Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/Commencement d’août ― À monsieur de Saint-Geniés

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[1580. — commencement d’août.]

Orig. autographe. Collection de M. F. Feuillet de Conches.


À MONSR DE SAINT-GENIÉS.

Monsr de St Geniés, Vous aurés desjà sceu l’arrivée de mon cousin de la Roche avec ses troupes, que je fus recepvoir delà la riviere de Garonne, et ma presence fut trez-necessaire pour les persuader de passer. Maintenant que nous sommes ensemble, je m’asseure que le mareschal de Byron ne sçauroit rien entreprendre que nous ne luy fassions lascher. Il a faict semblant de vouloir attaquer les mas de Verdun avec les forces que ceulx de Thoulouze luy promettoient ; mais il a sceu que la place est en trop bon estat, monsr de Terride y ayant mis cinq cens arquebusiers dedans, quarante salades et force vivres. Il est maintenant à Agen avec l’artilerie, faisant semblant d’aller vers Saincte Bazeille, où j’espere si bien pourvoir qu’il n’y gaignera la seconde fois pas plus qu’il n’a faict la premiere[1]. Monsieur a envoyé vers moy un de ses maistres des requestes pour faire des ouvertures de paix, et parler de la reddition des villes prises depuis la conference. Mais je n’ay voulu encore rien traicter ny resouldre, attendant le retour de la Marsilliere ; seulement ay-je consenty nostre entreveue, esperant qu’elle ne pourra que proficter. J’ai eu nouvelles de Montagu, où Labolée[2] est trez bien accompagné ; et sur le bruit qu’on l’alloit assieger, beaucoup de gentils hommes qui n’avoient encore bougé s’y rendirent avec luy. Ceux de la Fere ont faict rage, et jusques icy on ne les a pas beaucoup pressez[3]. Je vous recommande tous les affaires de delà, et à Dieu.

Vostre plus affectionné amy,


HENRY.


J’ai donné commission au capitaine Lurbe pour assemblée d’arquebusiers pour la compagnie de Saincte-Colombe ; je vous prie le favoriser.


  1. Cette lettre est fort curieuse comme exposant les combinaisons du jeune roi de Navarre, au moment même où elles se trouvaient déjouées par l’expérience supérieure et par les ruses de guerre du maréchal de Biron. C’est ce qui résulte de ce passage des Mémoires de la reine Marguerite, au sujet d’un très-court séjour de son mari à Nérac, où elle tenait alors sa cour : « Le mareschal de Biron, qui n’espioit qu’une telle occasion, en estant adverty, feint de venir avec son armée près de là, pour joindre, à un passage de rivière, monsieur de Cornusson, seneschal de Tolose, qui lui amenoit des troupes ; et, au lieu d’aller là, tourne vers Nérac, et sur les neuf heures du matin il s’y présente avec toute son armée en bataille, prés et à la vollée du canon. Le Roy mon mary, qui avoit eu advis dés le soir de la venue de monsieur de Cornusson, voulant les empescher de se joindre et les combattre séparés, ayant forces suffisantes pour ce faire (car il avoit lors monsieur de la Rochefoucaut avec toute la noblesse de Xainctonge, et bien huit cens harquebusiers à cheval qu’il lui avoit amenez),estoit party du mattin, au poinct du jour, pensant les rencontrer sur le passage de la riviere ; mais les ayant failly pour n’avoir esté bien adverty, monsieur de Cornusson ayant, dés le soir devant, passé la riviere, il s’en revient à Nérac, où, comme il entroit par une porte, il sceut le mareschal de Biron estre en bataille devant l’aultre. » (Mémoires de Marguerite de Valois, nouvelle édition, p. 168.) Ce fut en cette occasion que Biron fit tirer le canon contre le château de Nérac, où se trouvait Marguerite, et quelque temps après, qu’il se cassa la jambe dont il était déjà boiteux.
  2. C’est une manière d’écrire le nom de la Boulaye, qui, avec Bastarderaie et d’Aubigné, s’empara de cette ville par une ruse très-hardie, comme le raconte d’Aubigné dans son Histoire universelle, t. II, liv. IV, chap. VI.
  3. Brantôme parle ainsi de la manière dont le maréchal de Matignon procéda à ce siege « Amprés il fut faict mareschal de France, dont pour son premier coup d’essay il alla assieger la Fere, où s’accomodant à sa lentitude accoustumée il y employa plus de temps qu’il n’y falloit ; et disoit-on qu’il lui faudroit beaucoup de siecles pour faire la conqueste d’un seul petit pays à son Roy au prix de cette petite piece conquise. » (Vies des grands capitaines françois. – Le maréchal de Matignon.) Mézerai explique cette circonspection du maréchal par la présence des deux principaux favoris de Henri III, d’Arques et la Valette, qui furent depuis les ducs de Joyeuse et d’Epernon. Le soin de Matignon à les ménager et le luxe de leurs équipages tirent appeler cette expédition le siége de velours. Néanmoins la ville capitula le 12 septembre. Elle était assiégée depuis la fin de juillet.