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Revue des Romans/Saint Thomas More

La bibliothèque libre.
Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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MORUS (Thomas),
né à Londres en 1480, mort sur l’échafaud le 5 juillet 1535.


TABLEAU DU MEILLEUR GOUVERNEMENT POSSIBLE, ou l’Utopie de Thomas Morus, traduit par M. T. Rousseau, in-12, 1780. — 2e édit. avec des notes, in-8, 1780. — (La première édition française de l’Utopie, traduite par Jehan Leblond, fut imprimée à Paris en 1550, in-8, avec figures en bois). — Morus suppose qu’étant à Anvers il rencontrait souvent chez un ami un certain Hythlodus, autrefois compagnon d’Améric Vespuce, qui avait beaucoup voyagé et beaucoup vu. Les conversations roulaient sur des points de philosophie, sur les malheurs qui affligent l’humanité, sur les moyens de rendre les hommes meilleurs, les gouvernements plus équitables, etc., etc. Un jour, à la fin d’une de ces conversations, Hythlodus conclut par dire que la société ne serait jamais bien gouvernée tant que subsistera le droit de propriété. Les interlocuteurs de cet entretien imaginaire se récrièrent, et Morus, qui s’y est donné un rôle, réfute l’idée d’Hythlodus, surtout comme impraticable. Hythlodus répond qu’il en a vu dans ses voyages une application qui a parfaitement réussi. « Où donc ? demandent les interlocuteurs. — En Utopie. » On presse le voyageur de raconter tout ce qu’il a vu dans cette contrée merveilleuse, et Hythlodus commence son récit. « L’île d’Utopie, dit-il, est située au delà de l’Océan Atlantique. La capitale des cinquante-quatre grandes villes s’appelle Amaurote. La forme du gouvernement est républicaine. Tout s’y fait par élection, même la nomination du souverain, qui n’est qu’un simple magistrat. La seule chose qui le distingue des autres Utopiens, c’est qu’il porte une gerbe de blé à la main en guise de sceptre. Le pontife est le premier personnage de l’île après le roi. L’organisation civile est fondée sur la famille. Chaque famille se compose de quarante personnes, tant hommes que femmes, plus deux esclaves, car il y a des esclaves en Utopie. Pour trente familles il y a un magistrat appelé philarque, dont l’autorité s’étend sur les chefs de ces familles, et pour dix philarques, il y a un magistrat supérieur nommé protophilarque. Ces protophilarques, au nombre de deux cents, et élus pour un an, choisissent, en cas de vacance du trône, le prince, entre deux candidats nommés par le peuple, et forment le conseil du roi qui est en charge. Ce conseil s’assemble tous les trois jours. En cas d’affaires importantes on consulte la nation. Chaque philarque assemble ses trente familles, recueille leur avis, et va le porter au sénat. Ces soixante-deux citoyens, c’est-à-dire trois pour chaque ville, forment le sénat, qui s’assemble tous les ans dans la capitale. On les choisit parmi les vieillards. Toutes les fonctions, soit législatives, soit exécutives, sont annuelles, hormis celle du roi, qui est nommé à vie. Tout appartient à tous, sauf les femmes. Quiconque a besoin d’une charrue, d’un habit, d’un outil de travail, va le demander au magistrat, qui le lui donne. Les voyages se font sans argent ; l’étranger reçoit partout l’hospitalité, mais à la condition de la payer par quelque travail. Tous les citoyens sont obligés de savoir un métier ; le travail est modéré. La journée de l’Utopien se divise en trois parties : six heures pour travailler, dix heures pour se reposer ou pour faire ce qu’il lui plaît, huit heures pour dormir. On dîne en commun, dans de grandes salles où tiennent trente familles de quarante membres. On ne soupe jamais sans musique dans cette île bien heureuse ; les parfums, les cassolettes, les eaux de senteur embaument la salle du festin ; les Utopiens ont pour principe que toute volupté, dont les suites ne sont pas fâcheuses, doit être permise ; ils sont extrêmement sensuels, et disent que tous les plaisirs ont été donnés à l’homme pour en jouir sans en abuser. Le mariage n’a lieu entre fiancés qu’après vérification réciproque de leur état physique. Cette vérification se fait en présence de deux experts, d’une matrone et d’une sorte de médecin ad hoc, lesquels font subir aux jeunes fiancés une visite mutuelle ; quand les futurs se sont ainsi vus face à face, et sans voile, et qu’ils ont déclaré se trouver satisfaits l’un de l’autre, on les marie. Si, par la suite, il y a incompatibilité d’humeur, le divorce est permis par consentement mutuel. Toutes les religions sont tolérées en Utopie. »

Telles sont les principales idées de ce livre, si goûté à l’époque où il parut, si oublié maintenant. On voit que notre siècle a lu, sans le savoir, bien des contrefaçons de l’Utopie. Les doctrines de Saint-Simon et de Fourrier sont dans l’Utopie ; les attaques contre le droit de propriété sont dans l’Utopie ; la défense de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre est dans l’Utopie ; l’Utopie, c’est la phalange de Charles Fourrier, c’est la communauté de biens de Saint-Simon.

On doit à Mme la princesse de Craon une histoire intéressante de Thomas Morus. Voy. Craon.