Rapport du 7 août 1849 de la commission chargée d’examiner le projet de loi du 28 juillet 1849 sur l’état de siège

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République française
Rapport du 7 août 1849 de la commission chargée d’examiner le projet de loi du 28 juillet 1849 sur l’état de siège
de la Typographie Packouke (2p. 127-131).

RAPPORT FAIT PAR M. A. FOURNATIER AU NOM DE LA COMMISSION CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI SUR L'ÉTAT DE SIÈGE.

Messieurs,

La loi sur l'état de siège a pour objet principal de déterminer l'étendue des pouvoirs dont le Gouvernement doit être armé pour le salut de la société mise en péril. Elle dérive du plus incontestable et du plus sacré de tous les droits, celui de la conservation et de la légitime défense. Convaincue de cette vérité, l'assemblée constituante l'a mise au nombre des lois organiques destinées à compléter l'ensemble de notre droit public.
Ce n'est donc pas une loi d'exception contre laquelle puissent être essayées, au nom de la liberté menacée, de légitimes attaques. La Constitution elle-même en a décrété le principe et nous a confié le soin, ou plutôt imposé le devoir de la taire. Puisant son origine aux sources pures du droit naturel, son autorité, pour être reconnue, n'aurait pas eu même besoin de la sanction législative.
Lorsque, peu de jours après la proclamation de la République, une agression violente était dirigée contre l’état social prêt à s’abîmer dans le sang et dans les ruines ; que les plus généreux citoyens, accourus pour porter des paroles de conciliation et de paix, étaient impitoyablement assassinés par un atroce fanatisme ; qu'aux évangéliques exhortations du ministre des autels, il était répondu par des balles homicides, la société trouvait, sans aucun doute, dans l'immensité du péril, le droit de se sauver, et par la suspension des lois ordinaires, et par la concentration de toutes ses forces dans une seule main, à qui était confiée la plus grave et la plus sainte mission, celle du salut du pays.
Néanmoins, l'absence d'une loi spéciale, résumant dans un cadre complet les règles de cette matière importante, plaçant à côté de l'énergie de la répression des moyens préventifs non moins essentiels, se faisait sentir, et c'est à juste titre que le Gouvernement la réclame.
Les commotions douloureuses qui ont déjà si profondément agité le pays en ont écrit d'avance les articles divers. Les souvenirs d'un passé bien récent nous tracent la marche à suivre pour sauvegarder l'avenir contre des attaques nouvelles. Il ne s'agit, dans la réalité des choses, que de convertir en dispositions législatives les mesures que le pouvoir exécutif, investi de notre confiance, a jugées nécessaires aux jours de nus grandes calamités publiques.
Votre commission a eu d'abord à se prononcer sur la question d'urgence dont vous lui aviez renvoyé l'examen.
La solution affirmative ne pouvait être l'objet d'aucun doute.
Deux fois dans le cours d'une seule année Paris a été mis en état de siège, et il se trouve placé encore sous ce régime exceptionnel, dont il importe de consacrer irrévocablement les principes par un vote de l'Assemblée nationale.
Plusieurs départements de l'Est ont été frappés à leur tour d'une mesure semblable, et, dans leur intérêt, la même considération se présente.
Enfin, à la veille d'une prorogation déjà résolue, il est urgent de voler une loi qui détermine les pouvoirs spéciaux dont le président de la République doit, en votre absence, demeurer investi.
Il est urgent encore de décréter ce principe qui déclare l'état de siège jeté sur Paris incompatible avec cette prorogation elle-même, et équivalent à une convocation immédiate.
Par ces considérations diverses, la commission n'hésite donc [pas] à vous proposer de reconnaître et déclarer l'urgence.
L'économie du projet de loi se présente avec un caractère de simplicité qui permet d'embrasser d'un coup d'œil et de saisir sans effort les dispositions dont il se compose et la pensée qui les a inspirées.
Le premier chapitre indique les circonstances dans lesquelles l'état de siège peut être déclaré. Les cas de guerre et d'insurrection sont, aux termes du projet, les seuls où il soit permis de recourir à cette mesure extrême, dont il serait dangereux de faire un trop fréquent usage.
Les formes de la déclaration, résumées dans le chapitre deuxième, sont différentes selon les conjonctures.
Si l'Assemblée [nationale] est réunie, c'est à elle seule qu'il appartient de décréter cette grande mesure de salut public. Résumé de la souveraineté populaire, gardienne de toutes les libertés du pays, elle ne consentira à en suspendre l'exercice qu'en présence du danger de la République.
Mais si ce danger se déclare pendant la prorogation, si la sédition éclate dans les colonies, ou s'il s'agit de mettre en état de siège un poste ou une place de guerre, on ne saurait, sans exposer le pays aux plus irréparables catastrophes, exiger et attendre l'intervention de l'Assemblée [nationale].
Dans ces cas divers, le président de la République, de l’avis du conseil des ministres, le gouverneur de la colonie, et le commandant militaire, sont autorisés à déclarer l'état de siège, qui a toujours besoin, pour être maintenu, de la sanction de l'Assemblée nationale.
Réglés par le chapitre III [du projet], les effets de l'état de siège sont de concentrer tous les pouvoirs dans les mains de l'autorité militaire, et d'attribuer aux conseils de guerre la connaissance de certains crimes et délits spéciaux énumérés dans l'article 8 du projet. Le pouvoir est armé, en outre, de moyens préventifs dont l'énergie n'a pas besoin d'être justifiée, et qui, pour la compression de l'émeute, ne seront pas moins efficaces que la force des armes.
Enfin, dans le chapitre IV [du projet], se trouvent réglementés la forme et les effets de la levée de l'état de siège, toujours si désirable, puisqu'elle est le signe certain du retour de la paix publique.
Tel est l'ensemble de la loi. Elle ne contient aucune innovation aux principes et aux règles constamment appliqués.
L'examen des détails mettra cette vérité plus complètement en lumière.
D'après l'article premier, les seuls cas dans lesquels peut être déclaré l'état de siège sont, comme on l'a vu, le cas de guerre et celui d'insurrection. Le premier, réglementé et prévu déjà par la législation existante, n'avait pas besoin d'une définition rigoureuse pour être bien compris. Le second laissait subsister, au contraire, une incertitude fâcheuse sur l'esprit et la véritable portée de la loi. Le mot insurrection, dont le rédacteur s'est servi, n'est pas encore entré dans la langue législative, et son sens équivoque aurait pu devenir la source de sérieuses difficultés. Par insurrection, fallait-il entendre ces mouvements tumultueux qui, dans les grandes villes, se produisent quelquefois à l'occasion d'une machine nouvelle, ou de la fixation du salaire des ouvriers, si, d'ailleurs, ces mouvements ne changent pas de nature et ne dépassent point les limites d'une protestation agitée ?
Non, sans doute.
Quelques regrettables que soient les désordres de ce genre, il est manifeste que l'état de siège, appliqué à une situation semblable, serait une chose mauvaise et qui ne trouverait point sa justification dans la grandeur des périls que la société aurait courus.
Ne faudrait-il, au contraire, reconnaître le caractère insurrectionnel qu'à un mouvement à main armée se manifestant par une agression sanglante ? Celle interprétation serait plus désastreuse encore.
Si, pour déclarer l'état de siège, nous étions condamnés à attendre qu'une lutte homicide eût ensanglanté nos rues et que la guerre civile eût levé ses hideux étendards, nous maudirions tous l'imprévoyance de la loi qui, en enchaînant nos volontés, nous imposerait le devoir, avant d'agir, d'assister impuissants à la réalisation des plus désolantes calamités publiques.
Au nom de l'humanité et du pouvoir souverain que vous avec reçu du pays, vous briseriez cette loi de malheur si elle avait pris place dans nos codes, et la France entière applaudirait à votre patriotique décision.
Qui donc pourrait méconnaître que, lorsque ces crises désastreuses sont au moment d'éclater, il est plus constant et plus sage de les prévenir par la promptitude et l'énergie des résolutions, que d'avoir à les réprimer par la force des armes ?
Les souvenirs du 13 juin dernier en sont à la fois et l'exemple et la preuve.
Aussi votre commission a substitué aux expressions du projet les mots de péril imminent pour la sûreté intérieure et extérieure. Le cas de guerre, au moyen de cette disposition, n'a plus besoin d'une indication spéciale, il rentre manifestement dans les prévisions générales de l'article. Pour être reconnu, ce péril imminent réclamé par la rédaction nouvelle n'exige ni une lutte violente et déclarée, ni l'effusion du sang dans les rues de nos villes. Dès qu'il se produit avec ce caractère de gravité qui jette de solennelles alarmes dans les cœurs les plus droits et les plus fermes ; dès que des signes extérieurs non équivoques annoncent les préparatifs du combat, le droit est ouvert de décréter cette salutaire mesure qui épargnera au pays le retour de ces journées de deuil où nous avons vu périr, victimes de leur dévouement, ses plus intrépides défenseurs.
La liberté, du reste, n'a rien à craindre de la consécration de ce droit important. C'est à l'Assemblée nationale seule qu'est attribué le pouvoir de décréter ou de sanctionner l'état de siège, et dans cette attribution exclusive se rencontre une garantie pleinement satisfaisante pour les esprits les plus défiants. C'est dans la vérité des choses, pour l'Assemblée [nationale] elle-même, que nous réclamons cette faculté précieuse qui lui laisse dans toute sa plénitude l'appréciation des conjonctures où le salut de la patrie doit devenir la loi suprême.
Puisée dans l'article 2 [du projet], cette considération décisive nous conduit à l'examen des formes de la déclaration de l'état de siège.
Le projet du Gouvernement établit entre les pouvoirs de l'Assemblée et ceux du président de la République une distinction marquée, qui leur assigne respectivement des pouvoirs spéciaux dont la limite ne peut être franchie par aucun d'eux. À la première est conféré le droit exclusif de déclarer l'état de siège ; au second, le droit exclusif aussi d'en faire la proposition. Votre commission a pensé qu'il était convenable de maintenir, pour cette occasion même, dans toute sa pureté, le principe de l'initiative parlementaire.
Sans aucun doute, en règle générale, ce sera le Gouvernement qui viendra réclamer de vous cette arme redoutable que de factieuses agressions ou de graves périls vous feront un devoir de placer dans ces mains. C'est lui d'ailleurs qui doit se servir des pouvoirs exceptionnels que l'état de siège a pour effet légal de lui conférer. Et, si à ses yeux la mesure n'était pas nécessaire, il laisserait inexécuté le décret qui la proclame, en n'usant pas des pouvoirs facultatifs qui en sont la conséquence.
C'est sous l'inspiration de ces motifs qu'avait été rédigé l'article.
Mais légitimaient-ils suffisamment une dérogation au droit d'initiative que chacun de nous lient de la Constitution elle-même ? Ne peut-il pas se présenter d'ailleurs des circonstances où une énergique impulsion donnée par l'Assemblée [nationale] deviendra indispensable pour triompher des hésitations qui bien souvent préparent et expliquent les grandes catastrophes sociales ? Enfin, dans un pays où de vieilles habitudes d'opposition contre le pouvoir ont laissé des souvenirs de défiance dont le temps ne parviendra qu'avec lenteur à effacer les vestiges, il peut se faire que cette grande mesure emprunte à l'initiative d'un membre de l'Assemblée [nationale] une force et une autorité morale que ne lui donnerait pas une proposition faite au nom du pouvoir exécutif.
Cet article du projet a dû donc être modifié sous ce premier point de vue. Sur ce même article, une seconde modification est soumise à votre examen.
Le paragraphe 2 exige que le décret déclaratif de l'état de siège désigne les communes, arrondissements et départements auxquels il s'applique, et ne prévoit pas une situation qui récemment s'est produite devant vous. Il peut arriver qu'un vaste complot étende ses ramifications sur la surface entière du pays, et que les mouvements factieux qui éclatent dans une cité deviennent le signal de mouvements semblables dans des localités éloignées ou voisines.
Dans de telles circonstances, faudra-t-il qu'à mesure que le télégraphe révélera ces désolantes prises d'armes, le pouvoir exécutif vienne vous demander un décret spécial et nouveau, dont la délibération et le vote entraîneraient les plus fatales lenteurs ? Vous ne l'avez pas voulu au 13 juin, où, par un texte positif, vous avez autorisé le Gouvernement à étendre l'état de siège à toutes les villes où éclaterait l'insurrection. Ce que vous avez fait alors, il est bon, il est utile que vous conserviez le droit de le faire encore selon la gravité des événements dont vous restez les seuls et souverains appréciateurs.
L'Assemblée nationale est permanente. Elle a reçu toutefois de la Constitution [du 4 novembre 1848] la faculté de se proroger, mais en laissant à une commission de vingt-cinq membres le soin de veiller à la garde des libertés du pays. Durant cette prorogation, un danger soudain et imprévu pour la chose et la sûreté publiques peut se manifester. Le pouvoir exécutif ne devait pas, sans la plus funeste des imprévoyances, demeurer désarmé en présence d'une agression dont l'audace aurait puisé dans la faiblesse même de ce pouvoir une force et une énergie nouvelles. Le projet a sagement pourvu à celle éventualité, en conférant au président de la République le droit de décréter l'état de siège, de l'avis du conseil des ministres. Une double condition lui est seulement imposée, c'est d'en informer immédiatement la commission des vingt-cinq, et, selon la gravité des circonstances, de convoquer l'Assemblée nationale. Nous avons fait subir à la rédaction de l'article un léger changement, dont le but est de charger le Gouvernement d'informer, dans tous les cas, la commission des vingt-cinq membres de cette grave mesure.
Dès que l'Assemblée [nationale] est réunie par suite de la convocation du président [de la République] ou de celle de la commission, son premier devoir et son premier acte est de statuer sur la levée ou le maintien de l'état de siège déclaré en son absence.
Il est un cas où la convocation devient inutile. Elle est le résultat nécessaire et légal de la mesure elle-même. C'est lorsque l'état de siège s'applique à la capitale. Il est inutile de développer les motifs de cette disposition importante, dont la sagesse obtiendra un assentiment unanime.
Le projet s'occupe ensuite de la déclaration de l'état de siège dans les colonies et dans les places de guerre.
À l'égard des premières, la longueur des distances ne permettait point d'exiger un décret préalable de l'Assemblée nationale. Pour être efficace, cette mesure doit être prompte, et ne pas laisser au mal le temps de grandir, et de rendre ainsi la catastrophe inévitable. Le gouverneur sera donc investi d'un pouvoir exceptionnel qu'il serait impossible de lui refuser. Les calamités qui désolent nos Antilles, les guerres de castes qui les couvrent de sang et de ruines, sont une justification bien éloquente de cette disposition spéciale.
Les places de guerre, à leur tour, devaient rester soumises au régime qui leur a été constamment appliqué. Les lois [du 10 juillet] 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs] et de l'an 5, le décret du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places] auquel il n'a été rien innové, conserveront toute leur autorité légale. Comme par le passé, la déclaration du commandant militaire suffira pour décréter valablement l'état de siège. Mais, dans ces deux hypothèses encore, si le président de la République croit devoir maintenir la mesure, la sanction de l'Assemblée nationale devient d'une nécessité impérieuse. À elle seule appartient le pouvoir de suspendre les libertés publiques, et il est tenu de lui en faire sans délai la proposition.
Ainsi, tous les droits se trouvent sauvegardés. Placés sous la protection vigilante des représentants du peuple, ils ne seront temporairement frappés qu'avec leur assentiment et lorsque de douloureuses nécessités sociales en imposeront le devoir.
Les effets de l'état de siège, précisés avec soin dans le chapitre III, constituent l'une des parties les plus essentielles du projet soumis à vos délibérations. Vous n'y rencontrerez néanmoins aucune pensée nouvelle, aucun principe dont l'application n'ait été déjà faite. Il emprunte aux rudes épreuves que nous avons traversées et aux faits accomplis, les règles que l'on vous demande d'ériger en loi positive.
L'une de ses premières conséquences, c'est de transporter à l'autorité militaire tous les pouvoirs dont l'autorité civile était investie pour le maintien de l'ordre et de la police.
Un grand péril menace la chose publique. La société est assiégée par les factions qui ont conspiré sa ruine. Les violences de l'attaque, la nécessité de la défense, lui commandent de concentrer toutes ses forces et de les réunir dans une seule main. À cette condition, elle pourra dompter l'anarchie, et décourager, par une salutaire rigueur, ceux qui seraient tentés d'arborer son drapeau. Le pays ne fait alors que se défendre, et ce droit sacré doit être affranchi des entraves qui en gêneraient ou paralyseraient l'exercice. Aussi, cette concentration des pouvoirs, ce dessaisissement de l'autorité civile deviennent un besoin trop impérieux, pour ne pas avoir obtenu l'adhésion unanime de votre commission.
L'attribution faite aux tribunaux militaires de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l'ordre et la paix publique, sans égard à la qualité des auteurs principaux ou complices, ne pouvait à son tour rencontrer des contradicteurs. C'est une conséquence exacte et logique de l'état de siège qui, sous un nombre considérable de rapports, assimile à une place assiégée les localités soumises par l'Assemblée nationale à ce régime exceptionnel. C'est ainsi que depuis soixante ans ont été toujours appliqués et compris les principes régulateurs de cette importante matière. Il est d'un haut intérêt social, en effet, que les crimes et les délits rentrant dans la catégorie de ceux prévus par notre article soient suivis d'une répression vigoureuse, et dont la promptitude ne laisse pas naître l'espoir de l'impunité. Le crime reçoit des terribles événements au milieu desquels il se produit un caractère de gravité qui appelle sur la tête de son auteur toutes les sévérités de la loi. Il importe à la fois de frapper les coupables, et de jeter le découragement dans l'âme de ceux disposes à le devenir. Une répression trop incertaine ou trop lente, et qui ne serait pas proportionnée à la grandeur des dangers du pays, pourrait exciter à de douloureuses représailles, et ajouter aux horreurs de la guerre civile.
Ces considérations vous font pressentir, messieurs, que votre commission n'a pu donner son assentiment au paragraphe second de l'article 8 du projet, créant pour les délits de la presse le privilège du jury, dans le cas où les auteurs ne seraient point complices de délits ou de crimes déférés à la juridiction militaire.
Nous nous sommes demandé quelle pouvait avoir été la cause de cette exception qui contraste d'une façon étrange avec la généralité du principe posé par le paragraphe précédent. Si tous les délits, tous les crimes contre la Constitution, l'ordre et la paix publique sont justiciables des conseils de guerre, pourquoi un seul d'entre eux, réunissant d'ailleurs tous ces caractères, sera-t-il soustrait à cette règle commune, et jouira-t-il, au milieu des émotions peut être sanglantes de l'état de siège, de la faveur de la cour d'assises, et des solennités de la justice ordinaire ?
Par quel motif la loi semble-t-elle craindre de le soumettre à son inflexible niveau ?
Est-ce qu'il serait moins inquiétant pour la sûreté générale ? Et qu'une société, contrainte d'exposer les jours de ses plus généreux défenseurs, n'aurait pas à en redouter les suites ?
Bien au contraire ! C'est le délit qui doit exciter les sollicitudes les plus vives, et provoquer les plus sérieuses alarmes. C'est la presse qui, armée de sa formidable puissance, et avec ses milles moyens de reproduction, va réchauffer dans les cœurs les ressentiments prêts à s'éteindre; c'est elle qui va faire aux passions les plus désordonnées un appel nouveau, afin de pousser à une lutte nouvelle ; c'est elle enfin qui exhorte à ressaisir les armes dirigées contre les défenseurs de la société et du pays.
Ses détestables provocations seront dédaignées, je le veux, et virtuellement le projet le suppose ! Mais n'est-ce donc rien que cette odieuse tentative, malgré son impuissance ? N'importe-t-il pas de la prévenir par la crainte d'un châtiment aussi prompt qu'assuré ? Et quand on se trouve en face d'un immense péril, est-il juste et sage de dire au provocateur que si sa voix n'est pas entendue, il ne devra rendre compte de sa conduite qu'à la justice ordinaire ? Dans cette promesse imprudente, ne puisera-t-il pas une audace qui peut entraîner d'irréparables malheurs ?
Dirait-on que la juridiction du jury appartient à la presse, et qu'on ne peut la lui ravir sans violer l'une de ses plus précieuses prérogatives ?
Mais ce même privilège est donné par nos lois à tout citoyen accusé d'un crime de nature à entraîner des peines afflictives et infamantes. Lorsque l'honneur ou la vie d'un homme se trouve engagée dans un débat judiciaire, c'est au jury seul qu'il appartient dans les formes spéciales et solennelles de prononcer sur son sort.
Et néanmoins, si le crime qui lui est imputé rentre dans l'une des catégories énumérées déjà, l'effet de l'état de siège est de lui ravir toutes les garanties judiciaires, et, traduit devant un conseil de guerre, il pourra être condamné aux peines les plus graves de notre droit pénal.
Eh bien, quant à celui-là, détourné aussi de ses juges naturels, sur le front de qui va se graver une condamnation infamante, on ne fait entendre ni réclamations ni plaintes. D'un avis unanime, les garanties que la Constitution lui donnait fléchissent devant la gravité des intérêts sociaux qui en commandent le sacrifice. Or, les droits de la presse sont-ils donc plus sacrés ou plus respectables que les siens, pour qu'à sa faveur on introduise une exception ou un privilège ?
La majorité de votre commission ne saurait l'admettre, et, pour ce motif, elle repousse la distinction énoncée dans le second paragraphe de l'article.
Condamné par les principes, ce privilège rencontrerait, en outre, dans l'exécution, des obstacles impossibles à surmonter.
Dans une place de guerre investie, où le droit serait incontestablement le même, comment réunir le jury du département dont la ville assiégée n'est peut-être pas le chef-lieu ? L'auteur du délit pourrait donc, dans ce cas, défier la justice de l'atteindre, et renouveler incessamment ses excitations incendiaires ?
Dans une ville de l'intérieur où a éclaté la sédition, cause déterminante de la mesure, les difficultés ne seraient pas moins sérieuses. Dans cette seconde hypothèse, comprendriez-vous bien la possibilité de réunir et faire délibérer le jury au sein des émotions que laissent dans les cœurs les souvenirs du combat de la veille ?
Il y aurait à procéder ainsi une haute imprudence. Comme le veut la loi d'égalité, dont aucune raison légitime n'exige que l'on s'écarte, maintenons, pour tous les délits et pour tous les crimes énumérés dans le premier paragraphe de l'article 8, la juridiction qui, sous l'état de siège, constitue le droit commun des délinquants.
Le texte suivant contient la nomenclature des pouvoirs exceptionnels conférés à l'autorité militaire.
Ce sont les perquisitions de nuit et de jour dans le domicile des citoyens ; c'est l'expulsion des repris de justice, et de ces individus non domiciliés qui, à jour fixe, se trouvent avec une affligeante exactitude dans les lieux où doit éclater une émeute ; c'est la remise imposée à tout citoyen de ses munitions et de ses armes, et le droit de procéder à leur recherche et à leur enlèvement ; c'est enfin la faculté d'interdire les publications et les réunions de nature à exciter ou à entretenir le désordre.
Ces effets de l'état de siège sont ceux qui ont été appliqués en juin 1848 et en juin 1849. Votre commission les accepte sans aucune modification.
Indépendamment de ces droits spéciaux consacrés par la loi nouvelle, il convenait de déclarer qu'en cas de guerre étrangère, les effets de l'état de siège continueraient, dans les lieux énoncés dans l'article 9, à être déterminés par les dispositions de la loi du 10 juillet 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs], et le décret du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places]. C'est justement ce qu'a fait l'article 10, dont l'adoption n'a paru susceptible d'aucune difficulté.
Les formes et les effets de la levée de l'état de siège sont réglementés dans les dernières dispositions du projet de loi.
L'article 12 veut avec raison que l'état de siège déclaré ou maintenu par l'Assemblée [nationale] ne puisse être levé que par elle. Il ne pouvait dépendre du pouvoir exécutif de rapporter seul cette mesure sans consulter l'Assemblée souveraine par qui elle avait été prise. À l'égard des déclarations émanées da président de la République, des commandants militaires, ou du gouverneur des colonies, qui n'ont pas été soumises à la sanction de l'Assemblée [nationale], la levée peut en être prescrite par le président [de la République] seul, dont l'autorité pour ce cas n'est assujettie à aucune restriction. Votre commission a pensé qu'il était convenable d'attribuer, en outre, au président de la République, dans le cas de prorogation de l'Assemblée nationale, le droit de lever seul l'état de siège même décrété ou sanctionné par elle.
Cette faculté ne pouvant produire que d'heureux résultats, il ne saurait y avoir aucun inconvénient à l'admettre.
Avec la levée de l'état de siège, ne disparaissent pas toutes ses conséquences. Les tribunaux militaires pendant sa durée ont été saisis de la poursuite et du jugement des délits et des crimes dont le projet de loi actuel leur attribue la connaissance. Ces crimes et ces délits qui, sous l'empire de cet état exceptionnel, leur ont été déférés, continuent de leur appartenir, malgré le retour au droit commun dont les dispositions ne reprennent leur empire que pour les crimes et les délits nouveaux. Ainsi le réclamaient l'intérêt de la vindicte publique, l'unité de la procédure, et le respect de l'égalité, qui doit soumettre à une juridiction identique les individus arrêtés dans une situation semblable, sans se préoccuper de l'époque où interviendra le jugement.
Telle est, messieurs, l'économie de cette loi importante, attendue avec confiance par les bons citoyens, redoutée par les agitateurs, et destinée à protéger la Constitution, la République et la société, contre les désastreuses agressions qui, plusieurs fois, ont mis leur existence en péril.

PROPOSITION DE LOI DU 7 AOÛT 1849 DE LA COMMISSION CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI SUR L’ÉTAT DE SIÈGE[modifier]

CHAPITRE IER : CAS OÙ L'ÉTAT DE SIÈGE PEUT ÊTRE DÉCLARÉ.[modifier]

Article 1er[modifier]

L'état de siège ne peut être déclaré qu'en cas de péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure.

CHAPITRE II : DES FORMES DE LA DÉCLARATION DE L'ÉTAT DE SIÈGE.[modifier]

Article 2[modifier]

L'Assemblée nationale peut seule déclarer l'état de siège, sauf les exceptions ci-après.
La déclaration de l'état de siège désigne les communes, les arrondissements ou départements auxquels il s'applique et pourra être étendu.

Article 3[modifier]

Dans le cas de prorogation de l'Assemblée nationale, le président de la République peut déclarer l'état de siège, de l'avis du conseil des ministres.
Le président [de la République], lorsqu'il a déclaré l'état de siège, doit immédiatement en informer la commission instituée en vertu de l'article 32 de la Constitution [du 4 novembre 1848], et, selon la gravité des circonstances, convoquer l'Assemblée nationale.
La prorogation de l'Assemblée [nationale] cesse de plein droit lorsque Paris est déclaré en état de siège.
L'Assemblée nationale, dès qu'elle est réunie, maintient ou lève l'état de siège.

Article 4[modifier]

Dans les colonies françaises, la déclaration de l'état de siège est faite par le gouverneur de la colonie.
Il doit en rendre compte immédiatement au Gouvernement.

Article 5[modifier]

Dans les places de guerre et postes militaires, soit de la frontière, soit de l'intérieur, la déclaration de l'état de siège peut être faite par le commandant militaire dans les cas prévus par la loi du 10 juillet 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs] et par le décret du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places].
Le commandant en rend compte immédiatement au Gouvernement.

Article 6[modifier]

Dans le cas des deux articles précédents, si le président de la République ne croit pas devoir lever l'état de siège, il en propose sans délai le maintien à l'Assemblée nationale.

CHAPITRE III : DES EFFETS DE L'ÉTAT DE SIÈGE.[modifier]

Article 7[modifier]

Aussitôt l'état de siège déclaré, les pouvoirs dont l'autorité civile était revêtue pour le maintien de l'ordre et de la police passent tout entiers à l'autorité militaire.
L'autorité civile continue néanmoins à exercer ceux de ces pouvoirs dont l'autorité militaire ne la pas dessaisie.

Article 8[modifier]

Les tribunaux militaires peuvent être saisis de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l'ordre et la paix publiques, quelle que soit la qualité des auteurs principaux et des complices.

Article 9[modifier]

L'autorité militaire a le droit :
1° De faire des perquisitions, de jour et de nuit, dans le domicile des citoyens ;
2° D'éloigner les repris de justice et les individus qui n'ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l'état de siège ;
3° D'ordonner la remise des armes et munitions, et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement ;
4° D'interdire les publications et les réunions qu'elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre.

Article 10[modifier]

Dans les lieux énoncés en l'article 5, les effets de l'état de siège continuent, en outre, en cas de guerre étrangère, à être déterminés par les dispositions de la loi du 10 juillet 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs] et du décret du 21 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places].

Article 11[modifier]

Les citoyens continuent, nonobstant l'état de siège, à exercer tous ceux des droits garantis par la Constitution, dont la jouissance n'est pas suspendue en vertu des articles précédents.

CHAPITRE IV : DE LA LEVÉE DE L'ÉTAT DE SIÈGE.[modifier]

Article 12[modifier]

L'Assemblée nationale a seule le droit de lever l'état de siège, lorsqu'il a été déclaré ou maintenu par elle.
Néanmoins, en cas de prorogation, ce droit appartiendra au président de la République, tant qu'il n'a pas été maintenu par l'Assemblée nationale.

Article 13[modifier]

Après la levée de l'état de siège, les tribunaux militaires continuent de connaître des crimes et délits dont la poursuite leur avait été déférée.