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Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Les Clairons

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Napoléon/Les Clairons
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 304-306).

XLV

LES CLAIRONS


 
Et, là-bas, mieux que les cavales
Les hardis clairons hennissaient.
Et les voix d’airain des cymbales
Plus que le glaive frémissaient ;
Comme des chœurs de suppliantes,
Des cris de veuves et de sœurs,
Qui, le sein nu, toutes sanglantes,
Lèvent les mains vers les vainqueurs,
Et chancelant dans son ivresse
Le glaive écoutait ces accords ;
Et des murmures d’allégresse
Erraient sur les lèvres des morts.
Et l’espérance dans la nue
Luisait alors sur les vivants,
Comme au ceinturon suspendue
Luit une épée à deux tranchants.

" Bons ouvriers de funérailles,
Le temps est court ; l’ouvrage est long.
Oh ! Sous la glèbe des batailles
Creusez l’abîme plus profond.

Il faut demain, qu’avec sa cendre,
Et ses projets et son cercueil,
Un peuple entier puisse y descendre
Et s’y coucher dans son orgueil.
" Oui, bons ouvriers de l’abîme,
Travaillez bien jusqu’à demain.
Le maître vous voit de sa cime,
Et vous fait signe de la main.
Creusez, creusez encor la tombe ;
Il faut qu’avec son souvenir,
Et son empire qui succombe,
Un empereur puisse y tenir. "

Et tous les cœurs étaient de flamme ;
Et tous les bras étaient d’airain ;
Et tous les drapeaux, comme une âme,
Se gonflaient d’orgueil le matin ;
Et dans la ferme crénelée,
Ainsi qu’un troupeau mugissant,
Le glaive abritait la mêlée ;
Et les blessés buvaient leur sang.
Ah ! C’est toi qui l’emportes, France ;
L’éternel a compté les morts,
Et vers toi penche la balance.
Ton bras est lourd ; tes fils sont forts.
Aux cris de la trompette ailée,
Tes escadrons ont, comme un flot,
Comblé le lit de la vallée.
Réjouis-toi de Waterloo !
Mille voix ont crié : victoire !
France adorée, avant la nuit,

Tu vas renaître dans ta gloire.
Vois ! Sur ton front ton astre luit.
Mais d’Albion les fiancées,
Avant la nuit au bord des mers,
Errantes, pâles et glacées,
Vont pleurer sur les flots amers.
Une heure encore ! Un monde passe ;
Un jour de plus s’ajoute au jour ;
Un peuple meurt et tout s’efface,
Et l’ombre s’enfuit à son tour.
Une heure encor pour un empire !
Et l’épi mûr sera cueilli.
Le glaive oubliera son délire,
Et le tombeau sera rempli.
Les morts vont gagner leur salaire.
Maréchal Grouchy ! Venez-vous ?
L’épée émousse sa colère.
Les morts sont las ! Secourez-nous.
Pressez vos chevaux de carnage,
Et cueillez l’épi moissonné….
Non, c’est trop tard. L’heure a sonné,
Un autre a fini votre ouvrage.