Salaires, prix, profits/4

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Traduction par Charles Longuet.
V. Giard et E. Brière (p. 34-37).
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IV
Étalon des salaires

Notre ami Weston accepte le proverbe latin : Repetitio est mater studiorum. Pour lui la répétition est la mère de l’étude, et, en conséquence, il a encore répété son dogme ancien sous une forme nouvelle, à savoir que la diminution du numéraire causée par l’augmentation des salaires amènerait une diminution de capital et ainsi de suite. Je crois qu’il est tout à fait superflu d’examiner les conséquences imaginaires qu’il fait découler de son désastre monétaire de fantaisie. Sans m’y arrêter davantage, je vais donc réduire immédiatement son seul et unique dogme, reproduit sous tant d’aspects différents, à sa forme théorique la plus simple.

Une seule remarque suffit pour établir jusqu’à l’évidence qu’il a traité son sujet dans un esprit peu critique. Il s’élève contre la hausse des salaires ou contre les forts salaires résultant d’une hausse précédente. Or, je le lui demande, qu’est-ce qu’un salaire élevé et qu’est-ce qu’un bas salaire ? Pourquoi dire, par exemple, qu’un salaire de cinq schellings par semaine est bas et qu’un salaire de vingt schellings est élevé ? Si cinq est bas en comparaison de vingt, vingt est encore plus bas en comparaison de deux cents. Si un professeur de physique avait à faire une leçon sur le thermomètre et qu’il commençât par déclamer sur les degrés hauts, et les degrés bas, il ne nous enseignerait rien du tout. Il faut qu’il me dise d’abord comment on trouve le point de congélation, le point d’ébullition, et comment ces mêmes points sont établis par des lois naturelles, non par le caprice des marchands ou des fabricants de thermomètres. Or, à l’égard du salaire et du profit, le citoyen Weston a non seulement négligé de déduire les lois économiques de semblables mesures, mais il n’a même pas senti la nécessité de les chercher. Il s’est contenté d’accepter les termes courants de haut et de bas, comme quelque chose ayant une signification fixe, et pourtant il est de toute évidence que l’on ne peut qualifier le salaire de haut ou de bas que si on le compare à un étalon d’après lequel on mesure sa grandeur.

Il ne pourra pas me dire pourquoi une certaine quantité d’argent est donnée pour une certaine quantité de travail. S’il me répondait que cela est établi par la loi de l’offre et la demande, je lui demanderais en premier lieu, quelle loi règle l’offre et la demande elles-mêmes. Et une telle réponse le ferait débouter immédiatement. Les rapports entre l’offre et la demande du travail changent perpétuellement, et les prix courants du travail subissent les mêmes changements. Si la demande dépasse l’offre, les salaires montent ; si l’offre dépasse la demande les salaires descendent, quoiqu’en cette circonstance il soit parfois nécessaire d’éprouver l’état réel de l’offre et de la demande, de s’en assurer au moyen d’une grève par exemple, ou de tout autre procédé. Mais si l’on admet l’offre et la demande comme la loi qui règle les salaires, il serait à la fois puéril et inutile de déclamer contre la hausse des salaires, car, d’après la loi suprême que l’on invoque, la hausse périodique des salaires est aussi nécessaire et aussi légitime que leur baisse périodique. Si l’on n’admet pas l’offre et la demande comme loi régulatrice des salaires, je renouvelle ma question : Pourquoi une certaine somme d’argent est-elle donnée contre une certaine somme de travail ?

Mais plaçons-nous plus franchement en face de la réalité : ce serait se tromper absolument de croire que la valeur du travail ou de n’importe quelle autre marchandise est, en dernière analyse, déterminée par l’offre et la demande. L’offre et la demande ne règlent rien, si ce n’est les fluctuations temporaires des prix courants du marché. Elles expliquent pourquoi le prix courant d’une marchandise s’élève au-dessus ou descend au-dessous de sa valeur, mais elles ne peuvent jamais rendre compte de cette valeur même. Supposez que l’offre et la demande s’équilibrent, ou selon la locution des économistes, qu’elles se couvrent. Eh bien, au moment même où ces forces opposées deviennent égales, elles se paralysent et cessent d’agir dans un sens ou dans l’autre. Au moment où l’offre et la demande s’équilibrent, et, par conséquent, cessent de fonctionner, le prix courant d’une marchandise coïncide avec sa valeur réelle, véritable étalon autour duquel évoluent les prix courants. En étudiant la nature de cette valeur, nous n’avons donc point à nous occuper de la façon dont les prix courants sont momentanément affectés par l’offre et la demande. Cela est également vrai des salaires et des prix de toutes les autres marchandises.