Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/mort de mon fils

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LA MORT DE MON FILS
Stances Élégiaques.


La mort a fermé ta paupière,
Aimable enfant, tes jours me sont ravis !
Je souriais à peine au nom de père,
Déjà la tombe avide a dévoré mon fils.

Ainsi la fragile nacelle,
Voguant à la clarté de l’astre de la nuit,
Paisible, fend le sein d’une mer infidèle ;
Bientôt l’onde bouillonne, et s’irrite et mugit,
L’aquillon gronde, elle chancelle,
Disparaît, lutte encor…l’abîme l’engloutit :

Ah ! J’aurais dû pleurer sur ta naissance,
Oh ! mon fils ! le jour même où par ton premier cri,
Mon cœur trop tendre, hélas ! fut averti,
D’un nouveau sentiment et d’une autre existence.
Autour de ton berceau doucement agité,
J’aurais dû voir la dure adversité,
La fièvre au pas brûlant, la douleur ennemie,
Cortège de l’humanité,
Frappant aux portes de ta vie.

Mais non ; dans l’avenir pour mon âme embelli.
Tout me riait, tout me flattait d’avance ;
De mes vieux ans mon fils était l’ami,
De ses succès j’étais enorgueilli,
J’élevais sur son nom ma superbe espérance.
Destin cruel ! impitoyables dieux !
Vous vous jouez ainsi de notre attente !

Ainsi l’homme par vous abusé dans ses vœux,
Croit lire vos bienfaits sur l’arène mouvante,
Que disperse un vent orageux.

Quoi ? c’en est fait ; grâce aimable et naïve,
Bras caressans vers les miens étendus,
Souris charmans, gaité touchante et vive,
Traits adorés, je ne vous verrai plus !
Ah ! cette idée est pour moi trop affreuse !
En vain j’espère en adoucir l’horreur :
De mon fils expirant, l’image douloureuse,
Revient à chaque instant se placer sur mon cœur.

Le ciel veut que je te survive,
Cher enfant ; mais jamais, jamais je n’oublierai
L’heure fatale où mon œil égaré,
Suivait dans tes regards ton âme fugitive.
Je donnerai toujours des larmes à ton sort :
Toujours j’aurai présent le moment de ta mort,
Où ta langue déjà captive,
En sons plaintifs me demandait encor…

Mais où vont s’égarer mes souvenirs stériles ?
De tes rapides ans lorsque j’ai vu la fin,
Loin de m’abandonner à des pleurs inutiles,
Je dois de ton trépas rendre grâce au destin,
Forcé de renoncer au doux titre de père,
Du moins dans tes beaux jours par la douleur flétris,
Tu n’auras point à regretter un fils,
Tu n’auras point à consoler sa mère.

 Par. VIGÉE.