Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/Étude sur divers conteurs italiens

La bibliothèque libre.
Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 30-38).

II

étude sur divers conteurs italiens.


Nous n’avons pas le projet d’offrir ici un travail complet sur les Novellieri italiens anciens et modernes ; ce sujet a été épuisé, au point de vue bibliographique, par le laborieux Gamba (Delle Novelle italians, Venise, 1833 ; 2e édition revue, Florence, 1835). On trouvera aussi des renseignements utiles dans un volume publié à Bassano en 1794, sous le titre de : Notizia de’ Novellieri italiani posseduti dal conte A. M. Borromeo ; 60 pages sont consacrées au catalogue raisonné des Novellieri qu’avait rassemblés cet amateur. Les pages 64 à 208 contiennent huit Nouvelles inédites de L. Alamanni, de G. B. Amalteo, de P. Fortini, de G. Sermini, etc.[1]. Quatre autres Nouvelles sont tirées d’un manuscrit anonyme conservé à Venise dans la bibliothèque de Saint-Michel de Murano. L’une d’elles (qui ne nous semble pas d’ailleurs offrir assez de mérite pour que nous la traduisions) nous a frappé parce qu’elle raconte une malice du sexe (comme dit Boileau) qui paraît avoir passé dans le domaine de la réalité. Voici l’argomento de cette Nouvelle : « La mogliera di un cameriere del duca di Alanzone, non essendo il marito in casa, che era cieco di un’ occhio, fa venir il suo innamorato ; il marito torna per coglierlo : ed ella, abbraciandolo, gli chiude l’occhio buono. Intanto l’amico esce di casa senza alcuna offesa per l’astuzia della donna. » S’il faut en croire la duchesse d’Orléans, mère du régent, Henriette d’Angleterre eut recours à un moyen semblable pour faire évader le comte de Guiche, avec lequel elle se trouvait lorsque Monsieur arriva sans être attendu. (Voir la Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans, publiée par G. Brunet. Paris, Charpentier, 1855, t. II, p. 6.) du reste, les récits relatant un tour de ce genre sont dans une foule de conteurs ; leur source est orientale, et ils ont passé dans Bandello, dans Malespini, dans les Cent Nouvelles, dans l’Heptaméron, etc. (Voir Loiseleur Deslongchamps, Fables indiennes, 1838, p. 76.) Ajoutons que, dans un volume imprimé en 1797 (Contes en vers et quelques pièces fugitives), attribué à un écrivain peu connu (l’abbé Bretin), on trouve, p. 106, un conte intitulé Le Borgne, tout à fait semblable à la Novella italienne. Un borgne, nommé Damon, a une femme coquette, et tandis qu’il est absent, celle-ci se trouve avec son très-intime ami Saint-Yve. Damon revient de voyage trois jours plus tôt qu’il n’était annoncé ; il court chez sa femme,

Dans sa chambre il entra sans se faire annoncer
Au même instant notre belle en chemise
Saute du lit sans balancer,
Dans les bras de Damon avec transport se plonge :
« Ah ! mon ami, que tu viens à propos !
Dans ces moments consacrés au repos
Je faisais bien le plus beau songe.
S’il était vrai, que tu serais heureux !
Il me semblait que tu voyais des deux !
Que je m’en assure bien vite ;
De plaisir et d’espoir déjà mon cœur palpite. »
Sa main, sur le bon œil s’appliquant aussitôt,
Fait du borgne un aveugle, et Saint-Yve presto,
Pour s’évader, de ce moment profite.
« Y vois-tu, mon ami ? —- Mamour, je n’y vois rien ;
Va, va, ton songe
N’est que mensonge.
Hélas ! je m’en aperçois bien. »
Par un baiser sa femme le console,
En ajoutant cette douce parole :
« Petit coquin, je t’aime cent fois mieux
Comme cela qu’avec deux yeux. »

Nous allons réunir au sujet des Novellieri (en suivant l’ordre dans lequel les présente la Notizia) quelques renseignements bibliographiques.

Arienti (Giovanni Sabadino degli). Settanta Novelle intitolate le Porretane, 1510. Dunlop (History of fiction, t. II, p. 403) a analysé trois de ces nouvelles ; cinq se trouvent par extrait dans la Bibliothèque des romans, avril 1778, t. I. Les trois premières sont reproduites dans les Novellieri publiés par l’éditeur Baudry (Paris, 1847). Le Novelliero italiano (Venise, 1754, t. II) renferme dix Nouvelles de cet auteur ; ce sont les Nouvelles 4, 6, 7, 9, 11, 14, 20, 27, 42, 59. D’après Ginguené (Histoire littéraire d’Italie, t. VIII, p 433), ces contes, assez libres et dépourvus d’intérêt, sont d’un style incorrect.

Bandello. Novelle, 1554. Les vingt-quatre premières de ces Nouvelles sont insérées dans les Novellieri de Baudry. Il s’en trouve six dans le t. III du Novelliero de 1754 (Nov. 33 de la première partie, 15 et 18 de la seconde, 11 et 39 de la troisième)[2].

Bargagli (Scipione). I Trattenimenti, 1587. Quatre de ces Nouvelles sont reproduites dans le Novelliero de 1754.

Basile. Il Pentamerone, 1679. Ces contes de fées, souvent très-bizarres, ont été l’objet de détails curieux insérés dans un article de M. Ferrari, Revue des Deux-Mondes, 1840, t. XXI, p. 506. Voir aussi l’Histoire littéraire d’Italie de Ginguené, t. XIII. La Bibliothèque des romans, septembre 1777, p. 162, a reproduit trois de ces récits (3e conte de la 1re journée ; 4e de la 3e, et 9e de la 4e). Le Pentamerone a été traduit en allemand par F. Liebrecht, avec une introduction par J. Grimm (Breslau, 1846, 2 vol. in-8), et en anglais par J. Taylor (Londres, 1848), avec des gravures d’après Cruikshank ; le Westminster Review, avril 1848, p. 254-258, a rendu compte de cette traduction.

Boccaccio. Nous ne nous arrêterons pas au Decameron, ayant le projet d’en faire l’objet d’un travail spécial ; disons seulement que M. Edelestand du Méril a donné, dans son Histoire de la poésie Scandinave (1839, in-8, p. 344-360), de longs détails sur les sources des récits du conteur florentin. Ce travail, qui paraît un peu déplacé dans le volume qui le renferme, est d’ailleurs curieux, mais il pourrait être plus complet.

Brevio (Giovanni). Rime e Prose, 1545. Ce volume contient six Nouvelles ; elles sont analysées dans l’History of fiction de Dunlop, t. II, p. 409.

Cadamosto (Marco). Novelle, 1544. Voir sur ces six Nouvelles Ginguené, t. VIII, p. 462. La dernière paraît avoir fourni à Regnard l’idée et une partie des détails du Légataire universel.

Erizzo (Sebastiano). Le Sei Giornate, 1567. Les sept premières de ces Nouvelles dans la publication de Baudry ; sept autres (nos 9, 22, 24, 25, 34, 35, 36) avaient déjà paru dans le Novelliero de 1754.

Firenzuola (Angelo). Ragionamenti, 1548. Les huit Nouvelles que contient ce volume ont été reproduites par Baudry.

Giovanni Fiorentino. Il Pecorone, 1558. Une analyse de ce recueil se trouve dans la Bibliothèque des romans, septembre 1777, p. 91 à 161. Une Nouvelle est traduite dans la Revue des Deux-Mondes, t. VII. Les Nouvelles 1 à 13 sont insérées dans le recueil de Baudry. Roscoe en a traduit cinq dans ses Italian Novelists. (Londres, 1824, 4 vol. in-8.)

Giraldi Cintio. Ecatommiti, 1565. Le Novellerio de 1754 a reproduit cinq de ces Nouvelles (Nov. 5 et 9 de la décade I ; Nov. 2 de la décade II ; Nov. 8 et 9 de la décade VII). Les quinze premières Nouvelles se trouvent dans le volume de Baudry.

Granucci (Niccolo). L’Eremita, 1569. Une de ces Nouvelles, Ortensia e Polidoro, se retrouve dans le Novelliero de 1754 (t. IV, p. 61).

Lasca (A. F. Grazzini). La Prima e la Seconda Cena. Quatre Nouvelles (1, 4, 6 et 9) dans le Novelliero de 1754 ; les neuf premières dans le recueil de Baudry. Voir, au sujet de ces contes, Ginguené, t. VIII. Un d’eux, Messer Falananna, est traduit dans la Revue de Paris, t. XXIX (1830). Le tome III de la Raccolta di novelle (Milano, 1804) est composé de vingt et une nouvelles de Grazzini.

Malespini (Celio). Ducento Novelle, 1609. Nous retrouvons six de ces Nouvelles (41, 57 et 96 de la première partie ; 11, 50 et 61 de la seconde) dans le Novelliero de 1754. On découvre dans cette collection de récits nombreux les données de quelques contes de La Fontaine[3] et plusieurs Nouvelles de Casti.

Mariconda (Antonio). Tre Giornate, 1550. Trois de ces Nouvelles dans le Novelliero de 1754. Ginguené regarde ce conteur comme dépourvu de mérite ; il a parfois emprunté ses sujets à la mythologie, aux Métamorphoses d’Ovide, ce qui les prive de tout intérêt.

Masuccio. Il Novellino, 1522. Quelques-uns de ces récits sont analysés dans la Bibliothèque des romans, avril 1778, t. I ; onze se retrouvent dans le t. II du Novelliero de 1754 (nos 5 14, 20, 32, 41, 43, 44, 45, 46, 47, 48 et 50), et les quatre premières sont dans le recueil de Baudry. Il y en a deux dans le tome II de la Raccolta, Milan, 1804. Un exemplaire de l’édition de Venise, 1492, a été payé 159 fr., vente Libri, en 1847 ; un autre 400 fr., vente Renouard, en 1854[4]. Plusieurs des récits contenus dans les Agréables divertissements, Paris, 1664, sont des traductions ou des extraits de Masuccio.

Mori (Ascanio). Novelle, 1585. Cinq de ces quinze Nouvelles (2, 3, 5, 11 et 14) dans le Novelliero de 1754.

Novella del Grasso legnajuolo. Cette Nouvelle, composée vers 1550 et souvent réimprimée, a été traduite en anglais par M. Roscoe (Italian Novelists, t. IV) ; en français, par M. Lenormand (Revue de Paris, première série, t. XLIV, p. 201).

Parabosco (Gir.). I Diporti (vers 1550). Les Nouvelles 1 à 7 sont reproduites dans le recueil de Baudry. La Bibliothèque étrangère d’Aignan (t. III, p. 97-201) donne une traduction de ces Récréations. Ce conteur ne manque pas de mérite, et quoiqu’il peigne de bien mauvaises mœurs, il est moins libre que ses confrères. La 3e Nouvelle offre des rapprochements curieux avec le Tartuffe.

Sacchetti (Franco). Novelle, 1724. Les Nouvelles 1 à 43 dans le recueil de Baudry, et un choix de trente-six dans le Novelliero de 1754. « Sacchetti, moins diffus que Boccace, a écrit avec la légèreté d’un homme qui pour amuser les autres commence par s’amuser lui-même. » (Ch. Lenormant.)

Sansovino (Francesco). Le Cento Novelle, 1562. Le Novelliero de 1754 a reproduit quatre de ces Nouvelles.

Straparola. Le Piacevoli Notti, 1550. Cinq de ces Nouvelles dans le Novelliero de 1754 ; les quatre premières dans le recueil de Baudry. Ces Nuits sont d’ailleurs maintenant bien connues du public français, grâce au soin qu’a eu M. Jannet de reproduire dans sa Bibliothèque elzevirienne (malheureusement restée inachevée) l’ancienne traduction française de J. Louveau et P. de Larivey, en y joignant un excellent travail sur Straparole, sur les sources et sur les imitations de ses récits. Renvoyons aussi à la note du catalogue Libri, n° 2438, qui fait observer que la 4e Nouvelle de la seconde Nuit n’est au fond autre chose que la fameuse Nouvelle de Belfegor, qui appartient à Machiavel. Un autre catalogue du même amateur (1861, n° 6920) indique une édition de Venise, 1584, inconnue à Gamba, et il fait observer que les données de quelques pièces de Molière (L’École des Maris, entre autres) sont empruntées aux récits de Straparole. Dans le neuvième conte de la neuvième Nuit, Francesco Sforza, fils du duc de Milan, repousse les attaques d’une troupe d’assassins au moyen d’un pistolet à plusieurs canons, d’un véritable revolver. (Voir t. II, p. 191, de l’édition Jannet.)

Le catalogue Lamberty (Paris, Silvestre, 1841) présente (nos 936 et suivants) une réunion importante de Novelle ; il y en a d’inédites.


  1. Il existe une seconde édition de cette Notizia, Bassano, 1805, in-8o, XIX et 132 pages ; mais elle ne contient pas les Novelle inedite qui donnent du prix à la première. La collection, achetée en bloc par des libraires anglais, fut livrée aux enchères à Londres en 1805, et un catalogue dressé pour la vente fut mis au jour, accompagné de quelques notes.
  2. « Qu’on lise les curieuses préfaces de Bandello, on verra quelle était alors la vie intime des moines et des seigneurs. » (Ph. Chasles.)
  3. Le Pâté d’anguille, par exemple, n’est, avec le même titre, que la nouvelle 57 de la première partie de Malespini.
  4. « L’histoire originale de Roméo et Juliette est dans Masuccio ; la scène est mise à Sienne, au lieu de Vérone. Cette nouvelle fut copiée par Luigi de Porto, Bandello la lui déroba, Boistuau la traduisit en français. Il est évident que c’est un récit dû à la seule imagination de Masuccio. Painter l’introduisit dans son Palace of pleasure, 1575. A. Brooke publia en 1562 The tragical history of Romeo and Juliet. C’est là et dans Painter que Shakspeare trouva les éléments de son drame. Les divers commentateurs de Shakspeare, Capell, Malone et Steevens, paraissent avoir ignoré que la source de ce récit est dans Masuccio » (Bibliotheca Grenvilliana, p. 451.)