Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/28

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Calmar. — La Mine d’or d’Adelfors. — Retour à Stockolm.


C’est à Bromsebro, qu’est la frontière de la Scanie et de la Smôland ; cet endroit est fameux par les conférences que les députés Suédois et Danois y ont souvent tenues. Il y a un ruisseau, au milieu duquel est une petite île, qui était réputée neutre : les députés s’y rendaient et s’asseyaient chacun sur une pierre du côté de leur pays. Quelquefois aussi, ils faisaient passer un filet d’eau entre eux. La paix y fut particulièrement faite en 1541, entre Gustave-Vasa et Christian III. La guerre que la Suède eut contre le Dannemarck au sujet des trois couronnes, (les armes du premier pays, que l’autre avait placées dans son écusson,) y fut terminée en 1572, et enfin sous la Reine Christine, la paix y fut encore faite en 1645. Cet endroit a été visité du feu roi Gustave III, qui s’est assis sur les pierres des députés.

Non loin de cet endroit est une manufacture d’alun. On tire la pierre de l’île d’Ö|and ; elle n’est pas à beaucoup près si pleine de bitume, que celle dont j’ai fait mention près d’Örebro : la pierre ne peut se brûler d’elle-même, on est obligé de se servir de bois. Après la quatrième cuisson, l’alun devient très-blanc et très-pur ; le résidu sert à faire de l’ocre.

Quoiqu’il n’y ait pas un soldat à Calmar c’est cependant la ville qui m’a semblé la mieux et la plus complétement fortifiée, de celles dans lesquelles j’avais passé. Un incendie arrivé depuis deux semaines avait réduit la moitié de la Ville en cendres : c’était vraiment un spectacle désolant ; la réflexion que tant de familles seraient sans asile pendant l’hiver qui approchait, en augmentait encore l’amertume. S’il y avait eu une faible garnison dans cette ville, le mal n’eût pas été si grand. C’était le temps de la récolte et tous les habitans étaient à la campagne. Une souscription avait été ouverte dans le royaume, en faveur des malheureux incendiés ; mais c’était la quatrième ville qui brûlait en Suède depuis un an ; et toutes les têtes occupées de la nouvelle taxe, que l’on croyait être plus considérable, ne pouvaient pas songer aux malheurs des autres : cependant le maire avait déjà reçu six ou sept mille rixdales (50.000 liv. tournois).

Le château royal, dans lequel la Reine Marguerite de Waldemar fit résoudre l’union des trois royaunum du nord en 1597, existe encore. On y fait remarquer la salle de l’Union, et jusqu’à la chambre à coucher et au lit de la reine. Cet appartement est orné de sculpture et d’ouvrages en mosaïque, assez bons pour le temps où ils ont été faits. Quelques appartemens ont été abymés par une distillerie qu’on y avait établie ; mais le château n’est pas encore prêt à tomber en ruines : il paraît avoir été bâti à différentes fois. Sur une porte on lit J. III. D. G. R. S. 1658 ; ce qui fait voir que Jean III avait bâti cette aile. Le château est dans une enceinte, fortifiée par un double rempart, qui sert de citadelle à la ville de Calmar. Avant la réunion de la province de Scanie à la Suède, cette place était très-importante et était regardée comme la clef du royaume. Les Danois l’ont assiégée souvent, et ont brûlé la ville, qui alors était autour.

Vis-à-vis Calmar, à un mille de distance en mer, est la belle et fertile île d’Öland ; elle a quinze milles de long sur un et demi de large. Elle a autrefois eu ses petits rois, et a encore trois ou quatre palais, un entre autres, Borkholm, que l’on dit fort beau. Le passage de cette île à celle de Gottland est de sept milles ; celle-ci est assez grande pour former un gouvernement séparé. Sa capitale Wisby, a été autrefois une des premières parmi les villes hanséatiques ; cette île avait aussi ses rois. On trouve dans ces deux îles des chevaux sauvages, que les habitans prennent dans des pièges. Plusieurs lacs et montagnes de l’île de Gottland ont des noms Lapons ; le mot Träsk et non Siö qui est Suédois, vient toujours après celui du lac. On retrouve souvent en Suède quelques traces des traditions, qui font posséder les pays du Nord aux Same (Lapons).

L’église cathédrale de Calmar est un grand bâtiment quarré, qui a plutôt l’air d'un palais que d’une église. Elle a été bâtie sur les dessins du comte de Tessin, celui-même, qui a fait le plan du château de Stockholm. L’inscription sur la porte donne le nom de la personne, qui a encouragé la construction de cet édifice, jusqu'à sa confection entière. Oh ! me dis- je, il n’a donc pas été fait dans le sud de la Suède ; je me mis à tourner autour, et à chercher, et bientôt je reconnus le cachet du pays ; le portail du côté du nord n’est point fini, quoiqu’il y ait bien plus de 50 ans qu’on ait cessé d’ y travailler ; on a couvert l’ouverture par quelques planches. Dans le dernier incendie cette église, malgré son isolement, l’a échappé belle ; le feu a pris au petit toit qui couvre l’autel : Heureusement qu’il était séparé par des murailles, du toit principal.

Je partis, pour aller voir la mine d’or d’Adelfors. À quelque distance de la ville, je vis avec plaisir que les habitans étaient beaucoup plus aisés, que dans son voisinage. Les paysans étaient proprement mis et leurs femmes paraissaient même élégantes, et avaient toutes de la mousseline ou de la soye sur la tête. Si les habitans des côtes voulaient se répandre dans l’intérieur du pays, ils y trouveraient sans doute la même aisance, mais il est bien rare qu’aucune le fassent. La population en Suède et sur-tout en Norvège est sur la côte : l’intérieur du pays est très-peu habité.

Jamais mine, ne fut exploitée à si peu de frais, et ne produisit si peu que celle d’Adelfors. Il y a soixante ouvriers qui reçoivent à-peu-près 5 shillings par jour chaque (10°. tournois). Les appointemens du directeur ne montent qu’à : 100 rixdallers, ceux de l’Amalgamateur autant et 80 au Bucolare ; ce qui compris les frais de réparation, monte tous les ans à 3,500 rixdales (à-peu-près 17,000 liv. tournois). On conviendra qu’il est difficile d’exploiter une mine, et sur-tout une mine d’or à moins de frais. Le produit cependant n’en approche pas ; on n’a retiré en 1799, que quatre marcs 9/12 lod d’or, à-peu-prés (deux livres quatre onces trois quarts françaises) pour la valeur de 1,002 rixdallers 52 shilling (5,000 liv. tournois).

Les procédés pour extraire l’or sont fort bien entendus, et les travaux de la mine méritent l’attention. Je me suis donné le plaisir de descendre au fond : elle ne forme que peu de branches et d'aucune étendue : on descend presque perpendiculairement, d’échelles en échelles à une profondeur de 117 toises. L’ouverture est assez large et sert aussi à monter le minerai ; on a suivi la veine, qui descend dans une ligne droite, un peu inclinée, de l’ouest à l’est. Le minerai ressemble assez à celui du soufre ; on y trouve de l’argent et du cuivre, mais en petite quantité, et on ne le travaille que pour l’or.

À une profondeur de 50 toises, il y a un corridor assez long, qui aboutit au pied de la montagne ; il sert à faire entrer trois chevaux, deux fois par semaine, pour faire tourner les roues qui enlèvent le minerai. Je sortis par ce corridor et me crus trop heureux de le trouver. A moins d’avoir été sur des échelles pareilles, on ne peut guères se faire une idée de la fatigue extrême de descendre et de monter plus de sept cents pieds perpendiculaires. Lorsque accablé de fatigue et tout essoufflé, on ne peut se reposer qu’en se collant, sur l’échelle, à une hauteur considérable, on se trouve dans une situation, qui fait presque regretter sa curiosité.

Les procédés pour la séparation des métaux, sont très-simples : la pierre doit d’abord être pilée en poudre, séchée, et ensuite brûlée pour faire évaporer le soufre, et griller le cuivre. On met ce sable ainsi préparé dans un tonneau avec une quantité donnée de vif argent et d’eau. Après que le tonneau a tourné pendant vingt-quatre heures, on tire ]’eau tout doucement avec le sable, l’or s’attache au mercure et va avec lui au fond d’un baquet, préparé pour le recevoir. On distille ensuite ce résidu à petit feu ; le vif argent s’évapore et est reçu dans l’alambic ; l’or reste au fond avec l’argent que l’on sépare ensuite. À chaque amalgamée, il se perd un peu de vif-argent mais en très-petite quantité.

Avec un travail de ce genre, il y a du moins un avantage, c’est que les transports ne sont pas couteux. Un homme met fort aisément dans son gousset, le produit du travail de soixante ouvriers pendant une année. Les voyageurs ne viennent jamais voir cette mine, et c’est à tort ; Si le produit était considérable, on y courrait ; mais encore une fois, que m’importe le produit ? Je me remis en route, à travers les bois qui couvrent le pays, et n’eus guères d’autre désagrément que la pluie à verse ; mais il m'arriva un trait qui caractérise le paysan suédois, loin des routes fréquentées. En faisant sécher mes habits à la dernière poste, avant d’arriver à l’endroit ou je devais coucher, je laissai tomber le sac, dans lequel j’avais l’argent monnayé. Une heure après mon arrivée à Wimerby, un garçon qui était venu avec une autre voiture, me l'a rapporté intact. Il y a peu de pays, où le voyageur laissant à l’auberge deux Ou trois écus en petite monnaye, pût espérer les retrouver.

De Wimerby à Westerwick, le pays est montagneux ; la plus haute montagne cependant, ne m’a pas paru avoir plus de quatre ` ` à cinq cents pieds. Le port de Westerwick est vraiment intéressant ; on y voit du mouvement et de industrie : le commerce y paraît assez florissant. Cette ville est située sur une belle et large baye, qui est coupée en deux vis à vis de la ville par une chaussée et par des ponts ; au milieu de cette chaussée, on voit les ruines d’un château, d’où les deux parties de la baye tiraient leur nom ; l’une se nommant Wester, et l’autre Öster-Wick. (baye de l’ouest et de l’est) suivant leur situation par rapport au château. La ville de Westerwick était autrefois au fond de la baye de l’ouest, à un endroit qui s'appelle Gamal-Byn. (Vieille-Ville). Ce détail est sans doute fort peu intéressant, mais comme il me paraissait extraordinaire, de voir une ville à l'est de la Suède porter le nom de l’ouest, je me suis amusé à tirer cela au clair.

Westerwick est beaucoup plus important que Calmar, qui est la capitale de ce gouvernement. Le gouverneur, le général Ankarswärd, qui avait ; bien voulu m’accueillir dans cette dernière ville, était alors à Westerwick pour la besogne la moins agréable, celle de prendre connaissance de toutes les propriétés et de taxer les propriétaires suivant que la diète l’avait décrété : l’objet de cette opération, était de répartir sur toutes les fortunes, la somme de quatre millions, cinq cent mille rixdallers (vingt millions tournois) que la diète avait accordés au roi, afin de tirer du cours le papier monnaye, appelé Ricksgeld.

On croyait alors, que la taxe irait jusqu’au deux ou trois pour cent des propriétés ; on n'entendait parler que de skatte et de betalming (la taxe et payer) ; ces deux vilains mots, à tout moment répétés, jetaient un sombre effroyable sur toutes les physionomies. Jamais moment moins favorable, n’exista pour voir la Suède qu’à cette époque ; ce n’étaient plus les mœurs et les gens que j’avais connus. Les opérations de cette diète avaient bouleversé tous les esprits, et ce n’est que long-temps après, qu’ils se sont rassis, lorsqu’en fin on a vu que ce skatte si épouvantable, n’irait guères qu’à un pour cent des propriétés une fois payé. La plupart des pays de l’Europe en payent plus tous les ans ; mais en Suède ou n’est pas accoutumé à sentir le poids des taxes, et l’on crie à cause de la nouveauté. J'ai dans l’idée aussi, que si on avait accordé au roi une taxe montant au cinquième du revenu, pendant plusieurs années, on n’aurait pas à beaucoup près été si mécontent, et le roi eut eu quatre ou cinq fois la somme accordée. Un octroi pareil eut payé toutes les dettes, et tiré le royaume tout-à-fait d’affaire ; au lieu, qu’il est probable que la somme désignée ne sera pas suffisante, et ce sera vraiment terrible, s’il faut recommencer.

La baye de Wester-Wick qui entre dans les terres, est dans le goût des bras de mer norvégiens, mais infiniment moins sauvage. Le pays à l'entour n’est pas très-élevé et paraît cultivé ; on voit aussi plusieurs petites îles qui arrêtent la vue. Les bons paysans que l’on trouve en Suède, hors des chemins fréquentés ! C’est par-tout comme cela, il est vraiment cruel et désespérant que la multiplicité des hommes, doive toujours les rendre plus mauvais.

Je rentrai enfin dans la province d’Öster-Göthland (dont nous avons fait le mot aimable d’Ostrogothie) par une jolie vallée, à l’entrée de laquelle il y a une forge considérable. À quelque distance de Gusum, la vue est frappée par un petit obélisque en marbre, avec une couronne au dessus ; on y lit en lettres d’or l’inscription suivante, que je ne rapporte que parce qu’elle a bien quelque rapport aux manières du pays.


Gloria .

Supremo .
Âr. 1775.
Den . 25 . 7er .
Dô . Resan .
Til .
Carlscrona . Bär .
Kong . Gustaf .
Tredie .

Spisar . Här . etc. etc. etc.


et sur l’autre côté en caractères gothiques :


Til mines - wôrb,

Fôr estertomanbe
Att frusta Gud

Och âra tonungen[1].


Celui qui éleva ce monument, espérait, m’a-t-on dit, avoir un poste qu’il n’obtint pas. L’année d’après, il fut parmi ceux qui étaient les plus opposés au roi. Voilà, comme dit je ne sais quel auteur anglais, on ne doit jamais faire une dédicace, avant d’être payé d’avance. Il est particulier que ce soit dans le temps où les rois de Suède sont les plus tourmentés par leurs sujets, qu’on les flatte le plus dans les provinces. Cette inscription m’en rappelle une pareille, que j’ai vue sur un monument dans le Kronoberg, qui fut élevée en 1800 par un torpare (métayer), en l’honneur de Gustave IV, au retour de son voyage d’Allemagne.

Soderköping a autrefois été une ville très-florissante ; c’est une des plus anciennes du royaume. La diète y a souvent été assemblée, entre autres en 1211, lorsque les états décidèrent le changement de la résidence du roi, de la vieille à la novelle Upsale

Cette province est très-fertile, et la meilleure de Suède ; les pays qui ont porté le nom de Gôthland, ont toujours été meilleurs que les voisins. Cette particularité me ferait volontiers admettre, la définition que certains ont fait de ce mot ; gott land en suédois veut dire bon pays. et si les Goths n’eussent été des diables incarnés, on pourrait dire également que Göth-man Veut dire un homme bon.

J'arrivai enfin à Norrköping, où j’avais déjà été en 1793 ; j’avais alors été obligé de passer fort vite. Je crus devoir cette fois m’y arrêter quelque-temps. C’est dans cette ville que la diète s’était tenue et que le roi avait été couronné au mois de mai 1300. Cette assemblée nationale, dont les gens sages dans les pays étrangers craignaient le rassemblement, par la prudence et la fermeté du roi, s’était terminée heureusement, et avait rempli le but qu’il s’était proposé en la convoquant.

Ce qui s’y était fait de plus important, était l’opération de finance, par laquelle les états allouaient au roi quatre millions cinq cent mille rixdalers, pour le payement d’une partie de la dette publique, et le remboursement des papiers riksgeld. Les assemblées nationales sous un prince faible, tendent à conduire l’état à sa ruine ; mais lorsque le gouvernement a du ressort, elles augmentent son énergie, en lui facilitant les moyens de réparer les maux, que la guerre et des malheurs peuvent lui avoir faits. Un gouvernement est bien fort, lorsqu’il peut appuyer ses mesures de l’autorisation des représentans du peuple. Les salles d’assemblée n’étaient pas encore dérangées. La noblesse se tenait dans l’f-Église allemande ; les bancs étaient dans le corps de l’église, et le trône du roi à la place de l’autel. Cette assemblée s’était fort bien passée, excepté vers les derniers jours, où il y avait eu quelques scènes irréfléchies.

Les membres de la noblesse qui, mécontens des mesures adoptées par la majorité, ont renoncé à leur ordre, dans un moment de vivacité, n’ont pas senti que par cet acte ils s’ôtaient le droit d’opposition et augmentaient la force de leurs adversaires ; ils pouvaient protester sans doute, mais non renoncer à leur ordre tout-à-fait. Que pouvait-il leur arriver de pis, dans le cas d’une révolution à la française ? Il s’en suivra que les enfans de ceux qui se sont montrés dans cette occasion, seront obligés de regagner par des services, ce à quoi les autres ont renonce un peu légèrement.

Le tableau au-dessus de l’autel est fort beau, on y voit un bel effet de la lumière ¢l’une lampe. Il a été fait par un homme qui a été paysan, labourant la terre, jusqu’à l’âge de 50 ans. Il n’est rien d'original comme la peinture dont il a eu l’idée de couvrir le jeu d’orgue de cette église. Au milieu on voit le roi David sur son trône, jouant de la harpe ; autour de lui sont des évêques en habits pontificaux et soufflant dans des trompettes, puis quarante figures juives jouant de tous les instrumens de musique connus. Si un tel tableau avait été fait après la tenue des états, on aurait pu croire que le peintre y entendait malice. On ne saurait du moins nier, que ce ne soit bien réellement une caricature fort originale de toutes les grandes assemblées, où chacun racle assez souvent son instrument, sans trop songer au concert et à l’unisson général.

La maison où le roi donnait ses audiences publiques, avait été bâtie dans moins d’un mois, à la place de magasins appartenans à un marchand de la ville, à qui la nouvelle construction est restée ; la salle de bal est vraiment fort belle. Voilà cependant l’avantage des maisons de bois ; elles sont bâties dans un moment, et l’on peut y demeurer tout de suite, quand le bois est bien choisi.

Le commerce est assez florissant à Norrköping. Cette ville est bien bâtie, et située, mieux qu’aucune autre ville de Suède, des deux côtés d'une superbe rivière, sur les bords de laquelle il y a de beaux quais. Comme les communications avec les villes de l'intérieur du pays sont extrêmement difficiles, les seuls ports de mer peuvent être florissans. Il est fort a regretter que l’on n’ait pas encore adopté en Suède aucune sorte de voitures publiques ; lorsque l’on a le moindre petit paquet à faire passer d’une ville a l’autre, on est très-embarrassé ; il arrive souvent qu’en attendant l’occasion d’un voyageur, il se passe plusieurs mois. Quand l’on veut absolument avoir tout de suite un paquet, il faut le faire voyager en poste et cela devient fort cher, car on doit payer un cheval à chaque station. Quand on prend ce parti, on fait remettre à la première poste le prix de toute la route ; les postillons se payent à chaque poste du prix de leur course, et il n’arrive jamais que l’argent ou les effets soient distraits.

La modicité du prix des chevaux de poste, doit sans doute faire préférer au voyageur de courir la poste à sa fantaisie, au désagrément d’être obligé de suivre une diligence ; mais l’on pourrait établir des rouliers entre les villes principales, dont quelques-uns partiraient à jour fixe. Cette institution me parait absolument nécessaire, pour vivifier l’intérieur du pays et le faire participer au bénéfice du commerce des côtes.

Il y avait autrefois une forteresse près de Norrköping. On voyait dans son enceinte un palais bâti en 1655 par le duc d’Ostrogothie, fils de Jean III. On en voit encore les ruines. Il fut brûlé et détruit par les Russes dans la tournée fatale qu’ils firent en 1719, le long de la côte depuis Torpeô.

Après avoir saccagé presque toutes les villes, les Russes arrivèrent enfin le 19 juillet 1719, à l'embouchure de la Motala ; le désordre qui régnait alors dans le pays, ne permit pas de songer à leur faire de résistance ; et ne pouvant sauver les magasins du roi, le bourguemestre Ekebom y mit le feu lui-même, d’où il se communiqua à la ville qui fut entièrement consumée. Ainsi on ne peut pas accuser les Russes de l'incendie de la ville à cette époque ; ils firent au contraire ce qu’ils purent, pour conserver assez de maisons pour se loger.

Les Russes voulurent le 5 août, aller à Linköping, qui est à quatre milles (10 à 12 lieues de poste), mais ils trouvèrent à un mille de Norrköping une bonne femme, qui leur fit tant de peur par ses contes, qu’ils retournèrent et firent voile le même jour[2].

J’eus le plaisir de saluer à Norrköping le docteur Vestering, dont le savoir lui a acquis une célébrité méritée parmi ses compatriotes. Il a des collections précieuses d'histoire naturelle ; depuis plusieurs années, il s’est occupé à tirer des couleurs des mousses nombreuses, que produit la Suède ; presque toutes, lui en ont fourni de plus ou moins belles. Comme je l’ai dit, les échantillons que l’on montre à Upsal, viennent de lui. Je présume que lorsque la chimie aura fait plus de progrès, on parviendra à tirer des couleurs de tous les végétaux connus.

Je fus de nouveau faire une visite au baron de Geer à Finspông, et après un ou deux jours je me remlis à Stafsiö chez madame la baronne d’Örnsköld, qui voulut bien me donner l’hospitalité pendant quelques jours. La fonderie de Stafsiö est à présent la plus active de Suède ; on y fond chaque jour, pendant l’été, un grand canon. Les procédés du moule en terre, mais sur-tout les différentes manières de forêt, sont très-intéressantes. La manière ordinaire en France, est de forer le canon horizontalement ; on le fore encore perpendiculairement à Stafsiö ; cette manière est beaucoup plus expéditive, mais n’est peut-être pas aussi sûre. Je repassai ensuite sur le terrain que j’avais parcouru deux ans avant, et je rentrai enfin dans Stockholm par le sud, après en être sorti par le nord depuis dix huit mois. Tout était à-peu-près dans l’état où je l’avais laissé, à l’air grandeur près, que ce maudit skatte de la diète de Norköping donnait à toutes les figures.

Je vis le roi faire l’inauguration de l’obélisque que Gustave IV avait résolu d’élever à l’honneur de la fidéfité des bourgeois de Stockholm, dans la dernière guerre avec la Russie. Les frais ont été entièrement prélevés sur les dépouillés de la glorieuse bataille de Swine-Sund[3], qui amena la paix. Gustave III y commandait en personne, et ce fut sa part de prise qu’il destina à cet usage.

Sa Majesté daigna me permettre de lui faire ma cour, et voulut bien me témoigner sa satisfaction de ma conduite, durant ma longue expédition.

Depuis l’époque de mon départ de Stockholm l’année d’avant, j'avais parcouru bien du pays ; vu bien des peuplades diverses. La fatigue et les maux que j’avais éprouvés étaient bien nombreux ; cependant je ne regrettais pas ma peine. Les nouvelles idées et les connaissances que j’avais acquises, me semblaient presque un équivalent.

En finissant ma promenade en Irlande, je m’étais bien promis de ne plus me hasarder ainsi sur les grands-chemins, sans avoir quelque certitude pour le futur. On ne m’a rien promis ; je me suis engagé tout seul, dans une entreprise trop pénible et trop vaste sans doute, pour un homme dans ma situation. Une volonté déterminée, la patience et le temps, ont suppléé aux moyens qui me manquaient.

Lorsque j’étais presque à la fin de mon travail, des circonstances plus heureuses en France, semblaient m'ouvrir la porte de ma patrie ; mes amis, mes parens, m’engageaient à en profiter ; je n’ai point oublié les engagemens que j’avais contractés avec les personnes qui m’ont accueilli ; je n’ai voulu me prêter à rien, avant de les avoir entièrement remplis. Puissent mes efforts les satisfaire !

Désormais devenu libre, je veux borner tous mes soins à tâcher d’aller faire une promenade dans mes foyers. En me retrouvant après tant de temps d’absence, dans les lieux qui me virent naître, les maux passés ne seront que songe ; mais je me rappellerai toujours avec reconnaissance, l’accueil flatteur, dont les personnes les plus respectables des pays que j’ai parcourus, ont généralement daigné m’honorer.


FIN


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  1. Gloire au (Dieu) suprême. L’au 1775, le 26 septembre, comme le roi Gustave III allait au port de Carlscrona, il à dîné ici. Comme un digne souvenir pour la postérité, de craindre Dieu et d’honorer le roi.
  2. La bonne femme dit aux Russes, que la flotte anglaise était dans le golphe de Bothnie, et que 20,000 Suédois étaient en marche pour couper leur retraite.
  3. Swine-Sund est sur les côtes de la Finlande. Il y a autre détroit de ce nom, qui sépare la Suède de la Norvège près de Frédérickshald.