Recueil des lettres missives de Henri IV/1583/19 novembre ― À monsieur de Sainct Geniez

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[1583.] — 19 novembre.

Orig. — Arch. des Affaires étrangères, Correspondance politique, Mss. France, n° XIX, fol. 51 recto.


À MONSR DE SAINCT GENIEZ.

Monsr de St Geniez, Ayant eu response du mareschal de Matignon par laquelle je perds toute esperance de rentrer au Mont de Marsan par son moïen, je me resoluz hier de faire executer une entreprise que j’y ay, avec mes gardes et celles de monsieur le Prince, la nuict d’entre le dimanche et le lundy[1]. Dont je n’ay voulu faillir de vous advertir, par ce porteur exprés ; vous priant faire tenir prestz aux Parsans du Bibil, de Navarreinx et de Sauveterre[2], deux cens harquebuziers en chascun, pour les faire acheminer au dict Mont de Marsan, si vous avez advertissement certain qu’ilz debutent quelque coing ou endroict de la ville. Car je veulx estre plus prest de secourir les miens que monsr de Poyanne[3] les siens. De ma part je m’y achemineray aussy, dés que je sçauray la nouvelle[4]. Et sur ce, me confiant en vostre diligence, je prieray Dieu, Monsr de St Geniez, vous avoir en sa garde. De Nerac, ce xixe novembre, à huict heures.

Vostre affectionné maistre et parfaict amy,


HENRY.


  1. Nous voyons en effet, dans les comptes de la dépense ordinaire du roi de Navarre, ce prince arriver au Mont-de-Marsan le 22, ce qui, avec les autres renseignements que nous allons citer, donne, de la manière la plus précise, l’an, le jour et l’heure de la prise de cette ville, date jusqu’ici très-altérée. De Thou la met du 1581 ; le biographe de Mornay la place au mois d’octobre 1583.
  2. Petite ville du Béarn, aujourd’hui chef-lieu de canton du département des Basses-Pyrénees.
  3. Bertrand de Baylens, seigneur de Poyanne, gouverneur d’Acqs, que de de Thou désigne comme l’un des plus braves gentilshommes de la province, s’était emparé de cette ville, avec beaucoup de courage, en 1580.
  4. Cette entreprise fut parfaitement exécutée. « Elle mérite, est-il dit dans la vie de Mornay, d’estre mieux escrite qu’ailleurs elle ne se trouve. » Voici le récit qui en est donné dans cet ouvrage : « Le Roy de Navarre, portant impatiemment d’avoir esté abusé tant de fois, l’ayant fait reconnoistre par les sieurs de Castelnau, de Chalosse et de Mesme, se resoult de l’exécuter. Monsieur le prince de Condé l’estoit venu voir à Nerac ; sans autre amaz, ils prennent leurs gardes et donnent à quelques uns des plus voisins le rendez-vous au milieu des Landes. La nuict ensuivante, ils traversent la riviere qui sert fossé à la ville, avec des petits bateaux d’une piece pour porter l’escalade à la muraille. L’escarpe estoit haute et pleine de buissons espais, tellement qu’il fallut chercher des cerpes et s’y faire un chemin. Dieu voulut neantmoins qu’on leur en donnast le loisir, et, parvenus au pied de la muraille, ils y poserent une eschelle assez proche de la sentinelle, et par là entrerent en la ville. À l’allarme qui fut donné par un coup de pistolet qui leur eschappa, accourut le peuple, mais qui fut tost dissipé sans meurtre que d’un seul ; puis la porte fut ouverte au Roy de Navarre et le tout composé si promptement, qu’à huit heures du matin les boutiques estoient ouvertes, chacun à sa besongne, sans aucune apparence d’hostilité. » (Livre Ier.)