Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/3 août ― À monsieur le visconte de Gourdon

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1580. — 3 août.

Cop.[1] – B. R. Résidu de Saint-Germain, carton 4, paquet 3, n° 1.


À MONSR LE VISCONTE DE GOURDON[2].

Monsr le vicomte, J’ay receu vostre lettre par Constans, present porteur, lequel m’a aussi presenté plusieurs articles et remontrances sur lesquels j’ay fait la reponce que verrez. Je vous prye pourveoir à conservation de la ville de Cahors, et faire mettre en icelle le plus de bledz, pouldres et aultres munitions de guerre qu’il vous sera possible, attendant mon retour à ladicte ville, lequel j’espere estre en bref. J’ay entendu que vostre compagnye n’estoit encores dressée ; je vous prie la dresser en toute diligence, et aussi faire en sorte que les compaignyes de gens de pied qui sont en garnison en ladicte ville soyent complectes ; et pour l’entretenement desquelles vous ne fauldrez à faire lever les contributions ainsy que les autres garnisons ont accoustumé. Vous devez veiller plus soigneusement que jamais, d’aultant que les ennemys s’approchent de vous, estant le mareschal de Biron dans Agen, et adviser à la conservation de ladicte ville et habitans paisibles d’icelle, mieulx qu’il n’a esté faict. J’ay entendu que l’on desmolit tous les temples et monasteres de la ville de Cahors : qui est contre mon intention, et la deffence expresse que j’en ay faicte pendant que j’y estoys. Je vous prye empescher tels desordres et faire seullement abattre le couvent des Jacobins, parce qu’il nuict à la garde de la ville, voullant qu’il soyt entierement razé. Je vous ay aussy cy-devant mandé que je voullois que le cappitaine Maubec tint la main droicte, d’aultant que sa compagnie est la premiere qui est entree avec drappeau, et qu’il ayt la garde du Myrail. Je ne sçay pour quelle occasion on se bande contre ma vollonté et mes commendements ; c’est à vous d’y tenir la main. Je suis aussi fort mal content de ce que les pillages ont si longuement continué et que n’avez mieulx tenu la main à les empescher. Je vous prye aussy vous enquerir de Massonnet, l’ung de mes secretaires, lequel a esté prins par des paysans à deux ou trois lieues de la ville de Cahors, me venant trouver, estant en la compaignye du sieur de Lamarselliere, et tascher de tout vostre pouvoir de le retirer ou de vous saisir de quelques principaulx habitans dudict village, leurs faisant entendre que s’ils ne le rendent sain et sauf, que vous leur mettrez le feu, car je veux qu’ils en respondent. Esperant doncques que satisferez à tout ce que dessus, prieray Dieu vous avoir, Monsr le vicomte, en sa trés saincte et digne garde. Escript à la Force, le 3 aoust 1580.

Vostre bien affectionné et asseuré amy,


HENRY.


  1. Cette lettre est conservée dans un ancien manuscrit intitulé : Recueil de plusieurs lettres des Rois et des Reines de France, d’autres souverains de l’Europe et des ministres d’Estat escrites aux viscomtes, comtes et marquis de Gourdon, Miranbel et Seneviere, tous de mesme maison ; où l’on a ajouté seulement les points et les virgules. Cette prétention de scrupuleuse exactitude s’accorde assez mal avec les altérations qu’on remarque dans la plupart des lettres dont ce manuscrit est composé. Ces altérations et la disparition des originaux nous ont fait renoncer à profiter d’un certain nombre de lettres du roi de Navarre au célèbre vicomte de Gourdon, où les traces de ce remaniement nous ont paru évidentes. Nous avons consulté d’abord notre savant ami, M. Lacabane, à qui nous devons la connaissance de ce manuscrit, et qui connaît à fond, jusque dans les moindres détails, toute l’histoire du Quercy. Cette lettre-ci lui a paru, ainsi qu’à nous, du petit nombre de celles qui sont demeurées intactes. Le ton en est bien celui des lettres du roi de Navarre ; et les événements, qui s’y trouvent relatés sont confirmés par les plus sûres données de l’histoire. Nous avons eu le soin de conserver l’orthographe du manuscrit.
  2. Antoine de Gourdon, d’une très-ancienne et illustre famille du Quercy, fils de Flotard de Gourdon et de Marguerite de Cardaillac, était vicomte de Gourdon et de Gaiffier, seigneur de Cenevières, baron de Puylagarde, chevalier de l’ordre, conseiller d’état d’épée et capitaine de cinquante hommes d’armes des ordonnances. Sa terre de Cenevières fut érigée en marquisat l’an 1612. Il n’eut point d’enfants de ses trois femmes, Paule de Coste, Marguerite du Maine et Isabeau de Montbartier. Il mourut vieux en 1616.