Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/G. Casti et D. Batacchi

La bibliothèque libre.
Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 39-49).

III

g. casti et dom. batacchi.


Deux auteurs modernes de Novelle en vers méritent que nous nous en occupions un instant.

Parlons d’abord de Giambattista Casti, dont les nouvelles ont eu des éditions nombreuses. La plus belle est celle qui a vu le jour en 1804, 3 vol. in-8, in Parigi, nella stamperia italiana. Elle renferme quarante-huit nouvelles, parmi lesquelles il y en a d’une étendue considérable, (L’Origine di Roma et L’Apoteosi, en deux parties chacune ; La Papessa, en trois parties). Un certain nombre ne sont que des traductions, parfois paraphrasées, d’originaux français : Il Rusignuolo et Il Diavolo nell’ Inferno sont dans La Fontaine ; Geltrude ed Isabella reproduit un morceau fort connu de Voltaire ; bien d’autres récits ne sont que des paraphrases de sujets déjà traités. Casti est souvent trop prolixe ; ses contes ont habituellement sept à huit cents vers. Il ne paraît pas que cette longueur déplaise en Italie ; en France elle serait regardée comme un grave défaut.

La Bolla d’Alessandro VI a été traduite librement par un spirituel littérateur français, Andrieux ; mais cet opuscule (Paris, Dabin, an X) n’a pas été reproduit dans les Œuvres de cet académicien (1818-23, 4 vol. in-8, ou 6 vol. in-18) ; il est précédé d’un avertissement où nous lisons ceci : « On peut dire que ce petit ouvrage n’est pas sans un but moral. On ne saurait nier que l’observation exacte de la Bulle d’Alexandre VI ne contribuait beaucoup à maintenir la bonne harmonie et l’union dans chaque ménage. C’est pourquoi nous recommandons cet opuscule aux dames, auxquelles il est particulièrement adressé, et nous espérons qu’elles nous sauront quelque gré de l’avoir mis en lumière pour leur instruction et pour leur agrément. »

« Le vertueux La Chaussée, qui a fait des comédies pour pleurer, s’est exercé dans le genre des contes pour rire. Il en a fait un sur cette même Bulle, qu’il attribue à Clément VI, on ne sait pourquoi. Ce conte, d’une soixantaine de vers, se trouve dans ses œuvres ; on l’a aussi imprimé dans celles de l’abbé Grécourt. »

Nous croyons la brochure d’Andrieux assez peu commune aujourd’hui, ce qui nous engage à en transcrire quelques passages, et parfois nous comparerons le texte italien et l’imitation française.

Femmes de bien dont les chastes appas
D’un trait plaisant ne s’effarouchent pas,
Qui souriez à de joyeux passages,
Et les citez sans en être moins sages,

Objets charmants, c’est pour vous que j’écris ;
Encouragez mes timides récits.
Que risquez-vous à vétille pareille ?
On ne fait point les enfants par l’oreille,
Vous le savez. Des vers, un conte bleu,
À votre honneur n’ôtent pas un cheveu ;
Écoutez donc. Et vous, pestes maudites,
Au ton bigot, au maintien papelard,
Qui sur un conte innocemment gaillard
Versez le fiel de vos langues bénites,
Prudes, pédans, tartuffes, chatemites,
Sur ces vers-ci vous aurez beau gloser,
Je ne crains point votre œil louche et perfide :
À mes récits la vérité préside,
Elle les dicte et doit les excuser.
Or, à Breslau, dans la Silésie haute,
Advint un fait très-remarquable, en l’an
Quatorze cent nonante et trois, sans faute
(Car je ne fais à plaisir un roman) ;
À Breslau donc demeuraient en personne
Un lourd baron et sa lourde baronne,
D’esprit épais, de froid tempérament,
Gros, gras, pesant chacun quatre cents livres ;
De ces gens nés pour consommer les vivres,
Ne pensant point, mangeant, buvant, dormant,
Et sur le tout priant dévotement.
Ils marmottaient de longues patenôtres
Matin et soir, à la Vierge, aux apôtres,
À tous les saints ; dans leur triste maison
Se répandait une odeur d’oraison.

La nouvelle de Casti étant très facile à se procurer, nous y renvoyons ceux qui ignoreraient ce qui advint au baron et quel scrupule éveilla chez lui la mort inaperçue de la baronne. Il s’imaginait avoir commis un péché qui rentrait dans la catégorie des cas réservés ; il recourut à Rome.

Heureusement au siége apostolique
Du grand saint Pierre était alors assis
Ce Borgia, cet Alexandre Six,
Dont nous a fait un portrait diabolique
Maint écrivain, à coup sûr hérétique
Ou philosophe. Ô gens de peu de foi,
Gents indévots et qui riez sous cape
Quand vous trouvez à médire d’un pape,
De Borgia parlez mieux, croyez-moi.
Non que sa vie en tout fût exemplaire :
On sait fort bien qu’il a dans maint traité
Vendu le Christ, les clefs, le sanctuaire ;
Mais là-dessus nul reproche à lui faire :
Ce qu’il vendit, il l’avait acheté[1].
Il se livrait aux débauches impures ;
Ses alliés et ses hôtes trahis,
Biens usurpés, domaines envahis,
Meurtres, prisons, artifices, parjures,
Tout lui fut bon, pourvu qu’il s’agrandît.

Je l’avoûrai. Mais, par sa politique,
Du Siége Saint le pouvoir s’étendit.....
Or, vous savez qu’en ce temps le Saint-Siége
Par droit divin faisait les potentats,
Ôtait, donnait, reprenait les états.
Usant très-bien d’un si beau privilége,
Le Borgia tira tout de travers
Sa grande ligne au beau milieu des mers ;
Faisant du tout deux parts qu’il crut égales,
Il octroyait aux nations rivales
Ces bords heureux et ces riches climats
Où la nuit vient quand pour nous naît l’aurore,
Et les pays qu’on trouverait encore,
Et même ceux qu’on ne trouverait pas[2].

Le pape rend une bulle enjoignant aux femmes mariées de se comporter, en certains moments, de façon à ce qu’on ne puisse douter qu’elles soient parfaitement vivantes ; mais cette bulle paraît absurde et inutile à une aimable Allemande.

Dresde en son sein alors avait vu naître
Une beauté que les galants Saxons
Comblaient de vers, d’éloges, de chansons.
Un vieil époux veuve l’ayant laissée
À dix-neuf ans, elle n’eut la pensée

De convoler une seconde fois ;
Du seul plaisir elle suivit les lois.
Elle brillait de santé, de jeunesse ;
Des sens actifs la tourmentaient sans cesse ;
Beaucoup l’aimaient, nul n’y perdait son temps.
À tous leurs vœux elle savait suffire,
Tant et si bien que tous étaient contents ;
Enfin l’amour n’avait dans son empire
Plus ferme appui ni tendron plus fêté[3].

La comtesse Amélie (tel était son nom) se rend à Rome et s’adresse à César Borgia,

Bâtard du pape et digne de son père,
Soldat et prêtre, ambitieux vaurien,
Celui qui fit assassiner son frère,
Autre bâtard du pontife chrétien,
Comme il sortait un soir de chez Lucrèce,
De tous les deux la sœur et la maîtresse[4].

L’énergique Allemande démontre à cet homme de bien que ses réclamations sont fondées.

Jaloux de plaire à la belle comtesse,
Auprès du pape il lui promit sa voix.
L’histoire dit que c’est la seule fois
Qu’il ait été fidèle à sa promesse.

Le lendemain le saint Père se trouvait, après l’office, dans la sacristie.

Le cardinal s’en alla lui parler
Très vertement, car on sait que le drôle,
Rempli d’audace et se gênant fort peu,
Traitait parfois son cher père à la diable ;
Et de sa part le vicaire de Dieu,
Sachant de quoi son fils était capable,
En avait peur un peu plus que du feu[5].

Alexandre VI veut lui même causer de cette question importante avec la belle Saxonne. On ne sait pas bien au juste ce qui se passa entre eux :

Car les auteurs là-dessus sont muets.
Ce que je sais, c’est que notre comtesse
De ses desseins vint à bout à peu près.
Le pape n’eut, il est vrai, la faiblesse
De révoquer d’une manière expresse
La sainte bulle, il ne le fit jamais.
Il écrivit au clergé catholique
Ce que l’on nomme une lettre encyclique,
Et chaque évêque eut la commission

De retirer la bulle en question,
Tout doucement, sans donner à connaître
Qu’on eût à cœur de la voir disparaître.
Il défendit de la réimprimer
Dans les recueils, dans le droit canonique :
Autant valait presque la supprimer.....
Je dirai plus, ce règlement si sage
Assez longtemps fut d’un commun usage :
Dans tout le Nord il était observé.
Mais de Luther quand le schisme élevé
Dans les pays que protestants on nomme
Fit décliner la puissance de Rome,
On rejeta les bulles pour toujours ;
Même par haine on ne voulut entendre
À conserver celle-là d’Alexandre.
C’est pour cela qu’encore de nos jours,
De ces damnés les femmes hérétiques
Pour la plupart sont froides, apathiques.

Voici la liste des Nouvelles de Casti, d’après l’édition de Paris, an XII, 3 vol. in-8 :

Le Bonnet magique.
La Chemise de l’homme heureux.
Les Deux Sunamites.
La Diablesse.
Célie.
La Dévote.
Prométhée et Pandore.
Le Purgatoire.
L’Esprit.
L’Habit ne fait pas le moine.
Le Rossignol.
La Conversion.

L’Aurore.
Les Culottes brodées.
L’Antechrist.
Le Cavalier servant.
L’Origine de Rome (2 parties).
L’Ours dans l’oratoire.
La Confession publique.
Le Capucin.
Monseigneur Fabrize.
Le Diable puni.
Diane et Endymion.
Le Miracle.
La Communauté.
La Loterie.
Gertrude et Isabelle.
Le Vernis.
La Bulle d’Alexandre VI.
La Possédée.
Don Diego.
La Papesse (3 parties).
Le Retour inattendu.
L’Archevêque de Prague.
La Pistole.
L’Archange Gabriel.
L’Épouse cousue.
Les Culottes de saint Griffon.
Les Mystères.
Le Diable dans l’enfer.
Le Cas de conscience.
La Fée Urgèle.
La Paix de Pascal.
L’Enchantement.
L’Excommuniée.

Le Cinquième Évangéliste.
Le Mai.
L’Apothéose (2 parties).

Un écrivain livournais, Batacchi, auteur de poëmes badins plusieurs fois imprimés (Il Zibaldone et Le Rete di Vulcano), a composé un certain nombre de nouvelles en vers. Les lois de la décence y sont habituellement très-peu respectées.

Nous avons sous les yeux deux éditions, toutes deux sous la rubrique supposée de Londra. La première, en 2 vol. in-8 (anno VI della Republica francese, CCCXLVIII et CCCXXXVI pag.), contient dix-huit nouvelles ; la seconde édition, 1836, 2 vol. in-18, 329 et 286 p., fait partie d’une édition en 5 vol. des œuvres de Batacchi. Elle contient vingt-cinq nouvelles, dont quatre sont indiquées comme inédites (Il Demonio Meridiano, L’Onore perduto alla fiera, Una le paga tutte, L’Albero delle pere). D’autres nouvelles (Mustafa, La Vila e la morte di Sansone, en deux chants) ne se trouvent pas dans l’édition en 2 vol. in-8.

Une autre édition (Opere complete di Domenico Batacchi, volume unico, Parigi, 1830, in-8o à deux colonnes), dont l’édition qu’on vient de citer n’est sans doute qu’une copie, contient les mêmes vingt-cinq nouvelles. Enfin, une édition in-18, en 3 vol. (Londra, Richard Barker, 1800), se compose de vingt-quatre nouvelles, mais ne comprend pas les quatre nouvelles inédites. Quelques-unes de ces nouvelles se retrouvent dans le Zibaldone. Voici les titres des dix-neuf autres nouvelles que celles que nous venons de mentionner :

La Vita e la morte di prete Ulivo.
Re Barbadicane e Grazia.
Elvira.
La Scommessa.
Il Falso Serafino.
Il Re grattafico.
Lasciamo star le cose come stanno.
La Morte d’Oloferne.
Fra Pasquale.
Amina
(en quatre chants).
I Tonfi di S. Pasquale.
Il Morto a cavallo.
I Vecchi delusi.
La Pianella.
Madama Lorenza
(deux chants).
Re Bischerone.
Donna Chiara.
La Nolle di Befana.
La Mala Notte.


  1. Ce trait, emprunté au Recueil des traits satiriques de Pasquin, n’est pas dans Casti ; en revanche, nous y trouvons celui-ci, qu’Andrieu n’a pas rendu :

    Fu delle donne e dei piaceri amico.
    E con la bella mogliè di Vannozio
    Ebbe commercio non troppo pudico ;
    Ma lo faceva sol per fuggir l’ozio.

  2. Ces pays qu’on ne trouverait pas, cette grande ligne tirée tout de travers, sont des traits qu’on chercherait en vain dans Casti, lequel se borne à dire :

    Con assoluta potesta chimerica
    Disponeva dell’ Asia e dell’ America.

  3. Certes, ces vers valent bien mieux que ceux de Casti, qui se borne sans délicatesse à dire qu’il y avait une :

    Donna in Germania di lussuria tale
    Che appresso a lei potrebbe facilmente
    Messalina parere una Vestale.

  4. « Mentre soletto usciva dal bordello. » (Casti.) Nous n’avons pas besoin de dire qu’il s’agit de cette fameuse Lucrèce Borgia à l’égard de laquelle l’auteur d’un autre poëme badin a dit avec raison :

    Mais nul jamais n’a violé celle-ci ;
    À Tarquin même elle eût dit : Grand merci !

  5. Rien de tout cela n’est dans Casti.