Richard Wagner jugé en France/6

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À la Librairie illustrée (p. 217-307).

TROISIÈME PARTIE
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de 1876 à 1886
Premiers succès. — Lohengrin au théâtre de la Monnaie, au Cirque-d’Hiver et au concert Lamoureux. — La question Neumann (1881-1882). — Premières auditions au Cirque-d’Hiver, au concert du Châtelet et aux Nouveaux-Concerts. — Parsifal à Bayreuth (1882). — Mort de R. Wagner (1883). — Auditions de fragments de Tristan et de la Walkyrie. — Les Maîtres-chanteurs à Bruxelles (1885). — Représentation projetée de Lohengrin à l’Opéra-Comique, campagne de la presse (1885-86). — Biographes et commentateurs.

Au commencement de l’année 1878, le théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, reprit Lohengrin avec une certaine solennité. Ce théâtre ne prétendait pas encore au rôle de troisième scène lyrique française, qu’il a rempli dans ces dernières années avec un zèle si utile à nos compositeurs. Il n’avait donc pas adressé d’invitations régulières à la presse parisienne, comme l’usage en a prévalu récemment ; quelques chroniqueurs musicaux, parmi les plus wagnériens bien entendu, passèrent seuls la frontière pour assister à cette reprise, et, avec eux, un certain nombre d’artistes et d’amateurs[1].

Le 11 mars, la chronique de M. Ad. Jullien, au Français, était entièrement consacrée à Lohengrin. Bien qu’on ne puisse morceler une étude aussi serrée, d’une aussi complète cohésion, je citerai pourtant cette définition du système dans lequel l’œuvre a été conçue : — « Chaque acte forme dans son entier comme un vaste morceau symphonique dont les dessins d’orchestre varient à l’infini selon l’expression des scènes ou le sentiment des personnages, mais sans se scinder en aucun endroit. Au-dessus de cette trame orchestrale, dans cette atmosphère sonore qui double la puissance de la voix et l’expression mélodique des phrases chantées, chaque personnage déclame juste ce qu’il doit dire, jamais moins ni plus, en un récit toujours très mélodieux et très élevé, mais sans jamais se répéter, sans presque jamais chanter avec un autre personnage. »

Même enthousiasme chez M. Joncières, dont le feuilleton[2] se termine par ce vœu :

« Puisse le succès de Lohengrin au théâtre de la Monnaie avoir assez de retentissement pour décider M. Escudier à monter cet ouvrage à la salle Ventadour ! On avait annoncé, il y a quelque temps, que l’Albani allait chanter Lohengrin, dans lequel elle est, dit-on, tout à fait remarquable. Depuis, nous n’avons plus entendu parler de ce projet. Il y aurait là cependant, croyons-nous, une excellente spéculation, qui devrait tenter le directeur de la salle Ventadour.

« L’heure de Lohengrin est venue ; il ne tient qu’à M. Escudier d’en faire la fructueuse expérience. »

À propos de Lohengrin, il faut rappeler une petite plaquette, publiée chez Baur[3] l’année suivante, dans laquelle M. Van der Strœten, musicographe belge, étudiait l’instrumentation de cet opéra au point de vue de la caractéristique des personnages et la déclarait admirable. Bien que les aperçus philosophiques de l’auteur soient souvent d’une valeur discutable, cette brochure hyperbolique eût gagné à ne pas être écrite en un galimatias flamand, transcendantal peut-être, mais souvent inintelligible. Dans les dernières pages, M. Van der Strœten s’indigne des railleries de la presse parisienne à l’égard de Wagner.

À la suite de l’esclandre provoqué au Cirque d’hiver, en 1876, par la marche funèbre de Gœtterdœmmerung, M. Pasdeloup, cédant à des conseils venus de haut lieu ou à une préoccupation d’apaisement, cessa de faire figurer des morceaux de Wagner sur les programmes de ses concerts. Cette abstention dura deux ans et demi ; mais, devant le succès obtenu par la marche de Tannhœuser au quatrième festival de l’Hippodrome[4], il pensa que l’irritation des Parisiens contre Wagner avait eu le temps de se calmer. Le moment lui parut favorable pour rendre au maître allemand sa place légitime dans les concerts et il afficha pour le 9 mars, l’ouverture de Tannhœuser.

Elle obtint l’accueil habituel. L’ouverture du Vaisseau-fantôme, exécutée le 30 mars, fut reçue avec indifférence et, le 6 avril, le prélude de Tristan, applaudi par les uns, suscita les protestations ordinaires.

L’heure de Lohengrin semblait venue, M. Pasdeloup risqua une grosse partie en faisant exécuter le premier acte de la partition, moins les premiers récitatifs. La première audition[5] eut lieu le 20 avril 1879, devant une salle comble. L’auditoire se montra très attentif, malgré la faiblesse des interprètes et à la fin de l’acte, après le fougueux finale, il y eut un cri unanime de surprise et d’enthousiasme. Le succès fut très vif, sincère et spontané, à part quelques actes d’opposition, et doux au cœur de M. Pasdeloup qui avait si péniblement travaillé à la diffusion de l’œuvre de Wagner. Devant ce résultat, il eut l’idée de donner deux nouvelles auditions, les 8 et 15 mars, dans la soirée.

Le premier soir, la salle était pleine ; beaucoup de personnes entendaient l’œuvre pour la seconde fois. Les applaudissements furent chaleureux et unanimes. Le 15, le public étant moins nombreux, plus divisé, il y eut tapage, cabale, coups de sifflet et scènes de pugilat. La presse entière rendit justice au mérite du fragment exécuté.

« Jamais, à notre avis, écrivait M. «Foncières[6], la musique dramatique n’a atteint ce degré d’intensité dans l’art de tout traduire, de tout peindre, de tout représenter, suivant l’expression de Wagner.

« Sans doute, l’auditeur ne peut analyser tout d’abord les procédés mis en œuvre pour rendre, par la variété du rythme, les moindres battements du cœur ; pour exprimer, au moyen des modulations, ces bouleversements intimes de l’âme, passant de la fureur à la pitié, de la terreur muette à la joie éclatante, pour faire comprendre, par la mélodie, par l’harmonie, quelquefois par le timbre particulier d’une seule note, les sentiments les plus secrets des héros du drame lyrique. Mais si la prodigieuse recherche de représenter fidèlement avec des sons les nuances les plus fugitives de la passion lui échappe, il ne peut cependant se soustraire à l’émotion, que fait naître cette sonorité d’accents, cette traduction si juste des pensées dont sont animés les personnages, qui met, pour ainsi dire, à nu les replis les plus cachés de leur âme. »

Il lit cependant des réserves. — « Nous avons dit que Lohengrin était un chef-d’œuvre ; mais il n’est pas de chef-d’œuvre devant lequel la critique doive perdre ses droits. On pourrait donc blâmer la longueur et la monotonie de certains récits. — M. Pasdeloup a sagement fait de supprimer ceux de la première scène — ainsi que l’abus des instruments de bois, qui soutiennent presque toujours la mélodie par des tenues, comme s’il y avait un orgue dans l’orchestre. »

M. Ad. Jullien avait tout dit sur Lohengrin dans son article du 11 mars 1878 ; il se borna à féliciter M. Pasdeloup de sa hardiesse et de son succès.

Seul, M. Comettant demeura intraitable. Il écrivit tout un feuilleton du Siècle (28 avril) sur Wagner, avec les bévues et les injures coutumières. L’indignation patriotique le dispute chez lui au parti pris. À ses yeux, le succès n’était dû qu’à la présence d’un millier d’Allemands. — Le 12 mai, il se lamenta sur les égarements « de ce pauvre Pasdeloup » et s’exprima ainsi : « C’est méconnaître la pensée de l’auteur de Lohengrin que de donner un acte entier de cet opéra, au repos, sans aucune action, sans aucune mise en scène, dans une salle de concert où les chanteurs en frac, les chanteuses revêtues du costume de bourgeoises du xixe siècle se mêlent aux musiciens très visibles de l’orchestre. Ce premier acte de Lohengrin, malgré quelques beautés musicales, indépendantes du théâtre, a paru monotone, lourd, compact, parce que, ainsi exécuté, il est hors des conditions où il a été conçu. »

M. Pougin, chargé par la maison Didot de rédiger un supplément à la Biographie universelle des musiciens de Fétis et de compléter les anciennes notices devenues insuffisantes depuis la publication de ce dictionnaire, eut à rédiger un article nouveau sur Wagner[7]. Au lieu de se borner à indiquer les événements survenus dans la vie de l’artiste et à donner une mention de ses dernières productions, il céda au besoin de morigéner Wagner sur les actes répréhensibles de sa vie privée, de faire le procès, à son tour, aux théories du compositeur et d’examiner sommairement chacune de ses œuvres. Il s’occupa un peu plus longuement de Tristan, des Maîtres-Chanteurs et de la Tétralogie. Sur Tristan, voici son opinion : —

« Qu’il y ait parfois dans le cours d’une œuvre d’aussi longue haleine, un fragment superbe, un élan magnifique, on peut le croire sans peine, étant donné le génie très réel du musicien ; mais que cette œuvre, considérée dans son ensemble, soit destructive d’une véritable jouissance intellectuelle et artistique, qu’elle amène avec la tension continuelle des nerfs et de l’esprit, une fatigue meurtrière et un ennui profond, c’est ce qui n’est pas moins incontestable. »

Sur les Maîtres Chanteurs : « — La partition des Maîtres Chanteurs, longue et obscure, épaisse et touffue jusqu’à l’excès, fertile en combinaisons orchestrales d’un caractère presque inaccessible à la masse du public, offrent à chaque instant des partis pris d’extravagance et comme des rébus absolument indéchiffrables, provoque chez l’auditeur le plus déterminé une lassitude cruelle et une souffrance véritable. »

C’est ainsi qu’en France, on rédige les dictionnaires !

Après avoir examiné les effets de l’influence du musicien novateur sur l’art contemporain, M. Pougin concluait en ces termes : « L’Allemagne me parait condamnée à subir longtemps encore les effets de l’esthétique de M. R. Wagner ; la France, après quelques instants d’hésitation, en sera quitte pour s’approprier quelques-unes des qualités de sa musique, qui viendront compléter le bagage scientifique de nos artistes, sans faire courir aucun risque à l’art national et à sa marche rationnelle. »

La partie de l’article la plus utile à consulter, c’est la liste très complète des œuvres musicales et littéraires de Wagner et des publications françaises ou étrangères auxquelles ses ouvrages et ses doctrines ont donné lieu.

Le dernier chapitre des Tableaux romantiques de littérature et d’art, intitulé la Musique et ses destinées, fait allusion aux théories esthétiques de Wagner. Celui-ci n’a rien inventé, bien entendu. Au sujet de l’union entre la musique et les paroles cherchée par Wagner, de système exposé longuement dans les neuf volumes d’œuvres théoriques, le critique formule ce jugement : « C’est le transcendantal dans l’absurde et la présomption. Politique, religion, histoire, économie sociale, toutes les questions sont traitées et ramenées imperturbablement vers un centre qu’il occupe, lui, le messie annoncé par les prophètes, le rédempteur descendu des cieux pour racheter les générations présentes et futures de l’horrible esclavage du préjugé. »

Et ainsi de suite. Pas d’arguments, des phrases.

Les wagnériens invoquent à l’appui du système, l’exemple de Beethoven renonçant à la forme purement musicale pour appeler à lui l’aide de la poésie dans l’Hymne à la joie de la Symphonie avec chœurs, mais « Beethoven n’eut jamais la sotte idée de fonder un dogme et de prêcher la délivrance de la musique par la parole. » D’ailleurs, la neuvième symphonie ne fut pas son chant du cygne et il est revenu ensuite aux formes régulières de la musique instrumentale.

Dans les Musiciens du passé, du présent et de l’avenir[8], de M. Blaze de Bury, publiés à la fin de 1880, le chapitre sur Wagner est d’une rare insignifiance. Après avoir rappelé l’opinion de Meyerbeer sur la musique de l’avenir, déjà pieusement consignée dans Meyerbeer et son temps[9], le critique soude péniblement ensemble de vieilles chroniques de la Revue des Deux-Mondes où l’on cueille des aphorismes de cette force :

— « La musique est un art, la poésie en est un autre… »

— « Les plus beaux vers ne peuvent rien pour une mauvaise musique… »

— « Le grand point, lorsqu’on se mêle de composer des opéras, c’est d’être un musicien de théâtre. Ayez d’abord le don et tout le reste vous viendra par surcroît, selon les milieux et les circonstances. »

Allons ! M. de la Palisse n’est pas mort, mais M. Blaze de Bury retarde de vingt ans. Il sacrifie Wagner, comme de juste, à la gloire de Weber, de Meyerbeer et de Verdi. Si l’on n’avait la date du livre sur la couverture, on croirait lire un article écrit du temps des Azevedo, des Chadeuil et des Fiorentino, et non à une époque où Mme Judith Gautier organisait dans les salons de Nadar des auditions intimes des fragments de la Tétralogie.

Ces auditions auxquelles n’assistèrent que les seuls wagnériens[10], la presse n’ayant pas été conviée, comprenaient une lecture faite par M. Émile Marras, d’un texte dû à Mme Judith Gautier, l’analyse des ouvrages inscrits au programme, et l’exécution de fragments des drames lyriques de Wagner.

Les chanteurs étaient MM. Hermann Devriès, Pagans et le ténor Prévost ; les chanteuses, Mme Irma Marié, Mlles Abella et Zélo-Duran ; les accompagnateurs habituels, M. G. Fauré, M. André Messager, M. H. Ghys, MM. Chevillard, Esposito et Luzzato.

Pour l’exécution des morceaux symphoniques, les instrumentistes attelés à quatre pianos représentant l’orchestre, étaient dirigés par M. Benedictus. Ainsi préparés à goûter les plus belles pages de l’œuvre de Wagner, les auditeurs emportaient de ces séances une impression incomplète sans doute, mais favorable.

Pendant ce temps, les partitions du maître étaient de mieux en mieux comprises au Cirque d’Hiver. Le 4 avril 1880, M. Pasdeloup donnait des fragments de Lohengrin, où se faisait entendre le ténor Warot, et certains morceaux du troisième acte de Tannhœuser, chantés par une artiste allemande, Mme Schrœder, et le baryton Boyer. Ces fragments furent très applaudis.

À partir de cette époque, le succès paraissant acquis aux opéras de Wagner connus depuis longtemps, les sociétés symphoniques rivalisèrent de zèle à exploiter ce succès et pour renouveler leurs programmes, découpèrent des scènes à effet dans les œuvres de la troisième manière.

Toujours habile à profiter de la vogue naissante, M. Colonne, qu’avait enrichi l’engouement subit des Parisiens pour la musique de Berlioz, s’empara des compositions de Wagner quand elles eurent obtenu la faveur du public et lui semblèrent devoir attirer la foule au Châtelet, Ce fut le 1er février 1880 qu’il osa, pour la première fois, faire exécuter l’ouverture de Tannhœuser. Cette tentative, dans un concert qui avait fait ses débuts à l’Odéon, sous le nom de Concert national et qui, jusque-là, avait servi surtout à faire connaître les œuvres de la jeune école française, lui paraissait un acte d’audace périlleuse, car il avait tenu à apaiser les susceptibilités patriotiques en faisant précéder l’ouverture de Tannhœuser d’une série de symphonies et suites d’orchestre de nos jeunes maîtres. Afin de satisfaire tous les goûts, il avait fait entendre, aussitôt avant la musique de Wagner, la valse lente et les pizzicati de Sylvia. Malgré cet holocauste destiné à désarmer l’opposition, il tremblait fort, — je le vois encore, — en dirigeant le finale de l’ouverture, prudemment reléguée, d’ailleurs, à la fin du concert. Sa hardiesse, — puisque hardiesse il y avait, — fut accueillie par une salve d’applaudissements unanimes.

14 novembre 1880. — Première audition de Siegfried-Idyll, pièce d’orchestre composée par Wagner en 1871 pour la fête de sa femme, sur des thèmes de Siegfried. Le morceau fut écouté respectueusement, dans un silence de surprise, à cause de la douceur et de la grâce de cette musique. Sans les redites trop fréquentes des motifs, l’œuvre eût été beaucoup plus appréciée, tandis qu’elle fut reçue au Châtelet avec une indifférence presque générale.

Le 19 décembre 1880, le baryton Labis, au Cirque d’Hiver, chantait les Adieux de Wotan à Brunehild et l’incantation du feu de la Walküre. Morceau applaudi, sans avoir été probablement très bien compris. M. J. Weber[11] y trouvait « des accents très beaux dont l’Opéra pourrait faire son profit pour nous débarrasser des poncifs qu’on nous donne sous le nom de récitatifs. La partie de l’orchestre est superbe, et la musique descriptive qui accompagne l’apparition du feu, fort curieuse. »

Le 23 janvier suivant, M. Colonne faisait entendre à son auditoire la Chevauchée des Walkyries, sans les voix de femmes. Ce fut le plus grand succès qu’ait remporté à Paris la musique de Wagner, le plus populaire, et plusieurs auditions successives ne suffirent pas à satisfaire la curiosité du public.

6 février. — Au Cirque d’Hiver, trois fragments du Vaisseau-fantôme, l’air de basse du Hollandais au premier acte, la scène des jeunes filles au rouet et la ballade de Senta, — chantés par M. Lauwers, Mmes Caron et Brunet-Lafleur. Ces morceaux, dont la facture ressemble beaucoup à celle de nos opéras français, furent bien accueillis.

Le 10 avril, M. Pasdeloup joignait aux fragments des Maîtres-Chanteurs déjà connus le quintette chanté par Mmes Panchioni, Caron, MM. Lauwers, Bolly et Lecor. Indulgent aux interprètes, le public applaudit de bonne foi.

Au Concert spirituel du Vendredi-Saint (15 avril 1881), M. Colonne tenta l’entreprise téméraire de faire accepter à son public, non seulement le prélude de Tristan, mais la scène finale dans laquelle le cantique passionné d’Yseult à l’anéantissement était transcrit pour cornet à pistons. Raison d’économie sans doute ! Plus tard, il devait faire exécuter à un saxhorn les adieux de Wotan à Brunehild dans la Walkyrie. Je dénonce au mépris des musiciens cet odieux saccage, propre à faire accuser Wagner d’incohérence et d’obscurité par les ignorants. — Ces fragments de Tristan firent fiasco.

Le 23 octobre suivant, il eut l’idée d’extraire de la partition de Tannhœuser la scène de la Bacchanale du Venusberg, écrite pour les représentations de l’Opéra. Cette page symphonique, d’une verve dionysiaque, fut peu comprise à la première audition.

Dans cet automne de 1881, M. Lamoureux fonda, au Théâtre du Château-d’Eau, une troisième entreprise de concerts où il sut attirer bientôt, par l’excellence de l’exécution instrumentale, un nombreux public d’artistes et d’amateurs. Suivant ses goûts personnels, il ne tarda pas à donner aux œuvres de Wagner une large place sur ses programmes. Les fragments déjà connus par les matinées musicales du Cirque d’Hiver et du Châtelet, prirent d’abord possession du répertoire comme pour tâter l’opinion et accoutumer progressivement un auditoire très composite, où se mêlait un certain nombre d’abonnés du Conservatoire, à une musique réputée subversive. Ce fut d’abord l’ouverture de Rienzi (6 novembre 1881), puis celle du Vaisseau-fantôme (20 novembre), qui furent couvertes d’applaudissements. Le 11 décembre, pour les fragments symphoniques des Maîtres-Chanteurs, l’opinion fut plus divisée, surtout après l’ouverture, mal comprise à la première audition.

Pendant ce temps, Tannhœuser triomphait au Châtelet et au Cirque d’Hiver. M. Colonne (27 novembre 1881) exécutait toute une série de morceaux : l’ouverture, la bacchanale, le septuor et le finale du premier acte, la romance de Wolfram et la marche. Après lui, le 11 décembre, M. Pasdeloup donnait le septuor et les fragments bien connus du troisième acte, avec M. Faure dans le rôle de Wolfram. Le succès fut immense, surtout pour le chanteur.

Dès lors, cette suite de morceaux de Tannhœuser devint une des attractions les plus communes des Concerts populaires et des Concerts du Châtelet. M. Colonne en a particulièrement abusé et ces fragments ont alterné pendant des années et alternent souvent encore, sur ses monumentales affiches rouges, avec le Désert, de F. David, la Sérénade, de Beethoven et le Songe d’une nuit d’été dont s’est engoué son public de rapins de l’École des Beaux-Arts, de commerçants et de calicots.

La question Lohengrin, dont on a fait si grand bruit l’hiver dernier, est déjà vieille de vingt-trois ans.

Nous avons vu qu’en 1864, M. Carvalho hésitait entre la partition du Vaisseau-fantôme et celle de Lohengrin. En 1868, après le succès des Maîtres-Chanteurs à Munich, Wagner nous apprend qu’un imprésario songeait à monter à Paris ses opéras avec une troupe allemande… Là-dessus, l’ancien et le nouveau directeur du Théâtre-Lyrique se disputent la partition de Lohengrin et finalement, renoncent à la mettre à l’étude. Quand Rienzi fut représenté en 1869, bien des musiciens blâmèrent M. Pasdeloup de n’avoir pas choisi Lohengrin. Si l’entreprise eût été plus prospère, il est probable qu’après Rienzi, le tour de Lohengrin serait venu.

En 1878, la présence de l’Albani au Théâtre. Italien et ses succès à l’étranger, dans le rôle d’Elsa, engageaient M. Escudier à tenter l’aventure. Traduit en italien et chanté par une étoile, Lohengrin eût obtenu le même succès qu’Aïda. Il n’en fut bientôt plus parlé.

Les choses en étaient là quand, à la fin de l’année 1881, M. Angelo Neumann, directeur du théâtre de Prague, s’ingéra de faire représenter Lohengrin à Paris. Muni de l’autorisation de Wagner, il cherchait une scène où installer sa troupe allemande. Il devint, pour ses florins, sous-locataire de M. Ballande, au théâtre des Nations. Mais, quand on apprit que les représentations n’auraient pas lieu en français, voilà nos journalistes saisis d’un courroux patriotique, délirant d’une horreur sacrée, tant et si bien que M. Raoul Pugno, engagé comme répétiteur du chant, écrivit à M. Neumann son refus de diriger les études en allemand. À la lettre de M. Pugno, M. Neumann répondit de Leipsig qu’il ne cherchait pas à nationaliser en France la musique allemande. Aussi, au lieu de s’adresser aux théâtres subventionnés, avait-il choisi un terrain neutre, « le théâtre des Nations, qui veut être l’asile de l’art de toutes les nations. » (2 janvier 1882.)

« Ce n’est pas sans un réel plaisir, écrivait alors M. Comettant[12], l’ennemi juré de R. Wagner, que nous avons vu exprimer à propos d’un théâtre allemand, voué au culte de Wagner à Paris, des sentiments qui sont les nôtres et que nous n’avons jamais dissimulés. Paris, le Parlement, l’Unité Nationale et d’autres journaux encore se sont indignés à la pensée que ce monsieur aurait son théâtre à Paris, pendant que nos compositeurs sont réduits à l’inaction, pour la plupart, faute d’une scène qui puisse accueillir leurs ouvrages. »

Dans la Renaissance musicale[13] du 15 janvier, M. Ed. Hippeau blâmait le projet de M. Neumann, prévoyant des scènes de désordre provoquées par les excitations de la presse. « Je vois très bien, disait-il, que, à la suite de la campagne d’intimidation entreprise par une partie de la presse, le public s’abstiendra ou sera insuffisant pour écarter la fraction turbulente qui organisera le tumulte. »

Il allait jusqu’à rechercher dans cette importation de la musique de Wagner en allemand, le machiavélisme du prince de Bismarck. « Et si M. Neumann n’était actuellement qu’un agent provocateur ? si tout le bruit mené autour de Lohengrin n’était destiné qu’à surexciter les esprits ou à les pousser à des violences ? C’est impossible, direz-vous, Eh ! qu’en savez-vous ?

Non, non, non ! de toute façon, il ne faut pas que les scandales de Tannhœuser se renouvellent. Cela serait grotesque, odieux ; cela pourrait créer des dangers très sérieux ; je n’en dis pas davantage. »

M. J. Weber se plaçait, lui, au seul point de vue musical et concluait ainsi : « On a protesté pour divers motifs contre les représentations de l’œuvre de Wagner avec texte allemand ; personne ne parait avoir vu le seul motif sérieux, que voici : c’est aller contre l’intention de l’auteur lui-même que de traiter Lohengrin comme une œuvre de mélodie absolue dont on n’a pas besoin de comprendre les paroles. Elle ne pourrait donc être bien appréciée que des personnes qui savent l’allemand. » (Temps du 17 janvier.)

D’ailleurs, le péril entrevu se trouva conjuré. M. Neumann ne put s’obstiner dans son parti-pris, le directeur du théâtre de Munich ayant refusé à trois de ses artistes le congé nécessaire pour chanter Lohengrin à Paris et la comédie se termina par un dédit de 15,000 francs qu’empocha M. Ballande.

En manière d’épilogue, R. Wagner écrivit le 17 mai suivant à M. Éd. Dujardin une lettre datée de Bayreuth[14], qui fut insérée dans la Renaissance musicale du 21 mai 1882. « Non seulement, disait-il, je ne désire pas que Lohengrin soit représenté à Paris, mais je souhaite vivement qu’il ne le soit pas et pour les raisons suivantes : d’abord, Lohengrin ayant fait son chemin dans le monde, n’en a pas besoin[15]. Ensuite, il est impossible de le traduire et de le faire chanter en français, de manière à donner une idée de ce qu’il est. En ce qui concerne une représentation en allemand, je conçois que les Parisiens n’en aient pas envie. » Il ajoutait qu’il lui était même désagréable qu’on en donnât des actes entiers dans les concerts. Il semblait même récuser aux Français toute compétence pour apprécier ses drames lyriques, par cette déclaration catégorique : « Mes œuvres sont essentiellement allemandes. »

Le 1er juin suivant, dans son feuilleton des Débats, M. Reyer discutait les termes de cette lettre que certains considéraient comme injurieux pour le public parisien.

Après avoir hué, sifflé, ridiculisé Wagner, disait le critique, « depuis quelque temps, nous essayons de lui offrir une réparation tardive et nous allons à lui avec des sourires aux lèvres et des brins de laurier à la main. Il ne croit qu’à demi à la sincérité de notre conversion, à notre enthousiasme qui a été un peu lent à venir, et nous dit que, n’ayant que faire de tout cela, il nous prie de le laisser tranquille. »

Contrairement aux répugnances de l’auteur, M. Reyer se prononçait en faveur de la traduction. N’a-t-on pas traduit Fidelio et cet opéra en fut-il moins applaudi quand Mme Viardot le chanta au Théâtre-Lyrique et Mme Krauss au Théâtre-Italien ? « Il n’y a pas le moindre doute à avoir sur l’accueil qui sera fait à Lohengrin. Nous sommes mûrs pour cette œuvre. » M. Reyer a de nouveau pris énergiquement la défense de Lohengrin, pendant la campagne d’opposition menée l’hiver dernier contre le projet de M. Carvalho de représenter cet ouvrage à l’Opéra-Comique[16].

Revenons aux concerts symphoniques.

Le 15 janvier 1882, M. Waldemar-Meyer faisait entendre au Cirque-d’Hiver deux pièces de Wagner pour violon (transcription de la mélodie du rêve et du chant de concours des Maîtres-Chanteurs), dont le public se soucia médiocrement. Le 5 février, M. Pasdeloup offrit à ses habitués, avec le prélude de Tristan, la scène de la mort et transfiguration d’Yseult, qui produisit peu d’effet, par suite de l’insuffisance vocale de Mme Panchioni. Grand succès le même jour, au Châtelet, pour les fragments de Rienzi (ouverture, chœur des Messagers de paix, prière de Rienzi et finale du troisième acte), dont les soli étaient chantés par M. Stéphanne, Mmes Marie Battu, C. Brun et Dihau.

Après avoir donné, le 22 janvier, le chœur des fileuses du Vaisseau-fantôme qui fut bissé et, aux applaudissements de l’assistance, la marche des fiançailles avec chœur de Lohengrin, M. Lamoureux profita de l’émoi soulevé par les débats passionnés de la question Neumann pour faire exécuter tout le premier acte de Lohengrin[17]. La tentative qui, en 1879, avait déjà réussi à M. Pasdeloup, eut pour lui des résultats encore plus heureux. Quatre auditions suffirent à peine à satisfaire le public du Château-d’Eau et le 19 mars, le duo du troisième acte, chanté par M. Bosquin et Mme Franck-Duvernoy, valut un nouveau triomphe à M. Lamoureux. La presse fut unanime à constater le succès. M. Jullien[18] réprouva seulement l’exécution en dehors de la scène d’une page étroitement adaptée aux péripéties de l’action dramatique. « Ce tableau musical de génie est aussi déplacé au concert que le serait le duo des Huguenots et le public, ne pouvant suppléer par un programme aux mouvements de la scène, admirablement suivis par l’orchestre et les voix, perd ainsi tout le plus beau de la musique. »

Le 26 mars, M. Pasdeloup ajoutait aux fragments des Maîtres-Chanteurs déjà exécutés l’air du concours, chanté par M. Escalaïs. À part le prélude du troisième acte, mal rendu et mal compris, cette suite de morceaux fut assez bien accueillie, malgré les défaillances de l’exécution vocale.

Le Vendredi-Saint, 14 avril, au Cirque d’hiver, première et unique audition, je crois, de la Cène des apôtres. Ce morceau, composé par Wagner à Dresde en 1843. était jugé par M. Ad. Jullien comme « une œuvre de jeunesse sur laquelle il n’y a pas à insister. » M. Comettant, toujours indulgent, se prononçait en ces termes : « Le chœur final de l’agape des apôtres du prophète Wagner est un morceau d’une sonorité assourdissante d’où se détache (ô dieu de la mélodie infinie, voilez-vous la face !) un motif très rythmé, très carré et modulant franchement à la dominante comme en ont écrit ces piètres musiciens qui ont nom Mozart, Haydn, Beethoven, Rossini, Gounod, Thomas, etc…, musiciens à courte vue et à mélodie finie desquels R. Wagner a fait bonne justice. »

À cette époque, les idées de R. Wagner commencèrent à être examinées plus sérieusement. Bien qu’encore très superficiels, les travaux des écrivains spéciaux sont déjà conçus dans un esprit moins prévenu. Ainsi, M. Eug. de Bricqueville, dans un article intitulé Christophe Gluck et Richard Wagner[19], extrait du Correspondant, et publié en 1881, comparait aux insultes prodiguées au novateur musical du siècle dernier l’opposition passionnée des détracteurs de Wagner. Résumant les griefs reprochés au maître allemand, ses bizarreries, ses rancunes, son immoralité et sa haine de la France, il s’efforçait d’en montrer l’inanité. D’autre part, si Wagner a fort maltraité des compositeurs éminents, le moindre défaut des musiciens n’a-t-il pas toujours été le dénigrement de leurs confrères ? Les railleries d’Une Capitulation s’adressent plutôt au gouvernement de la Défense Nationale qu’aux Français en général et, d’ailleurs, le ton de cette farce de vaudevilliste est-il comparable à l’ardeur patriotique de Weber qui, en 1813, excitait à la revanche les âmes allemandes avec ses chants de guerre ?

L’auteur essayait, en outre, de rattacher les visées nouvelles du musicien contemporain aux idées réformatrices de Gluck, dont, à ses yeux, elles ne sont que l’application. L’affirmation me semble contestable et Wagner lui-même, qui a été si injuste pour Gluck, aurait protesté contre cette assimilation factice. Des partitions comme Tristan ou Siegfried, où apparaît si rarement la forme de la mélodie vocale, ne peuvent être considérées comme dérivant des drames lyriques de Gluck dans lesquels subsiste la division en airs, duos, trios et chœurs. Toutefois, cette filiation semble encore assez honorable à M. de Bricqueville. « Il est, dit-il, bien difficile de faire du nouveau et c’est encore se créer des droits au respect de la postérité que de mettre les vieilles théories en relief, de les analyser, de les rajeunir à propos et de leur valoir un triomphe définitif. »

Ce parallèle entre Gluck et Wagner est cher au critique, car il y revient l’année suivante[20], compare les systèmes et montre que les deux réformateurs ont puisé à un fonds commun, le drame dans l’antiquité. Wagner n’a rien inventé ; il a seulement ajouté à la création de Gluck les richesses de l’instrumentation moderne. « Wagner arrive à cette démonstration que la symphonie est au chant ce que le chant est à la parole. » D’après l’auteur, en réduisant l’exposé du système de Wagner à ses données essentielles, « vous n’aurez plus qu’une édition revue, commentée, mais exacte au fond des principes exposés dans l’épître dédicatoire d’Alceste. » D’ailleurs, « passé les bornes indiquées par Gluck, on sort de la définition même du genre (de l’opéra), on dérange l’équilibre des éléments, on fait de la symphonie, du mélodrame, mais plus du tout de la tragédie lyrique. » À son avis, les dernières créations de Wagner ne peuvent avoir d’imitateurs, car personne ne sera doué d’un génie assez complet, poétique, musical et dramatique, pour suivre la voie qu’il a tracée dans ses œuvres de la troisième manière.

En 1882, parut une brochure sur Wagner[21], de Mme Léonie Bernardini, et un petit volume de Mme Judith Gautier. La brochure de Mme Bernardini donne une biographie assez complète de Wagner, plus complète même que celles qui l’ont précédée. Ses appréciations sur les œuvres n’ont pas une grande valeur. Dans un de ses feuilletons du Temps, M. Weber reprochait à l’auteur de ne savoir ni l’allemand, ni la musique et d’avoir reproduit, d’après le texte français, après bien d’autres, la définition de la mélodie de la forêt, infidèlement traduite dans la lettre à M. Frédéric Villot. Il donnait le véritable sens de ce passage d’après l’édition allemande des Gesammelte Schriften de Wagner.

Quant au volume de Mme Judith Gautier[22], auquel nous avons déjà fait des emprunts, il comprend, outre une analyse des poèmes de Wagner, des souvenirs personnels et des détails intéressants sur l’intérieur du maître à Triebchen et dans sa villa de Wahnfried, sur les visites qu’elle lui rendit en 1869, 1872, 1876 et 1881. L’auteur annonçait qu’après Parsifal, le maître songeait à aller vivre dans les pays de soleil pour y composer son drame hindou, les Vainqueurs.

Ce fut au mois de juillet 1882 que le théâtre de Bayreuth convoqua les patrons des Wagnervereine, c’est-à-dire les membres des Sociétés wagnériennes, à entendre la nouvelle œuvre du maître, Parsifal.

Le livret avait paru, traduit en français[23], avec des notes explicatives, par M. Jules de Brayer, dès 1879. La partition ayant été publiée quelques mois avant la représentation, M. Victor Wilder se livra, dans le Parlement des 23 mai, 27 juin, 4 et 11 juillet, à une étude approfondie du poème et de la musique. Sa conclusion sur le drame est que « tout ce mysticisme du Moyen-Âge est fort éloigné de l’esprit moderne et les souffrances d’Amfortas nous touchent infiniment moins que les tortures d’Œdipe ou de Prométhée. » Mais, en résumé, Parsifal, disait-il, « est peut-être le chef-d’œuvre du poète-compositeur, et je ne vois guère que Tristan où ses idées réformatrices soient appliquées avec autant de rigueur. Sa poétique s’affirme ici avec une hardiesse étonnante et se poursuit dans un esprit de logique impitoyable. »

Les deux premières représentations réservées aux patrons eurent lieu le 26 et le 28 juillet 1882. Les profanes ne furent admis à voir le drame de Wagner que le 30 juillet. Cette fois, beaucoup d’artistes français avaient accompli le voyage de Bayreuth. On y vit MM. Saint-Saëns[24], Delibes. Salvayre, Diémer. Camille Benoît, Vincent d’Indy, Jules de Brayer, le pianiste Planté, Fischer, le violoncelliste, Mme Judith Gautier, M. Lamoureux, M. Lascoux.

L’événement offrant pour le public beaucoup moins d’importance que la mise en scène d’une pièce en quatre soirées dans un théâtre construit sur un plan nouveau, la presse se montra plus indifférente à cette tentative de Wagner qu’à celle de 1876. Le Figaro, le Temps, n’envoyèrent point de rédacteur spécial, le Gaulois n’inséra que des dépêches de reporter.

Au Figaro, on jugea Wagner à distance. Le 26 juillet, dans un de ces articles stupéfiants dont il a le secret, panaché de plaisanteries surannées et de bévues historiques, — comme placer après la représentation de Tannhœuser à l’Opéra les concerts des Italiens, — Ignotus, faisant le portrait du musicien, trouve à son profil une ressemblance avec l’oiseau-pic à grosse tête d’Amérique. Un peu plus loin, autre comparaison ornithologique : cette fois, la tête de Wagner est pareille à celle d’un faucon encapuchonné. — À quel oiseau ressemble donc Ignotus ?

Plus loin, des gros mots : « Cette musique ne peut que remuer les sens les plus bas. La musique de Wagner réveille le cochon[25] plutôt que l’ange… hélas ! Je dis pire, elle assourdit les deux…, c’est de la musique d’eunuque affolé. » — Il est fâcheux que ce mot ne soit pas de M. Albert Wolff.

Mais que dis-je ? Le lendemain, M. A. Wolff arrive à la rescousse. Il déclare qu’il n’est pas allé cette fois à Bayreuth. On ne l’y reprendra plus, lui, vieux Parisien. Il la connaît, celle-là !

Les articles de M. A. Wolff sont généralement en trois points, auxquels correspondent trois affirmations de la même proposition. En effet, les termes de son jugement sur Parsifal, — qu’il n’a pas entendu et qu’il n’entendra pas, — sont catégoriques : « À l’heure où j’écris ces lignes, le piano-cloche fait ses premiers débuts au théâtre de Bayreuth, à la fin du premier acte de Parsifal, opéra religioso-mystico embêtant à crever… — N’y eût-il qu’un journaliste pour affirmer que les derniers opéras de Wagner sont assommants, que je serais celui-là !… — Quand on ne s’est pas pour le moins assommé pendant dix ans, on ne comprend rien à cet art-là ; il est philosophico-mystico-religioso, tout ce que vous voudrez, mais il est crevant. » Et puisque le Figaro prétend s’adresser à cent mille lecteurs, voilà cent mille lecteurs renseignés sur la dernière œuvre de Wagner !

N’y aurait-il pas dans le cas de M. Albert Wolff, — puisqu’on nous assure qu’il aime la musique et qu’il est lié avec des compositeurs, — un peu de cette rancune de l’amateur ignorant contre l’art auquel il n’a pas été initié jeune, de cette confusion jalouse du mauvais pianiste devant une partition difficile ?

Le correspondant du Ménestrel (6 août) cite avec éloge le prélude, le finale du premier acte, la scène de la séduction par les fleurs animées et le duo de Kundry et de Parsifal « où, parmi des longueurs énervantes, on rencontre des élans magnifiques », le premier tableau du troisième acte « d’une couleur admirable. »

M. Léon Leroy envoya de Bayreuth à la Liberté quatre lettres très intéressantes, mais où il n’est pas dit un mot de la musique.

Le National, représenté à Bayreuth par M. Edmond Stoullig, inséra quatre chroniques de son collaborateur (6, 7, 9 et 11 août). Les premières se bornaient à décrire les incidents du voyage, la ville de Wagner, la soirée théâtrale, les modes wagnériennes, l’organisation du théâtre. Dans la dernière, M. Stoullig procédait à l’examen du système musical de Wagner et observait que la dérogation aux divisions arbitraires de l’opéra et les autres innovations du maître ont été découvertes par d’autres avant lui. Il se plaignait de la longueur et de la monotonie des scènes, de la fréquence des retours des nombreux thèmes-conducteurs. Toutefois, « la Cène et tout le dernier acte de Parsifal resteront au nombre des plus belles choses qu’on ait entendues en musique. Quant au voluptueux duo de Kundry et de Parsifal que j’ai entendu trois fois avec le même plaisir, j’avoue avoir été dès le début empoigné, ravi, enchanté, comme je ne l’ai peut-être jamais été au théâtre… Indéchiffrable et incompréhensible au piano, ce duo est de nature à décourager les plus intrépides. Jouée par la Brandt, la scène est d’un charme indicible. Il faut être Parsifal lui-même pour résister à une mélodie aussi enveloppante. »

M. Ed. Hippeau, critique musical de l’Événement, adressa de même plusieurs lettres à son journal, mais, après avoir donné ses impressions sur la représentation, avec la liste des pages les plus saisissantes, il résuma les théories dramatiques de Wagner et exposa le système dans lequel a été écrit Parsifal. Par exemple, la phrase caractéristique de Parsifal « forme une sorte de commentaire ; c’est l’évocation du héros, pour ainsi dire : ce thème ou plutôt ces fragments mélodiques, décomposés ainsi dans tous leurs éléments rythmiques et harmoniques, se dessinent à l’orchestre, dans l’accompagnement, varié à l’infini, toujours sous une forme et avec un accent différents, suivant la situation et le mouvement du drame.

« Mais, lorsque la phrase est répétée dans son entier, c’est seulement dans les trois situations principales. »

Tous ces leitmotive « incessamment variés, et toujours modulés de la façon la plus neuve et la plus puissante, s’épanouissent presque dans chaque scène, s’enchaînant avec le chant, soulignant la déclamation, développant et commentant les sentiments des personnages. Un tel procédé, mis en œuvre par un compositeur de génie, produit des effets tout à fait merveilleux. »

Seulement, ainsi restreinte à un certain nombre de thèmes, si prodigieuse qu’en soit la perpétuelle transformation, « son œuvre est pour ainsi dire la négation du génie français, qui exige la clarté, la simplicité, l’abondance et la variété des idées. »

M. Weber (Temps du 29 août 1882) contesta que les leitmotive fussent, dans l’opéra wagnérien, destinés à caractériser les personnages. « Une des fonctions de l’orchestre est de laisser pressentir les motifs principaux ou dominants, de les soutenir et de les rappeler ensuite ; ces motifs doivent être peu nombreux pour être saisis facilement ; ils doivent répondre aux mobiles et aux sentiments principaux qui engendrent l’action de la pièce et en sont les moteurs essentiels : mais Wagner n’a jamais prétendu établir une espèce de photographie musicale, donnant la pourtraicture des personnages, de manière que le spectateur-auditeur pût «lire à tout moment : C’est frappant ! »

L’un des morceaux les plus remarquables de la partition de Parsifal, le prélude, fut au commencement de la saison des concerts, joué le même jour (22 octobre), par les orchestres de MM. Pasdeloup, Colonne et Lamoureux. L’extrême gravité du style et la lenteur des mouvements causèrent pour le public une impression de monotonie qui nuisit d’abord au succès de cette admirable page symphonique. Le morceau produisit peu d’effet au Cirque d’Hiver et au Château-d’Eau. malgré la présence de tous les initiés ; il fut sifflé au Châtelet.

M. Fourcaud, dans le Gaulois, exposa le plan du prélude en une paraphrase très développée, avec l’indication des thèmes et de l’orchestration. M. Ch. Darcours[26] (M. Charles Réty) découvrit que « le prélude de Parsifal est une bonne leçon d’harmonie, calme et claire, dans laquelle on retrouve l’emploi de quelques-uns des procédés les plus connus du maître et qui n’occupe réellement l’oreille que par quelques jeux de timbre d’un bel effet. »

M. Jullien, dans le Français du 30 octobre, fit ses réserves habituelles. « Ce morceau, tout admirable qu’il soit, perd considérablement à être entendu isolément ; ce n’est pas une ouverture, c’est pour l’auditeur une préparation au drame qui va se dérouler. » Selon M. Joncières, « il y règne une profondeur dépensée, une noblesse d’allure, une intensité d’expression unies à une simplicité, à une largeur de style qui devraient cependant dessiller les yeux à ceux qui s’obstinent à ne voir dans R. Wagner qu’un compositeur inintelligible, abusant des sonorités bruyantes et des effets cacophoniques. »

Le 5 novembre, au Châtelet, première audition du Huldigung’s-marsch, composé en 1864 en l’honneur de Louis II, roi de Bavière et protecteur de l’artiste. « Ce morceau, écrit M. Julien (Français du 13 novembre), est médiocre, et Wagner n’est pas le compositeur qu’il faut pour composer de ces grandes machines officielles. Son Huldigung’s-marsch est une marche quelconque assez vulgaire et, de plus, extraordinairement bruyante ; elle a dû primitivement se jouer en plein air et ne devrait pas se jouer ailleurs. »

Le succès de Parsifal, qui, pour beaucoup de musiciens, est le chef-d’œuvre de Wagner, eut le don d’exaspérer les compositeurs français. M. Joncières, à propos d’une reprise du Prophète à l’Opéra, fit une violente sortie[27] contre Wagner et les wagnériens, au sujet de l’opéra historique répudié par eux. Il se vantait, très justement d’ailleurs, d’avoir été en France l’un des wagnériens de la veille et s’écriait avec humeur : « Il y avait peut-être quelque courage à se prononcer en faveur de Wagner, alors qu’il passait pour un insensé ; mais, actuellement, faut-il faire tant de tapage pour enfoncer des portes ouvertes ? »

Mais, tout en admirant le génie de Wagner, il disait n’avoir jamais été très attiré par sa conception mystique du drame lyrique. « Eh quoi ! une action qui se déroule en France pendant la nuit terrible de la Saint-Barthélémy serait moins intéressante qu’une légende fabuleuse perdue dans les nuages qui environnent le mont Salvat !… Cette admirable scène du Prophète où Jean doit renier sa mère et où celle-ci, pour sauver la vie de son fils, se voit obligée de ne pas le reconnaître, cette scène serait moins émouvante que celle où Siegfried combat un dragon enchanté.» … « La donnée des drames lyriques de Wagner est aussi puérile (que celle des féeries du Châtelet) ; les géants, les nains, les fées, les magiciens, en un mot, tous ces personnages en carton du monde surnaturel ne sauraient prendre, sur la scène française, la place des héros en chair et en os que nous présente l’opéra historique. »

M. Gounod, dans une lecture sur Don Juan, à l’Institut, à la séance annuelle des cinq académies, sous couleur de faire l’éloge de Mozart qui n’est plus à faire, trouva l’occasion propice pour morigéner les jeunes compositeurs accusés de tendances déplorables : « Ah ! jeunes gens qui repoussez et redoutez la doctrine des maîtres comme un joug humiliant pour votre individualité ombrageuse et qui vous jetez à la tête du premier charlatan venu ! » et les conjura de rentrer dans le giron du Conservatoire. Cette aigre allusion à Wagner fut commentée dans la presse. En réalité, cette mauvaise humeur de M. Gounod doit être attribuée au peu de retentissement qu’avait eu en France son oratorio Rédemption, à un moment où tous les artistes avaient les yeux fixés sur Bayreuth. C’est qu’en effet, comme originalité, science musicale, inspiration, il y a loin de cette œuvre de la vieillesse de Wagner, Parsifal, à l’Agésilas de M. Gounod, qui fut, hélas ! le Tribut de Zamora et à l’Attila de M. Thomas, Françoise de Rimini, holà ! De cette époque date l’hostilité déclarée de nos musiciens contre Wagner, devenu pour eux un rival redoutable dans la faveur du public, hostilité qui aboutit à la campagne d’opposition soutenue dans la presse, il y a un an, à propos de la représentation de Lohengrin à l’Opéra-Comique.

Dans un volume de critique intitulé Les Révolutionnaires de la musique[28], un jeune compositeur mort récemment, Octave Fouque, consacrait un chapitre à Wagner. Il exposait les vues de l’artiste tendant à un retour au théâtre antique, sa conception de la poésie unie à la musique dans une représentation scénique solennelle, telle qu’elle a lieu à Bayreuth. Il décrivait l’organisation intérieure du théâtre de Wagner, l’aménagement destiné à rendre l’orchestre invisible, en rappelant les vœux de réformes presque identiques formulés par Grétry dans ses Souvenirs. Ce chapitre était suivi d’une brève analyse de Tristan et des Maîtres-Chanteurs. En somme, étude banale, tout à fait inférieure aux précédents travaux de critique d’Octave Fouque, et qui n’apporte aucun document nouveau à la bibliographie wagnérienne.

M. Gustave Fischbach, rédacteur du Journal d’Alsace, après avoir entendu Parsifal en Bavière, consigna ses impressions dans un volume intitulé De Strasbourg à Bayreuth, Notes de voyage et notes de musique[29], qui parut en 1883, chez Fischbacher. L’ouvrage n’a pas grande valeur au point de vue musical ; le titre l’indique lui-même.

Je n’insisterai pas davantage sur une publication de province, Parsifal et le théâtre Wagner à Bayreuth[30] (représentations de juillet 1883), signée du pseudonyme d’Eklektik, imprimée à Marseille en 1884, et destinée à donner aux Marseillais des idées justes sur les drames lyriques de Wagner, si différents de ce qu’ils connaissent en fait de musique dramatique. Le travail est bien fait, quoique élémentaire, et méritait de porter le nom de son auteur[31].

L’ouvrage dont nous allons nous occuper mérite plus d’attention.

Les correspondances sur Parsifal, adressées à l’Événement par M. Ed. Hippeau, devinrent l’embryon d’une étude intitulée : Parsifal et l’opéra wagnérien[32]. La table des matières me dispense d’exposer longuement le plan de cet ouvrage : — I. Wagnérisme et germanisme ; — II. Théorie du drame musical ; — III. Parsifal ; — IV. Le style musical de Wagner ; — V. Les Nibelungen ; — Vl. Critique du système de Wagner ; — VII. Conclusion. Le drame lyrique français.

M. Ed. Hippeau estime qu’en 1883 le public écoute avec assez d’intérêt la musique de Wagner pour que la critique de bonne foi ait enfin son indépendance, et, au lieu d’être obligée par principe de prendre parti pour Wagner contre ses détracteurs, puisse discuter sérieusement l’œuvre et l’artiste. Aussi n’admet-il pas que Wagner prétende n’accepter comme juges que les Allemands pour lesquels il a voulu composer ; le public étranger ne peut être récusé, puisque « la musique est précisément celui de tous les arts qui n’a pas de patrie, car elle parle la langue universelle. »

Après avoir tout d’abord brièvement résumé la biographie de l’artiste, ses théories dramatiques et musicales et le poème de Parsifal, il procède à l’examen du système musical du compositeur et pour rendre saisissable l’emploi des motifs typiques, il donne le texte des principaux leitmotive et précise leur rôle dans le cours de la partition. Le finale de la Cène, au premier acte, dans lequel Wagner a dérogé à ses principes pour construire un ensemble vocal et instrumental, intéressant surtout par son mérite architectural et mélodique, lui paraît admirable au point de vue musical, mais dépourvu d’intérêt dramatique. « Tout le drame se passe dans le cœur d’un personnage muet, Parsifal, tournant le dos à la salle, sans qu’un geste nous apprenne que ce spectacle est pour lui la révélation, l’initiation à la science du bien et du mal… Ce n’est, au fond, qu’une vaste scène descriptive dans le style de celle du quatrième acte du Prophète. Je préfère de beaucoup, dans cet acte, en mettant à part la beauté musicale de cette dernière scène, le chant de douleur d’Amfortas, dont l’accent tragique est parfois d’une grande force. »

Le critique étudie ensuite de la même manière le poème et la musique de l’Anneau du Nibelung, en citant musicalement les leitmotive principaux dont Wagner use parfois, lui semble-t-il, avec une insistance puérile pour dépeindre des détails sans importance.

Sur la fusion rêvée par l’artiste entre la poésie et la musique, il écrit ces lignes : « Je prends n’importe quel passage du chant. Tandis que la phrase poétique suit son développement régulier, coupée suivant le ; lois grammaticales de la récitation et de la ponctuation, avec les repos, les relations, les incises et la conclusion, la phrase musicale, tout en suivant un autre ordre de développement, reste parallèle à la première, et, sans se juxtaposer à elle ni déranger son ordonnance, offre un sens musical particulier qui forme en quelque sorte l’écho de la parole. »

Malgré l’admiration que doivent inspirer les productions de cet art unique et exclusivement personnel, il faut en rejeter le système, parce que c’est un système. « Voilà ce qui est surtout à critiquer dans Wagner. Tout est voulu, cherché, arrangé, combiné, patiemment et savamment agencé comme dans la plus compliquée des mécaniques… Il n’est pas libre de composer ; il a tracé d’avance un cercle dans lequel il s’est enfermé ! Trouverait-il d’inspiration un chant pathétique, il l’écarterait, parce qu’il lui faut, à cet endroit même, l’évocation d’un sentiment ou d’une idée à l’aide du rappel d’un autre chant. C’est ce dernier qui devra revenir et non une mélodie nouvelle qui devra apparaître. »

Quant à ceux qui refusent leur approbation aux œuvres de la dernière manière et qui admirent Wagner dans les pages purement symphoniques où il fait de la musique comme tout le monde, ils n’ont pas saisi les intentions du compositeur, car, — et M. Hippeau le prouve par des exemples, — les ouvertures, marches, préludes et entr’actes de Wagner ne peuvent s’isoler du sens dramatique qu’il leur attache et dont on n’a la perception exacte qu’au théâtre[33].

Puisque l’effet produit par les drames wagnériens, de l’aveu unanime, est immense, faut-il les proposer comme un idéal nouveau à l’imitation de nos compositeurs ? Non, « le drame wagnérien appartient à Wagner seul ; ce n’est pas plus le type idéal du drame lyrique que Ruy-Blas n’a été le modèle définitif du drame moderne. » Par conséquent, la question du drame lyrique n’est pas résolue par Wagner, elle appelle après lui un maître nouveau capable d’en trouver la formule. Ce maître sera peut-être un musicien français.

Le 13 février 1883, mourait à Venise, d’une maladie de cœur, le prodigieux artiste dont les œuvres ont été si discutées, dont les théories ont suscité tant de polémiques passionnées. Cette mort soudaine, en pleine gloire, après le triomphe de Parsifal, écrivait M. Cat. Mendès dans le Gil-Blas, « conseillera l’oubli des injures, le pardon des basses rancunes. » Et, en effet, il faut rendre cette justice à la presse française, à l’exception de quelques monomanes, elle salua respectueusement l’ennemi qu’elle combattait la veille.

M. Albert Wolff lui-même fit trêve à ses facéties habituelles sur le maître de Bayreuth, et, haussant le ton de sa chronique à celui de l’oraison funèbre, se montra cette fois indulgent à l’homme de génie, tout en n’ayant pu se tenir de plaisanter son apothéose de Bayreuth et ses courbettes à l’empereur Guillaume. Son article se terminait ainsi : « La mort de R. Wagner est plus imposante encore que ses luttes de jeunesse ; car elle surprend le grand compositeur en plein travail, songeant à l’œuvre de demain, après avoir à peine abandonné l’œuvre d’hier C’est ainsi que doivent mourir les grands artistes, sur la brèche. Ceux qui vivent des choses de la pensée ne quittent leur idéal qu’avec leur dernier souffle, et, à ce point de vue, la mort de R. Wagner est peut-être sa plus belle gloire devant l’avenir. »

Si M. Albert Wolff et tous ses confrères donnèrent alors solennellement à Wagner l’absolution de ses fautes passées, M. Comettant ne crut pas devoir désarmer et, dans le Siècle du 15 février, rédigea un article nécrologique où reviennent ses éternelles déclamations sur l’insulteur des Français. En terminant, il formait le vœu de voir « à bref délai s’ouvrir un de nos théâtres lyriques, afin que Tristan, la Tétralogie et Parsifal étant joués à Paris, le profond ennui qui s’emparera du public lui soit une douce vengeance. »

Le 17 février, dans la Revue politique et littéraire, M. Gabriel Monod publiait une lettre de R. Wagner à lui adressée après les représentations de la Tétralogie, en 1876. Dans cette lettre, dont j’ai déjà donné des extraits, Wagner soutient que les Français n’ont pas lieu d’être irrités contre lui et que leur aversion provient de ce qu’ils n’ont pas su ou pas voulu comprendre le sens de son pamphlet. Il se défend d’avoir cherché, par un sentiment de haine à notre égard, à se venger de nos dédains. Il ne méprise pas la France, il reconnaît même sa supériorité. Aussi estime-t-il que ses compatriotes ont tort de s’ingénier à nous copier, à s’assimiler nos usages, notre langue, nos modes et notre esprit.

« Si l’on combat, dit-il, à ce point de vue, l’influence française sur les Allemands, on ne combat point pour cela l’esprit français ; mais on met naturellement en lumière ce qui est, dans l’esprit français, en contradiction avec les qualités propres de l’esprit allemand et ce dont l’imitation serait funeste pour nos qualités nationales. »

Ce que les Allemands ont de mieux à faire, à ses yeux, c’est de conserver leur propre originalité, de défendre leur indépendance intellectuelle, artistique et littéraire. Et par une ironie sévère pour ses compatriotes, il montre les intendants et les directeurs des théâtres allemands se précipitant dans Paris assiégé afin d’emporter pour leurs théâtres toutes les nouveautés en fait de pièces et de ballets.

Cette lettre fut aussitôt reproduite dans le Temps et citée en partie par M. Ch. Darcours, dans le Figaro du 21 février. Le chroniqueur reconnaissait qu’il fallait tenir compte à Wagner des déclarations favorables à la France contenues dans cette lettre. La publication de cet écrit, qui fut inséré, partiellement au moins, dans plusieurs journaux et réimprimé peu de temps après dans le volume des Souvenirs[34] de R. Wagner traduits par M. Camille Benoît, eut le bon résultat de faire oublier les torts de l’artiste à notre égard et de mettre un terme, — pour le moment, — à la légende de croquemitaine gallophoba si soigneusement entretenue par les sous-Déroulèdes de la presse.

M. Léon Kerst, dans le Voltaire du 16 février 1883, après avoir rappelé les côtés ingrats de la nature de l’homme, résumait sommairement le système de Wagner, si sommairement qu’il y a beaucoup d’erreurs dans son article. D’après lui, c’est un tort de vouloir faire applaudir Lohengrin dans un de nos théâtres lyriques. Cette œuvre ne lui paraît pas pouvoir réussir en France, vu le temps qu’il nous a fallu pour arriver à comprendre les symphonies de Beethoven. Le système dramatique et musical du maître n’étant pas pour nous plaire, il recommande à nos jeunes compositeurs un adroit compromis entre l’ancien opéra et l’opéra wagnérien.

C’était aussi la conclusion de M. Fourcaud, du Gaulois, engageant les musiciens français à ne pas pasticher Wagner et « à faire pour leur nation ce qu’il a fait pour la sienne. » Pour montrer les véritables sentiments du maître allemand à l’égard de la France, il reproduisit les termes d’une conversation qu’il eut avec lui en 1879. — « Que n’existe-t-il à Paris, s’écriait Wagner, une scène internationale, où l’on interpréterait dans leur langue les grandes œuvres célèbres de tous les peuples ? On serait heureux d’être présenté de la sorte au public parisien, le plus compréhensif qui soit.

« Il est vrai qu’on ne me joue pas aussi pour des raisons tristes et médiocres… Mais n’en parlons plus. C’est passé !… »

« Je devinai ce qu’il voulait dire, et je gardai le silence. Lui-même avait baissé la voix sur les derniers mots et il se taisait. Au bout d’un instant, il reprit :

« On me suppose des rancunes ? Des rancunes ! Eh ! pourquoi ? Parce qu’on a sifflé le Tannhœuser ? Est-on bien sûr, d’abord, de l’avoir entendu tel qu’il est ? Auber le savait, lui à qui j’avais conté mes doléances. Que voulez-vous ? Le moment n’était pas venu de la musique sincère. Pour la presse, je n’ai pas eu à m’en plaindre autant qu’on a dit. Je n’ai pas fait de visites aux critiques comme Meyerbeer ; mais Baudelaire, Champfleury et Schuré n’en ont pas moins écrit les plus belles choses qui aient été dites sur mon théâtre. Aujourd’hui encore, c’est de chez vous que m’arrivent les appréciations les plus flatteuses. Vous le voyez, enfin, je n’ai pas lieu d’être aussi mécontent qu’on l’affirme, et je ne le suis pas. »

Dans son feuilleton du 19 février, M. Joncières écrivait une longue étude biographique et critique où il analysait brièvement le système dramatique de Wagner, expliquait le fonctionnement des leitmotive, se déclarait admirateur des premières partitions du maître et même de Tristan et des Maîtres-Chanteurs, mais refusait la même estime à la Tétralogie et à Parsifal, conceptions essentiellement antipathiques au génie français. « Il y a cependant dans les œuvres de la dernière manière des pages sublimes, des accents d’une profonde émotion ; mais cet enchaînement implacable, qui tient haletant l’auditeur pendant tout un acte, sans un temps d’arrêt, sans une seconde de repos, cette inextricable combinaison de parties superposées, ces effroyables dissonances, calculées et distillées avec une impassible cruauté, tout cela nous plonge dans une sorte de stupeur qui engourdit nos facultés intellectuelles et ne nous permet plus d’analyser nos sensations. »

M. J. Weber, dans le Temps du 17 février, déclarait que si Wagner a écrit sur les Français des pages injurieuses, il a « lui-même fort maltraité ses chers compatriotes après la déception que lui avait causée le festival de Bayreuth en 1876 ; car l’effet produit alors par l’Anneau de Nibelung était loin de répondre à l’attente de l’auteur qui, dans la préface de son poème, a dit ce qu’il en espérait. »

M. Pasdeloup ayant fait exécuter le 11 février 1883 une scène symphonique extraite du troisième acte de Parsifal, transcrite au programme sous le nom de Charme du vendredi saint (Charfreitag’s Zauber), M. J. Weber le blâmait sévèrement d’avoir découpé cette scène pour le concert en supprimant le dialogue déclamé des personnages. Après avoir donné l’analyse musicale de cette scène d’après la partition, « on voit, disait-il, quelle aberration il y a de vouloir tailler dans une simple scène un morceau symphonique qui, isolé, n’a plus de forme rationnelle. Dans le système de Wagner, le rôle de l’orchestre se borne à soutenir les parties vocales, à rappeler et à développer des motifs entendus déjà et ayant du rapport avec l’action scénique présente, d’autres fois, à les laisser pressentir ; puis, à renforcer l’expression des parties vocales par l’expression instrumentale ; enfin, à maintenir l’impression produite par le sentiment de l’auditeur spectateur, quand le dialogue, pour rester clair, prend le ton de la vie ordinaire ou ne s’adresse qu’à l’entendement. »

Au concert Lamoureux, le prélude de Tristan fut exécuté le 4 février 1883, avec une perfection inusitée jusque-là. Aussi, le morceau qui avait été longtemps si mal compris des auditeurs dénués d’instruction musicale, sembla beaucoup plus clair et fut accueilli avec faveur. Jouée par cet orchestre le 6 janvier 1884, la marche funèbre de Gœtterdœmmerung souleva des transports d’admiration dans l’assistance et ceux qui l’avaient sifflée en 1876 au Cirque-d’Hiver, sous prétexte de démonstration patriotique, acclamèrent avec furie cette page saisissante.

Le vendredi-saint, 11 avril 1884, l’ouverture de Tannhœuser parut enfin sur l’affiche du Conservatoire.

Le 10 février 1884, M. Colonne fit exécuter le finale du premier acte de Parsifal. M. Éd. Dujardin qui avait donné une version en prose du texte allemand, avait d’ailleurs élagué les récits de Gurnemanz et d’Amfortas et réduit ainsi le morceau à la forme d’un ensemble d’opéra. Malgré l’insuffisance de l’exécution, le public reconnut dans cette scène religieuse une inspiration géniale.

Malheureusement, la disposition des chœurs derrière les décors étouffait les voix et nuisait à l’ensemble. À Bayreuth, les jeunes garçons et les enfants étaient juchés dans les frises du théâtre ; leurs chants descendaient de la coupole, empreints d’une majesté sereine et d’une suavité mystérieuse, tandis que le clavier des cloches ébranlait, de ses batteries répétées, les échos du Mont-Salvat. Tous ceux qui entendu cette scène à Bayreuth en ont gardé un souvenir impérissable.

L’ouverture pour Faust fut exécutée pour la première fois au Châtelet le 2 novembre 1884. Le 25 janvier 1885, M. Colonne donna plusieurs fragments de la Walküre, les adieux de Wotan et l’incantation du feu, chantée par M. Soum, le lied du printemps, par M. Bosquin et la Chevauchée, avec les voix de femmes. Ce même programme fut offert au public les 1er et 8 février suivant, moins la scène de Wotan.

Dans l’automne de 1884, M. Lamoureux inscrivait à son répertoire deux nouvelles œuvres de Wagner, le Grosser Festmarsch composé en 1876 pour l’anniversaire de la déclaration d’indépendance des États-Unis et qu’il eût mieux valu ne pas exhumer, car c’est une composition aussi vide que bruyante, très inférieure au Kaisermarsch et même au Huldigungsmarsch, destiné d’ailleurs à une exécution en plein air, et l’ouverture pour Faust, déjà connue par les concerts Pasdeloup et que les habitués du Château-d’Eau, entraînés par leur ardeur de néophytes, applaudirent comme un chef-d’œuvre, alors que cette ouverture est en réalité d’un style banal et démodé. Le succès factice de ces deux morceaux était un symptôme de la conversion de la masse du public à la musique de Wagner, qui encouragea les audaces de M. Lamoureux.

L’un de ses projets favoris consistait à faire connaître à ses abonnés la partition de Tristan et Yseult. Il mit d’abord à l’étude le premier acte qui fut exécuté avec le plus vif succès le 2 mars 1884[35]. Il faut reconnaître aussi que les programmes explicatifs distribués par la Société des Nouveaux-Concerts, relatant l’origine et la date des morceaux, définissant leur caractère et, pour les scènes vocales, analysant le livret quand il serait trop long de le reproduire entièrement, ont beaucoup aidé le public à la compréhension des œuvres les plus ardues de Wagner.

Dans un long article très sérieux et très bien fait sur la partition de Tristan et Yseult (Français du 11 mars 1884), M. Ad. Jullien faisait remarquer, suivant son habitude et très justement d’ailleurs, que la musique dramatique de Wagner n’est pas faite pour être transportée au concert. L’enthousiasme du public n’en est que plus significatif. « Ce n’était pas une petite affaire, pour un auditoire parisien, que d’entendre un acte entier pendant lequel il n’y a pas le plus petit intervalle ou repos pour applaudir ou respirer, où tout s’enchaîne et se tient si bien que l’oreille ne perçoit aucun point de soudure en cette symphonie ininterrompue au-dessus de laquelle les personnages déclament et chantent leur partie avec une intensité d’expression superbe et sans jamais plus se répéter qu’on ne ferait dans un drame sans musique. »

— « Qui eût dit, il y a vingt ans, s’écriait M. Joncières, qu’un jour viendrait où une œuvre aussi avancée que Tristan et Yseult serait acclamée par 3,000 auditeurs français ? » Son feuilleton[36] est entièrement dithyrambique. Une citation au hasard. « Cette entrevue (l’entrée de Tristan dans la tente d’Yseult) est une des plus admirables pages de la musique dramatique. Ce n’est pas avec des mots qu’on peut donner une idée de ces phrases passionnées, de ce débordement de passion. »

Même enthousiasme chez M. Fourcaud[37]. « Le public sent qu’on le met en présence d’une création absolue ; il est inquiet, surpris, puis le charme opère, la grandeur de l’œuvre se dévoile et le concert s’achève en d’unanimes applaudissements. »

M. Ch. Darcours (Figaro du 12 mars) constate le très grand succès et apprécie particulièrement la scène finale. « La fin de l’acte, avec les fanfares éclatantes sur le rivage et les clameurs des matelots auxquelles s’entremêlent les accents déchirants de Tristan et d’Yseult, est une page musicale d’une incomparable puissance, mais son effet a été immense, surtout parce qu’elle est traitée avec la logique du théâtre, du moins telle qu’on l’entend dans notre pays. »

M. Ernest Reyer (Débats du 22 mars) eut la bonne foi méritoire de rappeler lui-même les pages écrites un peu légèrement dans ses Souvenirs d’Allemagne sur la partition de Tristan que lui avait jouée au piano son ami Ed. Lassen, vingt ans auparavant, pendant son séjour à Weimar et de faire amende honorable à Wagner.

« Quelle métamorphose s’était opérée depuis vingt ans dans mes facultés musicales ! Mais aussi quelle différence dans les moyens d’exécution ! C’était la première fois que j’entendais Tristan et Yseult à l’orchestre. Ce travail instrumental, pourtant si compliqué, est d’une beauté réelle. N’y cherchez point les piquantes sonorités, les ingénieuses oppositions de timbres que vous aimeriez peut-être à y rencontrer et auxquelles d’autres œuvres qui certainement ne valent pas celle-là et ne sont pas conçues dans le même esprit vous ont habitués. Ce sont des flots d’harmonie qui vous enveloppent avec des intensités diverses obtenues par des procédés qui, il faut bien le dire, ne varient guère. Quant à l’absence de toute forme mélodique qui vous surprend peut-être, c’est précisément là, qu’on me passe cette antithèse, la forme que le compositeur a voulue. Le chant énergique de Kurwenal et les appels joyeux des matelots tranchent cependant sur la teinte un peu uniforme de ces longues mélopées, de ces longs récits. »

Bien au contraire, l’implacable M. Comettant ne pouvait laisser échapper cette occasion de rééditer ses diatribes habituelles. Douze colonnes d’éreintement dans le Siècle du 17 mars ! — « Je déclare monstrueuse cette musique sans idées et bâtie sur un faux système, autant que je trouve répugnantes les amours pharmaceutiques de Tristan et d’Yseult. C’est une injure au bon sens et à tous les sentiments délicats qu’un pareil art, qui ne pouvait trouver de partisans qu’à notre époque de surexcitation nerveuse, d’assommoirs en tous genres, d’alcoolisme, de névrose et de grande hystérie. »

Tout en reconnaissant qu’il a admiré le savoir technique de Wagner comme machiniste musical, il s’élève contre le compromis voulu entre la musique et la poésie. « Mais qu’est-ce qu’un compromis entre la poésie et la musique, si ce n’est l’abandon précisément de tout ce qui constitue leur charme et leur puissance dans leur souveraine indépendance ?… Le drame lyrique wagnérien nous apparaît comme un composite barbare qui ne saurait satisfaire ni ceux qui aiment la poésie, ni ceux qui savent apprécier la musique. » Le compromis entre la poésie et la musique ne paraît acceptable au critique que dans la forme de l’opéra.

Vengeur de la morale, M. Comettant ajoute : « L’appareil des sonorités wagnériennes où toute naïveté, toute tendresse, toute sincérité, tout amour pudique, je dirai volontiers toute honnêteté, sont bannis, n’a pour but le plus souvent, quand il ne cherche pas à éveiller les sensations matérielles des lieux où s’agitent les personnages, que de mettre dans son plus grand relief des scènes d’amour quelquefois incestueux, toujours exclusivement charnel. »

Aux Souvenirs de Richard Wagner, traduits par M. Camille Benoît, succéda la traduction de l’Œuvre et la mission de ma vie[38], par M. Ed. Hippeau. Cette autobiographie avait été écrite par Wagner, pour ses amis d’Amérique et publiée, en 1879, par la North-American-Review. Elle éclaire dans tout son jour le caractère de Wagner et la nature de son génie et elle complète en beaucoup de points l’Esquisse biographique. Le traducteur a d’ailleurs pris soin de faire suivre le texte de cette notice de nombreux extraits des écrits antérieurs du maître. Dans un épilogue intitulé : Un précurseur de Wagner, M. Hippeau nous offre la comparaison très curieuse de vues émises par Vitet dans un article paru en 1825, sous ce titre : De la musique théâtrale en France, avec les thèses favorites de Wagner. Ainsi, l’auteur des Scènes historiques engage les musiciens à composer eux-mêmes leurs livrets. Sur l’union de la mimique, de la poésie et de la musique, sur le rôle de l’orchestre dans le drame musical, ses idées sont une sorte de prédiction de la conception de l’opéra wagnérien. D’accord également avec Wagner, Vitet avait reconnu la prédominance exercée en Allemagne, dans le premier quart du siècle, par l’influence française sur le drame et la musique et constaté que la tentative d’émancipation de Ch. M. de Weber dans le Freischütz fut un fait isolé.

À l’occasion de l’anniversaire de la représentation de Parsifal, un très bel album illustré fut publié par la Société Wagnérienne à la gloire du maître disparu[39]. Cette publication internationale contenait des articles d’écrivains français, des détails très intéressants sur les répétitions et la représentation de Tannhœuser à Paris, tirés par M. Nuitter des Archives de l’Opéra ; un relevé des auditions d’œuvres de Wagner dans les concerts de Paris par M. Ad. Jullien, des souvenirs personnels sur le maître, publiés par Mme Judith Gautier, MM. Léon Leroy et Fourcaud, et une ravissante lithographie de M. Fantin-Latour.

Le comte Paul Vasili, auteur de nombreuses indiscrétions sur le monde élégant ou officiel des capitales étrangères, décrivit dans la Société de Berlin[40] le salon de la comtesse de Schleinilz, protectrice de Wagner, et en profita pour exprimer son opinion sur le maître allemand.

« Le caractère germanique est incarné tout entier dans la musique de Wagner. De même que M. de Bismarck en représente le côté pratique, de même Wagner en représente le côté artistique… Wagner est le Bismarck de la musique et son œuvre durera autant que celle du chancelier… L’Allemand aime Wagner, le protège à outrance contre toute réserve, contre toute critique… Il croit en cela aimer, protéger, défendre la patrie allemande. »

À ce que pense le comte Paul Vasili, le triomphe momentané de Wagner a été, en grande partie, causé par le bruit que ses admirateurs ont fait autour de sa personne. « Déjà, depuis la mort du compositeur, l’admiration a beaucoup diminué et, cet été, ceux qui ont entrepris le pèlerinage artistique de Bayreuth ont été sensiblement moins nombreux que l’année dernière… Bientôt le sanctuaire sera désert. » Cette prophétie, pas plus que celle de M. Albert Wolff, ne s’est réalisée. Jamais Bayreuth n’a eu plus de visiteurs qu’en 1886.

Un des pèlerins de cette année-là, un littérateur, M. Henri Amic, nous a donné dans son voyage en Allemagne, Au pays de Gretchen[41], des impressions sincères évidemment, mais bien peu intéressantes.

M. Alfred Ernst ayant découvert à la Bibliothèque nationale un exemplaire de Tristan et Yseult dédié par l’auteur à Berlioz et dont les marges étaient couvertes d’annotations critiques de Berlioz sur les dissonances voulues, les harmonies irrégulières relevées par lui dans la partition de Wagner, fit part de cette découverte au monde musical, dans le Ménestrel du 28 septembre 1884, en cherchant à justifier les hardiesses de Wagner et en opposant à Berlioz les duretés harmoniques de ses propres œuvres.

M. Saint-Saëns écrivit alors au Ménestrel (5 octobre 1834) pour protester contre l’analogie qu’on tentait d’établir entre le système de Wagner et celui de Berlioz. « Berlioz, dit M. Saint-Saëns qui l’a très bien connu, détestait cette partition de Tristan et Yseult… Les dissonances et les modulations enharmoniques lui étaient profondément antipathiques ; il y a bien des duretés dans ses œuvres, mais elles proviennent d’un tout autre système. » Il ajoutait que, tout en ayant, devant Berlioz, pris la défense de plusieurs passages incriminés, il est d’accord avec lui pour les séries de septièmes du duo du second acte. M. Ernst, répondant à l’accusation lancée contre les wagnériens d’être devenus les ennemis de Berlioz, n’eut pas de peine à se justifier de ce reproche immérité[42].

Reprenant la question à son tour au point de vue technique, M. Camille Benoît, dans un travail intitulé le Système harmonique de Wagner, à propos des annotations relevées par M. Ernst (Ménestrel des 12 et 19 octobre, 2 et 9 novembre 1884), reproduisit les successions harmoniques condamnées par Berlioz et s’attacha à en expliquer le fonctionnement logique. C’est d’ailleurs la première fois qu’en des articles de revue, on ait apprécié par l’analyse rationnelle la valeur d’une œuvre musicale.

L’année dernière (1er mai 1885). c’est le second acte de Tristan et Yseult qui a été exécuté au concert Lamoureux, ou du moins un fragment considérable interrompu à l’arrivée du roi Marke et de Melot. La scène d’amour excita un enthousiasme plus vif encore et plus général que le premier acte précédemment entendu. M. Fourcaud écrivit, le lendemain, dans le Gaulois, un dithyrambe sur les beautés musicales de ce fragment, mais il blâma M. Lamoureux de n’avoir pas fait entièrement exécuter le second acte.

L’éloge prononcé par M. Ch. Darcours, dans le Figaro du 11 mars, fut assez tiède.

« Le grand duo de Tristan et Yseult, qui remplit presque un acte, est traité sur un plan musical grandiose et développé avec les ressources d’un art incomparable, mais ce n’est point une scène d’amour, car la note du cœur n’y résonne pas une fois. Les enchevêtrements harmoniques les plus hardis, les combinaisons instrumentales les plus variées, les timbres amalgamés avec une habileté merveilleuse, tout cela ne remplace pas un éclair de sincérité, un cri, une larme, une seconde de véritable émotion. Trop de science, et… pas assez d’autre chose. C’est pourquoi des œuvres telles que Tristan et Yseult ne peuvent rencontrer chez nous qu’un succès de convention. »

Si je me suis abstenu jusqu’ici de donner mon appréciation personnelle sur les ouvrages de Wagner, on me permettra du moins, — faute de l’avoir trouvée dans les articles des critiques autorisés, — d’extraire d’une étude publiée par moi dans la Minerve du 25 mars 1885, une analyse Mêle de ce fragment du second acte de Tristan :

« Dans la première scène entre Yseult et Brangœne, je noterai le ravissant dessin des flûtes qui serpente dans l’orchestre avec les méandres onduleux d’un filet d’eau bruissant sous les ramures, le merveilleux appassionato chanté par les cordes lorsqu’Yseult attribue ses égarements amoureux à la puissance de la déesse Minne et la conclusion si expressive de cette scène où se traduit l’agitation de son âme, en l’attente du bien-aimé dont elle halo la venue par des appels désespérés. Il faut citer, parmi les pages les plus remarquables du duo suivant, l’éclatant tutti qui célèbre la passion délirante des deux amants, après les premiers mots échangés, contrepointé au dessin d’orchestre qui a servi à décrire l’attente folle d’Yseult, le cantabile dans lequel Yseult maudit le jour, le délicieux hymne à la nuit où les deux voix s’unissent et se répondent contrairement à toutes les règles de la mélodie vocale et produisent cependant pour l’oreille, par leur fusion harmonieuse avec le chant et le timbre des instruments, une impression mélodique d’une ineffable gravité, la péroraison éthérée et vaporeuse de ce morceau sur laquelle flotte la voix de Brangæne, le motif lent et voilé qui lui succède, le cantabile à 6/8 :


Mourons tous deux pour vivre unis
   Dans l’espace sans limite !…


développé par la suite à l’orchestre en une mélodie passionnée, qui reparaîtra, à la fin du drame, avec une envolée lyrique, pour accompagner la transfiguration d’Yseult, l’une des plus admirables pages de l’œuvre de Wagner. »

À la même époque, le théâtre de la Monnaie à Bruxelles donnait la première représentation[43] des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, traduits en français par M. V. Wilder. La presse parisienne y fut conviée ; cependant le Temps et le Figaro se bornèrent à insérer les dépêches de leurs correspondants de Belgique, constatant un très grand succès, mais peu intéressantes comme valeur critique.

M. Ernest Reyer ne put aller à Bruxelles pour la première des Maîtres-Chanteurs ; mais s’il ne fit pas de cette représentation le sujet d’un feuilleton pour les Débats, il avait déjà formulé un jugement très élogieux sur la partition de Wagner dans une lettre publiée le 18 mars 1882, lettre non signée, où il rendait compte à ses lecteurs de la saison musicale de Londres. « Je vous dirai, pour vous affrioler, qu’il y a dans cette partition essentiellement mélodique, des chœurs d’un brio, d’une fraîcheur incomparables, et qui sont à la gaieté allemande ce que les chœurs des opéras d’Auber sont à l’esprit français. Dans un style tout opposé, je vous citerai le choral religieux de l’introduction qui est un morceau superbe, le chant de Walther : Am stillen Herd, inspiration délicieuse et d’une suprême élégance, puis cette triomphale mélodie, comme l’a justement appelée un de nos critiques, dont l’éclat couronne si brillamment la scène du concours, fleur aux couleurs harmonieuses, au parfum exquis, qui arrive à son complet épanouissement, après avoir traversé et embaumé tout l’ouvrage. »

« Ces deux créations (de Wagner), écrivait M. Ad. Julien (Français du 24 mars), — Tristan et les Maîtres-Chanteurs, — ont mûri simultanément dans sa tête ; elles sont comme jumelles et tout porte à penser qu’en choisissant un sujet aussi dissemblable de ceux qu’il traitait d’habitude, en faisant chanter de braves bourgeois, de simples artisans après l’héroïque chevalier breton et la fière princesse d’Irlande, il voulait d’instinct se bien prouver que les théories formulées en déduction de ses précédents ouvrages s’appliquaient à l’opéra-comique aussi bien qu’à l’opéra et qu’elles étaient, par conséquent, capables de résister à toutes les attaques de la routine et du parti pris. »

Après avoir, dans une étude hyperbolique, examiné tout ensemble le poème et la partition (Gaulois du 8 mars), M. Fourcaud ajoutait :

« Je n’affirme pas que le système de la mélodie continue n’ait déconcerté personne ; on ne se détache pas du jour au lendemain de toutes les traditions, même des plus détestables. Mais le charme de cette partition est incroyable, et la vie joyeuse et tendre en est d’une incroyable intensité.

« En somme, cette représentation a marqué un grand pas fait en avant. L’heure de Wagner est proche en France, et nous nous en réjouissons ; car, partout où Wagner pénètre, les compositeurs ne peuvent plus procéder par à peu près. »

Quant à M. V. Wilder, il envoya au Gil Blas un article enthousiaste, mais qui, émanant du traducteur du livret, ne peut être considéré comme absolument impartial.

Le Ménestrel s’était fait représenter à Bruxelles par M. Arthur Pougin, bien connu pour son hostilité aux tendances wagnériennes. Les banalités, les redites abondent dans son article et ses restrictions ne brillent pas par la nouveauté. Sa conclusion est celle-ci : « C’est là un art particulariste, non un art universel et j’ai la conviction intime que cet art ne sera jamais le nôtre, à nous Français, peuple latin, épris avant toute chose de la mesure et de la clarté, de la sobriété et de la logique. » Par un singulier contraste, le même numéro du Ménestrel contenait une correspondance anecdotique de M. Camille Benoît, l’un des adeptes déclarés des théories de Wagner, nourrie de détails intéressants sur la représentation de l’œuvre à Bruxelles, sur l’origine de la partition et ses pérégrinations à travers les scènes allemandes.

Déjà, dans le même journal, M. Camille Benoît, musicien de grand savoir et possédant son Wagner comme personne, en un travail intitulé : À travers les Maîtres-Chanteurs[44], avait indiqué, par la notation musicale, les motifs typiques de cette partition et analysé leur mécanisme dans leurs rapports avec les situations dramatiques.

Dans Harmonie et Mélodie[45], recueil d’articles de critique publié en 1885, M. Camille Saint-Saëns a émis une sorte de profession de foi sur la musique de Wagner, dont le tour ambigu jure singulièrement avec les lettres enthousiastes sur la Tétralogie, envoyées par lui en 1876 au journal l’Estafette et réimprimées justement dans ce volume. Cette contradiction, M. Saint-Saëns l’explique, non par un revirement de ses idées, mais par le changement des circonstances. « Il est permis de varier sur Beethoven, sur Mozart, mais sur Wagner ! c’est un crime, ou plutôt, c’est un sacrilège ! » Quand les Parisiens sifflaient les morceaux les plus remarquables de Tannhœuser ou de Lohengrin, il était pour l’art contre les philistins ; maintenant que les pages les plus ardues de Tristan et Yseult sont l’objet d’un engouement irréfléchi, la critique reprend ses droite. Cependant, dit-il, « mon admiration n’a cessé de grandir pour Rheingold et pour les trois quarts au moins de Tristan et de la Walkyrie. Mais tout en admirant la puissance colossale déployée dans le Crépuscule des Dieux et dans Parsifal, je n’en goûte pas le style alambiqué et selon moi, mal équilibré. Cette critique n’est que générale, bien entendu ; car il faut, il me semble, être dépourvu de tout sentiment musical pour ne pas admirer l’oraison funèbre de Brunehild sur le corps de Siegfried ou le second tableau de Parsifal… Si je m’adressais uniquement à des musiciens, je pourrais traiter à fond la question musicale de ces œuvres colossales, montrer comment leur style, assez peu élevé dans le principe et en désaccord avec la hauteur des conceptions de Wagner, s’est d’abord épuré, puis compliqué de plus en plus, multipliant les notes sans nécessité, abusant des ressources de l’art jusqu’au gaspillage, exigeant, à la fin, des voix et des instruments des choses en dehors du possible. Le dédain de la carrure, qui n’existait pas dans les premières œuvres, se montre d’abord comme un affranchissement libérateur, pour devenir, peu à peu, dans les derniers temps, une licence destructive de toute forme et de tout équilibre. » Il se plaint du prosélytisme excessif des wagnériens qui admirant tout sans restrictions dans l’œuvre du maître, veulent imposer aux autres cette admiration absolue. « Je demande, dit M. C. Saint-Saëns, à conserver ma liberté, à admirer ce qui me plaît, à ne pas admirer le reste ; à trouver long ce qui est long, discordant ce qui est discordant, absurde ce qui est absurde. » Si, en somme, il reconnaît le génie musical de Wagner, il déclare ses poèmes dramatiques insipides, remplis de bizarreries, contraires au goût français.

La critique wagnérienne, suivant lui, a le tort de vouloir diriger l’art. « Singulièrement intolérante, elle ne permet pas ceci, elle interdit cela. Défense de déployer les ressources de l’art du chant, de remplir l’oreille d’un ensemble de voix savamment combinées. Au système de la mélodie forcée a succédé celui de la déclamation forcée. Si vous ne vous y rangez pas, vous prostituez l’art, vous sacrifiez aux faux dieux, que sais-je ? » M. Saint-Saëns reproche enfin aux wagnériens de vouloir nous mettre à l’école du théâtre allemand. Dans l’épilogue de son livre, derrière la secte du wagnérisme, il voit même apparaître le spectre germanique.

Comparable au manifeste de Berlioz contre la musique de l’avenir, cette déclaration de principes par laquelle M. Saint-Saëns a hautement rompu tout lien avec les familiers de Bayreuth, a causé une vive irritation parmi les wagnéristes français et a même fait un certain bruit en Allemagne. En réalité, on ne voit pas bien sur quoi porte la discussion.

M. Saint-Saëns admire Wagner, mais il veut l’admirer tout seul, à son heure, dans son cabinet et non dans un cénacle d’affiliés. Qui songe à lui ravir cette liberté ?

M. Saint-Saëns ne veut pas obéir aux injonctions de la critique wagnérienne. — Mais qui donc a jamais prétendu l’empêcher de suivre son inspiration, d’où qu’elle vînt ? Certains critiques ont pu mettre Samson et Dalila au-dessus d’Étienne Marcel et d’Henry VIII, comme contexture dramatique et comme valeur musicale ; c’était assurément leur droit de critiques.

M. Saint-Saëns crie aux jeunes musiciens : « Restez Français ! Soyez vous-mêmes, de votre temps et de votre pays. » Il suffit de lire les articles de MM. Wilder, Fourcaud, les Conseils du vieux wagnériste au jeune prix de Rome dans le volume de M. Mendès, pour constater que ces wagnériens donnent le même avis à leurs compatriotes.

Eh bien ! alors, si tout le monde est d’accord, pourquoi cette rupture officielle avec les anciens compagnons d’armes : — « J’admire profondément les œuvres de Richard Wagner en dépit de leur bizarrerie. Elles sont supérieures et puissantes, cela me suffit.

« Mais je n’ai jamais été, je ne suis pas, je ne serai jamais de la religion wagnérienne. »

Si cette sortie acerbe n’a pas été inspirée à l’auteur par l’influence réactionnaire de l’Institut, on ne peut l’attribuer qu’à l’irritation des artistes qui, les premiers, ont compris et admiré le talent de Wagner, devant cette altitude d’apôtres du culte de Bayreuth prise dans ces derniers temps par certain groupe de jeunes littérateurs, de musiciens inédits, de journalistes affiliés qui, se prétendant seuls dépositaires de la pensée du maître, se sont érigés spontanément en chevaliers du Graal wagnérien. Ce que M. Hans de Wolzogen a tenté pour l’Allemagne, — diriger de Bayreuth les consciences, éclairer le zèle des Wagnervereine, — cette mission quasi religieuse, M. Éd. Dujardin, wagnérien convaincu et prosateur mallarméen, a voulu la remplir dans son pays. Il a donc, en 1885, avec l’appui d’un groupe de fanatiques, créé la Revue wagnérienne, uniquement destinée à l’étude des œuvres et des théories de Wagner et à la propagation de la « bonne nouvelle pour employer son style. Cette publication mensuelle est née au moment où commençait dans les concerts la vogue de R. Wagner auprès du grand public, c’est-à-dire au moment où le triomphe des œuvres du maître aurait dû suffire à sa gloire, et où semblait c’ore l’ère des vaines polémiques. C’est alors que M. Dujardin et ses amis se sont arrogé la fonction de développer dans les esprits l’intelligence du beau wagnérien et de nous prêcher un étrange catéchisme qui doit soumettre théâtre, peinture, philosophie, littérature, au règne des dogmes de Bayreuth.

La Revue dont je parle a publié, il est vrai, des articles sensés, bien pensés et bien écrits de MM. Fourcaud, Catulle Mendès, Albert Soubies, Éd. Schuré, une étude très intéressante de M. Victor Wilder sur le Rituel des Maîtres chanteurs, d’après Wagner et Wagenseil, auteur allemand du xviie siècle (mars 1885), une traduction de l’étude de Wagner sur Beethoven, par M. T. de Wyzewa (mai, juin, juillet, août 1885). J’y ai lu une paraphrase descriptive de l’ouverture de Tannhœuser, par M. J. K. Huysmans, laquelle peut se comparer à la conception imaginaire de Baudelaire, d’après le prélude de Lohengrin. Mais que dire des sujets comme ceux-ci :

— Le pessimisme de R. Wagner, par M. Teodor de Wyzewa (8 juillet 1885).

L’Esthétique de Wagner et la doctrine spencérienne (8 novembre 1885), par M. Em. Hennequin.

Les quatre-vingt-trois orientations du motif-organe des Maîtres chanteurs, par M. Pierre Bonnier[46] (8 décembre 1885) ?…

L’auteur de ce travail promet de nous livrer bientôt le résultat de ses recherches sur le Socialisme dans l’œuvre de Wagner.

La spéciale revue est ouverte aux dissertations de rédacteurs étrangers qui se cotisent pour écrire un idiome hybride, formé de pathos décadent et de polonais francisé. Le président du cénacle, M. Dujardin, professe le wagnérisme en un style redoutable à la syntaxe, en un galimatias burlesque et prétentieux, où il n’a de rival que M. de Wyzewa, son collaborateur. Celui-ci, parmi ses innombrables attributions, a charge de rédiger la chronique du Salon. Il a découvert, au Palais de l’Industrie, une peinture wagnérienne. — Qu’est-ce que cela ? — C’est, d’après lui, « un pastel de M. Degas, le peintre impressionniste, un dessin épouvantant de M. Odilon Redon, une symphonie de couleurs (le livret dit : un portrait) par M. Whistler, wagnéristes inconscients », tandis que M. Fantin-Latour, l’illustrateur des drames de Wagner, est « un wagnériste conscient. » On vendra l’année prochaine sur les Champs-Élysées, espérons-le, un guide wagnérien du Salon ; mais à quand l’horticulture wagnériste, l’astronomie wagnériste, le manuel de médecine opératoire ou d’obstétrique wagnériste ?

Au mois de janvier 1886, après un an d’existence, la Revue wagnérienne a mis au concours un sonnet en l’honneur de Wagner. Cette apothéose du musicien a été célébrée par huit poètes français (?), dont M. Éd. Dujardin lui-même. Le premier prix doit être décerné à M. Stéphane Mallarmé, malgré l’obscurité de sa pièce de vers, dont on a proposé jusqu’à trois explications. Je laisse au lecteur le soin de deviner cette charade.


HOMMAGE


Le silence déjà funèbre d’une moire
Dispose plus qu’un pli seul sur le mobilier
Que doit un tassement du principal pilier
Précipiter avec le manque de mémoire.



Notre si vieil ébat, triomphal du grimoire,
Hiéroglyphes dont s’exalte le millier
À propager de l’aile un frisson familier !
Enfouissez-le-moi plutôt dans une armoire.

Du souriant fracas originel haï,
Entre elles de clartés maîtresses a jailli
Jusque vers un parvis né pour leur simulacre, —

Trompettes tout haut d’or pâmé sur les vélins —
Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre
Mal tu par l’encre même aux sanglots sibyllins.


Le deuxième sonnet est de M. Verlaine. Malgré quelques bizarreries, il est plus facile à comprendre.


PARSIFAL


Parsifal a vaincu les filles, leur gentil
Babil et la luxure amusante et sa pente
Vers la chair de garçon vierge que cela tente
D’aimer des seins légers et ce gentil babil.

Il a vaincu la femme belle au cœur subtil,
Étalant ses bras frais et sa gorge excitante ;
Il a vaincu l’Enfer et rentre sous la tente,
Avec un lourd trophée à son bras puéril,

Avec la lance qui perça le flanc suprême !
Il a guéri le roi, le voilà roi lui-même,
Et prêtre du très-saint Trésor essentiel.

En robes d’or, il adore, gloire et symbole,
Le vase pur où resplendit le sang réel.
— Et, ô ces voix d’enfants chantant dans la coupole !…


Heureusement, nous avons à citer pour cette année 1885 des études plus lisibles et plus sérieuses. Dans un travail publié par la Revue contemporaine (25 juillet 1885), intitulé : Wagner et l’Esthétique allemande, M. Éd. Rod a voulu démontrer « que l’esthétique de Wagner, très consciente et très réfléchie, est la résultante logique de l’esthétique allemande et qu’elle est liée par tous ses points essentiels avec les principales théories de l’art que l’Allemagne a produites depuis le siècle dernier. » À l’appui de cette thèse, il indique comme ayant prophétisé la conception du drame musical selon Wagner Lessing, dans sa continuation de Laocoon, Herder, en sa causerie sur Alceste, Hegel, dans l’Esthétique. D’après ce dernier, cette synthèse des arts aboutit à la suprématie de la forme dramatique. Hegel assigne à l’art une mission nationale. Le but avoué de Wagner n’a-t-il pas été de créer un art national ? Enfin, le sentiment esthétique hégélien finit par se perdre dans le sentiment religieux ? En effet, c’est d’une conception religieuse que découle le drame symbolique de Parsifal. « Mais, par là même qu’il a réalisé l’idéal intime et profond de la nation à laquelle il appartient, Wagner ne sera jamais populaire que pour cette nation-là. »

C’est précisément cette influence du milieu intellectuel sur la formation esthétique de l’artiste qu’a étudiée M. Georges Noufflard dans son livre Richard Wagner d’après lui-même[47]. Il s’est servi des nombreux écrits de Wagner touchant sa biographie ou ses conceptions novatrices, pour déterminer exactement les phases du développement de son idéal poétique, phases auxquelles correspond l’évolution de son talent, si clairement exprimée d’ailleurs par les profondes divergences de ses œuvres.

Entre les années 1885 et 1886 naquit la polémique violente engagée au sujet de la mise à l’étude de Lohengrin à l’Opéra-Comique. Ainsi que je l’ai rappelé plus haut, à l’occasion de l’incident Neumann (1881-1882), M. Carvalho avait déjà songé, il y a vingt ans, à monter Lohengrin au Théâtre-Lyrique. J’ai brièvement indiqué les diverses combinaisons théâtrales qui ont tendu à l’exécution de cet ouvrage en allemand, en français ou en italien. En 1882, M. Reyer combattait les défiances de Wagner à l’égard des Parisiens en affirmant que nous étions mûrs pour l’œuvre. L’idée, abandonnée par M. Neumann, fut immédiatement reprise par M. Strakosch, imprésario d’opéra italien qui destinait le rôle d’Elsa à Mme Anna de Belocca, mais ce projet n’eut pas de suite. Enfin, en 1884, après l’immense succès du premier acte de Tristan au concert Lamoureux, M. Carvalho crut le moment favorable pour inscrire Lohengrin à son répertoire. La vogue de Mlle Heilbron, destinée à jouer Elsa, le talent de chanteur de M. Talazac semblaient répondre du succès. Un an après seulement, M. Carvalho, ayant pris l’attache du ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, put s’entendre avec M. Gross, exécuteur testamentaire de Wagner au sujet de la représentation de Lohengrin à l’Opéra-Comique, projetée pour l’hiver suivant. Les journaux annonçant la nouvelle, donnèrent cette distribution : Lohengrin, M. Talazac ; — Telramund, M. Bouvet ; — Elsa, Mlle Calvé ; — Ortrud, Mlle Deschamps. Plus tard, on distribua les rôles en double à MM. Lubert, Carroul et à Mlle Heilbron. Mais bientôt, plusieurs wagnéristes français exprimèrent le désir que la traduction de M. Ch. Nuitter, imposée par la maison Durand-Schœnewerk, propriétaire de la partition française de Lohengrin, lut revue par M. V. Walder, traducteur juré des poèmes de Wagner. Cette démarche resta infructueuse ; mais M. Ch. Nuitter refit lui-même sa traduction.

Pour prévenir toute réclamation de la part des compositeurs français dont les intérêts auraient pu se trouver lésés, M. Carvalho décida que les représentations de Lohengrin auraient lieu deux fois par semaine, en matinée, le jeudi et le samedi.

Au mois d’octobre, M. Carvalho se rendit en Autriche et entendit à l’Opéra de Vienne l’ouvrage de Wagner pour se rendre compte de la mise en scène et de l’exécution consacrées en Allemagne. M. Lévi, chef d’orchestre du théâtre de Munich et du théâtre Wagner à Bayreuth, devait d’ailleurs venir à Paris assister aux répétitions et remplacer le compositeur. Tout le monde s’attendait à voir Lohengrin paraître sur l’affiche en février ou mars 1886, quand l’opposition se manifesta par la création d’un comité de protestation résolu à empêcher la représentation de l’œuvre de Wagner. Les journaux entretenaient leurs lecteurs d’une prétendue agitation fomentée parmi les rapins, les étudiants et les Sociétés de gymnastique. À une information de l’Événement, annonçant que M. Carvalho renonçait à monter Lohengrin, le directeur de l’Opéra-Comique répondit par la lettre suivante, adressée au Figaro le 11 décembre 1885 :


« Mon cher monsieur Magnard, je lis dans plusieurs journaux que je renonce à monter Lohengrin. Je vous prie d’annoncer qu’il n’en est rien. Les études en sont interrompues, parce que je suis occupé à remettre Roméo et les Contes d’Hoffmann à la scène ; mais je n’ai point renoncé à mes projets. Je voudrais même, à ce propos, qu’on me donnât une bonne raison pour me prouver que je ne dois pas jouer Lohengrin à l’Opéra-Comique, quand tous les dimanches on fait entendre la musique de Wagner dans des concerts subventionnés comme l’Opéra-Comique, par l’État, et qu’on a même pu l’exécuter à la Société des Concerts du Conservatoire national de musique.

Veuillez, agréer, etc.

L. Carvalho. »


Toute la polémique suscitée dans la presse par le projet de M. Carvalho a été reproduite dans la Revue wagnérienne de mars 1886. L’article de M. Dujardin. sur la Question Lohengrin, résume très fidèlement les faits et la discussion engagée, je ne puis donc mieux faire que d’y renvoyer mes lecteurs. Cependant, tant à cause du nom de l’auteur que de l’influence exercée par les conclusions de sa chronique, je dois rappeler l’étrange attitude prise dans le débat par M. Albert Wolff. Dans le Figaro du 10 décembre, cet ennemi juré de R. Wagner, qu’on s’imaginait avoir désarmé depuis la mort du maître, avec un patelinage doucereux de médecin pour dames, supplia M. Carvalho, dans son propre intérêt, de ne pas braver plus longtemps l’opinion, sut lui faire craindre une descente dans la rue de 50,000 électeurs patriotes (où diable les prenait-il ?), conduits par une vingtaine de meneurs, et le conjura de ne pas troubler l’ordre dans Paris. « Vous verrez se reproduire les scènes scandaleuses de l’incident Van Zandt, avec cette différence que, cette fois, l’émeute se fera au nom du patriotisme, irréfléchi tant que vous voudrez, mais encore respectable jusque dans ses égarements… L’heure n’est pas encore venue de tenter l’entreprise que vous avez rêvée… Laissez faire le temps, etc… » On ne pouvait en même temps afficher plus de déférence pour le chef-d’œuvre et trahir plus ouvertement de vieilles rancunes[48]. Quant à Lohengrin, c’était, pour employer le jargon boulevardier du chroniqueur, lui donner le coup de lapin.

Plus tard, Mme Adam adressa au Figaro (13 janvier 1886) une lettre mélodramatique où elle accuse Wagner d’avoir écrit, en 1870, qu’il fallait brûler Paris, — monstrueuse parole que Wagner n’a jamais prononcée — et où il est question, à propos de sa musique, « de la marche des soldats du vainqueur, du chant de ses triomphes, des sanglots de la défaite. » Quel raisonnement opposer au sentimentalisme affolé d’une femme qui évoque en phrases passionnées le souvenir des mères en deuil, « du Rhin allemand », au sujet d’une partition composée vingt ans avant la guerre de 1870[49] ?

Mais voilà que les meneurs déclarés de la cabale, le peintre Boulanger et ses élèves, M. Diaz compositeur oublié, M. Paul Déroulède, président de la Ligue des patriotes, se défendent successivement d’avoir songé à provoquer des manifestations… Alors, les craintes de M. Albert Wolff étaient donc chimériques !

Mis en demeure, avec MM. Gounod, Massenet, Joncières, par un journal musical de province, Angers-Revue, d’intervenir en faveur de la représentation de Lohengrin, sous prétexte que les œuvres de ces compositeurs reçoivent de l’autre côté du Rhin une large hospitalité, M. Saint-Saëns affirma que le bienveillant accueil de l’Allemagne à l’égard de quelques musiciens français n’est pas comparable à l’engouement de notre pays pour Mozart, Weber, Meyerbeer et pour Flottow lui-même.

Cette hostilité déguisée de M. Saint-Saëns vis-à-vis de Wagner déplut aux Allemands, l’auteur de Samson et Dalila ayant toujours été bien accueilli dans les concerts d’Allemagne comme virtuose ou comme compositeur. Ayant eu l’imprudence d’accepter à cette époque un engagement de la Société philharmonique de Berlin, M. Saint-Saëns, à son arrivée sur l’estrade, fut reçu par des sifflets. Le succès de son concert n’en fut d’ailleurs pas compromis. L’incident a fait naguère un certain bruit. M. Reyer, qui ne devait rien à l’Allemagne, lui, se prononça à plusieurs reprises, dans les Débats, en faveur de Wagner contre la cabale à laquelle il osa dire son fait très vertement.

En réalité, au fond de ce débat où les naïfs ont vu une explosion de patriotisme, gisait, comme l’a dit très justement M. Ad. Jullien, une raison de concurrence commerciale[50], de protectionnisme en faveur de nos musiciens français. On le vit clairement peu après, par la reprise à l’Opéra-Comique, du Songe d’une nuit d’été, l’une des œuvres les plus médiocres et les plus démodées de M. Ambroise Thomas. Les fiascos successifs du Mari d’un jour, de Plutus, de Maître Ambros vinrent infliger un rude camouflet aux partisans exclusifs de la musique française.

D’ailleurs, lorsque M. Carvalho eut capitulé devant cette ligue de peintres et de journalistes, d’éditeurs et de musiciens, d’étudiants et de gymnastes, la campagne dérisoire entreprise contre Wagner eut cet épilogue bouffon :


Lohengrin à l’Alcazar[51]
Parodie en 3 tableaux, de MM. Lebourg et Boucherat,
Musique de M. Patusset.
Orchestre de 35 musiciens dirigé par M. G. Michiels.


N’ayant pu applaudir au théâtre le Lohengrin de Wagner, je ne me consolerai de ma vie de n’avoir pas entendu celui de M. Patusset !

Par une singulière ironie, dans le numéro de la Revue wagnérienne auquel j’emprunte ces détails, on lit un article où M. Ph. Gille, consulté sur la Question Lohengrin, s’exprime ainsi sur les wagnéristes : « Ils l’enferment dans leur armoire, déclarant que, si on ne leur demande pas comment on doit au juste aimer Wagner, personne n’a le droit d’ouvrir ses partitions et que, seuls, ils peuvent en deviner les beautés cachées et le fin du fin !… L’admiration qu’on a pour Wagner et qu’on lui doit ne peut pas être le monopole de quelques vieilles dames empaillées et de quelques jeunes gens minés par la névrose. » M. Dujardin a bravement inséré dans son journal la consultation de M. Ph. Gille, sans s’apercevoir que ces lignes s’appliquent précisément à lui et à ses acolytes. M. Ph. Gille prétend qu’on peut goûter Lohengrin en France aussi bien qu’en Bavière et, si l’on ne veut pas déposséder les musicien français de leurs prérogatives, qu’on affecte un local spécial au théâtre allemand. « Quand la musique était en Italie, nous avons eu le théâtre italien ; le mouvement musical s’accuse aujourd’hui en Allemagne, ayons le théâtre allemand, rien de plus juste. »

Rien de plus sensé que cette idée ; mais alors pourquoi, en 1881, cette agitation patriotique, lors que M. Neumann voulut représenter Lohengrin en allemand, au théâtre des Nations ?

Pendant ce temps, M. Lamoureux inscrivait à son répertoire, avec un succès toujours croissant, la Siegfried-Idyll (30 novembre 1885), si froidement accueillie au Châtelet quatre ans auparavant, et la Chevauchée des Walkyries (21 mars 1886), qui fut très brillamment rendue par son prestigieux orchestre.

Le 31 janvier 1886, au Conservatoire, première audition du chœur des fileuses du Vaisseau-fantôme.

Après la traduction de Tristan et des Maîtres-Chanteurs, M. V. Wilder avait terminé celle de la Walkyrie. Le 14 février 1886, M. Lamoureux fit exécuter le premier acte de ce drame musical[52], moins la scène II, entre Siegmund et Hunding. Ce fut un immense succès. Le saisissant prélude où l’on sent passer le souffle de l’ouragan, le dialogue si expressif de Sieglinde avec son hôte inconnu, les accents de détresse de Siegmund désarmé, tombé entre les mains de son ennemi, la scène d’amour et le mélodieux lied du printemps, la fuite éperdue des deux amants, ravisseurs de l’épée Nothung, furent applaudis dans la nouvelle salle de l’Éden, comme les scènes de Tristan avaient été acclamées au théâtre du Château-d’Eau. Le premier acte de la Walkyrie a eu cinq auditions l’hiver dernier[53].

M. Jullien s’exprimait ainsi dans le Français du 22 février 1886 : « Cette musique est d’une clarté, d’une limpidité surprenantes, avec ces rappels de motifs caractéristiques si ingénieusement enchâssés dans la trame orchestrale, et les délicieuses phrases mélodiques qui forment ce tissu même, devaient causer une douce surprise aux gens qui croient que Wagner est un barbare en musique, qui n’arrête pas d’écorcher les oreilles de ses auditeurs et de leur briser le tympan. »

Dernière citation de la prose de M. Comettant (Siècle du 8 mars 1886) :

« Après les amours sensuelles jusqu’au delirium tremens et au plus stupide hébétement de Tristan et Yseult, gorgés de drogues aphrodisiaques, voici la Walkyrie, qui nous offre le tableau répugnant des amours incestueuses, compliquées d’adultère du frère et de la sœur jumeaux, fruits malsains d’une cascade galante du dieu Wotan, descendu de l’Olympe sur la terre pour rigoler avec les mortelles. »

Ainsi donc, après avoir été, pendant dix ans, sifflées au Cirque d’Hiver au nom de la mélodie, du goût, par des auditeurs routiniers qui ne les comprenaient pas, huées après la guerre par des énergumènes soi-disant patriotes, voilà les œuvres de Wagner les plus avancées, les moins conformes à nos habitudes lyriques, acclamées tous les dimanches, non par une poignée d’artistes comme jadis chez Pasdeloup, mais par le public élégant des abonnés de la rue Boudreau. Aussi, la consternation règne désormais dans le clan des wagnériens purs, cette admiration des profanes leur paraissant un empiétement sacrilège sur leur sacerdoce d’explicateurs jurés des rites de Parsifal et des symboles de la Tétralogie. Voilà une crise bien dure à traverser pour tous ces pontifes sans ouvrage !

Maintenant, si le succès des œuvres de Wagner récemment révélées est dû en partie aux exécutions excellentes obtenues par M. Lamoureux, cet engouement un peu irréfléchi d’un auditoire moins artistique que mondain est-il bien sincère ? En réalité, il est admis qu’on doit se montrer aux matinées musicales de l’Éden, comme on est des mardis du Théâtre-Français, et le wagnérisme occupe les clubmen comme un sport hivernal hebdomadaire. Aussi, M. Lamoureux est tellement en possession de la faveur de son public qu’il en est arrivé à rédiger des programmes entièrement composés d’œuvres de Wagner de tous les styles et de toutes les époques[54]. Il y a quelques années, tout le monde eût protesté contre la fatigue de pareilles auditions. Aujourd’hui, grâce à l’entraînement subi par lui, le public ne bronche plus. Il est de mode d’applaudir Wagner, il applaudit la Walkyrie avec des trépignements d’enthousiasme, ainsi qu’il aurait chuté, il y a dix ans, un fragment de la Tétralogie.

Quand on a mesuré l’intelligence de ce même public pour l’avoir entendu tenir des propos artistiques au Conservatoire, émettre des jugements littéraires aux soirées d’abonnement du Théâtre-Français, il est permis d’avoir peu de confiance en ce fanatisme récent pour une musique si décriée naguère. Heureusement, cette foule de néophytes de tout âge est encadrée par les habitués du pourtour, la vieille garde wagnérienne du théâtre du Château-d’Eau, qui compte des poètes, M. Maurice Bouchor[55], des littérateurs, MM. Éd. Rod, Élémir Bourges, M. Em. Hennequin, le pénétrant critique analyste, la plupart des compositeurs de la jeune génération, M. Gabriel Fauré, MM. Chabrier, Messager, H. Duparc, V. d’Indy, Cam. Benoît, Ernest Chausson, Mme Augusta Holmès, qui se sont déclarés les champions du wagnérisme au moment où leurs aînés en répudiaient les doctrines.

Parmi les nombreux articles qui ont été publiés cet été, après les représentations de Bayreuth, il faut signaler l’étude de M. Victor Wilder, l’Opéra et le Drame lyrique (septembre et octobre 1886), insérée dans le Gil-Blas. D’après M. Wilder, Wagner a reconstitué dans le théâtre spécial qu’il a créé Tunion des arts musiques telle que la comprenaient les Grecs, c’est-à-dire la musique, l’orchestique et la poésie. Les essais de fusion tentés entre la parole et la musique dans le drame lyrique n’ont été que des tâtonnements ; à Wagner seul était réservé d’assujettir à la marche du drame le mouvement de la symphonie. « Si le programme est impuissant à commenter la symphonie, il n’en est pas de même d’une action dramatique représentée sur un théâtre ; il est hors de doute, en effet, que si les développements de cette symphonie sont dans une concordance parfaite avec le texte chanté sur la scène et avec le geste rythmique de l’acteur, la mélodie symphonique devient aussi claire que la parole elle-même. »

La conclusion de M. Wilder est que nous exécuterons aussi bien que les Allemands la musique de Wagner quand nous le voudrons et que nous devrions nous hâter de représenter toutes ses œuvres.

Nous avons eu cette année plusieurs publications françaises relatives à Wagner, un volume de M. Cat. Mendès et auparavant, l’Œuvre dramatique de Richard Wagner par MM. Albert Soubies et Ch. Malherbe. Ce volume, conçu dans un esprit de modération, comprend ainsi que l’autre l’analyse des poèmes, déjà donnée par Mme Judith Gautier et, avant elle, par M. Éd. Schuré, mais, en outre, une critique musicale plus sérieuse que celle de ses devanciers. C’est une sorte de manuel pratique initiant à un art tout spécial les lecteurs qui n’en possèdent que des notions incomplètes, mais par là même insuffisant pour les musiciens plus versés dans l’étude des œuvres de Wagner.

L’ouvrage de Mme Henriette Fuchs, l’Opéra et le drame musical d’après l’œuvre de Richard Wagner[56], publié au commencement de novembre 1886, est divisé en deux parties : la première comprenant d’une part, un historique abrégé et beaucoup trop sommaire de la musique théâtrale, de l’autre, une courte notice sur Wagner, un bref exposé de ses théories et la critique de ses drames lyriques ; la seconde, consacrée à l’étude du système wagnérien.

L’exposé des théories de Wagner, restreint à des citations tirées de la Lettre à F. Villot, est dès lors incomplet et superficiel. C’est du reste, en général, la partie médiocre des ouvrages de ce genre, écrits par des Français, ignorants de la langue allemande et peu versés dans la lecture des dix volumes de Gesammelte Schriften. M. Ad. Jullien, dont nous parlerons tout à l’heure, bien que plus familier avec les vues esthétiques de l’artiste, s’est borné à une trop rapide analyse de ses écrits théoriques.

Les jugements portés par Mme Fuchs sur les partitions de Wagner sont assez sérieux et révèlent une admiration sincère, mitigée de réserves timorées. Ainsi dans Lohengrin, l’auteur réprouve les scènes de déclamation chantée du deuxième acte entre Ortrude et Frédéric, entre Elsa et Ortrude, qui sont des merveilles d’expression dramatique, et traite de « bruyante fanfare » le superbe prélude guerrier du dernier tableau, accompagnant la prise d’armes des comtés convoqués par Henri l’Oiseleur. Par contre, les critiques adressées à la partition du Vaisseau-Fantôme me semblent des plus justes. Dans les œuvres de la dernière manière, Mme Fuchs apprécie presque uniquement les scènes où le compositeur n’a pas répudié entièrement la forme de la mélodie vocale, par exemple le cantabile à 6/8 du duo d’amour dans Tristan, le quintette des Maîtres-Chanteurs, le lied du printemps de la Walküre. Le système musical de Tristan lui répugne particulièrement et cependant elle avoue que l’auditeur « est gagné, subjugué par le charme étrange et troublant de cette musique sensuelle et capiteuse et se trouve sous l’étreinte d’une émotion où la jouissance confine à la douleur. »

Si Mme Fuchs a pu juger Tristan à Munich et, cet été, Parsifal à Bayreuth, elle me semble n’avoir eu de la Tétralogie qu’une idée imparfaite par les représentations de Bruxelles en 1884. Ses impressions eussent été tout autres si elle avait assisté au festival de 1876 et pu voir les drames de l’Anneau du Niebelung dans leur cadre naturel.

Abordant ensuite l’examen des thèses favorites de Wagner, l’auteur nie que sa conception du drame musical constitue un art original et de pure filiation germanique. Elle cherche à le rattacher aux œuvres d’origine française et le fait, arbitrairement à mon avis et par pur amour-propre national, dériver de Hector Berlioz. Scudo, nous l’avons vu, avait déjà opéré ce rapprochement.

La parenté des dernières œuvres de Wagner avec le drame antique lui parait contestable ; de plus, le choix des sujets mythiques diffère essentiellement des données humaines des tragédies grecques. « Aussi, les Grecs pouvaient et devaient-ils être émus par la représentation des effroyables malheurs d’Agamemnon ou d’Antigone ; les bizarres et mystérieuses aventures de Wotan ou de Kundry nous laissent froids et indifférents. »

En ce qui concerne le procédé musical, Mme Fuchs reproche à Wagner l’absence de tonalité précise, la haine des accords consonnants, l’abus de l’enharmonie, des pédales, des retards, etc., et fait observer qu’il n’a renoncé aux formules employées avant lui que pour leur en substituer de nouvelles. L’asservissement de la musique à l’élément littéraire lui semble être un point de vue faux, le compositeur n’ayant pu échapper à certaines conventions théâtrales et s’étant volontairement privé des avantages des autres conventions, pour réduire les voix à une « déclamation haletante, constamment interrompue et souvent couverte par la grande voix de l’orchestre ». Si grand que soit le génie symphonique de Wagner, il ne parvient pas à interdire le regret de la forme vocale et surtout des combinaisons harmonieuses des voix. De plus, le système des leitmotive réduit la partition à un minimum de courtes phrases « qui, souvent même, n’apparaissent plus qu’à l’état fragmentaire. »

Quant au théâtre-modèle de Wagner, il présente de très heureuses dispositions auxquelles l’écrivain accorde une approbation entière, et même les festivals de Bayreuth rappellent à ses yeux les célèbres jeux ioniques et olympiques.

Mme Fuchs termine son livre en adressant ses hommages à l’auteur de Don Juan et à M. Ch. Gounod, son héritier, dont elle s’efforce maladroitement d’opposer le style personnel aux conceptions originales de R. Wagner et, prophétisant au nom de la postérité, place le maître de Bayreuth au-dessous de « ce trio immortel, Bach, Mozart et Beethoven. »

À vrai dire, le livre définitif sur Richard Wagner est encore à faire, telle était ma conclusion après toutes les lectures auxquelles j’ai dû me livrer pour résumer la bibliographie wagnérienne française. Nous ne possédions que des biographies partielles ou médiocres, et ceux qui ignorent l’allemand en sont réduits à lire les écrits théoriques du maître dans de mauvaises traductions. D’autre part, l’étude rationnelle des partitions, sauf quelques exceptions que j’ai signalées, n’a pas encore été faite par un critique musical présentant des garanties de savoir technique et d’impartialité. En beaucoup de points, le grand ouvrage de M. Ad. Jullien sur Richard Wagner a rempli le but que d’autres n’ont pas su atteindre, l’auteur étant doué de la compétence qui manquait à beaucoup de ses devanciers.

Ce livre[57] a été conçu dans un sentiment respectueux de ce qu’on doit au génie, mais par un écrivain heureusement exempt de ce fanatisme exclusif qui, aujourd’hui, est de mise parmi les jeunes néophytes de la religion wagnérienne. La vie de Wagner y est racontée d’après les documents les plus dignes de foi, dans une forme anecdotique, mais sans le parti pris d’exalter tous les actes, quels qu’ils soient, de ce grand artiste absolument dénué de sens moral. Cette biographie contient d’ailleurs un certain nombre de renseignements inédits, dus à des recherches personnelles. Il est regrettable et c’est le seul reproche qu’on puisse lui adresser, que M. Ad. Jullien n’ait pas exposé plus longuement les théories de Wagner d’après ses nombreux ouvrages esthétiques et philosophiques.

En résumé, il y a eu trois grandes périodes dans la propagation en France de l’œuvre wagnérienne. Dans la première, la musique de Wagner, malgré les discussions quelle fit naître, faillit s’imposer chez nous. J’ai essayé, — on l’a vu plus haut, — d’établir les responsabilités dans la chute de Tannhœuser à l’Opéra. Le dédain des journalistes ignorants et superficiels s’accorda avec la cabale pour abuser la grande majorité du public qui, en somme, resta impartiale. Les plus compétents s’étaient prononcés une fois pour toutes contre la musique de l’avenir, patronnée seulement alors par des poètes et des littérateurs.

Dans la seconde période, la critique réactionnaire a triomphé, semant les préventions contre l’auteur de Tannhœuser et de Lohengrin. Quelques esprits indépendants, quelques artistes de bonne foi, comme Gasperini, comme MM. Reyer, Schuré, Léon Leroy, M. et Mme Mendès, essaient d’amener à comprendre l’art de Wagner un public habitué à des sensations artistiques toutes différentes. Mais l’opposition continue de la part des doctrinaires de la Revue des Deux-Mondes, du Ménestrel et de la Gazette musicale. Le public, livré à ses impressions personnelles, se divise en deux camps dont l’un, le parti wagnérien, recrute d’année en année de nouveaux adhérents. Cette éducation du public s’est faite, il faut le dire hautement, grâce à la persévérance de M. Pasdeloup à imposer les œuvres contestées. En même temps, aux partisans exclusifs des conventions de la musique théâtrale, avaient succédé dans la presse un certain nombre de critiques instruits, compétents, qui luttèrent contre la routine en faveur de Wagner et défendirent sa conception du drame lyrique. Enfin, l’apothéose de Bayreuth, en 1876, eût peut-être éclairé beaucoup d’incrédules, si la manifestation dite patriotique du 29 octobre, au Cirque d’hiver, dirigée contre l’auteur d’Une capitulation, n’eût encore retardé l’accession des Français à la musique wagnérienne.

Las des formes surannées de l’opéra français ou italien, accoutumé peu à peu à de nouveaux procédés par les œuvres de la jeune école, au bout de quelques années, le public se montre plus favorable au maître allemand, et Lohengrin, révélé d’abord par M. Pasdeloup, puis par M. Lamoureux, achève sa conversion. Dès lors, il devient curieux des dernières œuvres de Wagner et, sans les comprendre toujours, s’efforce de les apprécier. La presse se voit obligée de suivre le mouvement, et tel qui injuriait Wagner il y a quatre ou cinq ans, s’empresse de lui accorder du génie. La gloire du maître atteint son apogée avec Parsifal, qui attire à Bayreuth, deux années de suite, une caravane de Français. La mort de Wagner lui ayant valu l’absolution solennelle de ses fautes, la critique sérieuse allait commencer, à l’égard de son œuvre, le travail de révision des jugements contemporains, tandis que le public se laissait entraîner à glorifier le compositeur dans une apothéose posthume. Nous pensions n’avoir plus désormais qu’à réagir contre les excès d’un fétichisme nouveau, el voici qu’une polémique byzantine, une stérile agitation décorée d’un renom patriotique, refuse à Wagner l’oubli des anciennes injures et nous dénie le droit d’applaudir au théâtre un chef-d’œuvre de musique dramatique !

Toutefois, par les applaudissements unanimes donnés tout récemment à la Walkyrie, le public musical français a éloquemment protesté contre l’arbitraire tyrannique d’une bande de cabaleurs, contre cette conspiration anonyme qui le prive du plaisir de voir représenter sur un de nos théâtres un opéra joué sur toutes les scènes de l’Europe.

Malgré l’opposition acharnée de la presse contre la musique de Wagner, le public parisien réputé si frivole a fini par comprendre et par applaudir cette musique ; il a déjà, en bien des circonstances, par la vertu de sa bonne foi et de sa sincérité, fait la leçon à ceux qui prétendaient régenter son goût. Il ne lui reste plus, méprisant les objurgations passionnées de meneurs avides de réclame, qu’à savoir se défendre de l’éternelle duperie des phrases déclamatoires.

mai-novembre 1886.


FIN
  1. Il y avait à cette représentation une quinzaine de Français, dont une huitaine de journalistes. Les amateurs étaient : M. Ernest Guiraud, M. A. Messager, l’éditeur Aug. Durand, M. Albert Vanloo, auteur dramatique, M et Mme Lascoux et un bourguignon wagnérien, M. Moignot-Laligant, marchand de vins Beaune.
  2. Liberté du 4 mars 1878.
  3. Lohengrin, instrumentation et philosophie, une brochure in-16. Baur. Paris, 1879.
  4. Ces festivals, organisés par M. Vizentini dans la salle de l’Hippodrome, furent à la mole pendant l’hiver de 1879.
  5. Distribution : — Elsa, Mlle Rey ; — Lohengrin, M. Prunet ; — le roi, M. Bacquié ; — Frédéric, M. Séguin ; — le héraut, M. Piccaluga qui, maintenant, chante, aux Bouffes, Joséphine vendue par ses sœurs.
  6. Liberté du 28 avril 1879.
  7. Deuxième vol. du Supplément, in-8o, Didot, Paris, 1880.
  8. 1 vol. in-18, Calmann Lévy, Paris, 1880.
  9. Meyerbeer aurait dit de Wagner qu’il ne connaissait pas son affaire. Imprimer ce propos en 1865, n’avait rien qui pût choquer, après les moqueries de la presse parisienne sur la musique de l’avenir, mais il était maladroit de le rééditer en 1880, car ce reproche adressé à Wagner paraît aujourd’hui simplement ridicule et prouve la jalousie de Meyebeer.
  10. Ces six soirées wagnériennes furent organisées dans le grand hall de la photographie Nadar, rue d’Anjou. Elles avaient été annoncées dans l’Événement du 20 février 1880. Le Monsieur de l’Orchestre (Figaro du 28 février) leur consacra une chronique fantaisiste, s’indigna du tapage produit par ces quatre pianos concertants dans une rue paisible et proposa d’exiler les exécutants sur l’esplanade des Invalides ou dans la plaine de Saint-Maur. M. Fourcaud (Gaulois du 6 mars) rendit compte de la première soirée et annonça les suivantes Ces séances eurent lieu : la première, le 4 mars, consacrée à Rienzi et au Vaisseau-fantôme ; la deuxième, le 11, fragments de Tannhœuser et de Lohengrin ; la troisième, le 18, Parsifal, ouverture de Faust et Huldigungsmarsch ; la quatrième, le 25, Tristan et les Maîtres chanteurs ; la cinquième, le 1er avril, Rheingold et la Walküre ; la sixième, le 8, Siegfried et Gœtterdœmmerung.

    Le poète Maurice Bouchor écrivit sur chacun de ces six concerts intimes des articles exlrêmement élogieux pour Wagner (Progrès artistique des 12, 19. 26 mars, 2, 9 et 23 avril 1880.)

  11. Temps du 21 décembre 1880.
  12. Siècle du 2 janvier 1882.
  13. La Renaissance musicale, journal hebdomadaire, succéda en 1881 à la Revue et Gazette musicale qui avait cessé de paraître en 1880, mais elle était rédigée dans un esprit beaucoup plus moderne. Elle avait pour rédacteur en chef M. Ed. Hippeau, wagnérien convaincu.
  14. On la trouvera reproduite dans l’Appendice.
  15. Toujours le sentiment exprimé déjà en 1861 à propos de la chute de Tannhœuser à l’Opéra : — « Qu’aurais-je fait d’un succès à Paris ? »
  16. À cette époque, M. Reyer, dans une correspondance non signée, adressée de Londres au Journal des Débats (18 juin 1882) faisait un éloge sincère de la partition des Maîtres-Chanteurs qu’on représentait à Covent-Garden. Nous y reviendrons.
  17. Première audition le 12 février 1882. — Distribution : — Elsa, Mme Franck-Duvernoy ; — Lohengrin, M. Lhérie ; — le roi, M. Plançon ; — Frédéric, M. Heuschling ; — le héraut, M. Auguez ; — Ortrude, Mme Gayet.
  18. Français, du 1er mai 1882.
  19. Une brochure in-8o, Gervais, Paris, 1881.
  20. La théorie du drame lyrique d’après Glück et R. Wagner, une brochure in-8o, Gervais, Paris, 1882.
  21. Richard Wagner, 1 vol. in-18, Marpon et Flammarion, Paris, 1882.
  22. Richard Wagner et son œuvre poétique depuis Rienzi jusqu’à Parsifal, 1 vol. in-16, Charavay, Paris 1882.
  23. Essai de traduction analytique sur le Parsifal, pièce d’inauguration théâtrale, une brochure in 32, à la librairie du Progrès artistique, Paris, 1879.
  24. M. Ed. Stoullig rapporte, dans un des articles sur Parsifal envoyés par lui au National, qu’à l’issue de la sixième représentation, M. Saint-Saëns lui disait : « On se sent bien petit garçon en entendant de pareils ouvrages… C’est égal, ajoutait-il, je voudrais bien savoir faire ça,… afin de faire autrement ! »
  25. Les détracteurs de Wagner ne peuvent parler de lui sans proférer des grossièretés. On peut comparer à la gracieuse métaphore d’Ignotus la malpropreté d’une phrase de M. Comettant qui appelle « les mélodies de Wagner des chansons de miserere…, comme les coliques de ce nom ».
  26. Figaro du 25 octobre 1882.
  27. Liberté du 13 novembre 1882.
  28. Un vol. in-18. Calmann Lévy, Paris, 1882.
  29. Un vol. in-8o, Fischbacher, Paris, 1883.
  30. Une brochure in-18, imp. Blanc et Bernard, Marseille, 1884.
  31. L’auteur de cette brochure est M. Berlier de Vauplane, avocat au barreau de Marseille.
  32. Un vol. in-8o. Fischbacher, Paris, 1883. — On trouvera aussi un compte rendu de la représentation de Parsifal à Bayreuth dans le volume sur R. Wagner, de M. Paul Lindau, déjà plusieurs fois cité.
  33. Cette opinion est on contradiction formelle avec celle que Liszt a exprimée sur l’ouverture de Tannhœuser. Voir la brochure Lohengrin et Tannhœuser.
  34. Un volume in-18. Charpentier, Paris, 1883, contenant l’Esquisse biographique (1813-1842), le récit de la composition, l’analyse et l’histoire de la représentation de Liebesverbot, — celle du retour à Dresde des cendres de Weber (1844) : — des souvenirs sur Spontini, sur Rossini, sur Schnorr, — l’histoire d’une symphonie, — la lettre à M. Monod et celle sur le Tannhœuser (1861) ; — enfin le récit de la mort et des funérailles de Wagner, par M. Cam. Benoît.
  35. Tristan : M. Van Dyck ; — Yseult, Mme Montalba ; — Kurvenal : M. Blauwaërt ; — Brangæne : Mme Boidin-Puisais.
  36. Liberté du 11 mars 1884.
  37. Gaulois du 4 mars 1884.
  38. Une brochure in 8o, imp. Schiller. Paris, 1884.
  39. Bayreuther Festspiel Blætter, in-folio, Munich, 1884.
  40. Un vol. in-8o. Paris, 1884. Librairie de la Nouvelle-Revue.
  41. Un vol. in-18. Paris, Calmann Lévy.
  42. M. Ernst a écrit en effet un volume très admiratif sur l’œuvre de Berlioz. Calmann Lévy, éditeur.
  43. 7 mars 1885.
  44. Ménestrel des 1er, 8, 15 et 22 février, 1er mars 1885. Articles réunis en une brochure chez Schott.
  45. Un volume in-18. Calmann Lévy, Paris, 1885.
  46. D’après l’auteur, il n’y aurait dans les Maîtres-Chanteurs qu’un seul motif, lequel, décomposé en rythmes divers et par les altérations harmoniques, donne quatre-vingt-trois thèmes ou aspects variés du même thème.
  47. Un volume in-18. Fischbacher. 1885.
  48. Cela n’a pas empêché M. Albert Wolff, par récente palinodie, de se constituer le défenseur de Wagner contre M. Ch. Grandmougin, dont la pièce de vers : À Berlioz, récitée au pied de la statue inaugurée le 17 octobre dernier, avec de terribles roulements d’yeux et d’une voix grosse de colères, par M. Sylvain, — contenait une allusion patriotique destinée à forcer les applaudissements :

    Toi qui sus avant lui réformer et souffrir !

    Sur un ton d’assurance bouffonne, M. Albert Wolff accusait M. Ch. Grandmougin d’ignorer la partition de Lohengrin, alors que ce poète a publié, dès 1873, une Esquisse sur R. Wagner, éperdument admirative.

  49. Mme Adam passe pour être l’auteur d’un libelle, intitulé : La Question Wagner, par un Français, brochure de 11 pages, chez Hevmann, 13, rue du Croissant. Cet écrit de propagande patriotique se vendait 10 centimes. Il fut mis en vente le 22 janvier 1886.
  50. Déjà, le fait s’était produit en 1861, car M. Ernest Thoinan, dans la Saison musicale de 1866, écrivait ces lignes : « Il serait édifiant de raconter quelle fut la conduite d’une partie du public et la part active que prenaient dans la bagarre des artistes ! des éditeurs de musique et même des critiques ! On comprendrait alors les mobiles divers qui firent agir tant de gens envieux ou ignorants, et en infligeant aux coupables un juste blâme, on Éviterait peut-être le retour d’actes aussi odieux, aussi niais, que ceux qui se produisirent aux représentations de Tannhœuser. »
  51. Première représentation à l’Alcazar d’hiver, le 25 février 1886.
  52. Distribution : Siegmund, M. Van Dyck ; — Sieglinde, Mme Brunet-Lafleur.
  53. Ce premier acte de la Walkyrie a été mis en scène et décrit en quelques pages d’une sobriété saisissante par M. Élémir Bourges dans son roman quasi historique : le Crépuscule des Dieux.
  54. Je transcris ici, à titre de curiosité, le programme du concert spirituel du 23 avril 1886, à l’Éden-Théâtre :

    1. Ouverture de Tannhœuser.

    2. Fragments de Tristan et Yseult.

    A. Prélude du 1er acte.
    B. Prélude du 3e acte (1re audition).

    3. Fragments des Maîtres Chanteurs.

    A. Prélude. B. Danse des apprentis. C. Marche des corporations.

    4. Ouverture pour Faust.

    5. Fragments de Parsifal.

    A. Prélude du 1er acte.
    B. L’enchantement du Vendredi-Saint (1re audition).

    6. Sélection de la Walkyrie.

    A. Prélude, 1re et 3e scènes du 1er acte.
    B. Chevauchée des Walkyries.

    7. Les murmures de la forêt (de Siegfried). 1re audition.

    8. Marche funèbre de Gœtterdœmmerung.

    9. Introduction du 3e acte de Lohengrin.

  55. Très bon musicien et sincère admirateur de Wagner, M. M. Bouchor a écrit sur la mort du maître un très beau sonnet qu’on trouvera dans l’Aurore, 1 vol. in-18. Paris, 1884, Charpentier.
  56. 1 volume in-18. Paris, 1886, Fischbacher.
  57. Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, ouvrage in-4o, orné de quatorze lithographies de Fantin-Latour, de quinze portraits de Wagner, etc. Paris, 1886. Rouam.