taux général du profit, par lent de choses qui, évidemment, affectent seulement cette partie du profit qu’ils ont dénommée intérêt ; puis en parlant du taux de l’intérêt, ils donnent la formule qui ne veut rien dire de l’offre et de la demande, ou parlent des causes qui affectent la compensation pour les risques courus ; ils emploient donc le mot avec son sens commun, et non avec le sens économique qu’ils lui avaient assigné et d’où la compensation pour les risques courus était éliminée. Si l’on prend les Principes d’ÉCOnomie Politique de John Stuart Mill, et qu’on compare le chapitre sur les Profits (livre II, chap. xv) avec le chapitre sur l’Intérêt’( livre III, chap. XXIII) on aura un exemple de la confusion ainsi produite, et cela chez le plus logique des économistes anglais, exemple plus frappant que tous ceux que je pourrais donner.

Ce n’est pas sans cause que des hommes aussi distingués sont arrivés à faire cette confusion. Si l’un après l’autre ils ont suivi le docteur Adam Smith, comme des enfants jouent à « je suis mon conducteur, » sautant où il saute, tombant où il tombe, c’est qu’il y avait une haie qu’avait sauté Smith, un trou où il était tombé.

La confusion a été produite par la théorie pré-acceptée des salaires. Pour des raisons que j’ai déjà dites, il a semblé aux économistes qu’il était évidemment vrai que les salaires d’une certaine classe de travailleurs dépendaient du rapport entre le capital et le nombre des travailleurs. Mais il y a certaines espèces de récompense du travail auxquelles ne peut évidemment pas s’appliquer cette théorie ; de sorte que le terme salaire a été rétréci par l’usage, et a pris son sens le plus étroit et le plus commun. Ceci étant, si le terme intérêt était employé (comme il aurait dû l’être suivant leurs définitions) comme représentant la troisième partie de la division du produit, il aurait laissé de côté toutes les récompenses données au travail personnel, excepté celles données aux hommes qu’on appelle communément les salariés. Mais en divisant la richesse en rente, salaires et profits, au lieu d’en rente, salaires et intérêt, on tourne la difficulté, tous les salaires qui ne peuvent être compris dans la loi pré-acceptée des salaires, étant vaguement groupés parmi les profits comme salaires de surveillance.

En lisant soigneusement ce que disent les économistes de la distribution de la richesse, on voit que, bien qu’ils définissent correctement le mot salaire, ils s’en servent cependant dans le sens restreint, ne l’appliquent pas à tous les salaires, mais seulement au salaire du travail manuel payé par un patron. Les autres salaires sont mêlés au revenu du capital, désignés par le nom de profits, et l’on évite ainsi d’établir une distinction quel conque entre le revenu du capital et la rétribution du travail humain. C’est ainsi que l’économie politique manque à sa tâche en ne donnant pas un exposé net de la distribution de la richesse. La loi de la rente est clairement exposée, mais elle reste isolée. Le reste est confusion et incohérence.

La méthode même de ces ouvrages prouve la confusion et l’incertitude de la pensée. Je ne connais pas un traité d’économie politique où soient présentées ensemble ces lois de la distribution de façon que le lecteur puisse les embrasser d’un coup d’œil, avec leurs rapports mutuels ; ce qui est dit de chacune d’elle est enveloppé d’une masse de réflexions et de dissertations morales et politiques. La raison ne doit pas en être cherchée bien loin. Il suffit de rassembler les trois lois de la distribution pour voir qu’elles manquent de relation nécessaire. Les lois de la distribution de la richesse sont évidemment des lois de proportion, et doivent être liées les unes aux autres, de façon à ce que deux d’entre elles étant données, on doive en déduire la troisième. Car dire que l’une des trois parties d’un tout est augmentée ou diminuée, c’est dire que l’autre ou les deux autres parties sont, inversement diminuées ou augmentées. Si Tom, Dick et Harry sont associés pour une affaire, la convention qui fixe la part de l’un dans les profits doit en même temps fixer les parts séparées ou réunies des deux autres. Fixer la part de Tom à 40 0/0, c’est ne laisser que 60 0/0 à diviser entre Dick et Harry. Fixer la part de Dick à 40 0/0, et celle de Harry à 35 0/0, c’est fixer la part de Tom à 25 0/0.

Mais entre les lois de la distribution, telles qu’elles sont exposées dans les livres classiques, il n’y a aucune relation de ce genre. Si nous cherchons à les rassembler, voilà ce que nous trouvons :

Les salaires sont fixés par le rapport entre la somme de capital consacrée à la rétribution et à l’entretien du travail, et le nombre des travailleurs cherchant un emploi. La rente est fixée par la limite de culture ; toutes les terres donnant sous forme de rente cette part de leur produit qui excède ce qu’une application égale de travail et de capital obtiendrait de la terre la plus pauvre.

L’intérêt est fixé par l’équation entre les demandes des emprunteurs, et l’offre de capital des prêteurs. Ou bien ( si nous prenons ce qui est donné comme la loi des profits), il est déterminé par les salaires, — baisse quand les salaires baissent, monte quand ils montent, – ou, pour employer les mots de Mill, par le coût du travail pour le capitaliste.

La réunion de ces lois de la distribution telles qu’on les ex pose en général, montre immédiatement le manque de relation qu’il y a entre elles. Elles ne sont ni corrélatives ni égales.

Donc deux de ces lois au moins sont ou mal conçues, ou mal exposées. Ceci cadre avec ce que nous avons déjà vu, que la conception courante de la loi des salaires, et par conséquent, celle de la loi de l’intérêt, ne supporteront pas l’examen. Cherchons donc les vraies lois de la distribution du produit du travail en salaires, rente et intérêt. La preuve que nous les aurons trouvées sera dans leur corrélation, car elles doivent coïncider, être liées entre elles, et se limiter l’une l’autre.

Cette enquête n’a rien à voir naturellement avec les profits. Nous avons besoin de savoir qu’est-ce qui détermine la division du produit réuni de la terre, du travail et du capital, entre ces trois choses, et le mot profit n’est pas un terme qui puisse se classer exclusivement dans l’une de ces trois divisions. Les économistes divisent les profits en trois parties : compensation pour les risques, salaire de la surveillance, revenu pour l’usage du capital ; la dernière de ces parties rentre dans la division de l’intérêt qui renferme tous les revenus pour l’usage du capital, et exclut toute autre chose ; le salaire pour la surveillance est compris dans le terme salaire qui renferme toutes les récompenses données à l’effort humain, et exclut toute autre chose ; la compensation pour les risques n’a sa place nulle part ; car les risques sont éliminés quand on considère dans leur ensemble toutes les transactions d’une communauté. Donc, d’accord avec les définitions des économistes, j’emploierai le mot intérêt comme signifiant cette partie du produit qui va au capital.

Récapitulons :

La terre, le travail et le capital sont les facteurs de la production. Le mot terre comprend toutes les forces ou richesses naturelles ; le mot travail comprend tout effort humain ; et le mot capital toute richesse servant à produire une richesse plus grande. Le produit total est distribué comme rétribution à ces trois facteurs. La part qui va aux propriétaires de la terre comme paiement de l’emploi des forces naturelles s’appelle rente ; la part qui constitue la récompense de l’effort humain s’appelle salaire ; et la part qui constitue le revenu pour l’emploi du capital s’appelle intérêt. Ces trois termes s’excluent mutuellement. Le revenu d’un individu peut être fait de l’une ou de deux ou de trois de ces sources ; mais nous devons les conserver toutes trois séparées pour mener à bien notre recherche des lois de distribution.

Avant de commencer nos recherches, qu’il me soit permis de dire que si l’économie politique a fait fausse route, ce que j’ai suffisamment démontré je crois, c’est qu’elle avait adopté un mauvais point de départ. Vivant et faisant leurs observations dans un état de société où en général le capitaliste loue la terre et le travail, et semble ainsi être l’entrepreneur ou le premier moteur de la production, les grands économistes ont été conduits à regarder le capital comme le facteur le plus important de la production, la terre comme son instrument, et le travail comme son agent ou son outil. Cela apparaît à chaque page de leurs ouvrages, dans la forme et le cours de leur raisonnement, dans le caractère de leurs exemples, et même dans le choix de leurs termes. Partout le capital est le point départ, le capitaliste la figure centrale. Cela va si loin que Smith et Ricardo emploient les mots de « salaires naturels » pour exprimer le minimum avec lequel peut vivre le travailleur ; au lieu que, à moins que l’injustice soit naturelle, c’est tout ce que produit le travailleur qu’on devrait plutôt appeler son salaire naturel. Cette habitude de regarder le capital comme le patron du travail, a conduit à formuler la théorie que les salaires dépendent de l’abondance relative du capital, et la théorie que l’intérêt varie en raison inverse des salaires, et à laisser de côté des vérités, qui sans cela auraient paru évidentes. En résumé, la faute qui a égaré l’économie politique a été commise par Adam Smith dans son premier ouvrage, lorsqu’au lieu de prendre le point de départ tout indiqué « le produit du travail constitue la récompense naturelle ou salaire du travail, » il en prit un autre, le capital emploie le travail et paie les salaires.

Mais quand nous considérons l’origine et la séquence naturelle des choses, cet ordre est renversé, et le capital au lieu d’occuper la première place occupe la dernière ; au lieu d’employer le travail il se trouve en réalité être employé par le travail. La terre doit exister avant que le travail puisse avoir lieu, il faut que le travail existe avant que le capital soit produit. Le capital est le résultat du travail, et est employé par le travail pour aider à la production future. Le travail est la force active et initiale, c’est donc le travail qui emploie le capital. Le travail ne peut s’exercer que sur la terre, et c’est de la terre que doit être tirée la matière qu’il transforme en richesse. Donc la terre est l’antécédent, le champ et la matière du travail. L’ordre naturel est celui-ci : terre, travail, capital, et au lieu de prendre le capital pour point de départ, nous prendrons la terre.

Nous devons encore observer une chose. Le capital n’est pas un facteur nécessaire de la production. Le travail accompli sur la terre peut produire de la richesse sans l’aide du capital, et dans la genèse nécessaire des choses, doit ainsi produire de la richesse avant que le capital puisse exister. Donc la loi de la rente et la loi des salaires doivent être corrélatives l’une de l’autre, et former un tout parfait en dehors de la loi du capital, car sans cela ces lois ne comprendraient pas les cas qu’on peut facilement imaginer, et qui existent actuellement jusqu’à un certain degré, et où le capital ne joue aucun rôle dans la production. Et comme le capital n’est, comme on le dit souvent, que du travail emmagasiné, il n’est aussi qu’une forme du travail, une subdivision de ce terme général, travail, et sa loi doit être subordonnée et liée d’une façon indépendante, à la loi des salaires, de façon à comprendre les cas où le produit entier est divisé entre le travail et le capital sans qu’il soit fait aucune déduction pour la rente. Pour en revenir à l’exemple déjà cité : la division du produit entre la terre, le travail et le capital, doit être comme si la division était faite entre Tom, Dick et Harry, Tom et Dick étant les associés primitifs, et Harry ne faisant qu’aider Dick et partager avec lui.


CHAPITRE II.

LA RENTE ET LA LOI DE LA RENTE.

Le mot rente, avec son sens économique, c’est-à-dire lors qu’il représente cette part du produit qui revient aux propriétaires de la terre, a une signification différente du mot rente pris dans son acception ordinaire. Sous certains rapports, la signification économique est plus étroite que la signification commune ; sous d’autres, elle est plus large.

Elle est plus étroite en ceci : dans le langage ordinaire, nous appliquons le mot de rente aux paiements pour usage des constructions, des machines, des immeubles, etc., aussi bien qu’aux paiements pour l’usage de la terre, et pour l’usage des biens naturels qu’elle renferme ; et en parlant de la rente d’une maison ou de la rente d’une ferme, nous ne séparons pas l’argent donné pour l’usage des améliorations de l’argent donné pour l’usage de la terre seule. Mais de la signification économique sont exclus les paiements pour l’usage des produits quel conques de l’activité humaine, et les paiements pour l’usage des maisons, des fermes, etc., c’est seulement ce qui est payé pour l’usage de la terre qui prend le nom de rente, la part payée pour l’usage des bâtiments ou autres améliorations étant véritablement un intérêt, car c’est un paiement pour l’emploi du capital.

Elle est plus large en ceci : dans le langage ordinaire nous ne parlons de rente que lorsque le propriétaire et celui qui fait usage de la terre, sont des personnes distinctes. Mais pour l’économie politique, il y a aussi rente là où le propriétaire et celui qui fait usage de la terre sont une même personne. Là où le propriétaire et celui qui fait usage de la terre sont ainsi la même personne, toute la part de son revenu qu’il pourrait obtenir en louant la terre à un autre est une rente, tandis que la part qui lui revient pour son travail et son capital, est cette part de revenu que lui donneraient le travail et le capital s’il louait la terre au lieu de la posséder. La rente est également exprimée dans un prix de vente. Quand on achète une terre, le paie ment qu’on fait pour acquérir la propriété ou droit à un usage perpétuel, est une rente échangée ou capitalisée. Si j’achète une terre à bas prix et la garde jusqu’à ce que je puisse la vendre pour un prix élevé, je suis devenu riche non pas par les salaires payés pour mon travail, ou pour l’intérêt payé pour mon capital, mais par une augmentation de rente. En résumé, la rente est la part de la richesse produite que le droit exclusif à l’usage de la terre donne au propriétaire. Partout où la terre a une valeur au point de vue de l’échange, il y a rente au sens économique du mot. Partout où la terre ayant une va leur est cultivée soit par le propriétaire, soit par le locataire, il y a une rente actuelle ; partout où elle n’est pas cultivée, mais a cependant une valeur, la rente est potentielle. C’est cette capacité de produire une rente qui donne de la valeur à la terre. Tant que sa propriété ne confère aucun avantage, la terre n’a pas de valeur[1].

Donc, la rente ou la valeur de la terre ne naissent pas de la productivité ou de l’utilité de la terre. Elle ne représente en aucune façon une aide ou un avantage donné à la production, mais simplement le pouvoir de s’assurer une partie des résultats de la production. Quelles que soient ses forces productives, la terre ne peut produire une rente et n’a aucune valeur, à moins que quelqu’un ne veuille donner du travail ou les résultats du travail pour acquérir le privilège d’en faire usage ; et ce que l’on donnera ainsi ne dépend pas de la force productive de la terre, mais de cette force comparée avec celle d’une terre qu’on peut acquérir pour rien. Je peux avoir une terre très riche, et cependant n’en recevoir aucune rente ; cette terre n’a pas de valeur parce qu’on peut avoir une autre terre aussi bonne sans rien payer. Mais quand cette autre terre a trouvé un propriétaire, et que la meilleure qu’on puisse avoir pour rien est inférieure soit comme fertilité, soit comme situation, soit pour toute autre raison, alors ma terre commence à avoir de la valeur et à rapporter une rente. Et, bien que la fertilité de ma terre puisse diminuer, cependant, si la fertilité de la terre qu’on peut avoir pour rien décroit dans une plus grande proportion, la rente que je pourrai obtenir et par conséquent la valeur de ma terre, augmenteront rapidement. En résumé, la rente est donc le prix d’un monopole ayant pour origine la conquête par l’homme des éléments naturels qu’il ne peut ni produire, ni augmenter.

Si un homme possédait toute la terre accessible à une communauté, il pourrait naturellement demander, pour son usage, le prix ou la condition qu’il jugerait convenable ; et, aussi long temps que seraient reconnus ses droits de propriété, les autres membres de la communauté n’auraient d’autre alternative que de mourir et d’émigrer ou de se soumettre à ses conditions. Cela a été le cas pour bien des communautés ; mais dans la société moderne, la terre, bien que généralement possédée individuellement, est entre les mains de trop de personnes différentes pour que le prix pouvant être obtenu pour son usage, soit fixé par un simple caprice ou désir.

Pendant que chaque propriétaire individuel essaie de retirer de la terre tout ce qu’il peut, il y a une limite à ce qu’il peut retirer, qui constitue le prix de marché ou rente du marché de la terre, qui varie suivant les terres et suivant les temps. La loi, ou relation, qui, dans ces conditions de libre compétition entre toutes les parties (conditions qu’on doit toujours supposer exister quand on formule les principes de l’économie politique), détermine quelle rente, ou quel prix, peut être retirée par le propriétaire, est appelée la loi de la rente. Ceci fixé, nous avons mieux qu’un point de départ pour déterminer quelles sont les lois qui gouvernent les salaires et l’intérêt. Car, comme la distribution de la richesse est une division, en connaissant sûre ment ce qui fixe la part du produit qui forme la rente, nous déterminons aussi ce qui fixe la part laissée pour les salaires, là où il n’y a pas coopération du capital, et ce qui fixe les parts laissées pour les salaires et l’intérêt là où le capital coopère à la production.

Heureusement que la loi de la rente ne donne lieu à aucune discussion. Ici les autorités sont d’accord avec le sens commun[2], et la formule acceptée par l’économie politique courante a le caractère d’évidence a priori d’un axiome de géométrie. Cette loi admise de la rente, que John Stuart Mill appelle le pons asinorum de l’économie politique, est aussi parfois nommée la « loi de la rente de Ricardo, » parce que, bien qu’il ne l’ait pas formulée, il a été le premier à l’exposer, de manière à la faire re marquer ? [3]. La voici :

La rente de la terre est déterminée par l’excès de son produit sur ce que la même culture produirait dans la moins productive des terres en usage.

La loi, qui naturellement s’applique aussi à la terre travaillée dans un autre but que l’agriculture, et à toutes les ressources naturelles, telles que mines, pêcheries, etc., a été complètement expliquée par tous les principaux économistes depuis Ricardo ; mais son simple énoncé a toute la force d’une proposition évidente par elle-même, car il est clair que l’effet de la compétition est de faire que la récompense la plus basse pour laquelle le travail et le capital veulent s’engager dans la production, soit précisément la plus élevée qu’ils puissent demander ; et, par conséquent, de permettre au propriétaire d’une terre plus productive de s’approprier, sous forme de rente, tout le revenu qui dépasse ce qu’il faut pour récompenser le travail et le capital suivant le taux ordinaire, c’est-à-dire suivant ce qu’ils peuvent obtenir sur la moins productive des terres employées (ou sur le point le moins productif) pour laquelle, naturelle ment, il n’est point payé de rente.

On comprendrait peut-être mieux la loi de la rente si on l’exposait sous cette forme : la propriété d’un agent naturel de production donnera le pouvoir de s’approprier autant de richesse produite par l’emploi du travail et du capital, qu’il y en aura en plus du revenu que le même emploi de travail et de capital pourrait tirer de l’occupation la moins productive entreprise librement.

Cependant ceci revient précisément au même, car il n’y a pas d’occupation entreprise par le travail et le capital qui ne nécessite pas l’usage de la terre ; et de plus, la culture, ou usage quel conque de la terre, aura toujours une rémunération aussi basse, toutes choses étant considérées, que celle librement acceptée pour n’importe quelle autre entreprise. Supposons par exemple une communauté dans laquelle une part du travail et du capital est consacrée à l’agriculture, et une part aux manufactures. La terre cultivée la plus pauvre rapporte un revenu moyen que nous appellerons 20 ; le revenu moyen du travail et du capital sera donc 20, pour les manufactures comme pour l’agriculture. Supposons qu’une cause permanente réduise le revenu des manufactures à 15. Il est clair que le travail et le capital employés dans les manufactures se tourneront vers l’agriculture, et cela jusqu’à ce que, — soit par l’extension de la culture aux terres inférieures ou aux points inférieurs des mêmes terres, soit par une augmentation de la valeur relative des produits manufacturés due à la réduction de production, soit par les deux causes réunies, – les revenus du travail et du capital dans les deux genres d’entreprise soient de nouveau au même niveau, de sorte que quelque soit le produit final des manufactures, qu’il donne 18, 17, ou 16, la culture rendra la même chose. Ainsi, dire que la rente est l’excès sur le produit le plus bas de la culture, c’est comme si l’on disait que c’est l’excès de produit sur ce que la même somme de travail et de capital obtiendrait dans l’entre prise la moins rémunératrice.

La loi de la rente n’est en fait qu’une déduction tirée de la loi de compétition, et se résume simplement en l’assertion que comme les salaires et l’intérêt tendent à s’élever et à baisser en même temps, toute cette part de la production générale de la richesse qui dépasse ce que le travail et le capital employés au raient pris pour eux-mêmes, s’ils avaient dû s’appliquer à l’agent naturel le plus pauvre, ira aux propriétaires sous forme de rente. Elle repose, en dernière analyse, sur ce principe fondamental qui est pour l’économie politique ce que l’attraction de la gravitation est pour la physique : les hommes cherchent à satisfaire leurs désirs avec le moins d’effort possible.

Donc voici la loi de la rente. Bien que beaucoup de traités classiques suivent trop l’exemple de Ricardo qui semblait la considérer surtout dans son rapport avec l’agriculture, et parlait souvent de manufactures ne rapportant pas de rente ( quand en réalité les manufactures et l’échange rapportent les rentes les plus élevées, comme le prouve la grande valeur de la terre dans les villes industrielles et commerçantes), cachant ainsi l’importance complète de la loi, cependant, depuis Ricardo, la loi a été clairement conçue, et pleinement reconnue. Mais il n’en est pas de même de ses corollaires. Quelques simples que soient ces corollaires, la doctrine courante des salaires (appuyée et fortifiée non seulement par les raisons que nous avons déjà signalées, mais encore par des considérations dont nous mesurerons le poids quand nous atteindrons les conclusions que nous poursuivons) a empêché qu’on ne les reconnaisse[4]. Cependant n’est-ce pas aussi simple que la plus simple des démonstrations géométriques, que de dire que le corollaire de la loi de la rente est la loi des salaires, dans laquelle la division du produit est simplement entre la rente et les salaires, ou bien la loi des salaires et de l’intérêt pris ensemble, dans laquelle la division est entre la rente, les salaires et l’intérêt ? En renversant les choses, la loi de la rente est nécessairement la loi des salaires et de l’intérêt pris ensemble ; car elle affirme, quelle que soit la production qui résulte de l’application du travail et du capital, que ces deux facteurs recevront seulement en salaires et en intérêt une part du produit égale à ce qu’ils au raient pu produire sur une terre qui leur serait livrée sans obligation de payer une rente, et qui serait la moins productive des terres, ou le point le moins productif des terres cultivées. Car si tout ce qui, dans le produit, dépasse la somme que le travail et le capital pourraient retirer d’une terre pour laquelle aucune rente ne serait payée, doit aller aux propriétaires sous forme de rente, alors tout ce qui peut être réclamé par le travail et le capital comme salaire et intérêt, est la somme qu’ils auraient pu retirer d’une terre ne rapportant pas de rente.

Ou, pour mettre ceci sous une forme algébrique :

Comme le Produit = la Rente + les salaires + l’Intérêt,

Donc le Produit — la Rente = les Salaires + l’Intérêt.

Donc les salaires et l’intérêt ne dépendent pas du produit du travail et du capital, mais de ce qui reste après la rente prise ; ou bien ils dépendent du produit qu’ils pourraient obtenir sans payer la rente, c’est-à-dire en cultivant la terre la plus pauvre exploitée. Par conséquent, quel que puisse être l’accroissement de puissance productive, si l’accroissement de la rente se produit en même temps, ni les salaires, ni l’intérêt ne pourront augmenter.

Du moment que cette simple relation est admise, un flot de lumière en jaillit sur ce qui, auparavant, était inexplicable ; et des faits en apparence contradictoires viennent d’eux-mêmes se ranger sous une loi évidente. L’accroissement de la rente qui a lieu dans des pays progressifs, est, on le voit tout de suite, la clef qui explique pourquoi les salaires et l’intérêt n’augmentent pas alors qu’augmente la puissance de production. Car la richesse produite dans chaque communauté est partagée en deux, parce qu’on peut appeler la ligne de la rente, ou par la rétribution que le travail et le capital peuvent obtenir d’agents naturels, tels qu’on leur laisse exploiter librement sans exiger de rente. C’est sur la part du produit qui est en dessous de cette ligne que sont payés le travail et le capital. Tout ce qui est au-dessus va aux propriétaires du sol. Donc, là où la valeur de la terre est basse, il peut y avoir une petite production de richesse et malgré cela un taux élevé de salaires et d’intérêt, comme nous le voyons dans les pays nouveaux. Et où la valeur de la terre est élevée, il peut y avoir une grande production de richesse, et malgré cela un taux bas de salaires et d’intérêt, comme nous le voyons dans les vieux pays. Là où la puissance productive augmente, comme cela a lieu dans tous les pays progressifs, les salaires et l’intérêt suivent non pas cet accroissement, mais les fluctuations de la rente. Si la valeur de la terre croît proportionnellement, toute l’augmentation de production sera absorbée par la rente, et les salaires et l’intérêt resteront comme devant. Si la valeur de la terre augmente suivant une progression plus forte que la puissance productive, la rente absorbera plus même que l’augmentation ; et alors que le produit du travail et du capital sera beaucoup plus considérable, les salaires et l’intérêt baisseront. C’est seulement quand la valeur de la terre ne croîtra pas aussi vite que la puissance productive, que les salaires et l’intérêt pourront augmenter avec l’accroissement de force productive. Tout ceci est bien prouvé parce qui se passe actuellement.


CHAPITRE III.

DE L’INTÉRÊT ET DE LA CAUSE DE L’INTÉRÊT.

La loi de la rente étant sûrement trouvée, nous avons obtenu son corollaire nécessaire, la loi des salaires, où la division du produit se fait entre la rente et les salaires ; et la loi des salaires et de l’intérêt pris ensemble, où la division se fait entre les trois facteurs. La proportion du produit prise comme rente doit déterminer quelle proportion est laissée aux salaires, s’il s’agit seulement de la terre et du travail ; ou est divisée entre les salaires et l’intérêt, si le capital a aidé à la production.

Sans nous occuper de cette déduction, cherchons maintenant chacune de ces lois, séparément et indépendamment des autres. Si par ce moyen nous trouvons encore qu’elles sont corollaires, nos conclusions auront le plus haut degré possible de certitude. Et puisque la découverte de la loi des salaires est le but final de notre enquête, prenons d’abord pour sujet l’intérêt.

J’ai déjà fait allusion à la différence de signification qui se pare les mots profit et intérêt. Il est peut-être utile de dire de plus que l’intérêt, employé comme terme abstrait dans la discussion de la distribution de la richesse, diffère comme signification du même mot employé dans le langage ordinaire ; voici en quoi : il comprend toutes les rétributions pour l’usage du capital, et non pas simplement celles que donne celui qui emprunte à celui qui prête ; il exclut toutes les compensations pour les risques courus, qui forment une si grande partie de ce qu’on appelle communément intérêt. La compensation pour le risque est évidemment une égalisation de revenu entre différents emplois du capital. Ce que nous avons besoin de savoir, c’est qu’est ce qui fixe le taux général de l’intérêt proprement dit ? Les différents taux de compensation ajoutés à ceci donneront le taux courant de l’intérêt commercial.

Il est évident que les plus grandes différences dans ce qu’on appelle ordinairement intérêt sont dues à des différences dans les risques ; mais il est également évident qu’entre les différents pays et les différents temps, il y a aussi de grandes variations dans le taux de l’intérêt proprement dit. Dans un temps, en Californie, le taux de 2 0/0 par mois n’était pas considéré comme un intérêt exagéré à cause des risques à courir, tandis qu’aujourd’hui le même emprunt se ferait à 7 ou 8 0/0 pour un an ; et bien qu’on puisse en partie attribuer cette différence à l’accroissement du sentiment de stabilité générale, elle doit cependant tenir à quelque autre cause générale. En général, aux États-Unis, le taux de l’intérêt a été plus élevé qu’en Angleterre ; et dans les États nouveaux plus que dans les anciens ; et la tendance de l’intérêt à baisser à mesure que la société progresse, est très marquée et signalée depuis longtemps. Quelle est la loi qui unira toutes ces variations et montrera leur cause ?

Il n’est pas nécessaire d’appuyer plus que cela n’a déjà été fait accidentellement sur ce qui a empêché l’économie politique courante de déterminer la vraie loi de l’intérêt. Ses spéculations à ce sujet n’ont pas la netteté et la cohérence qui ont permis à la théorie acceptée des salaires de subsister en dépit des faits, et ne demandent pas le même examen. Il est évident qu’elles vont contre les faits. L’intérêt ne dépend pas de la force de production du travail et du capital, c’est ce que prouve ce fait général que, là où le travail et le capital sont le plus productifs, l’intérêt est le plus bas. L’intérêt ne dépend pas non plus des salaires (ou coût du travail) baissant quand les salaires montent, montant quand les salaires baissent, car il est élevé là, où et quand les salaires sont élevés, et bas là, où et quand les salaires sont bas.

Commençons par le commencement. Nous avons déjà suffisamment vu quelles étaient la nature et les fonctions du capital, mais, au risque de faire une digression, essayons de déterminer la cause de l’intérêt avant d’en considérer la loi. Cette recherche nous aidera en nous donnant une idée plus ferme et plus nette du sujet, et pourra nous conduire à des conclusions dont l’importance pratique apparaîtra plus tard.

Quelle est la raison et la justification de l’intérêt ? Pourquoi l’emprunteur doit-il rendre en paiement au prêteur plus qu’il n’a reçu ? Ces questions méritent une réponse, non seulement à cause de leur importance théorique, mais au point de vue de la pratique. Le sentiment que l’intérêt vole l’industrie se répand des deux côtés de l’Atlantique et se fait de plus en plus jour dans la littérature et les mouvements populaires. Ceux qui exposent l’économie politique courante disent qu’il n’y a pas conflit entre le travail et le capital, et repoussent comme injurieux envers le travail comme envers le capital, tous les projets de restriction de la récompense qu’obtient le capital ; cependant ils enseignent dans les mêmes ouvrages que les salaires et l’intérêt sont en relation inverse, et que l’intérêt sera bas ou élevé suivant que les salaires seront élevés ou bas[5]. Il est clair que si cette doctrine est correcte, la seule objection qu’en se plaçant au point de vue du travailleur, on puisse logiquement faire à tout projet de réduction de l’intérêt, est que ce projet ne serait pas applicable, ce qui évidemment n’est pas une bonne raison alors que l’idée de l’omnipotence de la loi est encore si répandue ; et bien qu’une semblable objection puisse faire abandonner un projet particulier, elle n’empêchera pas d’en formuler d’autres.

Pourquoi l’intérêt existerait-il ? L’intérêt nous dit-on dans tous les livres classiques est la récompense de l’abstinence. Mais il est évident que cette explication n’est pas suffisante. L’abstinence est une qualité passive et non active. L’abstinence en elle-même ne produit rien. Pourquoi alors réclame-t-on pour elle une part quelconque du produit ? Si j’ai une somme d’argent que j’enferme pour un an, j’ai déployé autant d’abstinence que si je l’avais prêtée pour un an. Cependant, bien que dans ce dernier cas j’espère qu’on me la rendra avec une somme additionnelle comme intérêt, dans le premier cas je n’aurai que la même somme, sans augmentation. L’abstinence est la même pourtant. Si l’on dit qu’en la prêtant je rends un service à l’emprunteur, on peut dire que lui aussi me rend service en conservant la somme en sûreté, service qui dans certaines conditions pourrait avoir beaucoup de valeur, et pour lequel je donnerais volontiers quelque chose, plutôt que de recevoir ; service, qui, pour certaines formes de capital, paraîtrait plus évident encore que pour de l’argent. Car il y a bien des formes de capital qui ne peuvent se conserver mais doivent être constamment renouvelées ; et beaucoup qui deviennent onéreuses à conserver si l’on en a pas l’emploi immédiat. Ainsi, si celui qui accumule le capital aide celui qui emploie le capital en le lui prêtant, l’emprunteur n’acquitte-t-il pas complètement sa dette quand il rend la somme prêtée ? La conservation assurée, le remplacement du capital, n’est-ce pas une compensation suffisante pour son emploi ? L’accumulation est la fin et le but de l’abstinence. L’abstinence ne peut rien faire de plus ; elle ne le peut même pas d’elle-même. Si nous nous abstenions seulement d’user de la richesse, quelle somme de richesse disparaîtrait en un an ? Que resterait-il au bout de deux ans ? Donc, si pour l’abstinence on demande plus que le capital prêté, le travail n’est-il pas lésé ? De telles idées se cachent derrière l’opinion très répandue que l’intérêt ne peut s’accroître qu’aux dépens du travail, qu’il est en fait un vol fait au travail, vol qui, dans une société fondée sur la justice, devrait être défendu.

Les essais de réfutation de ces idées ne me paraissent pas toujours heureux. Prenons l’exemple si souvent cité de Bastiat. Un charpentier, Jacques, au prix de dix jours de travail, se fait un rabot qui durera pendant 290 jours sur les 300 jours ouvrables de l’année. Guillaume, un autre charpentier propose d’emprunter le rabot pour un an, offrant de donner en retour, à la fin du temps convenu, quand le rabot sera hors de service, un nouveau rabot également bon. Jacques objecte à cette proposition que si au bout du temps il ne doit recevoir qu’un nouveau rabot il n’aura rien pour compenser la perte de l’avantage que lui aurait donné l’usage du rabot pendant l’année. Guillaume admettant cela convient de rendre non seulement le rabot, mais en plus de donner une planche neuve. L’accord est conclu en ces termes à la satisfaction de chacun. Le rabot est usé dans l’année, mais à la fin Jacques en reçoit un neuf et une planche avec. Il prête le nouveau rabot, et ainsi de suite, jusqu’au jour où il laisse un rabot à son fils « qui continue à le prêter, » recevant chaque fois une planche. On dit que cette planche qui représente l’intérêt, est une rémunération naturelle et équitable, puisque en la donnant en rétribution de l’usage du rabot, Guillaume « obtient la faculté qui existe dans l’instrument, d’augmenter la productivité du travail » et n’est pas plus mal dans ses affaires que s’il n’avait pas emprunté le rabot ; tandis que Jacques n’obtient pas plus que s’il avait conservé et employé le rabot au lieu de le prêter.

En est-il réellement ainsi ? Il faut observer qu’on n’affirme pas que Jacques puisse faire le rabot et que Guillaume ne puisse pas, car ce serait faire de la planche la récompense d’une adresse supérieure. On dit seulement que Jacques s’est abstenu de consommer le résultat de son travail jusqu’au moment où il l’a eu accumulé sous forme de rabot, ce qui est l’idée essentielle du capital.

D’un autre côté, si Jacques n’avait pas prêté son rabot il s’en serait servi pendant 290 jours, l’aurait mis hors d’usage et aurait été obligé de prendre les dix jours restant de l’année ouvrable pour faire un nouveau rabot. Si Guillaume n’avait pas emprunté le rabot il aurait pris dix jours pour s’en faire un, dont il se serait servi pendant les 290 jours restant. Donc si nous prenons une planche pour représenter le fruit d’un jour de travail au rabot, si, à la fin de l’année, aucun emprunt n’avait eu lieu, chaque charpentier se trouverait par rapport au rabot, comme au commencement, Jacques avec un rabot, Guillaume sans rabot, et chacun aurait eu, comme résultat de l’année de travail, 290 planches. Si les conditions de l’emprunt avaient été celles d’abord proposées par Guillaume, la même situation relative aurait existé. Guillaume aurait travaillé 290 jours et employé dix jours à faire un rabot pour rendre à Jacques. Jacques aurait pris les premiers dix jours de l’année pour faire un autre rabot qui aurait duré 290 jours, et à la fin de ce temps il aurait reçu un nouveau rabot de Guillaume. Donc si le rabot avait simplement été rendu, les deux charpentiers se seraient trouvés à la fin de l’année dans la même position que si l’emprunt n’avait pas été fait. Jacques n’aurait rien perdu au gain de Guillaume, et Guillaume n’aurait rien gagné à la perte de Jacques. Chacun aurait reçu la rétribution qu’il devait en tout cas recevoir pour son travail, c’est-à-dire 290 planches et Jacques aurait l’avantage d’un nouveau rabot, avantage avec lequel il avait débuté.

Mais si, en plus du rabot, Jacques reçoit une planche, il se trouve à la fin de l’année dans une meilleure position que s’il n’y avait pas eu d’emprunt, et Guillaume dans une pire. Jacques a 291 planches et un rabot neuf, et Guillaume 289 planches et pas de rabot. Si maintenant Guillaume emprunte la planche aussi bien que le rabot, avec les mêmes conditions qu’auparavant, il devra à la fin de l’année rendre à Jacques un rabot, deux planches et une fraction de planche, et s’il emprunte encore cette différence, et ainsi de suite, n’est-il pas le revenu de l’un décroîtra progressivement, que celui de l’autre augmentera progressivement, jusqu’au moment où, comme résultat du prêt primitif du rabot, il se trouvera que Jacques obtiendra le résultat entier du travail de Guillaume, c’est-à-dire que Guillaume deviendra virtuellement son esclave ?

L’intérêt, donc, est-il naturel et équitable ? Rien dans cet exemple ne peut le prouver. Évidemment ce que Bastiat (et beaucoup d’autres) assignent comme base à l’intérêt, « la puissance qui existe dans l’outil d’augmenter la productivité du travail, » n’est pas réellement, et au point de vue de la justice, la base de l’intérêt. L’erreur qui fait que l’exemple de Bastiat passe pour concluant auprès de ceux qui ne s’arrêtent pas pour l’analyser comme nous l’avons fait, est qu’au prêt du rabot on associe le transfert de la puissance accrue de production qu’un rabot donne au travail. En réalité cette association n’existe pas. La chose essentielle que Jacques prête à Guillaume ce n’est pas l’augmentation de puissance qu’acquiert le travail en se servant d’un rabot. Pour supposer cela, il faudrait que nous supposions que la fabrication et l’usage des rabots fût un secret de commerce ou un droit patenté, et alors l’exemple aurait rapport au monopole et non au capital. La chose essentielle prêtée par Jacques à Guillaume n’est pas le privilège d’appliquer son travail d’une manière plus efficace, mais l’usage du résultat concret de dix jours de travail. Si « le pouvoir qui existe dans les outils, d’augmenter la force productive du travail » était la cause de l’intérêt, le taux de l’intérêt augmenterait avec le progrès de l’invention. Ceci n’est pas ; on ne me demande pas de payer un intérêt plus fort si j’emprunte une machine à coudre de cinquante dollars, ou si j’emprunte des aiguilles pour une valeur de cinquante dollars, si j’emprunte une machine à vapeur ou des briques ayant une valeur égale. Le capital, comme la richesse est échangeable. Ce n’est pas une chose ; c’est une chose quelconque de même valeur dans le cercle de l’échange. Le perfectionnement des outils n’ajoute pas à la puissance reproductive du capital ; mais à la puissance productive du travail.

Je suis porté à croire que, si toute la richesse consistait en choses du même genre que les rabots, et si toute la production était semblable à celle des charpentiers, c’est-à-dire si toute la richesse était seulement formée de la matière inerte de l’univers, et si la production était toute dans la transformation de cette matière inerte, alors l’intérêt serait bien un vol fait à l’industrie et ne pourrait exister longtemps. Je ne veux pas dire qu’il n’y aurait pas d’accumulation, car bien que l’espoir de l’accroissement soit un motif pour changer la richesse en capital, ce n’est pas le seul motif d’accumulation, ni le principal. Les enfants économisent leur argent pour Noël ; les pirates ajouteront à leur trésor caché ; les princes orientaux accumuleront des monceaux de monnaies ; des hommes comme Stewart ou Vanderbilt ayant été pris de la passion d’accumuler, continueront aussi longtemps que possible à accroître le nombre de leurs millions, même si cette accumulation n’apportait pas d’accroissement. Je ne veux pas non plus dire qu’il n’y aurait ni emprunt ni prêt, car, à la convenance de chacun il en existerait un grand nombre. Si Guillaume a un ouvrage à faire immédiatement, et Jacques un ne devant se faire que dans dix jours, le prêt d’un rabot peut être l’avantage de chacun, bien qu’aucune planche ne soit donnée en retour.

Mais toute richesse n’est pas de la nature des rabots ou des planches, ni toute production dans la transformation de la matière inerte de l’univers. Il est vrai que si je mets de côté de l’argent, il n’augmentera pas. Mais, si au lieu d’argent je mets du vin, à la fin de l’année j’aurai un accroissement de valeur, car la qualité du vin sera meilleure. Ou bien encore supposons que dans un pays convenant aux abeilles, j’en élève une certaine quantité ; au bout de l’année j’aurai de nouveaux essaims et le miel qu’ils auront produit. Ou bien encore, qu’ayant de la place, j’entretiens des moutons, ou des porcs, ou des vaches ; à la fin de l’année j’aurai, en moyenne, un plus grand nombre de têtes.

Ce qui donne cet accroissement est une chose qui, bien que le travail soit nécessaire pour l’utiliser, est cependant distincte et séparable du travail ; c’est la force active de la nature, le principe de croissance, de reproduction, qui caractérise toutes les formes de cette chose ou condition mystérieuse que nous appelons la vie : Et il me semble que là est la cause de l’intérêt, c’est-à-dire de l’accroissement du capital au delà de ce qui est dû au travail. Il y a, pour ainsi dire, dans les mouvements qui composent le flux éternel de la nature, certains courants vitaux qui, si nous les employons, nous aident, avec une force indépendante de nos propres efforts, à donner à la matière les formes que nous désirons, c’est-à-dire à la transformer en richesse.

On peut citer bien des choses qui, comme l’argent ou les rabots, les planches ou les machines, ou les vêtements, ne possèdent aucune puissance innée d’accroissement ; cependant il y a d’autres choses comprises dans les termes de richesse et de capital qui, comme le vin, augmenteront elles-mêmes en qualité jusqu’à un certain point, ou en quantité comme les abeilles ou le bétail ; et d’autres choses, telles que les semences qui, bien que les conditions qui leur permettent d’augmenter ne puissent se créer sans travail, augmentent cependant, une fois ces conditions existant, et donnent un revenu en plus de celui qui est attribuable au travail.

La possibilité d’échanger les richesses entre elles implique nécessairement une répartition proportionnelle, entre toutes les espèces de richesse, d’un avantage spécial quelconque provenant de la possession d’une espèce quelconque, car personne ne conserverait son capital sous une forme qui pourrait être changée contre une forme plus avantageuse. Par exemple, personne ne consentirait à faire moudre du froment et à garder la farine pour la commodité de ceux qui désirent de temps en temps changer du froment contre de la farine, à moins d’être assuré de gagner à cet échange un accroissement de richesse égal à celui qu’on aurait gagné, tout bien considéré, en plantant son froment. Personne ne voudrait, du moment que la place ne fait pas défaut, échanger un troupeau de moutons contre le même poids net de viande de mouton à recevoir l’année prochaine ; car, en gardant le troupeau, non seulement on aurait le même poids de mouton l’année suivante, mais encore les agneaux et les toisons. Personne ne creuserait un canal d’irrigation si ceux que ce canal doit aider à utiliser les forces reproductives de la nature ne donnaient pas une portion de l’augmentation ainsi créée, à celui qui a creusé le canal afin que son capital lui donne un revenu égal aux leurs. Ainsi, dans le cercle des échanges, la puissance d’accroissement que la force vitale ou reproductive de la nature donne à quelques espèces de capitaux doit se répartir sur toutes ; et celui qui prête ou emploie en échange de l’argent, ou des rabots, ou des briques, ou des vêtements, n’est pas privé du pouvoir d’obtenir un accroissement, pas plus que s’il avait prêté ou employé dans un but de reproduction, autant de capital sous une forme capable d’accroissement.

Il y a aussi dans l’utilisation des différences dans les forces de la nature et dans les facultés de l’homme, qui est effectuée par l’échange, un accroissement qui parfois ressemble à celui produit par les forces vitales de la nature. Dans certains endroits, par exemple, une somme donnée de travail assurera 200 parties de nourriture végétale, et 100 de nourriture animale. Dans d’autres, ces conditions seront renversées, et la même somme de travail produira 100 parties de nourriture végétale et 200 d’animale. Dans les uns, la valeur relative de la nourriture végétale à l’animale sera comme deux est à un, et dans les autres comme un est à deux ; et en supposant qu’il faille des deux nourritures des quantités égales, la même somme de travail procurera 150 parties de chacune dans les deux endroits. Mais en consacrant le travail dans un endroit à produire la nourriture végétale, et dans un autre à produire la nourriture animale, et en échangeant les quantités requises, les habitants de chaque endroit seraient capables de procurer, par la somme donnée de travail, 200 parties de chaque, moins les pertes et les frais de l’échange ; de sorte que dans chaque endroit le produit qui est pris à l’usage et consacré à l’échange, amène une augmentation. C’est ainsi que le chat de Whittington, envoyé dans un pays éloigné où les chats étaient rares et les rats abondants, rapporta des ballots de marchandises et des sacs d’or.

Naturellement, le travail est nécessaire pour l’échange, comme il l’est pour l’utilisation des forces productives de la nature, et le produit de l’échange, comme le produit de l’agriculture, est évidemment le produit du travail ; mais cependant, dans un cas comme dans l’autre, il y a une force coopérative distincte de celle du travail, qui rend impossible de mesurer le résultat uniquement par la somme de travail dépensé, mais qui rend la somme de capital et le temps qu’il reste employé des parts intégrales dans la somme des forces. Le capital aide le travail dans tous les différents modes de production, mais il y a une différence, entre les relations des deux facteurs dans les modes de production consistant simplement à changer de forme ou de place la matière, comme le rabotage des planches ou l’extraction du charbon ; et dans les modes de production qui se servent des forces reproductives de la nature, ou de la puissance d’accroissement naissant des différences dans la distribution des capacités humaines ou naturelles, comme la germination du grain ou l’échange de la glace pour le sucre. Dans les productions de la première espèce, le travail seul est la cause efficiente ; quand le travail s’arrête, la production cesse. Quand le charpentier laisse son rabot, au coucher du soleil, l’accroissement de valeur qu’il produisait avec son rabot subit un temps d’arrêt jusqu’au moment où le lendemain matin il reprend son travail. Quand la cloche de la manufacture sonne la fermeture des ateliers, quand on ferme l’entrée de la mine, la production s’arrête jusqu’au moment ou le travail reprend. Ce temps d’arrêt pourrait, au point de vue de la production, être effacé. Le nombre des jours, les changements de saison, ne sont pas un élément de production ; celle-ci ne dépend que de la somme de travail dépensé. Mais dans les autres modes de production que j’ai cités, et dans lesquels la part du travail peut être comparée à l’opération des hommes qui jettent des troncs d’arbre dans un fleuve, laissant au courant le soin de les mener, plusieurs milles au-dessous, au port de la scierie, le temps est un élément. La semence dans le sol, germe et croît pendant que le fermier dort ou laboure de nouveaux champs, et les courants toujours en mouvement de l’air et de l’Océan portent le chat de Whittington vers les pays du roman dévastés par les rats.

Revenons à l’exemple de Bastiat. S’il y a une raison quelconque pour laquelle Guillaume doit rendre à Jacques plus qu’un rabot d’égale valeur, elle ne vient pas, comme le dit Bastiat, de l’accroissement de puissance que l’outil donne au travail, car ceci, ainsi que je l’ai montré, n’est pas un élément de production ; elle vient de l’élément du temps, de la différence d’une année qu’il y a entre le prêt et le retour du rabot. Si l’on s’en tient à cet exemple, il n’est pas besoin de montrer comment opère cet élément, car un rabot à la fin de l’année n’a pas plus de valeur qu’au commencement. Mais si nous substituons au rabot un veau, on voit clairement que pour que Jacques soit dans une aussi bonne position que s’il n’avait rien prêté, il faut que Guillaume lui rende, à la fin de l’année, non un veau, mais une vache. Ou si nous supposons que les dix jours de travail ont été occupés à planter du blé, il est évident que Jacques ne serait pas complètement récompensé si, à la fin de l’année, il ne recevait que la quantité de blé plantée, car pendant l’année le blé aurait crû et multiplié ; et ainsi si le rabot avait été consacré à l’échange, il aurait pu être rendu plusieurs fois, chaque échange apportant une augmentation à Jacques. Donc, comme le travail de Jacques aurait pu être appliqué de n’importe laquelle de ces manières, ou, ce qui revient au même, comme le travail consacré à faire des rabots aurait pu être ainsi transformé, Jacques ne voudra pas faire un rabot dont Guillaume usera toute l’année, à moins de recevoir comme rétribution plus qu’un rabot. Et Guillaume peut offrir de rendre plus qu’un rabot, parce que la même répartition générale des avantages du travail appliqué de différentes manières, lui permettra d’obtenir de son travail un avantage tiré de l’élément du temps. C’est cette répartition générale des avantages qui, nécessairement, se produit là où les exigences de la société demandent qu’on mène de front différents modes de production, qui donne à la possession de la richesse, incapable d’accroissement par elle-même, un avantage semblable à celui qui est attaché à la richesse employée de façon à augmenter, grâce à l’élément du temps. Et, en dernière analyse, l’avantage donné par le temps, sort de la force génératrice de la nature, et des différentes capacités naturelles et humaines.

Si la qualité et la capacité de la matière, et la force productive de l’homme étaient partout semblables, il n’y aurait pas d’intérêt. L’avantage que donnent des outils supérieurs pourrait parfois être transféré à des conditions ressemblant au paiement de l’intérêt, mais de pareilles transactions seraient irrégulières et intermittentes, elles formeraient l’exception et non la règle. Car la faculté d’obtenir de semblables rétributions ne serait pas, comme maintenant, inhérente a la possession du capital, et l’avantage du temps ne se ferait sentir que dans des circonstances particulières. Si, possédant 1,000 dollars, je suis sûr de trouver à les prêter moyennant intérêt, ce n’est pas parce qu’il y a d’autres personnes ne possédant pas 1, 000 dollars, qui me paieront volontiers pour se servir de mon capital, si elles ne peuvent avoir de capital par un autre moyen ; mais parce que le capital que représentent mes 1,000 dollars, a le pouvoir de produire un accroissement de richesse à quiconque le possède, fût-ce un millionnaire. Car, le prix que se vend une chose ne dépend pas tant de ce qu’en donnerait l’acheteur plutôt que de s’en aller sans elle, que de ce que le vendeur pourrait gagner d’une autre manière. Par exemple, un manufacturier qui désire se retirer des affaires a pour 100,000 dollars d’outillage. S’il ne peut pas, en vendant, prendre ces 100,000 dollars et les placer de façon à ce qu’ils produisent un intérêt, cela lui sera égal, les risques étant éliminés, si on lui donne le prix en entier ou par paiements partiels ; et du moment que l’acheteur a le capital nécessaire, ce que nous devons supposer, il sera indifférent qu’il paie immédiatement, ou au bout d’un certain temps. Si l’acheteur n’a pas le capital nécessaire, cela peut lui convenir que les paiements soient remis, mais ce ne serait que dans des circonstances exceptionnelles que le vendeur demanderait et que l’acheteur consentirait, qu’on paie, pour cette raison, une prime ; dans ce cas, cette prime ne serait pas un intérêt proprement dit. Car l’intérêt n’est pas à proprement parler un paiement fait pour l’emploi du capital, mais un revenu résultant de l’accroissement du capital. Si le capital ne produisait pas un accroissement, il y aurait quelques cas rares et exceptionnels où le possesseur recevrait une prime. Guillaume découvrirait vite que s’il ne peut pas payer, il peut donner une planche pour obtenir le privilège de différer le paiement du rabot à Jacques.

En résumé, lorsque nous étudions la production, nous trouvons qu’elle se présente sous trois formes :

Elle adapte les produits naturels ou les change de forme ou de place, afin qu’ils puissent satisfaire les désirs humains.

Elle augmente ou utilise les forces vitales de la nature, élevant des végétaux ou des animaux, par exemple.

Elle échange ou utilise, de façon à ajouter à la somme générale de richesse, ces forces naturelles qui varient avec les localités, ou ces forces humaines qui varient avec la situation, l’occupation ou le caractère.

Dans chacun de ces trois modes de production le capital peut aider au travail, ou, pour parler d’une façon plus précise, dans le premier le capital peut aider au travail, mais n’est pas absolument nécessaire ; dans les autres le capital doit aider au travail, ou est nécessaire.

De plus, alors qu’en employant le capital sous la forme voulue nous pouvons augmenter la puissance effective du travail pour donner à la matière le caractère de richesse, quand par exemple nous donnons au bois et au fer la forme d’un rabot, ou au fer, au charbon, à l’eau, à l’huile, la forme et l’emploi d’une machine à vapeur, ou à la pierre, à l’argile, au bois de charpente celle d’une construction, cependant la caractéristique de cet usage du capital est que le bénéfice est dans l’usage. Quand pourtant nous employons le capital dans le second de ces modes, quand, par exemple, nous plantons du grain, ou que nous plaçons du bétail dans une ferme, ou réservons du vin pour qu’il s’améliore avec l’âge, alors les bénéfices naissent non de l’usage, mais de l’accroissement. Et ainsi, quand nous employons le capital dans le troisième de ces modes, et qu’au lieu de nous servir d’une chose nous l’échangeons, le bénéfice est dans la valeur augmentée ou plus grande des choses reçues en retour.

Primitivement les bénéfices qui naissent de l’usage vont au travail, et les bénéfice qui naissent de l’accroissement vont au capital. Mais, attendu que la division du travail et l’échange des richesses nécessitent et impliquent une répartition proportionnelle des bénéfices, les différents modes de production correspondant les uns avec les autres, les bénéfices qui naissent d’un mode de production formeront avec ceux qui naissent des autres modes, une moyenne, car ni le travail ni le capital ne seront consacrés à un mode spécial de production alors que d’autres modes faciles à atteindre leur procureront un revenu plus grand. C’est-à-dire que le travail dépensé dans le premier mode de production gagnera non pas le revenu entier, mais le revenu moins telle part qui est nécessaire pour donner au capital un accroissement égal à celui que lui aurait assuré un autre mode de production ; et que le capital engagé dans le second et le troisième mode obtiendra non l’accroissement tout entier, mais l’accroissement moins ce qu’il faut pour donner au travail une récompense égale à celle qu’il aurait reçu s’il avait été dépensé dans le premier mode.

Ainsi l’intérêt naît de la puissance d’accroissement que les forces reproductives de la nature, et la possibilité de l’échange, analogue comme effet, donnent au capital. Ce n’est pas une chose arbitraire, mais naturelle ; ce n’est pas le résultat d’une organisation sociale particulière, mais des lois de l’univers qui soutiennent la société. Il est donc juste.

Ceux qui parlent d’abolir l’intérêt tombent dans une erreur semblable à celle qui donne une apparence de vérité à la théorie qui fait sortir les salaires du capital. Quand ils pensent à l’intérêt, ils n’ont en vue que celui qui est payé par l’homme qui emploie le capital, au possesseur du capital. Évidemment ceci n’est pas tout l’intérêt, ce n’est qu’un genre d’intérêt. Quiconque se sert de capital et obtient l’accroissement de richesse qu’il est capable de donner, reçoit un intérêt. Si je plante un arbre et le soigne jusqu’au moment où il rapporte, je reçois par ses fruits l’intérêt du capital accumulé qu’il représente, c’est-à-dire du travail dépensé. Si j’élève une vache, le lait qu’elle me donne matin et soir n’est pas simplement la récompense du travail actuellement fait, mais l’intérêt du capital que mon travail, dépensé en l’élevant, a accumulé sur la vache. Et de même, si j’emploie mon capital à aider directement la production en le transformant en machines, ou à l’aider indirectement par l’échange, je reçois un avantage spécial, distinct du caractère reproductif du capital, aussi réel, bien que peut-être moins clair, que celui que je recevrais si j’avais prêté mon capital à une autre personne qui me paierait un intérêt.

CHAPITRE IV.

LE FAUX CAPITAL ET LES PROFITS CONFONDUS AVEC L’INTÉRÊT.

La croyance que l’intérêt est un vol fait à l’industrie est je crois en grande partie due à ce qu’on ne sépare pas assez ce qui est réellement du capital de ce qui n’en est pas, ni les profits qui sont vraiment de l’intérêt des profits qui ont leur source ailleurs que dans l’emploi du capital. Dans le langage et la littérature actuelle, quiconque possède une chose qui, en dehors de son travail, produit un revenu, est appelé capitaliste, et le revenu ainsi reçu est appelé le gain, la prise du capital ; et nous entendons partout parler du conflit du travail et du capital. Je ne demande pas encore au lecteur de répondre à la question : y a-t-il réellement oui ou non conflit entre le travail et le capital ; mais il est utile d’éclaircir dès à présent certaines questions embrouillées qui mettent de la confusion dans le jugement.

Nous avons déjà fait remarquer que les valeurs foncières qui constituent une partie si considérable de ce qu’on appelle ordinairement le capital, ne constituent nullement un capital ; et que la rente que l’on comprend communément dans les revenus du capital, qui prend une portion toujours croissante du produit d’une communauté progressive, n’est nullement le revenu du capital et doit être soigneusement séparée de l’intérêt. Il n’est pas nécessaire maintenant d’appuyer sur ce point. Nous avons aussi remarqué que les fonds, obligations, titres de créances, etc., qui constituent une autre grande portion de ce qu’on appelle communément capital, ne sont nullement un capital ; mais sous quelques-unes de leurs formes, ces preuves de dettes ressemblent tellement au capital, et dans certains cas remplissent ou semblent si bien remplir les fonctions du capital en rapportant à leurs possesseurs un revenu qui non seulement est appelé intérêt, mais a toute l’apparence de l’intérêt, qu’il est utile, avant de débarrasser l’idée de l’intérêt de quelques autres ambiguïtés qui l’enveloppent, de parler encore et plus longuement de celles-ci.

Qu’on se rappelle d’abord ceci : rien ne peut être capital qui n’est pas richesse ; c’est-à-dire que rien ne peut être capital qui n’est pas composé de choses actuelles, tangibles, des offrandes spontanées de la nature qui ont en elles-mêmes, et non par procuration, le pouvoir de satisfaire directement ou indirecte ment le désir humain.

Ainsi une obligation gouvernementale n’est pas un capital, ne représente pas un capital. Le capital qu’a reçu le gouverne ment a été consommé improductivement, craché par la bouche des canons, usé en navires de guerre, dépensé pour l’entretien des soldats, marchant, s’exerçant, tuant et détruisant. L’obligation ne peut pas représenter le capital qui a été détruit. Elle ne représente aucun capital. C’est simplement une déclaration solennelle, faite par le gouvernement, qu’il prendra de temps à autre, par le moyen d’impôts, dans le stock de richesse existant chez le peuple, tant de richesse qu’il remettra aux possesseurs de l’obligation ; et que, de temps en temps, il prendra de la même manière assez de richesse pour donner au possesseur le sur plus que le capital que le gouvernement promet de rendre un jour, aurait produit s’il était actuellement en sa possession. Les sommes immenses qui sont ainsi prises sur le produit du travail de tout pays moderne, pour payer l’intérêt des dettes publiques, ne sont pas les gains, les accroissements du capital, ne sont pas de l’intérêt, au sens strict du mot, mais des taxes levées sur le produit du travail et du capital, laissant autant en moins pour les salaires et l’intérêt réel.

Mais supposons que les obligations aient été émises pour permettre de creuser davantage le lit d’une rivière, de construire un phare, ou un marché public ; ou bien encore, pour suivre la même idée en changeant de genre d’exemple, supposons qu’elles l’aient été par une compagnie de chemins de fer. Ici elles représenteront un capital existant et appliqué à des usages productifs, et, comme les actions d’une compagnie payant des dividendes, pourront être considérées comme les preuves de la propriété du capital. Mais elles ne doivent être considérées comme telles que lorsque elles représentent actuellement un capital, et non lors qu’elles ont été émises en plus grand nombre que celui représentant le capital employé. Presque toutes nos compagnies de chemins de fer et autres compagnies ont des charges de ce genre. Là où l’on a réellement employé la valeur d’un dollar de capital, on a émis des certificats pour deux, trois, quatre, cinq et même dix, et sur cette somme fictive on paie avec plus ou moins de régularité un intérêt ou un dividende. Ce qui, en plus de la somme due comme intérêt du capital réel placé, est ainsi gagné et payé par ces compagnies, aussi bien que les sommes considérables absorbées par la réclame et dont on ne tient jamais compte, ne sont évidemment pas pris du produit réuni de la communauté à cause des services rendus par le capital, ce n’est pas de l’intérêt. Si nous nous en tenons à la terminologie des économistes qui décomposent les profits en intérêt, assurance et salaires de surveillance, nous rangerons ces profits sous le nom de salaires de surveillance.

Mais les salaires de la surveillance impliquent nécessairement les revenus dus à certaines qualités personnelles, l’adresse, le tact, l’esprit d’entreprise ou d’organisation, les facultés inventives, le caractère, etc., tandis que dans les profits dont nous parlons, entre un autre élément composant, qui ne peut qu’arbitrairement être placé à côté des éléments ci-dessus cités, l’élément du monopole.

Quand Jacques Ier accorda à son mignon le privilège exclusif de fabriquer du fil d’or et d’argent, et défendit, sous des peines sévères, à quiconque d’autre de faire du fil semblable, le revenu. que tira de ce fait Buckingham n’était pas l’intérêt du capital employé dans la fabrication, ni l’intérêt de l’adresse, etc., de ceux qui conduisaient réellement l’opération, mais de ce que lui avait donné le roi, c’est-à-dire d’un privilège exclusif, ou plutôt du pouvoir de lever pour lui-même un impôt sur tous ceux qui usent de ce fil. C’est d’une source du même genre que viennent une grande partie des profits qu’on confond généralement avec l’intérêt du capital. C’est encore de cette source que viennent les revenus produits par les brevets accordés pour un temps donné, pour encourager l’invention, ainsi que les revenus tirés des monopoles créés par les tarifs protecteurs dans le but prétendu d’encourager l’industrie d’un pays. Il y a une forme plus générale et plus dissimulée de monopole. Dans la réunion des grandes masses de capitaux sous une surveillance commune, se développe une puissance nouvelle et essentiellement différente de cette puissance d’accroissement qui est le trait caractéristique du capital et qui donne naissance à l’intérêt. Pendant que cette dernière force est en quelque sorte une force constructive, la puissance qui naît de la réunion des capitaux est destructive. C’est une puissance du même genre que celle que Jacques ac cordait à Buckingham, et elle est souvent exercée avec autant d’insouciance, avec aussi peu d’égards non seulement pour les droits industriels, mais encore pour les droits personnels des individus. Une compagnie de chemins de fer approche d’une petite ville comme un voleur de grand chemin approche de sa victime. La menace « Si vous n’acceptez pas nos conditions, nous laisserons votre ville à deux ou trois milles de distance » est aussi efficace que « Arrêtez, la bourse » prononcé en levant un pistolet. Car la menace de la compagnie, si elle se réalisait, non seule ment priverait la petite ville des bénéfices que pourrait lui donner le chemin de fer, mais encore la mettrait dans une bien plus mauvaise position que si le chemin de fer n’était pas construit. Là où il y a des communications par eau, on crée un bateau rival, les tarifs sont baissés jusqu’à ce que le bateau primitif soit forcé de cesser son service ; c’est alors que le public est forcé de payer ce qu’a coûté l’opération, comme les Rohillas furent forcés de payer les quarante lacs avec lesquels Sujah Dowlah loua à Warren Hastings des soldats anglais pour l’aider à désoler le pays et à décimer le peuple. Et de même que les voleurs s’unissent pour piller de concert et partager le butin, de même les différentes lignes de chemins de fer s’unissent pour élever les tarifs et égaliser leurs gains ; de même le chemin de fer du Pacifique forme avec la Compagnie de navigation de l’Océan Pacifique une combinaison qui équivaut à l’établissement de barrières d’octroi sur terre et sur mer. Et de même que les créatures de Buckingham, sous prétexte de faire respecter la patente royale, opéraient des recherches dans les maisons privées et saisissaient les papiers et les personnes par convoitise, pour extorquerde l’argent, de même une grande compagnie télégraphique qui, grâce à la puissance du capital associé, prive le peuple des États-Unis des avantages complets d’une invention bienfaisante, accapare la correspondance et ruine les journaux qui l’incommodent.

Il n’est pas nécessaire d’appuyer sur ces choses, il suffit d’y faire allusion. Chacun connaît la tyrannie et la rapacité qui font que les capitaux réunis corrompent, volent et détruisent. Je veux seulement attirer l’attention des lecteurs sur ceci : les profits ainsi obtenus ne doivent pas être confondus avec les revenus légitimes du capital considéré comme agent de production. Ils doivent être attribués, pour la plus grande part, à la mauvaise organisation des forces du département législatif du gouvernement, à l’aveugle adhérence qu’on donne à d’anciennes et barbares coutumes, au respect superstitieux des hommes pour la compétence technique d’une fraction minime de l’administration des lois ; alors que la cause générale qui, dans les communautés en progrès, tend, avec la concentration de la richesse, à la concentration du pouvoir, est la solution du grand problème que nous cherchons à résoudre sans avoir encore pu le faire.

Toute analyse prouvera que bien des profits qui, dans la pensée du plus grand nombre, sont confondus avec l’intérêt, vienent en réalité, non de la puissance du capital, mais de la puissance des capitaux concentrés, ou des capitaux concentrés agissant sur une mauvaise organisation sociale. Elle montrera aussi que les profits qui sont nettement et réellement les salaires de la surveillance, sont très fréquemment confondus avec les gains du capital.

De même on confond souvent avec l’intérêt les profits qu’amènent les risques à courir. Quelques personnes acquièrent des richesses en courant des chances qui, pour la majorité des gens, amèneraient des pertes. Quelques formes de spéculation sont de ce genre, surtout les jeux de bourse. La décision, le jugement, le savoir faire, la possession d’un capital, sont, dans les formes inférieures du jeu, pour l’escroc ou l’agioteur, des avantages individuels ; mais il ne faut pas oublier qu’à la table de jeu, ce que l’un gagne, l’autre doit le perdre. Et en examinant les grandes fortunes qu’on cite souvent comme des exemples de pouvoir d’accumulation du capital, — les ducs de Westminster, les marquis de Bute, les Rothschild, Astor, Stewart, Vanderbilt, Gould, Stanford, et Flood, — on voit de suite qu’elles ont été édifiées en plus ou moins grande partie, non sur l’intérêt, mais sur les genres de spéculation que nous venons de passer en revue.

Il était nécessaire d’appeler l’attention sur ces distinctions ; les discussions courantes qui, suivant le point de départ, font les choses blanches ou noires, le prouvent bien. D’un côté on nous engage à voir dans l’existence de la pauvreté profonde à côté des grandes accumulations de richesses, l’hostilité du capital contre le travail ; de l’autre on nous dit que le capital aide le travail, et on nous demande d’en conclure qu’il n’y a rien d’injuste, rien que de naturel dans le golfe si large qui sépare le riche du pauvre ; que la richesse n’est que la récompense du travail, de l’intelligence, de l’économie ; et que la pauvreté n’est que la punition de la paresse, de l’ignorance et de l’imprudence.


CHAPITRE V.

LA LOI DE L’INTÉRÊT.

Revenons maintenant à la loi de l’intérêt, en conservant bien présentes à l’esprit les deux choses sur lesquelles l’attention a été appelée.

Premièrement. – Ce n’est pas le capital qui emploie le travail, c’est le travail qui emploie le capital.

Deuxièmement. — Le capital n’est pas une quantité fixe ; il peut toujours augmenter ou diminuer 1° par la plus ou moins grande application du travail à la production du capital, 2° par la conversion de la richesse en capital ou du capital en richesse, car le capital n’étant que la richesse appliquée d’une certaine façon, richesse est le terme le plus large et le plus compréhensif.

Il est évident que dans des conditions de liberté, le maximum qu’on peut donner pour l’emploi du capital sera l’accroissement qu’il amènera, et le minimum ou zéro le remplacement du capital employé ; car au-dessus de l’un l’emprunt du capital impliquerait une perte, et au-dessous de l’autre le capital ne serait pas remplacé.

Remarquons encore que ce n’est pas, comme le disent à la légère quelques écrivains, l’accroissement d’efficacité donné au travail par l’adaptation du capital à une forme ou à un usage spécial quelconque, qui fixe ce maximum, mais la puissance moyenne d’accroissement qui appartient au capital en général. La faculté de s’appliquer sous des formes avantageuses est une faculté du travail, que le capital en tant que capital ne peut ni réclamer ni partager. Un arc et des flèches permettront à un Indien de tuer, disons un buffle tous les jours, alors qu’avec un bâton et des pierres il n’en tuerait pas un par semaine ; mais le fabricant d’armes de la tribu ne pourra pas réclamer au chasseur six des sept buffles tués, comme rétribution de l’usage de l’arc et des flèches ; le capital placé dans une fabrique de laine ne rapportera pas non plus au capitaliste la différence entre le produit de la fabrique, et ce que la même somme de travail aurait produit avec le rouet et le métier à bras. Guillaume, en empruntant un rabot à Jacques, n’obtient pas par cela l’avantage de l’augmentation d’efficacité du travail quand il se sert d’un rabot pour polir des planches, au lieu de se servir d’une coquille ou d’un caillou. Le progrès de la science a rendu l’avantage renfermé dans l’emploi du rabot, une propriété et une puissance commune du travail. Ce qu’il reçoit de Jacques, c’est seulement l’avantage que l’élément d’une année de temps donnerait à la possession du capital représenté par le rabot.

Si les forces vitales de la nature, qui font de l’élément du temps un avantage, sont la cause de l’intérêt, il semblerait s’ensuivre que le taux maximum de l’intérêt devrait être dé terminé par l’intensité de ces forces et la part qu’elles prennent à la production. Mais, alors que la force reproductive de la nature semble varier considérablement, — par exemple entre le saumon qui pond des milliers d’œufs et la baleine qui n’élève qu’un petit à plusieurs années d’intervalle ; entre le lapin et l’éléphant, — la manière dont est conservé l’équilibre naturel montre qu’il y a une équation entre les forces reproductives et les forces destructives de la nature et que le principe d’accroissement devient par là uniforme. L’homme a, dans des limites étroites, le pouvoir de troubler cet équilibre, et, en modifiant les conditions naturelles, il peut se servir à volonté de l’intensité différente de la force reproductive de la nature. Mais quand il le fait, un autre principe se fait jour dans le vaste champ de ses désirs, principe qui amène, dans l’accroissement de la richesse, une équation semblable, un équilibre pareil à celui qui s’établit dans la nature entre les différentes formes de la vie. L’équation se montre dans les valeurs. Si dans un pays convenable pour cela j’élève des lapins, et vous des chevaux, mes lapins peuvent, jusqu’au moment où la limite naturelle est atteinte, augmenter plus rapidement que vos chevaux. Mais mon capital n’augmentera pas plus vite, car l’effet des différents taux d’accroissement sera d’amoindrir la valeur des lapins comparée à celle des chevaux, et d’augmenter la valeur des chevaux comparée à celle des lapins.

Bien que l’intensité différente des forces vitales de la nature se fonde ainsi dans l’uniformité, il peut y avoir dans les différents degrés du développement social une différence de proportion dans le concours que ces forces vitales prêtent à la production générale de la richesse. Il y a à ce propos, deux choses à remarquer. D’abord, bien que dans les pays comme l’Angleterre la part prise par les manufactures dans la production générale de la richesse se soit beaucoup accrue en comparaison de la part prise par l’agriculture, il faut cependant remarquer que, jusqu’à un certain point, ceci n’est vrai que de la division politique et géographique et non de la communauté industrielle. Car les communautés industrielles ne sont pas limitées par les divisions politiques ou par les mers ou les montagnes. Elles ne sont limitées que par l’étendue de leurs échanges, et le rôle que jouent, dans l’économie industrielle de l’Angleterre, l’agriculture et l’élevage par rapport à l’industrie, ne peut être déterminé qu’en faisant une moyenne comprenant Iowa et l’Illinois, le Texas et la Californie, le Canada et l’Inde, le Queensland et la Baltique, en un mot tous les pays avec lesquels le commerce anglais, si considérable, fait des échanges. Ensuite, il faut remarquer que, bien qu’avec le progrès de la civilisation les manufactures tendent à s’accroître, comparativement à l’agriculture, et par conséquent que la confiance en les forces reproductives de la nature soit comparativement moins grande, cependant cette tendance est accompagnée d’une extension correspondante de l’échange, ce qui fait plus fortement appel à la puissance d’accroissement ainsi produite. Ainsi ces tendances se balancent complètement l’une l’autre, pouvons-nous dire d’après ce que nous connaissons, et maintiennent l’équilibre qui fixe l’accroissement moyen du capital, ou le taux normal de l’intérêt.

Ce taux normal de l’intérêt, qui doit être aussi éloigné du maximum nécessaire que du minimum nécessaire du revenu du capital, doit être tel que, tout étant considéré (le sentiment de la sécurité, par exemple, le désir de l’accumulation, etc.) que la récompense du capital et la récompense du travail soient égales, c’est-à-dire soient un résultat également attrayant pour l’effort ou le sacrifice fait. Il est peut — être impossible de formuler ce taux normal, parce que les salaires sont habituellement estimés par une quantité et l’intérêt par un rapport ; mais si nous supposons qu’une quantité donnée de richesse est le produit d’une somme donnée de travail, coopérant pour un temps déterminé avec une certaine somme de capital, la proportion suivant laquelle serait divisé le produit entre le travail et le capital, nous offrirait un point de comparaison. Il doit exister un point que le taux de l’intérêt doit tendre à atteindre ; puisque, à moins que l’équilibre ne soit établi, le travail n’accepterait pas l’emploi du capital, ou le capital ne serait pas mis à la disposition du travail. Car le travail et le capital ne sont que deux formes d’une même chose, l’activité humaine. Le capital est produit par le travail ; c’est en réalité le travail imprimé sur la matière ; c’est le travail enmagasiné, pour qu’on le trouve quand il en est besoin, comme la chaleur du soleil est enmagasinée dans le charbon dont on se sert pour allumer un fourneau. L’emploi du capital dans la production n’est donc qu’un mode de travail. Comme on ne peut employer le capital qu’en le dépensant, son emploi est une dé pense de travail ; et pour la conservation du capital, sa production doit être proportionnée à sa consommation faite pour aider le travail. Donc le principe qui, les circonstances permettant la libre compétition, règle l’égalisation des salaires et des profits, — le principe d’après lequel les hommes cherchent à satisfaire leurs désirs avec le moins d’effort possible, — opère de façon à établir et à maintenir cet équilibre entre les salaires et l’intérêt.

Cette relation naturelle entre les salaires et l’intérêt, cet équilibre d’après lequel chacun représente un revenu égal pour un effort égal, peut être exposée de façon à suggérer l’idée d’un rapport d’opposition ; mais cette opposition n’est qu’apparente. Dans une association entre Frédéric et Henri, si l’on dit que Frédéric reçoit tant sur les profits, cela veut tout de suite dire que la part de Henri est plus ou moins forte que celle de Frédéric ; mais si, comme dans ce cas, chacun reçoit seulement ce qu’il ajoute au fonds commun, l’augmentation de la part de l’un ne diminuera pas ce que reçoit l’autre.

Une fois cette relation fixée, il est évident que l’intérêt et les salaires doivent s’élever et tomber en même temps, et que l’intérêt ne peut s’accroître sans que les salaires augmentent ; ni les salaires baisser sans que l’intérêt baisse. Car si les salaires baissent, l’intérêt doit baisser proportionnellement ; autrement il deviendrait plus profitable de transformer le travail en capital que de l’appliquer directement ; tandis que si l’intérêt baisse, les salaires doivent baisser proportionnelle ment, ou autrement l’accroissement du capital se trouverait enrayé.

Nous ne parlons naturellement pas des salaires ou de l’intérêt particuliers, mais du taux général du salaire et de l’intérêt (en voulant toujours dire par intérêt le revenu que peut assurer le capital, moins l’assurance et les salaires de la surveillance). Dans un cas particulier, dans un mode spécial d’emploi, la tendance des salaires, ou de l’intérêt, à l’équilibre peut être contrariée ; mais entre le taux général des salaires, et le taux général de l’intérêt, nous devons trouver facilement cette tendance agissant. Car, bien que dans une branche particulière de production la ligne puisse être nettement tracée entre ceux qui fournissent le travail et ceux qui fournissent le capital, ce pendant, même dans les communautés où la classe des travail leurs est très nettement séparée de la classe des capitalistes, ces deux classes se fondent l’une avec l’autre en passant par des degrés imperceptiblement différents, et aux points extrêmes, quand une même personne appartient aux deux classes, l’action et la réaction qui produisent l’équilibre, ou empêchent qu’il ne soit troublé, peuvent se manifester sans obstacle, quelles que soient les difficultés qui existent quand la séparation est absolue. De plus, on doit se rappeler, comme cela a déjà été dit, que le capital n’est qu’une portion de la richesse, distincte de la richesse en général par le but seul de son emploi, et que par conséquent la richesse en général a sur les relations du capital et du travail le même effet égalisant, qu’un volant sur le mouvement d’une machine, reprenant le capital quand il est en excès, le rendant lorsqu’il fait défaut ; de même un joaillier donne à sa femme des diamants à porter quand il en a surabondamment dans son fonds, et les remet dans ses vitrines lorsque son fonds a diminué. Donc, toute tendance de la part de l’intérêt à s’élever au — dessus de l’équilibre formé avec les salaires, doit immédiatement rencontrer, non seulement une tendance à diriger le travail vers la production du capital, mais encore une application de la richesse aux emplois du capital ; de même toute tendance des salaires à s’élever au dessus de l’équilibre formé avec l’intérêt doit rencontrer, non seulement une tendance à détourner le travail de la production du capital, mais aussi à amoindrir la proportion de capital, en détournant d’un usage productif vers un usage improductif quelques-uns des articles de richesse dont est composé le capital.

Récapitulons : il y a une certaine relation ou rapport entre les salaires et l’intérêt, rapport fixé par des causes qui, si elles ne sont pas absolument permanentes, changent lentement ; ces causes font qu’il y a assez de travail changé en capital pour fournir le capital demandé par la production, vu le degré de connaissance, l’état des arts, la densité de la population, le caractère des occupations, la variété, l’extension et la rapidité des échanges ; et cette relation ou ce rapport, l’action réciproque du travail et du capital le maintiennent constamment ; donc l’intérêt doit hausser et baisser avec la hausse et la baisse des salaires.

Par exemple : le prix de la farine est déterminé par le prix du blé et le coût de la mouture. Le coût de la mouture varie lentement et de très peu, la différence, même à de longs intervalles, est à peine perceptible ; tandis que le prix du blé varie fréquemment et de beaucoup. Donc nous pouvons correctement dire que le prix de la farine varie suivant le prix du blé. Ou, pour mettre la proposition sous la même forme que la précédente : il y a une certaine relation, un certain rapport entre la valeur du blé et la valeur de la farine, fixé par le coût de la mouture ; rapport que l’action et la réaction de la demande de farine et l’offre de blé, entretient constamment ; donc le prix de la farine doit s’élever et baisser avec la hausse et la baisse du prix du blé.

Ou, déterminant par l’induction le rapport et le prix du blé, si nous disons que le prix de la farine dépend du caractère des saisons, de la guerre, etc., nous pouvons mettre la loi de l’intérêt sous une forme qui l’unit directement à la loi de la rente, et dire que le taux général de l’intérêt sera déterminé par le revenu du capital dans la terre la plus pauvre où soit librement appliqué le capital, c’est-à-dire dans la meilleure terre qui lui soit ouverte sans paiement de rente. C’est ainsi que nous donnons à la loi de l’intérêt une forme qui montre qu’elle est le corollaire de la loi de la rente.

Nous pouvons encore prouver ceci d’une autre manière : car nous pouvons clairement voir que l’intérêt doit décroître quand la rente augmente, si nous éliminons les salaires. Pour cela, il nous faut naturellement imaginer un univers organisé sur des principes entièrement différents. Néanmoins nous pouvons imaginer ce que Carlyle aurait appelé le paradis d’un fou, où la production de la richesse aurait lieu sans l’aide du travail, et seulement par la force reproductive du capital, où les moutons porteraient des vêtements tout faits sur leur dos, où les vaches présenteraient du beurre et du fromage, et où les bœufs arrivés au point voulu d’engraissement, se découperaient eux mêmes en beefsteaks et en côtelettes ; où les maisons pousseraient toutes seules, et où un couteau jeté en terre prendrait racine, et au moment voulu porterait un assortiment de couteaux. Imaginons certains capitalistes, transportés dans un monde semblable, avec leurs capitaux ayant des formes appropriées aux circonstances. Il est évident qu’ils ne prendraient, comme revenu de leur capital, toute la somme de richesse produite par lui, que tant qu’on ne demanderait pas une part de ce produit comme rente. Quand naîtrait la rente, elle serait prise sur le produit du capital, et lorsqu’elle augmenterait, le revenu des possesseurs du capital diminuerait nécessairement. Si nous supposons que le lieu où le capital possède ce pouvoir de produire de la richesse sans l’aide du travail, est limité, que c’est une île par exemple, nous verrons que le capital ayant augmenté jusqu’à la limite de ce que permettent les ressources de l’île, le revenu du capital doit immédiatement baisser jusqu’à n’être presque rien en plus du minimum de simple remplace ment, et les propriétaires du sol recevoir presque tout le produit sous forme de rente, car la seule alternative pour les capitalistes, serait de jeter leurs capitaux à la mer. Ou, si nous imaginons que cette île est en communication avec le reste du monde, le revenu du capital descendra au taux du revenu dans les autres pays. L’intérêt ne serait alors ni plus fort ni plus faible qu’en aucun autre lieu. La rente obtiendrait tout l’avantage, et la terre, dans une telle île, aurait une grande valeur.

Pour résumer, voici la loi de l’intérêt :

La relation entre les salaires et l’intérêt est déterminée par la puissance moyenne d’accroissement qui est attachée au capital par son emploi dans des modes reproductifs. À mesure que la rente montera, l’intérêt, comme les salaires, devra baisser, ou sera déterminé par la limite de culture.

J’ai essayé jusqu’ici de déterminer la loi de l’intérêt, plus par égard pour la terminologie existante et les modes ordinaires de la pensée, que par nécessité pour notre enquête. En réalité les divisions primaires de la richesse dans la distribution sont au nombre de deux, et non de trois. Le capital n’est qu’une forme du travail, et sa distinction du travail n’est en réalité qu’une subdivision, semblable à la division qu’on ferait du travail en travail adroit et en maladroit. Nous avons atteint dans notre examen le même point où nous serions arrivés en traitant simplement le capital comme une forme du travail, et en cherchant la loi qui divise le produit entre la rente et les salaires, c’est-à-dire entre les possesseurs des deux facteurs — substances et forces naturelles, activité humaine — dont l’union produit la richesse.


CHAPITRE VI.

LES SALAIRES ET LA LOI DES SALAIRES.

Nous avons déjà obtenu par déduction la loi des salaires. Mais, pour vérifier notre déduction et débarrasser le sujet de toute ambiguïté, cherchons maintenant la loi en prenant un nouveau point de départ.

Il n’y a naturellement pas de taux commun des salaires, en ce sens qu’il n’y a en aucun temps et en aucun lieu un taux commun de l’intérêt. Les salaires, toutes les rétributions données au travail étant comprises dans ce terme, ne varient pas seulement suivant les différentes capacités des individus, mais, à mesure que l’organisation de la société se complique, suivant les occupations. Néanmoins, il y a une certaine relation générale entre tous les salaires, et nous exprimons une idée claire et parfaitement comprise quand nous disons que les salaires sont plus élevés ou plus bas dans un lieu qu’en un autre. Dans leurs degrés, les salaires haussent ou baissent suivant une loi commune. Quelle est cette loi ?

Le principe fondamental de l’activité humaine, la loi qui est à l’économie politique ce que la loi de gravitation est à la physique, est que l’homme cherche à satisfaire ses désirs avec le moins d’effort possible. Évidemment ce principe doit avoir pour effet, par la compétition qu’il crée, d’égaliser la récompense gagnée par des efforts semblables dans des circonstances semblables. Quand les hommes travaillent pour eux-mêmes, cette égalisation s’effectuera par l’équation des prix ; entre ceux qui travaillent pour eux — mêmes et ceux qui travaillent pour les autres, la même tendance à l’égalisation doit opérer. Eh bien, avec ce principe, dans des conditions de liberté, quels seront les termes dans lesquels un homme pourra en louer d’autres pour travailler pour lui ? Ces conditions seront évidemment fixées par ce que pourraient faire ces hommes en travaillant pour eux mêmes. Le principe qui empêchera le patron de donner plus que ce qui est nécessaire pour déterminer le changement d’occupation, l’empêchera aussi de donner moins. Si les travailleurs demandent plus, la compétition d’autres ouvriers les empêchera d’avoir du travail. Si le patron offre moins, personne n’acceptera ses conditions puisque le résultat obtenu serait meilleur si on travaillait pour soi. Donc, bien que le patron désire payer le moins possible, et que les ouvriers désirent recevoir le plus possible, les salaires seront fixés par la valeur ou le produit de tel travail pour les ouvriers eux-mêmes. Si les salaires dépassent cette ligne, ou se tiennent en dessous, c’est temporairement, la tendance à les ramener à ce niveau se manifestant immédiatement.

Mais, le résultat ou le gain du travail, comme on le voit dans ces occupations primitives et fondamentales où s’engage d’abord le travail, et qui, même dans les sociétés très développées, forment encore la base de la production, ne dépendent pas seulement de l’intensité ou de la qualité du travail lui même. La richesse est le produit de deux facteurs, la terre et le travail, et ce qu’une somme de travail rapportera variera avec les substances et forces naturelles mises en œuvre. Ceci étant, le principe d’après lequel l’homme cherche à satisfaire ses dé sirs avec le moins d’effort possible, fixera les salaires suivant le produit de ce travail appliqué au point de plus haute puissance productive ouvert au travail. De plus, en vertu de ce même principe, le point le plus haut de puissance productive naturelle ouvert au travail dans les conditions existantes, sera le point le plus bas où se fasse la production, car les hommes, forcés par une loi suprême de l’esprit humain à chercher à satisfaire leurs désirs avec le moins d’effort possible ; ne dépenseront pas leurs forces sur un point ou la production est faible, quand un point ou elle est forte, leur est ouvert. Donc, les salaires qu’un patron doit payer seront déterminés par le point le plus bas de la productivité naturelle, qu’atteigne la production, et les salaires hausseront ou baisseront suivant que ce point se déplace.

Par exemple : dans un état primitif de société, chacun travaille pour soi-même, les uns chassant, les autres pêchant ou cultivant la terre. Supposons qu’on ne fait que commencer à cultiver la terre, et que les terres sont toutes de la même qualité, donnant le même revenu pour le même travail. Les salaires donc, car bien qu’il n’y ait ni patron ni ouvrier, il y a cependant des salaires, les salaires donc seront le produit complet du travail, et en faisant la part de la différence d’agrément, de risques, etc., entre les trois genres d’occupation, ils seront égaux en moyenne, c’est-à-dire que des efforts semblables donneront des résultats semblables. Alors, si un homme veut employer quelques-uns de ses compagnons à travailler pour lui au lieu de travailler pour eux-mêmes, il devra leur payer des salaires fixés par ce produit moyen complet du travail.

Laissons s’écouler un certain temps. La culture s’est étendue, et est appliquée à des terres qui, au lieu d’être de même qulité, sont de différentes qualités. Les salaires ne seront donc plus comme auparavant, le produit moyen du travail. Ils seront le produit moyen du travail à la limite de la culture, ou au point où le revenu sera le plus bas. Car, comme les hommes cherchent à satisfaire leurs désirs avec le moins d’effort possible, le point de culture où le revenu est le plus faible, doit donner au travail une rétribution équivalente à la rétribution moyenne de la chasse et de la pêche[6]. Le travail ne produira plus des revenus égaux pour des efforts égaux, mais ceux qui travailleront sur les meilleures terres obtiendront un produit plus grand pour le même travail, que ceux qui cultivent les terres inférieures. Les salaires, cependant, seront encore égaux, car cet excès que reçoivent les cultivateurs de la terre supérieure est en réalité la rente, et, si la terre est soumise au régime de la propriété individuelle, c’est là ce qui lui donnera une valeur. Enfin, les circonstances étant ainsi changées, si un membre de cette communauté désire louer d’autres membres pour qu’ils travaillent pour lui, il n’aura à leur payer que ce que le travail rapporte au point le plus bas de culture. Si plus tard les limites du point de culture sont reculées et finissent par renfermer des terres produisant de moins en moins, les salaires doivent aussi baisser ; au contraire, si ces limites reviennent vers les terres supérieures, les salaires hausseront aussi ; car, de même qu’un corps libre tend à prendre le chemin le plus court vers le centre de la terre, de même les hommes cherchent à satisfaire leurs désirs de la manière la plus facile. Nous venons de déduire la loi des salaires d’un principe évident et universel. Les salaires dépendent des limites de la culture ; ils sont plus élevés ou plus bas suivant que le produit que le travail peut obtenir des substances et forces naturelles les plus généreuses à sa disposition, est plus ou moins considérable ; tout cela découle du principe d’après lequel les hommes cherchent à satisfaire leurs désirs avec le moins d’effort possible.

Si maintenant nous passons des états primitifs de société aux phénomènes complexes des sociétés très civilisées, nous verrons qu’ils sont également soumis à cette loi.

Dans les sociétés civilisées les salaires diffèrent beaucoup, ils ont pourtant entre eux une relation plus ou moins définie, plus ou moins évidente. Cette relation n’est pas invariable ; à une époque un philosophe célèbre gagnera par ses leçons bien des fois le salaire d’un excellent mécanicien ; dans une autre il aura à peine le salaire d’un valet ; dans une grande ville certaines occupations rapporteront des salaires relativement élevés, et dans un nouvel établissement, des salaires relativement bas ; cependant ces variations entre les salaires peuvent, dans toutes les conditions et en dépit des divergences arbitraires causées par la coutume, la loi, etc., être attribuées à certaines circonstances. Dans un de ses chapitres les plus intéressants, Adam Smith énumère ainsi les principales circonstances « qui expliquent un gain pécuniaire faible pour certains emplois, et contre-balancent un gain élevé pour d’autres : Premièrement, l’agrément et le désagrément des emplois eux-mêmes. Deuxièmement, la facilité, le bon marché, ou la difficulté et la cherté de l’apprentissage. Troisièmement, la continuité ou l’irrégularité du travail dans ces emplois. Quatrièmement, le plus ou moins de confiance qu’on peut avoir en eux. Cinquièmement, la probabilité ou l’improbabilité du succès dans ces emplois[7]. Il est inutile d’étudier en détail ces causes de différence dans les salaires entre les différents emplois. Elles ont été admirablement exposées et expliquées par Adam Smith et les économistes qui l’ont suivi ; et si ces derniers n’ont pas toujours saisi la loi principale, ils en ont du moins bien étudié les détails.

L’effet de toutes les circonstances qui donnent naissance aux différences entre les salaires de différentes occupations, peut être compris dans la formule de l’offre et de la demande, et il est parfaitement correct de dire que les salaires de différentes occupations varient relativement, suivant les différences dans l’offre et la demande de travail, voulant dire par demande l’appel que la communauté dans son ensemble fait aux services d’une espèce particulière, et par offre la somme relative de travail qui, dans les circonstances existantes, peut rendre des services particuliers. Mais, bien que ceci soit vrai des différences relatives entre les salaires, quand on dit, comme on le fait généralement, que le taux général des salaires est déterminé par l’offre et la demande, alors ces mots n’ont plus de sens. Car l’offre et la demande ne sont que des termes relatifs. L’offre de travail ne peut que signifier le travail offert en échange du travail, ou du produit du travail, et la demande de travail ne peut que vouloir dire le travail ou le produit du travail offert en échange de travail. L’offre est donc la demande, et la demande l’offre, et dans une communauté entière les deux doivent avoir une extension égale. L’économie politique courante le comprend nettement ainsi lorsqu’elle parle de la vente, et les arguments de Ricardo, de Mill et d’autres, qui prouvent que des changements dans l’offre et la demande ne peuvent pas produire une hausse ou une baisse générale des valeurs, tout en pouvant causer une hausse ou une baisse dans la valeur d’une chose particulière, sont également applicables au travail. Ce qui cache l’absurdité de cette manière de parler de l’offre et de la demande à propos du travail, c’est l’habitude de considérer la demande de travail comme venant du capital, et comme une chose distincte du travail ; mais l’analyse à laquelle cette idée a déjà été soumise prouve suffisamment qu’elle est fausse. Il est évident, d’après le simple exposé des faits, que les salaires ne peuvent jamais, d’une façon permanente,’excéder le produit du travail, et que par conséquent il n’y a pas de fonds d’où l’on puisse en aucun temps tirer les salaires, excepté le fonds que crée constamment le travail.

Mais, bien que toutes les circonstances qui produisent les différences entre les salaires des différentes occupations puissent être considérées comme opérant par l’intermédiaire de l’offre et de la demande, elles peuvent (elles, ou plutôt leurs effets, car parfois la même cause opère de différentes manières) être séparées en deux classes, selon qu’elles tendent seulement à élever des salaires apparents, où selon qu’elles tendent à élever des salaires réels, c’est-à-dire à augmenter la récompense moyenne qu’obtient une activité égale. Les gages élevés de certaines occupations ressemblent beaucoup, suivant la comparai son d’Adam Smith, aux lots d’une loterie, où le grand gain de l’un est fait des pertes de beaucoup d’autres. Ceci n’est pas seulement vrai des professions que cite le Dr Smith, c’est encore le plus souvent vrai des salaires de la surveillance, dans les opérations commerciales, ainsi que le prouve le fait que quatre vingt-dix maisons de commerce sur cent qui se fondent, font faillite. Les gages élevés de ces occupations qui dépendent de certains états du temps, ou autrement sont intermittentes et incertaines, sont encore de la même classe ; tandis que les différences qui viennent de la difficulté, du discrédit, de l’insalubrité, etc., de l’occupation, impliquent des différences de sacrifices qui reçoivent des compensations plus fortes et ne font que maintenir le niveau des rétributions égales pour des efforts égaux. Toutes ces différences ne sont en somme que des égalisations naissant de circonstances qui, suivant les paroles d’Adam Smith, « expliquent les petits gains de certaines positions, et contre-balancent les gains élevés des autres. » Mais à côté de ces différences apparentes, il y a des différences réelles de salaires qui sont causées par la plus ou moins grande rareté des qualités requises, les capacités ou l’adresse, naturelles ou acquises, recevant en général des salaires plus élevés. Ces différences de qualités naturelles ou acquises sont essentiellement analogues aux différences de force et de rapidité dans le travail manuel ; et de même que pour le travail manuel les gages élevés, payés à celui qui peut faire beaucoup, sont basés sur les gages payés à ceux qui donnent un travail moyen, de même les salaires, pour les occupations nécessitant des capacités supérieures, ou une adresse supérieure, doivent dépendre des salaires moyens payés pour des capacités et une adresse moyennes.

Il est évident, en pratique comme en théorie, que, quelles que soient les circonstances qui produisent la différence des salaires des différentes occupations, et bien que ces circonstances varient dans leurs relations, produisant entre une époque et une autre, un pays et un autre, de plus ou moins grandes différences relatives ; cependant, le taux du salaire d’une occupation dépend toujours du taux du salaire d’une autre, et ainsi de suite jus qu’aux salaires les plus élevés comme jusqu’aux plus bas, pour les occupations ou la demande est la plus uniforme, et que l’on prend le plus en toute liberté.

Car, bien que des difficultés plus ou moins grandes formant limites puissent exister, la somme de travail devant être consacrée à une entreprise particulière n’est nulle part absolument fixée. Tout artisan pourrait devenir laboureur, et bien des laboureurs deviendraient facilement des artisans ; tout entrepositaire pourrait devenir marchand, et beaucoup de marchands deviendraient facilement entrepositaires ; bien des fermiers, s’ils avaient quelque raison de le faire, deviendraient chasseurs ou mineurs, pêcheurs ou marins, et bien des chasseurs, mineurs, pêcheurs et marins connaissent assez la culture pour y mettre les mains si cela est nécessaire. Dans chaque genre d’occupation il y a des hommes qui cultivent en même temps un autre genre, qui alternent entre deux occupations, pendant que les jeunes gens qui viennent sans cesse remplir les rangs des travailleurs prennent la direction la plus engageante, celle où ils espèrent rencontrer des résistances moindres. De plus, toutes les gradations dans les salaires se fondent l’une avec l’autre par des degrés imperceptibles, au lieu d’être nettement séparées par des intervalles définis. Les salaires des artisans, même des moins payés, sont en général plus élevés que ceux des simples laboureurs ; mais il y a toujours quelques artisans qui, dans l’en semble, ne font pas autant que quelques laboureurs ; le mieux payé des avocats reçoit plus que le mieux payé des clercs ; mais le mieux payé des clercs fait plus que quelques avocats, et, de fait, le plus mal payé des clercs fait plus que le plus mal payé des avocats. Ainsi, sur la lisière de chaque occupation, se tiennent ceux dont les motifs de s’occuper d’une façon ou d’une autre se balancent si bien, que le plus petit changement suffit pour les déterminer à travailler dans une direction ou dans une autre. Donc toute augmentation ou toute diminution dans la demande d’un travail d’un certain genre ne peut, à moins que ce ne soit temporairement, élever les salaires de ce genre de travail, ni les faire baisser au-dessous du niveau relatif des salaires des autres occupations, niveau déterminé par les circonstances déjà citées, agrément relatif, continuité du travail, etc., etc. L’expérience prouve que, même où des barrières artificielles s’opposent à cette action des salaires les uns sur les autres, où il y a par exemple des lois, des règlements de corporations, des castes, ces entraves peuvent gêner, mais non empêcher l’établissement de l’équilibre. Elles opèrent comme les digues qui élèvent l’eau d’un fleuve au-dessus de son niveau, mais ne peuvent l’empêcher de déborder.

Ainsi, bien que les relations entre les salaires puissent changer de temps en temps, comme changent les circonstances qui déterminent les niveaux relatifs, il est pourtant évident que les salaires à tous les degrés doivent en dernier lieu dépendre des salaires les plus bas et les plus élevés, le taux général des salaires s’élevant ou baissant, suivant que ceux-ci haussent ou baissent.

Les occupations primitives et fondamentales sur lesquelles ainsi dire fondées toutes les autres, sont évidemment celles qui tirent directement la richesse de la nature ; donc, la loi des salaires de ces occupations doit être la loi générale des salaires. Et comme dans ces occupations les salaires dépendent évidemment de ce que le travail peut produire sur le point le plus bas de production où il s’applique ordinairement, donc les salaires dépendent généralement des limites de la culture, ou, pour parler plus correctement, du point le plus haut de productivité naturelle auquel le travail est libre de s’appliquer lui-même sans être obligé de payer une rente.

Cette loi est si évidente qu’on l’exprime parfois sans l’admettre. On dit souvent que dans des pays comme la Californie ou le Nevada le travail bon marché aiderait beaucoup au développe ment du pays, parce qu’il permettrait d’exploiter les dépôts plus pauvres, mais plus étendus, de minerai. Ceux qui s’expriment ainsi perçoivent une relation entre les salaires bas et un point inférieur de production, mais ils intervertissent la cause et l’effet.

Ce n’est pas parce que les salaires baisseraient qu’on exploiterait les dépôts moins riches ; c’est l’extension de la production aux dépôts inférieurs qui abaissera les salaires. Si l’on pouvait arbitrairement abaisser les salaires, comme cela a été fait par fois par des lois, on n’exploiterait pas les mines pauvres tant qu’il y en aurait de riches. Mais si l’on abaissait arbitrairement la limite de production, si les mines les plus riches étaient entre les mains d’individus aimant mieux attendre un accroissement futur de valeur que de les faire exploiter immédiatement, alors les salaires baisseraient nécessairement.

La démonstration est complète. Nous avons obtenu la loi des salaires comme corollaire de la loi de la rente et s’harmonisant parfaitement avec la loi de l’intérêt. La voici :

Les salaires dépendent de la limite de production, ou du produit que peut obtenir le travail au point le plus élevé de productivité naturelle qui lui est ouvert sans qu’il ait une rente à payer.

Cette loi des salaires s’accorde avec les faits universels et les explique ; sans elle ils semblent incohérents et contradictoires.

Elle montre que :

Là où la terre est libre et le travail non aidé par le capital, le produit entier va au travail comme salaire.

Là où la terre est libre et le travail aidé par le capital, le sa laire sera formé du produit entier moins la part nécessaire pour engager l’accumulation du travail comme capital.

Là où la terre devient propriété et où naît la rente, les salaires seront fixés parce que le travail pourra réaliser sur les terres les meilleures qui lui seront laissées sans rente à payer.

Là où les forces et substances naturelles sont toutes propriétés de quelqu’un, les salaires seront forcés par la compétition entre les ouvriers, d’atteindre le minimum avec lequel les ouvriers consentiront à vivre.

Ce minimum nécessaire des salaires (ce que Smith et Ricardo appellent les « salaires naturels, » et qui, suivant Mill règle les salaires, qui seront plus élevés ou plus bas, suivant que la classe ouvrière consent à se reproduire dans un état plus ou moins grand d’aisance) est cependant compris dans la loi des salaires précédemment exposée, puisqu’il est évident que la limite de la production ne peut pas tomber plus bas que ce point où il sera laissé, sous forme de salaires, juste assez pour assurer l’entretien du travail.

La loi des salaires, comme la loi de la rente de Ricardo dont elle est corollaire, porte en elle-même sa propre preuve, et de vient évidente par le seul fait de son exposition. Car elle n’est qu’une application de la vérité centrale qui est le fondement de tout raisonnement économique : l’homme cherche à satisfaire ses désirs avec le moins d’effort possible. En général un homme ne travaillera pas pour un autre lui donnant moins, tout bien considéré, qu’il ne gagnerait en travaillant pour lui-même ; il ne travaillera pas plus pour lui-même s’il peut gagner plus en travaillant pour un autre ; par conséquent la rétribution que le travail peut tirer des substances naturelles qui lui sont ouvertes, doit fixer les salaires que reçoit partout le travail. C’est-à-dire que la ligne de la rente est la mesure nécessaire de la ligne des salaires. En fait, l’admission de la loi de la rente dépend de l’acceptation préalable (acceptation qui dans bien des cas semble inconsciente) de cette loi des salaires. Ce qui rend évident que la terre d’une certaine qualité rapportera sous forme de rente l’excès de son produit sur le produit de la terre la moins productive en usage, c’est l’intelligence de ce fait que le propriétaire d’une terre de qualité supérieure peut se procurer le travail nécessaire pour exploiter sa terre en payant ce que ce travail pourrait produire s’il était appliqué à la terre la plus pauvre.

Dans ses manifestations les plus simples, cette loi des salaires est reconnue par des gens qui ne s’occupent guère d’économie politique, de même que le fait qu’un corps pesant doit tomber sur la terre est depuis longtemps reconnu par des gens qui n’ont jamais pensé à la loi de la gravitation. Il n’est nulle ment besoin d’être philosophe pour voir que si dans tous les pays les capacités naturelles étaient accessibles à tous, et si les ouvriers pouvaient en travaillant pour eux-mêmes gagner des salaires plus élevés que les salaires les plus bas qu’on leur donne maintenant, le taux général des salaires monterait ; le plus ignorant, le plus stupide des mineurs de la Californie primitive savait bien que du moment que les placers seraient monopolisés, les salaires devraient baisser. Il n’est pas besoin d’une théorie savante pour expliquer pourquoi les salaires sont si élevés relativement à la production dans les pays nouveaux où la terre n’est pas encore monopolisée. La cause est à la surface. Un homme ne voudra pas travailler pour un autre pour moins que ne lui rapporte réellement son travail, alors qu’il peut s’enfoncer un peu plus dans les terres et prendre une ferme pour lui-même. C’est seulement lorsque la terre est monopolisée, et que les forces et substances naturelles sont fermées au travail, que les ouvriers sont obligés de se faire concurrence pour obtenir du travail, et que le fermier peut louer des bras pour faire son ouvrage, pendant qu’il vit lui-même sur la différence entre ce que produit leur travail et ce qu’il leur paie pour ce travail.

Adam Smith lui-même entrevit la cause des salaires élevés dans les pays où la terre est aux nouveaux occupants ; mais il n’apprécia pas l’importance du fait ni sa liaison avec d’autres. En traitant des causes de la prospérité dans les nouvelles colonies (chap. vii, livre IV, Richesse des Nations) il dit :

« Chaque colon obtient plus de terre qu’il ne peut en cultiver. Il n’a pas de rente, presque pas d’impôts à payer…… Il est donc pressé de réunir des ouvriers et les paie généreusement. Mais ces gages généreux, joints à l’abondance et au bon marché de la terre, font que ces ouvriers le quittent pour devenir propriétaires de terres eux-mêmes, et pour récompenser avec la même libéralité d’autres ouvriers qui les quitteront bientôt comme ils ont eux-mêmes quitté leurs premiers maîtres. »

Ce chapitre contient plusieurs passages qui, comme le commencement du chapitre sur les salaires du travail, prouvent qu’Adam Smith n’a été empêché d’apprécier les vraies lois de la distribution de la richesse que parce qu’au lieu de chercher ses premiers principes dans les sociétés primitives, il les prit dans les manifestations sociales complexes, où il était aveuglé par une théorie pré-acceptée des fonctions du capital, et à ce qu’il me semble, par une vague acceptation de la doctrine que Malthus formula deux ans après sa mort. Et il est impossible de lire les ouvrages des économistes qui depuis Smith ont essayé d’édifier et d’éclaircir la science de l’économie politique, sans voir combien de fois ils ont rencontré par hasard la loi des salaires, sans la formuler nettement une seule fois. Cependant « si c’était un chien il les aurait mordu ! » En réalité il est difficile de ne pas croire que quelques-uns ont nettement vu cette loi ; mais, redoutant les conclusions pratiques auxquelles elle les aurait conduits, ils ont préféré l’ignorer, la voiler, plutôt que de s’en servir comme de la clef des problèmes qui les embarrassaient. Une grande vérité à dire à un siècle qui l’a rejetée et foulée aux pieds, n’est pas une parole de paix, mais une parole de guerre.

Il serait peut-être bon, avant de terminer ce chapitre, de rappeler au lecteur, ce que j’ai déjà dit, que j’emploie le mot salaire comme représentant non une quantité, mais une proportion. Quand je dis que les salaires baissent quand la rente monte, je ne veux pas dire que la quantité de richesse obtenue par les travailleurs sous forme de salaires est nécessairement moindre, mais que la proportion qu’elle représente par rapport à l’ensemble du produit est nécessairement moindre. La proportion peut diminuer alors que la quantité reste la même ou s’accroît. Si la limite de la culture descend d’un point productif que nous appellerons 25, à un point productif que nous appellerons 20, la rente de toutes les terres qui auparavant payaient une rente, augmentera de cette différence, et la proportion du produit entier qui allait comme salaire aux travailleurs, diminuera d’autant ; mais si dans l’intervalle, les progrès de l’industrie, ou les économies que rend possible l’accroissement de population, ont tellement augmenté la force productive du travail que, au point 20, le même travail produit autant de richesse qu’autrefois au point 25, alors les ouvriers recevront comme salaires une quantité aussi grande qu’autrefois, et la baisse relative des salaires ne se fera sentir par aucune diminution des nécessités ou de l’aisance de la vie de l’ouvrier, mais se fera seulement sentir par un accroissement de la valeur de la terre, par les revenus plus grands et les dépenses plus fortes de la classe touchant les rentes.


CHAPITRE VII.

CORRÉLATION ET COORDINATION DE CES LOIS.

Les conclusions où nous a conduits notre examen des lois qui gouvernent la distribution de la richesse, changent une grande et très importante partie de la science de l’économie politique, telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, renversant quelques-unes de ses théories les mieux élaborées, jetant une nouvelle lumière sur quelques-uns de ses plus graves problèmes. Et cependant, nous n’avons occupé dans notre marche aucun terrain disputé ; nous n’avons pas avancé un seul principe fondamental qui ne fût déjà reconnu.

La loi de l’intérêt et la loi des salaires, que nous avons substituées à celles enseignées ordinairement, sont les déductions nécessaires de la grande loi qui seule rend possible l’existence d’une science de l’économie politique, de la loi toute puissante, inséparable de l’esprit humain, comme l’attraction est inséparable de la matière, et sans laquelle il serait impossible de prévoir une seule action humaine, de fonder des calculs dessus, cet acte fût-il très ordinaire ou de la plus haute importance. Cette loi fondamentale, — les hommes cherchent à satisfaire leurs désirs avec le moins d’effort possible – devient, lors qu’on l’envisage dans sa relation avec un des facteurs de production, la loi de la rente ; en relation avec un autre facteur, la loi de l’intérêt ; en relation avec un troisième, la loi des salaires. Et en acceptant la loi de la rente, qu’ont acceptée de puis Ricardo tous les économistes de marque, et qui, comme un axiome de géométrie, n’a besoin que d’être comprise pour être reconnue vraie, on accepte inférentiellement, comme séquences nécessaires, la loi de l’intérêt et la loi des salaires, telles que je les ai exposées. En fait, ce n’est que relativement qu’on peut les appeler des séquences, parce qu’en admettant la loi de la rente on doit aussi les admettre. Car de quoi dépend l’admission de la loi de la rente ? Évidemment de la constatation de ce fait, que l’effet de la compétition est d’empêcher le revenu du travail et du capital d’être nulle part plus grand que sur la terre la plus pauvre exploitée. C’est en voyant cela que nous constatons que le propriétaire de la terre pourra réclamer comme rente toute la partie du produit excédant ce que rapporterait une même somme de travail et de capital appliquée à la terre la plus pauvre en usage.

L’harmonie et la corrélation des lois de la distribution, telles que nous les concevons maintenant, forment un contraste frappant avec le défaut d’harmonie qui caractérise ces lois telles, que les représente l’économie politique courante. Exposons-les, les unes à côté des autres :

énoncé courant énoncé vrai

La Rente dépend de la limite de la culture, montant quand elle baisse, baisant quand elle monte.

Les Salaires dépendent du rapport entre le nombre des travailleurs et la somme de capital consacré à les employer.

L’intérêt dépend de l’équation entre l’offre et la demande de capital ; ou, comme cela est dit des profits des salaires (ou du coût du travail) montant quand les salaires baissent, et baissant quand les salaires montent.


La Rente dépend de la limite de culture, montant quand elle baisse, baissant quand elle monte.

Les Salaires dépendent de la limite de la culture, baissant quand elle baisse, montant quand elle monte.

L’Intérêt (son rapport avec les salaires étant fixé par la puissance nette d’accroissement attachée au capital) dépend de la limite de culture, baissant quand elle baisse, montant quand elle monte.


Dans l’exposé courant, les lois de la distribution n’ont pas de centre commun, pas de relation mutuelle ; elles ne sont pas les divisions corrélatives d’un tout, mais les mesures de différentes qualités. Dans l’exposé que nous donnons, elles naissent d’un point unique, se soutiennent et se complètent l’une l’autre, et forment les divisions corrélatives d’un tout complet.

CHAPITRE VIII.

LES DONNÉES DU PROBLÈME AINSI EXPLIQUÉES.

Nous avons obtenu une théorie claire, simple, conséquente, de la distribution de la richesse ; cette théorie est d’accord avec les premiers principes et les faits existants, et une fois comprise, est évidente en elle-même.

Avant d’exposer cette théorie, j’ai jugé nécessaire de prouver l’insuffisance des théories courantes ; car, en pensée comme en action, la majorité des hommes ne fait que suivre ses chefs, et une théorie des salaires, qui, non seulement est appuyée sur l’assentiment d’économistes célèbres, mais encore est fermement enracinée dans les opinions et les préjugés généraux, empêchera toujours, à moins qu’on prouve qu’elle est insoutenable, de seulement examiner une autre théorie ; de même, la théorie qui faisait de la terre le centre de l’univers, empêcha d’admettre la théorie qui faisait tourner la terre sur son axe, et autour du soleil, jusqu’au moment où il fut clairement prouvé que les mouvements apparents des corps célestes ne pouvaient être expliqués si l’on conservait la théorie de la fixité de la terre.

Il y a en réalité une grande ressemblance entre la science de l’économie politique, telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, et la science de l’astronomie, telle qu’on l’enseignait avant l’adoption de la théorie de Copernic. Les moyens artificiels par lesquels l’économie politique courante essaie d’expliquer les phénomènes sociaux qui forcent aujourd’hui l’attention du monde civilisé, peuvent très bien être comparés au système compliqué de cycles et d’épicycles inventé par les savants pour expliquer les phénomènes célestes suivant les dogmes imposés par l’autorité et par les impressions grossières et les préjugés des ignorants. Et de même que les observations qui prouvaient que ce système de cycles et d’épicycles n’expliquait pas tous les phénomènes célestes, préparaient la voie pour la prise en considération de la théorie plus simple qui supplanta l’ancienne, de même, en reconnaissant l’insuffisance des théories courantes à expliquer les phénomènes sociaux, on prépare la voie à la prise en considération d’une théorie qui donnera à l’économie politique toute la simplicité et toute l’harmonie que la théorie de Copernic a données à la science de l’astronomie.

Ici le parallèle cesse. Que « la terre fixe et solide » tourbillonne en réalité dans l’espace avec une inconcevable vélocité, cela devait aller contre toutes les idées des hommes dans n’importe quel état et quelle situation ; mais la vérité que je veux rendre évidente est perçue naturellement, elle a été reconnue dans l’enfance de tous les peuples, elle est seulement voilée par la complexité de l’état civilisé, les préventions des intérêts égoïstes, et la fausse direction qu’ont prise les spéculations des savants. Pour la trouver, nous n’avons qu’à revenir aux premiers principes et à observer les perceptions simples. Rien ne peut être plus clair que cette proposition : si les salaires n’ont pas augmenté avec l’accroissement de puissance productive, c’est que la rente a augmenté.

Trois choses s’unissent pour produire — le travail, le capital, la terre.

Trois parties divisent le produit — le travailleur, le capitaliste, le propriétaire foncier.

Si, avec un accroissement de production, le travailleur ne reçoit pas plus, le capitaliste non plus, il s’ensuit nécessairement que le propriétaire recueille le gain entier.

Les faits sont d’accord avec cette déduction. Quoique ni les salaires, ni l’intérêt ne s’accroissent en aucun lieu, avec le progrès matériel, cependant l’accompagnement invariable, la marque du progrès matériel, c’est l’accroissement de la rente la hausse des valeurs foncières.

L’accroissement de la rente explique pourquoi les salaires et l’intérêt n’augmentent pas. La cause qui donne un surplus au propriétaire terrien, est celle qui refuse ce surplus au travail leur et au capitaliste. Si les salaires et l’intérêt sont plus élevés dans les pays nouveaux que dans les anciens, ce n’est pas, comme le disent les économistes autorisés, parce que la nature donne une rétribution plus grande à l’application du travail et du capital, mais parce que la terre est meilleur marché, et qu’en conséquence, comme la rente prélève une plus petite part du produit, le travail et le capital peuvent garder pour leur part une plus grande portion de ce que donne la nature. Ce n’est pas le produit total, mais le produit net, celui qui reste après que la rente en a été enlevée, qui détermine ce qui peut être partagé. en salaires et intérêt. Donc, le taux des salaires et celui de l’intérêt sont partout fixés, non pas tant par la puissance productive du travail que par la valeur de la terre. Partout où la valeur de la terre est relativement basse, les salaires et l’intérêt sont relativement hauts ; partout où la valeur de la terre est relativement haute, les salaires et l’intérêt sont relativement bas.

Si la production n’a pas dépassé cet état simple où tout le travail est directement appliqué à la terre, et où tous les salaires sont payés avec le produit, on ne peut pas perdre de vue ce fait : quand le propriétaire de la terre prend une plus grande portion du produit, le travailleur doit se contenter d’une portion plus petite.

Mais la complexité de la production dans l’état civilisé où l’échange joue un si grand rôle, où tant de travail opère sur des matériaux séparés de la terre, n’altère pas ce fait, bien qu’elle puisse le dissimuler à celui qui ne réfléchit pas : toute production est faite de l’union des deux facteurs, la terre et le. travail ; et la rente (la part du propriétaire foncier) ne peut s’accroître qu’aux dépens des salaires (la part des travailleurs) et de l’intérêt (la part du capital). De même que la portion de la récolte que reçoit le propriétaire du sol comme rente à la fin de la moisson, dans les formes les plus simples d’organisation industrielle, amoindrit la quantité laissée au cultivateur comme salaire et intérêt, de même la rente de la terre sur laquelle est construite une cité manufacturière ou commerçante, amoindrit la somme qui peut être partagée en salaires et en intérêt entre le travail et le capital engagés dans la production et l’échange de la richesse.

En résumé, la valeur de la terre dépendant entièrement du pouvoir que sa propriété donne de s’approprier la richesse créée par le travail, l’accroissement de valeur de la terre se fait toujours aux dépens de la valeur du travail. Et par conséquent, si l’accroissement de la puissance productive n’augmente pas les salaires, c’est qu’il augmente la valeur de la terre. La rente absorbe tout le gain, et le paupérisme accompagne le progrès.

Il est inutile de citer des faits. Ils se présenteront d’eux-mêmes au lecteur. C’est un fait général, partout observable, que lorsque la valeur de la terre augmente, alors apparaît le contraste entre la richesse et le besoin. C’est un fait universel que là où la valeur de la terre est la plus considérable, la civilisation exhibe le plus grand luxe à côté de la pauvreté la plus complète. Pour voir des êtres humains dans la condition la plus abjecte, la plus irrémédiable et la plus désespérée, il ne faut pas aller dans les prairies sans fin, dans les cabanes formées de troncs d’arbres des défrichements des forêts vierges, où l’homme avec ses mains seulement, commence la lutte avec la nature, et où la terre n’a encore aucune valeur, mais bien dans les grandes cités où la propriété d’un petit morceau de terrain est une fortune.

  1. En parlant de la valeur de la terre, j’emploie et j’emploierai des portant à la valeur de la terre nue. Quand je voudrai parler de la valeur de la terre et des améliorations, j’emploierai ces mots eux-mêmes.
  2. Je ne veux pas dire que la loi acceptée de la rente n’ait jamais été discutée. Dans tout le fatras dépourvu de sens qu’on a publié depuis quelque temps sous le nom d’économie politique, il serait difficile de trouver quelque chose n’ayant pas été discuté. Mais je veux dire que cette loi a la sanction de tous les économistes faisant réellement autorité. Comme le dit John Stuart Mill (livre II, chap. xvi) « il y a peu de personnes qui lui aient refusé leur assentiment, excepté celles qui ne l’ont pas bien comprise. La manière vague et décousue avec laquelle l’attaquent ceux qui affectent de la réfuter est très remarquable. » Voilà une observation qui depuis a été bien souvent applicable à nouveau.
  3. Suivant Mac Culloch, la loi de la rente a été exposée pour la première fois dans un pamphlet par le Dr James Anderson d’Edimbourg, en 1777, et au commencement de ce siècle à la fois par Sir Edward West, Malthus et Ricardo.
  4. Buckle (chap. II de l’Histoire de la civilisation) reconnaît la relation nécessaire entre la rente, l’intérêt et les salaires, mais ne l’a évidemment jamais étudiée.
  5. En réalité on dit cela des profits, mais en ayant évidemment en vue les revenus du capital
  6. Cette égalisation s’effectuera par l’équation des prix.
  7. Ceci, qui est analogue à l’élément du risque dans les profits, explique les salaires élevés des avocats, médecins, entrepreneurs, acteurs, etc., ayant réussi.