Sourire (de Sasserno)

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Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 189-191).




SOURIRE.


J’ai besoin de l’air pur, des champs et de l’espace ;
J’étouffe au sein de la cité,
Comme l’oiseau des bois qui sur nos villes passe
Et va dans le désert chercher la liberté.
 
Moi, je rêve toujours la colline isolée
Où croît l’inculte citronnier.
Je pleure le parfum des fleurs de la vallée,
Et j’aspire un vent pur au souffle printanier.

Je cours après l’abeille errant de branche en branche,
Je m’arrête au bord d’un ruisseau ;
Et je pare mon front de l’aubépine blanche
Dont l’odorant buisson se balance sur l’eau.


De roses et lilas je tresse une couronne
Que j’effeuille en chantant tout bas ;
Et les oiseaux du ciel des grains que je moissonne
Viennent se disputer le rustique repas.

Oh ! que la vie est belle ! une longue journée
À mes yeux charmés vient s’offrir.
De saison en saison et d’année en année
Je veux voir le blé naître et le raisin mûrir.

Je veux jouir aussi, car la vie a des fêtes,
Un bonheur que j’ignore encor.
Je veux que tous ces biens deviennent mes conquêtes :
L’aigle vole à son but, quand il a pris l’essor.

Ainsi je veux atteindre à la jeune espérance
Qui devant moi sème des fleurs ;
Mon front, décoloré par ma longue souffrance,
Des roses du printemps reprendra les couleurs.

Tel que le voyageur qui, lassé de sa route,
S’assied sur le bord du chemin,
Découragée, hélas ! par la crainte et le doute,
Du bonheur qui m’attend dois-je écarter la main ?


Non, il est de longs jours, d’enivrantes délices,
Je veux les goûter à mon tour,
Tout sourit à mes vœux, et les destins propices
Murmurent doucement des paroles d’amour.

Un rêve, un rêve seul ! Non, donnez-moi des roses !
On dit que le parfum des fleurs
A des secrets d’amour, mystères, douces choses
Qui de l’âme blessée endorment les douleurs.