Souvenirs de 1848/2/4

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IV

RÉPUBLIQUE ET ROYAUTÉ EN ITALIE


TRADUIT DE


J. MAZZINI


AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR


Avec la brochure publiée récemment sous ce titre : Le Pape au XIXe siècle, le rapide résumé dont nous donnons ici la traduction pose les bases d’un des procès les plus éclatants, les plus scandaleux, les plus douloureux dont l’histoire des hommes puisse offrir l’exemple. Dans le premier ouvrage ; la question religieuse et philosophique est esquissée à larges traits, mais avec la sûreté et la puissance que possède seule la main d’un maître. Dans la second, la question politique, l’histoire du fait est tracée avec la même maestria, la même grandeur, la même vérité. Mazzini n’est pas seulement un grand caractère et une grande intelligence, c’est par-dessus le marché, pour ainsi dire, un grand écrivain. Sous sa plume éloquente, les points les plus arides se colorent et s’enflamment au feu intérieur d’une âme enthousiaste et sainte. Un des hommes les plus méconnus, les plus calomniés, lesplus lâchement insultés par l’esprit réactionnaire, est un des plus grands hommes de ce temps-ci ; c’est dans l’ordre. L’Italie et la France révolutionnaires le savent. L’Italie et la France réactionnaires le savent aussi. De là cette haine, cette calomnie, cette persécution.

Que personne ne s’en plaigne. Que les amis de Mazzini, c’est-à-dire les amis de la véritable Italie, subissent ces outrages avec l’auguste sérénité dont Mazzini lui-même et les autres principaux martyrs de la cause ont fait preuve. La loi des temps, la fatalité providentielle qui plane sur l’histoire du monde, depuis que le premier souffle de la liberté et de la vérité a passé sur lui, la volonté divine qui promet à l’humanité de grandes victoires pour prix d’atroces souffrances, l’avait ainsi ordonné. Ce n’est pas le fer et la mort, ce n’est pas la prison et l’exil contre lesquels les croyants de l’avenir doivent s’armer de plus de courage et de stoïcisme ; c’est l’injustice des contemporains, c’est le mensonge des adversaires, c’est l’erreur de la foule qui sont les véritables tourments des âmes dévouées. Qui ne le sait en entrant dans la carrière ? Il faut aujourd’hui, comme aux premiers temps de la mission chrétienne, le bouclier de la foi.

Mais, hélas ! la main qui trace ces lignes est frémissante encore de douleur et d’indignation. Elle pourrait signer ces vers de Racine :

Je vous donne un conseil qu’à peine je reçoi :
Du coup qui vous atteint vous mourez moins que moi.

Oui, le pâle traducteur des brûlantes paroles de Mazzini a souvent manqué de courage, non devant ses propres chagrins (ils n’ont rien qui mérite une plainte personnelle), mais devant les épreuves qu’il a vu subir, aux peuples d’abord, ensuite aux apôtres de la cause des peuples, aux meilleurs hommes de ce temps-ci. Tous dans la servitude, dans les fers ou dans l’exil, ce n’est rien ; c’est le sort de la guerre, et ils savaient bien, au moment où ils se sont levés pour la guerre, qu’ils étaient un contre dix ; mais tous calomniés, tous méconnus ! Hélas ! mon Dieu, pardonnez-moi ce reproche, c’est affreux, c’est infâme ! Si je ne craignais de blasphémer, je dirais c’est trop !

Si, depuis deux ans, je n’ai point élevé la voix, moi qui avais encore du loisir et de la liberté, pour défendre une à une toutes ces victimes du mensonge, ce n’est point le sentiment d’une fausse modestie qui m’a retenu. Je savais fort bien qu’une voix sincère, si peu harmonieuse et si peu retentissante qu’elle soit, a sa valeur comme son droit, dans la foule ; mais, je l’avoue, le dégoût m’a fermé la bouche. Ce n’est pas le nombre des adversaires qui impose, c’est la valeur morale de leur opposition ; mais, moi, j’ai senti ma parole étouffée, non par la crainte, mais par le dégoût de cette opposition jésuitique et systématique aux vérités les plus simples, aux notions les plus élémentaires de justice. Que peut-on répondre à ceux qui mentent sciemment et qui se font un honneur et un devoir de mentir à Dieu et aux hommes ? Si Ton jette à la face d’un jésuite ce mot insupportable à la dignité d’un homme : Vous mentez ! le jésuite ne se fâche point, il ne tend pas l’autre joue à l’exemple du Christ. Il sourit, il sourit d’orgueil et de satisfaction intérieure, il s’applaudit d’avoir su mentir, et, s’il pouvait rougir, ce serait d’avoir fait, par malheur, un mensonge maladroit et inutile. Si j’écris ces quelques lignes aujourd’hui, en tête de l’ouvrage d’un frère respectable et d’un illustre ami, ce n’est pas avec l’espoir de faire tomber les calomnies qu’en haine de sa croyance, on a essayé de déverser sur ses intentions. À détrompés et éclairés appartient seul l’arrêt suprême qui fera éclater le crime et la vertu. Je le fais uniquement parce que c’est un devoir de prendre note, en temps et lieu, d’une grande protestation, qui sera étouffée encore aujourd’hui par le mensonge, mais qui demain peut-être sera enregistrée au tribunal de l’Europe. Il faut que cette pièce soit publiée, avec ou sans retentissement, peu importe ; il faut que la presse française en soit saisie en même temps que celle des autres nations. Je n’y ajoute rien en y ajoutant mon nom ; mais, à un jour donné, la plume du premier secrétaire venu doit être au service de la cause, comme le fusil du premier combattant venu dans une bataille.

Et après ce devoir accompli, tâchons de reprendre courage, malgré le spectacle navrant de l’Italie livrée aux vautours, et des autres peuples frémissants dans leurs chaînes. L’écrit de Mazzini démontre jusqu’à l’évidence deux grandes vérités que les nations en travail de liberté n’ont pas assez comprises : la première, propre à l’Italie, c’est qu’elle ne pourra jamais conquérir son émancipation par les princes, et qu’elle doit se rallier autour du principe républicain, qui est l’ancre de son salut ; car, indépendamment des prodiges de courage et d’enthousiasme qu’une foi nouvelle peut seule enfanter, cette nation ne peut pas rester en arrière du mouvement européen qui entraîne fatalement la démocratie vers la république. C’est en reconnaissant cette forme logique de toute organisation démocratique qu’elle sera au niveau des grandes tendances de l’avenir.

La seconde vérité démontrée par Mazzini, et qui est universelle, c’est que les nations ne peuvent rien isolément, et que la politique étroite et impassible du chacun pour soi mène droit à la tombe. La ligue des rois n’est pas dissoute, elle sera toujours puissante contre la désunion des peuples, Que le peuple français, celui qui semblait marqué par les destins pour être l’initiateur de tous les autres, ouvre son cœur et son esprit à de nouvelles notions sur ce qu’on appelle la politique étrangère. Il est temps, car la coalition des princes travaille toujours, elle se resserre et s’approche. La France croit qu’il lui est impossible de donner jamais au monde le déplorable spectacle que l’Italie vient de fournir. Nous aussi, nous le croyons ; mais, si nous le croyons, c’est parce que l’idée dont nous parlons se répand en France ; car cette idée seule peut nous sauver des intrigues et des lâchetés qui nous menacent, ici comme ailleurs, pour le jour, peut-être prochain, d’une lutte formidable, décisive, entre le principe de la monarchie et celui de la république. — Nous le croyons, parce qu’il n’est pas probable que l’exemple de la pauvre Italie soit perdu pour nous, ni son expérience pour elle-même. — Nous le croyons, parce que l’affaire de Rome a porté ses fruits, fruits amers dans le présent ; malheur pour l’Italie, honte, faiblesse et danger pour nous : mais fruits d’expérience qui profitent à l’avenir, comme ces poisons dont la science tire de puissants remèdes.

Nous le croyons, enfin, parce que la France est dans des conditions d’unité que l’Italie avait à conquérir. Mais ce n’est pas une raison pour s’aveugler sur des dangers immenses. Ce danger n’est point en haut ; ou plutôt, il est plus haut encore que dans le sein des camarillas politiques et des diplomaties perfides, il est dans le sein du véritable souverain, le peuple. Si le peuple abusé remettait encore une fois ses destinées aux mains de la réaction, qui sait à quel degré de misère et d’abaissement la France pourrait descendre ?

1850.


I

TENDANCES NATIONALES

Le mouvement italien prenait chaque jour davantage le caractère national qui constitue sa nature intime.

Le cri Vive l’Italie ! retentissait au fond de la Sicile, grondait dans chaque manifestation de mécontentement local, et terminait, comme le Delenda Carthago de Caton, chaque discours politique. Ailleurs, les populations, lasses de misère et d’inégalité, s’agitaient dans le rêve d’un nouvel ordre de chose ?, social ou politique : en Italie, pour la seule gloire et par la puissante espérance des grandes choses de l’avenir, elles s’insurgeaient ou aspiraient à s’insurger pour une idée. Elles cherchaient la patrie ; elles regardaient vers les Alpes. La liberté, but des autres nations, était pour nous le moyen.

Ce n’est pas que les Italiens, comme d’autres l’ont cru ou ont fait semblant de le croire, fussent insouciants de leur droit ou imbus de préjugés monarchiques. — Excepté dans quelques coins de Naples et de Turin, je ne crois pas qu’il existe un peuple plus démocrate et par conséquent plus républicain par ses traditions, par la conscience de son égalité civile, par les fautes de ses princes et par l’instinct de sa mission future, que le nôtre. — Mais ils avaient un sentiment trop élevé de leur dignité pour ne pas savoir que l’Italie, devenue nation, serait libre, et ils auraient sacrifié la liberté, pour quelque temps, à quiconque (soit pape, soit prince, soit pire) aurait voulu les guider et faire d’eux une nation. L’obstacle, non pas le plus réel, mais le plus apparent, à la fraternisation de tous ceux qui peuplent cette terre sacrée de l’Italie, c’était l’Autriche. Ils invoquaient donc, avant tout, la guerre contre l’Autriche, et le peu de liberté qu’ils réussissaient à arracher à leurs maîtres servait presque exclusivement à rendre ce cri plus fort, plus unanime et plus solennel.

Déjà, en avril 1846, la pétition adressée aux légats pontificaux assemblés à Forli se terminait, après avoir constaté les doléances des provinces, par la déclaration que les questions de mauvaise administration locale n’étaient pour les hommes de la Romagne que des questions secondaires : que la question italienne était la principale, et que le péché le plus grave de la cour papale était celui d’être le vassal de l’Autriche.

À Ancône, en août 1846, la nouvelle de l’amnistie pontificale rassemblait la foule sous les fenêtres de l’agent autrichien, et la joie s’exhalait naturellement dans ce cri : Chassons les étrangers !

À Gênes, lorsqu’en novembre 1847, le roi allait visiter cette ville, et que quarante mille personnes, applaudissant à une espérance, passaient devant lui, le drapeau arraché aux Autrichiens, en 1746, par les Génois, flottait au-dessus de ces masses, comme le programme éloquent de leurs vœux. Il en fut ainsi partout et chez tous.

Metternich comprenait les tendances nationales du mouvement. « Sous le drapeau des réformes administratives, disait-il au comte Dietrichstein, dans une dépêche du 2 août 1847, les factieux tâchent d’accomplir une œuvre qui ne pourrait rester circonscrite dans les États de l’Église,, ni dans les limites d’aucun des États dont l’ensemble forme la péninsule italienne. Les factions cherchent à réunir ces États dans un seul corps politique, ou, au moins, dans une confédération d’États soumise à la direction d’un pouvoir central suprême. » Metternich disait vrai, seulement toute l’Italie était faction.

Ce fut un moment sublime que le frémissement d’une nation et le tintement de l’heure qui devait apporter dans le monde de Dieu une nouvelle vie collective, l’apostolat de vingt-six millions d’hommes, aujourd’hui muets, qui auraient annoncé aux nations, leurs sœurs, la parole de paix, de fraternité et de vérité. Si dans l’âme de ceux qui régnaient eût couvé une seule étincelle de la vie italienne, ils auraient été émus, ils auraient oublié dynastie, couronne et pouvoir, pour se faire les premiers soldats de la sainte croisade, et ils se seraient dit : « Mieux vaut une heure de communion dans une grande pensée avec un peuple qui ressuscite, que toute une existence dans la solitude d’un trône menacé par les uns et méprisé par les autres. » Mais, par un décret de la Providence, qui veut substituer l’ère des peuples à celle des rois, les princes ne peuvent désormais s’élever jusqu’à cette idée : ils se jouèrent de la généreuse mais imprudente tendance qui poussait les peuples à oublier et à sacrifier la liberté civile à l’espoir de l’indépendance nationale. Ils trahirent l’une et l’autre ; et, trompant le plus beau mouvement populaire qui fut jamais, ils nous repoussèrent dans l’abîme où nous sommes aujourd’hui.

Entre le supplice des frères Bandiera et la mort de Grégoire XVI, une race d’esprits avait surgi, qui, élevée à moitié dans le matérialisme sceptique du xviiie siècle, à moitié dans l’éclectisme français, radotait néanmoins de christianisme et de religion, et se parait du nom de modérés : comme si, entre l’être et le néant, entre la société future et les gouvernements qui en combattent le développement, il pouvait jamais exister un chemin de milieu ! Ces gens-là s’étaient posé, pour problème à résoudre, la conciliation des inconciliables : la liberté avec la royauté, la nationalité avec le démembrement, la force avec une direction incertaine. Aucune classe d’hommes n’eût pu opérer cet étrange prodige, celle-là moins que tout autre. C’étaient des écrivains doués de talent, mais sans l’étincelle du génie ; suffisamment pourvus de cette sorte d’érudition italienne qui s’acquiert dans les livres avec les morts, mais que ne féconde point l’impulsion vivifiante des synthèses. Ils ne comprenaient pas le travail de fusion qui s’était accompli mystérieusement dans les trois derniers siècles. Ils n’avaient pas conscience de la mission italienne, encore moins la faculté de communier avec le peuple qu’ils croyaient corrompu, qui, pourtant, valait mieux qu’eux, et dont les éloignaient les habitudes de leur vie, certaines dissidences traditionnelles et des instincts non cachés d’aristocratie nobiliaire ou littéraire. Par cet isolement moral et intellectuel, par cette séparation d’avec le peuple, qui est désormais l’unique élément progressif et l’arbitre de la vie des nations, ils étaient déshérités de toute vraie science et de toute foi dans l’avenir. Leur conception historique flottait, avec de légères modifications, entre le guelfisme et le ghibellinisme. Leur conception politique, quoi qu’ils fissent pour la revêtir d’une forme italienne, n’allait pas au delà des termes posés par la doctrine que Montesquieu avait enseignée en France, et qui, recueillie par les Mounier, les Malouet, les Lally-Tollendal et autres modérés de l’Assemblée nationale, fut réduite en système par les hommes qui dirigèrent l’opinion publique en France, durant quinze années, après le retour de Louis XVIII. C’étaient des monarchistes avec une nuance de liberté, juste ce qu’il en fallait pour rendre tolérable la monarchie, pour s’attribuer à eux-mêmes la faculté de publier leurs opinions, et de siéger dans une consulte quelconque, sans étendre pourtant cette liberté jusqu’aux masses, de peur de susciter en elles l’idée de droits qu’ils détestaient et de devoirs qu’ils ne soupçonnaient même pas. En somme, ils n’avaient aucune croyance ; leur foi dans le principe monarchique ne relevait pas du dogme du droit divin incarné dans quelques familles, ni de cette affection chevaleresque pour certaines personnes, qui plaçait autrefois le monarque entre Dieu et une femme aimée : Mon Dieu, mon Roi et ma Dame. C’était un acquiescement passif, inerte, sans vénération ni amour pour un fait qu’ils avaient devant les yeux et qu’ils n’essayaient même pas d’examiner ; c’était une couardise morale ; c’était la peur du peuple, dont ils voulaient arrêter le mouvement ascensionnel, par la monarchie : la peur d’un choc inévitable entre les deux éléments qu’ils ne se sentaient pas capables de maîtriser. C’était la peur que l’Italie ne fût pas assez puissante pour reconquérir par ses propres forces populaires, même cette petite part d’indépendance vis-à-vis de l’étranger, qu’eux aussi, tendres qu’ils étaient pour l’honneur italien, auraient seule voulu revendiquer. Dans leurs écrits ils donnaient, avec une affectation de gravité, avec des allures d’hommes profonds et clairvoyants, des conseils empruntés d’une époque de développement normal et d’hommes habitués aux luttes parlementaires, déjà citoyens de nations plus avancées, à un peuple qui, d’un côté, n’avait rien, et qui, de l’autre, avait tout à conquérir, existence, unité, indépendance, liberté. Le peuple répondait à leurs voix d’eunuques par le rugissement et le bond du lion, chassant les jésuites, exigeant l’institution des gardes civiques et la publicité des débats, arrachant des constitutions aux princes, tandis qu’eux recommandaient le silence, les voix légales, et suppliaient de s’abstenir de toute manifestation pour ne pas affliger le cœur paternel des maîtres. Ils s’intitulaient hommes pratiques, positifs… On aurait dû les nommer les arcadiens de la politique.

Voilà quels étaient les chefs de la faction, et je n’ai pas besoin de les nommer. Et aujourd’hui, quelques-uns, soit ambition du pouvoir, soit vanité blessée par la solitude qui s’est faite autour d’eux, se trouvent à la tête de la réaction monarchique en Italie.

Mais, dès l’avènement à la papauté de Pie IX, on vit se grouper autour d’eux plusieurs jeunes gens qui valaient beaucoup mieux que de tels chefs, attirés soit par l’influence de leurs discours et le prestige des premiers actes du pape, soit par l’espoir de frayer à l’Italie un chemin plus facile vers un meilleur avenir, après le brusque découragement des nombreuses tentatives avortées dans le passé. Ames candides et saintement dévouées à la patrie, trop flexibles néanmoins et pas assez fortement trempées, par leur nature et par la souffrance, dans la sévère et énergique foi du vrai immuable, elles avaient été formées parmi nous au culte de l’idée nationale, mais elles s’étaient fatiguées trop tôt des inévitables douleurs de la lutte ; et se méprenant sur le besoin d’autorité qui nous domine tous, elles se prosternaient devant celle qui existait alors et qui avait l’air de se régénérer.

Au-dessous de ceux-ci, se pressait, toute joyeuse de voir que les sacrifices et les obstacles allaient diminuer, la foule des hommes de calcul, des esprits et des cœurs médiocres, des tièdes repoussés par l’Évangile, de ceux dont notre cri de guerre troublait le sommeil et à qui le programme des modérés promettait, au contraire, les honneurs faciles du patriotisme, à la seule condition d’écrire des articles pacifiques dans les journaux, ou de soulever d’inoffensives polémiques avec le Lloyd sur le chemin de fer, ou encore de supplier le prince de vouloir bien se montrer un peu moins tyran.

Et, plus bas encore, lèpre de tous les partis, on voyait grouiller la race affairée des jongleurs politiques, hommes de tous les métiers, véritables harpies qui souillent tout ce qu’elles touchent, prêts dans tous les pays à jurer et à se parjurer, à exalter ou à calomnier, à oser ou à ramper selon le vent qui souffle, pourvu que dans une agitation sans danger, ils puissent acquérir une importance microscopique quelconque ou un tout petit emploi public ou secret. Race, Dieu merci, plus rare en Italie qu’ailleurs, mais plus nombreuse cependant, par suite d’une éducation jésuitique, matérialiste et tyrannique, qu’on ne voudrait la voir au milieu d’un peuple grand dans son passé et appelé à être grand dans l’avenir.

Des premiers (les chefs modérés) s’élevait une voix qui disait : « Notre première question est l’indépendance ; notre premier conflit est avec l’Autriche, puissance gigantesque, tant par les éléments qui lui sont propres que par ses liens avec les gouvernements de l’Europe. Or, si vous menacez vos princes, non seulement vous n’aurez pas d’armées, mais vous les aurez hostiles : notre peuple est corrompu, ignorant, désaccoutumé des armes, indifférent, sans volonté ; et avec un peuple semblable, on ne fait ni une guerre nationale, ni une république fondée sur la vertu. Il faut auparavant l’instruire, l’habituer aux fortes actions, à la morale du citoyen. . Le progrès est lent et marche par degrés. Avant tout, l’indépendance, puis la liberté éducatrice, constitutionnelle-monarchique ; puis enfin, la république. Les affaires des peuples ne se régissent que par l’opportunité, et qui veut tout n’a rien. Ne persistez pas à recopier le passé, le passé de la France surtout. L’Italie doit avoir son propre mouvement et des règles propres à ce même mouvement. Vos princes ne vous sont contraires que parce que vous les avez attaqués : unissez-vous à eux ; excitez-les à s’allier entre eux par des ligues commerciales, douanières, industrielles ; ensuite viendront les ligues militaires, et vous aurez alors des armées toujours prêtes et sûres. Les gouvernements étrangers commenceront à vous connaître, et l’Autriche apprendra à vous craindre. Peut-être réussirons-nous à reconquérir notre indépendance pacifiquement et par des sacrifices pécuniaires ; sinon nos princes, réconciliés avec nous, nous la donneront par les armes. Alors nous penserons à la liberté. »

Les seconds (les bons cœurs à illusions) chantaient des hymnes à Pie IX, âme d’honnête curé et de mauvais prince, en l’appelant le régénérateur de l’Italie, de l’Europe et du monde ; ils prêchaient la concorde, l’oubli du passé, la fraternité universelle entre les princes et les peuples, entre le loup et l’agneau ; ils entonnaient d’une voix émue un cantique d’amour sur une terre vendue, trahie pendant cinq siècles par les princes et les papes, et qui buvait encore le sang des martyrs fraîchement égorgés.

Les derniers (les intrigants) allaient, venaient, s’agitaient, s’entremettaient, débitaient les plus étranges nouvelles d’intentions royales, de promesses, de transactions avec l’étranger ; ils répétaient des paroles qui n’avaient jamais été dites, répandaient des médailles. Au peuple, ils racontaient des choses folles sur le compte des princes ; à nous, ils tendaient là main avec mystère, en murmurant, à demi-voix : « Laissez faire chaque chose a son temps ; pour le moment, il nous faut profiter des hommes qui ont du canon et des armées ; après, nous les renverserons. » Je ne me rappelle pas un seul d’entre eux qui ne m’ait dit ou écrit : « Je suis en théorie aussi républicain que vous l’êtes vous-même, » et qui, en même temps, ne calomniât de son mieux notre parti et nos intentions.

Nous, nous étions républicains de foi ancienne, fondée sur ce que nous avons dit plusieurs fois et redirons encore ; mais, avant tout, pour ce qui touche à l’Italie, nous étions républicains parce que nous étions unitaires, parce que nous voulions que notre patrie fût une nation. La foi nous faisait patients. Le triomphe au principe qui formait et qui forme notre croyance est tellement certain, qu’il ne sert à rien de se hâter. Par décret de la Providence, décret lumineux qui rayonne au loin dans le progrès de l’humanité, l’Europe court vers la démocratie. La forme logique de la démocratie, c’est la république ; la république est donc dans les faits de l’avenir. Mais la question de l’indépendance et de l’unification nationale exigeait une solution immédiate et pratique. Comment l’atteindre ? Les princes ne voulaient pas ; le pape ne voulait ni ne pouvait. Restait le peuple. Et nous décrier comme nos pères : Popolo ! popolo ! acceptant toutes les conséquences, toutes les formes logiques du principe contenu dans ce cri.

Il est faux de dire que le progrès se manifeste par degrés : il s’opère par degrés ; et, en Italie, la pensée nationale s’est élaborée dans le silence de trois siècles de servage commun à tous, et pendant près de trente années d’apostolat assidu, bien souvent couronné par le martyre des meilleurs d’entre nous. Une fois le terrain préparé par un travail latent, le principe se révèle, d’ordinaire, par l’insurrection, en un mouvement collectif, spontané, anormal des multitudes, en une subite transformation de l’autorité. Une fois le principe conquis, la série de ses déductions et applications se déroule par un mouvement normal, lent, progressif, continu.

Il est faux que la liberté et l’indépendance puissent être disjointes et revendiquées l’une après l’autre. L’indépendance, qui n’est que la liberté conquise sur l’étranger, exige, pour qu’elle ne soit pas un mensonge, l’œuvre collective d’hommes ayant la conscience de leur propre dignité, la puissance du sacrifice, et la vertu de l’enthousiasme, qui n’appartiennent qu’aux hommes libres. Cela est si vrai, que, dans les conflits bien rares qui ont été soutenus par l’indépendance, sans l’intervention apparente de la politique, les peuples ont puisé leur force dans l’unité nationale déjà conquise.

Il n’est pas vrai que l’on ne puisse pas fonder de république sans le concours de toutes les vertus républicaines les plus sévères. Une pareille idée n’est qu’une vieille erreur qui a servi à fausser la théorie gouvernementale dans presque tous les esprits. Les institutions politiques doivent représenter l’élément éducateur de l’État, et l’on fonde précisément les républiques pour que les vertus républicaines, que l’éducation monarchique ne saurait produire, puissent germer et s’enraciner dans le sein des citoyens.

Il n’est pas vrai que la force aveugle des canons et des armées suffise pour reconquérir l’indépendance. Dans les combats de la liberté nationale, il faut, avec les forces matérielles, une idée qui préside à leur ordonnance et qui dirige leurs mouvements ; la bannière qui s’élève du milieu des armées doit être le symbole de cette idée ; et — les faits l’ont irrévocablement prouvé — cette bannière vaut la moitié du succès. Du reste, l’accord franc, hardi, durable, entre six princes, plusieurs de race autrichienne, presque tous de race étrangère, jaloux et méfiants les uns des autres, tremblants devant le peuple par la conscience de leurs méfaits, n’ayant contre lui d’autre secours à espérer que celui de l’Autriche, voilà, pour soutenir la guerre d’indépendance, une utopie bien autrement extravagante que la nôtre.

Vous ne pouvez donc espérer fonder une nation qu’avec un homme ou avec un principe. Avez-vous l’homme ? Avez-vous parmi vos princes le Napoléon de la liberté, le héros qui sache à la fois penser et agir, aimer plus qu’aucun autre, et combattre ? Avez-vous l’héritier de la pensée de Dante, le précurseur de la pensée du peuple ? Faites qu’il surgisse et qu’il se révèle ; sinon, laissez-nous invoquer le principe ; n’entraînez point l’Italie à la remorque d’illusions pleines de larmes et de sang.

Nous disions ces choses non publiquement, mais dans nos entretiens particuliers et dans notre correspondance, à des hommes placés très avant dans la confiance des premiers, des chefs du parti modéré. Les seconds, les amis qui nous abandonnaient, nous les regardions tristement, en nous disant : « L’épreuve faite, vous nous reviendrez ; mais Dieu veuille que cette épreuve ne déflore pas votre âme et ne vous ôte pas la foi dans les destinées de l’Italie. » Des derniers, les intrigants, nous nous éloignions pour ne pas nous salir. Amis ou ennemis, nous étions et nous voulions nous conserver noblement loyaux. « Les nations, disions-nous souvent, ne se régénèrent point par le mensonge. »

À notre dernière interrogation, les modérés répliquaient en nous montrant du doigt Charles-Albert.



II

MOTIFS DE LA GUERRE ROYALE


Je ne parle pas du roi. Quelque effort que tentent les adulateurs et les politiques hypocrites qui font aujourd’hui de leur enthousiasme posthume pour Charles-Albert une arme d’opposition à son successeur régnant, — quelque sentiment qu’éprouve aujourd’hui le peuple, saintement illusionné, et qui symbolise en ce nom la pensée de la guerre d’indépendance, — le jugement de la postérité n’en pèsera pas moins avec sévérité sur la mémoire de l’homme de 1821, de 1833 et de la capitulation de Milan. Mais la nature, la trempe de l’individu suffisait à elle seule pour exclure tout espoir d’une entreprise de sa part en faveur de l’unité italienne. Le génie, l’amour, la foi manquaient à Charles-Albert. Du génie qui se révèle par une existence tout entière, dévouée logiquement, résolument, efficacement à une grande idée, la carrière de Charles-Albert n’offre pas le moindre vestige. L’amour était étouffé par la méfiance continuelle envers les hommes et les choses qu’entretenaient en lui les souvenirs d’un triste passé. La foi lui était interdite par son naturel incertain, hésitant, sans cesse oscillant entre le bien et le mal, entre faire et ne pas faire, entre oser et reculer. Dans sa jeunesse, une pensée, non de vertu, mais d’ambition italienne, de cette ambition pourtant qui peut profiter aux peuples, lui avait traversé l’âme comme un éclair. Il avait reculé devant elle tout effrayé ; cependant, le souvenir de cet éclair de ses jeunes ans se réveillait en lui parfois et le poursuivait avec insistance, plutôt comme le picotement d’une ancienne blessure que comme une excitation à la vie. — Entre le risque de perdre, s’il échouait, la couronne de sa petite monarchie, et la frayeur de cette liberté que le peuple, après avoir combattu pour lui, viendrait à revendiquer, il marchait, ce spectre devant les yeux, presque chancelant, sans énergie pour affronter les périls qu’il redoutait, sans pouvoir et sans vouloir même comprendre que, pour devenir roi d’Italie, il fallait d’abord oublier qu’il était roi de Piémont. Despote par instinct enraciné, libéral par amour-propre et par pressentiment de l’avenir, il subissait alternativement l’influence des jésuites et celle des hommes du progrès. Un désaccord funeste entre la pensée et l’action, entre la conception et la faculté de l’exécuter, perçait dans tous ses actes. La plupart de ceux-là mêmes qui travaillaient à le placer à la tête de l’entreprise étaient forcés d’en convenir ; quelques-uns de ses familiers allaient jusqu’à chuchoter aux oreilles qu’il était menacé de folie. C’était le Hamlet de la monarchie.

Avec un pareil homme, l’entreprise italienne ne pouvait certainement pas réussir. Metternich, esprit non puissant, mais logique, l’avait jugé depuis longtemps, lui et les autres. Dans la dépêche déjà citée, il disait : « La monarchie italienne n’entre pas dans les desseins des factieux. Un fait positif doit les détourner de l’idée d’une Italie monarchique ; le roi possible de cette monarchie n’existe ni au delà ni en deçà des Alpes. Ils marchent à la république. »

Les modérés, dont l’esprit n’était ni puissant ni logique, comprenaient pourtant bien, eux aussi 3 que, quand même Charles-Albert l’aurait voulu, il ne l’aurait pas pu, et, sous cette impression, ils transigeaient en substituant à l’Italie invoquée la puérile conception d’une Italie du nord, de toutes les conceptions la plus mauvaise qu’un cerveau humain pût enfanter.

Le royaume de l’Italie septentrionale sous le roi de Piémont aurait pu être un simple fait créé par la victoire, accepté par la reconnaissance, subi par les autres princes par impossibilité de le détruire ; mais, lancé en guise de programme antérieur aux premiers éléments du fait, il devenait une pomme de discorde, là précisément où la plus parfaite concorde était nécessaire. C’était, parla négation de l’unité, jeter le gant aux unitaires ; — c’était une supercherie pour les républicains, car il substituait à la volonté nationale, la volonté des partisans de la monarchie ; — c’était faire une blessure à la Lombardie, qui voulait bien se confondre avec l’Italie, et non pas sacrifier son individualité à une autre province italienne ; — c’était une menace adressée à l’aristocratie de Turin, que le contact absorbant de la démocratie milanaise épouvantait déjà ; — c’était un agrandissement suspect à la France, attendu qu’il se faisait en faveur d’une monarchie contraire depuis longues années aux tendances et aux révolutions de ce pays ; — c’était un prétexte fourni aux princes d’Italie pour se détacher de la croisade à laquelle les peuples les poussaient, — une semence de jalousie plantée au cœur du pape, — un refroidissement à l’enthousiasme de tous ceux qui étaient disposés à prêter leur concours et même à donner leur vie pour une entreprise nationale, mais non pour une spéculation d’égoïsme dynastique ; — c’était créer une série de nouveaux obstacles sans en écarter un seul ; c’était créer, en outre, une série de nécessités logiques de nature à dominer la guerre. Et, en effet, elles la dominèrent et l’étouffèrent dans le malheur et dans la honte.

Néanmoins telle était la soif de guerre contre l’Autriche, que le malencontreux programme, prêché de toute sorte de manières, tant licites qu’illicites, fut accueilli sans examen par le plus grand nombre. Tous mettaient leurs espérances dans l’initiative royale, tous poussaient Charles-Albert et lui criaient : Faites à tout prix.

Charles-Albert n’eût jamais rien fait si l’insurrection du peuple milanais ne fût venue le mettre dans l’alternative de perdre sa couronne, de se voir une république aux flancs, ou de combattre.

Le livre de Charles Cattaneo[1], homme qui honore éminemment notre parti, me dispense d’indiquer les causes immédiates de la glorieuse insurrection lombarde, causes étrangères, en tout, aux manœuvres et aux fausses promesses des modérés qui s’agitaient entre Turin et Milan. C’est un livre qui, pour l’importance des faits et des considérations qu’il énonce, demande à être lu de tous, que personne n’a réfuté, que personne ne réfutera. Mais, dans ce livre, faute de documents, l’opinion que je viens d’exprimer n’est qu’indiquée rapidement.

« Il paraît, dit-il (p.96), que, dans un manifeste adressé à toutes les cours de l’Europe, le roi aurait attesté qu’en envahissant le Lombard-Vénitien il n’avait d’autre but que d’y empêcher la proclamation de la République. »

À l’heure qu’il est, les documents[2] sur les affaires d’Italie qui viennent d’être communiqués par le ministère de Palmerston au Parlement anglais, constatent ce fait de la manière la plus péremptoire, et révèlent comment, au mépris du bavardage modéré, le gouvernement piémontais, avant même de rien entendre, visait bien plus à la question politique qu’à la question italienne. La guerre contre l’Autriche n’était au fond et ne sera jamais, tant qu’elle sera commandée par des chefs monarchiques, qu’une guerre contre la démocratie italienne.

L’insurrection de Milan et de Venise, invoquée par tous les vrais Italiens, surgit du frémissement d’un peuple irrité par trente-quatre ans d’une servitude imposée à la Lombardie Vénitienne par un gouvernement étranger, abhorré et méprisé. Elle fut déterminée, quant à l’époque, par les féroces provocations des Autrichiens, qui cherchaient à étouffer une émeute dans le sang et qui ne croyaient pas à une révolution. Elle fut activée par l’apostolat et par l’influence que s’était acquise à bon droit, parmi le peuple, un noyau de jeunes gens appartenant presque tous aux classes moyennes, et tous républicains, à l’exception d’un seul qui alors néanmoins se donnait pour tel. Elle fut résolue, et ce fait, bien que trop peu connu, n’en retentit pas moins à la louange éternelle de la jeunesse lombarde, elle fut résolue lorsque déjà l’on venait de publier à Milan l’abolition de la censure avec d’autres concessions : c’est que la Lombardie Vénitienne voulait non pas des améliorations, mais l’indépendance. Elle commença sans avoir été ni prévue ni voulue par les hommes de la municipalité ou par les autres qui parlementaient avec Charles-Albert. La jeunesse de Milan se battait depuis trois jours, que ceux-ci, en étaient encore à désespérer de la victoire, à regretter qu’on eût abandonné les voies légales, à parler dans une proclamation de l’absence imprévue de l’autorité politique, et à proposer des armistices de quinze jours. Elle fut soutenue par la bravoure d’hommes du peuple pour la plupart, qui combattaient au cri de Vive la République[3] ! et dirigés par quatre hommes du parti républicain, réunis en conseil de guerre. Elle triompha toute seule en coûtant à l’ennemi quatre mille morts parmi lesquels trois cent quatre-vingt-quinze canonniers. Ce sont là des faits incontestables, et à jamais acquis à l’histoire.

Le combat du peuple commença le 18 mars. Le gouvernement de Turin était fort inquiet des nouvelles venues de France et de la fermentation extraordinaire qui croissait chaque jour dans le peuple piémontais. Deux dépêches témoignent de la frayeur produite par les affaires de France : la première, expédiée le 2 mars de Turin par lord Abercromby à lord Palmerston ; la seconde, signée par Saint-Marsan, également le 2 mars, et communiquée à lord Palmerston par le comte Revel, le 11. La fermentation intérieure força le roi de publier, le 4 mars, les bases de la Constitution (Statuto), et, le 7, à Gênes, elle éclata en une émeute, pendant laquelle le peuple menaça de suivre l’exemple de la France.

La nouvelle de l’insurrection lombarde parvint à Turin le 19. L’enthousiasme fut indescriptible. Les ministres, réunis en conseil, ordonnèrent la formation d’un corps d’observation sur la frontière, avec Novare, Mortara, Voghera pour points centraux. Les bruits répandus étaient d’un mouvement ouvertement républicain, et une dépêche du 20, expédiée de Turin par Abercromby à lord Palmerston, en faisant mention de ces bruits, les désigne comme une des causes qui agissaient le plus sur les décisions ministérielles.

En attendant, on expédia l’ordre de barrer le chemin aux volontaires qui, de Gênes et du Piémont, s’empressaient d’accourir à Milan. Quatre-vingts Lombards furent désarmés sur le lac Majeur[4].

Le 20, les nouvelles qui couraient à Turin étaient incertaines et légèrement défavorables à l’insurrection. Les portes de la ville, disait-on, étaient toujours aux mains des Autrichiens, et le peuple perdait du terrain, faute d’armes et de munitions. La fermentation continuait toujours à Turin. Un rassemblement de peuple demandait des armes au ministère de l’intérieur ; il était repoussé. Le comte Arese, arrivé de Milan pour demander qu’on vînt en aide à l’insurrection, ne réussit pas même à voir le roi, fut froidement accueilli parles ministres, et repartit le même jour, découragé, désillusionné.

Le 21, les nouvelles étaient meilleures. Ce fut le comte Henri Martini, agent voyageur des modérés, qui fit aux hommes de la municipalité milanaise et du conseil de guerre la première proposition de secours royal, à condition d’une reddition absolue et de la formation d’un gouvernement provisoire qui en ferait l’offre. Honte éternelle aux courtisans qui, nés Italiens, trafiquaient, pour une couronne, du sang des braves jaloux de mourir pour la patrie, au moment même où Martini disait à Cattaneo : « Savez-vous qu’il n’arrive pas tous les jours de pouvoir rendre pareil service à un roi[5] ? » — À un roi ! — Le dernier des ouvriers qui se battaient gaiement sur les barricades pour la bannière de l’Italie, sans se demander à quels hommes profiterait la victoire, valait devant Dieu et vaudra un jour devant l’Italie plus que dix rois ensemble.

Le 22, la victoire couronna cette lutte héroïque. Porta Tosa, reprise par Lucien Manara (plus tard martyr de la cause républicaine à Rome) ; Porta Ticinese, occupée par les insurgés ; Porta Comasina, délivrée par ceux qui arrivaient de la campagne, la soldatesque ennemie séparée et menacée d’une destruction immédiate ; le soir, Radetsky ne se retirait pas ; il fuyait.

Et alors, dans la soirée du 23, quand la victoire était assurée et que l’isolement aurait inévitablement arraché Milan à la monarchie sarde pour la donner à l’Italie, — tandis que les volontaires de Gênes et du Piémont faisaient irruption sur les terres lombardes, et que les populations, indignées de l’inertie royale, menaçaient de faire pis à l’intérieur, — le roi qui, le 22, avait fait donner par son ministre, au comte de Buol, ambassadeur d’Autriche à Turin, l’assurance qu’il désirait le seconder en tout ce qui pouvait confirmer les rapports d’amitié et de bon voisinage existants entre les deux États[6], signa la proclamation de guerre.

Les premières troupes piémontaises entrèrent à Milan le 26 mars.

Le 23 mars, à onze heures du soir, Abercromby recevait à Turin une dépêche signée L.-N. Pareto ; on y lisait : « M. Abercromby connaît aussi bien que le soussigné, les graves événements qui viennent d’avoir lieu en Lombardie : Milan en pleine révolution, et bientôt au pouvoir des habitants ; qui, par leur courage et leur fermeté, ont su résister aux troupes disciplinées de Sa Majesté Impériale, l’insurrection dans les campagnes et villes voisines, enfin tout le pays qui borde les frontières de Sa Majesté Sarde en feu. » — Cette situation, comme M. Abercromby peut bien le comprendre, réagit sur l’état des esprits dans les provinces qui appartiennent à Sa Majesté le roi de Sardaigne. La sympathie qu’excite la défense de Milan, l’esprit de nationalité qui, malgré les délimitations artificielles des différents États, se fait néanmoins très puissamment sentir, tout concourt à entretenir dans les provinces et dans la capitale une telle agitation, qu’il est à craindre qu’il n’en puisse résulter d’un moment à Vautre une de ces révolutions qui mettraient le trône en grave danger ; car on ne peut se dissimuler qu’après les événements de France, le danger de la proclamation d’une république en Lombardie ne puisse être prochain. En effet, d’après des renseignements positifs, il paraît qu’un certain nombre de Suisses ont grandement contribué, par leur intervention, à la réussite du soulèvement de Milan ; si l’on ajoute à cela les mouvements de Parme et de Modène, ainsi que ceux du duché de Plaisance, sur lequel on ne peut refuser à Sa Majesté le roi de Sardaigne le droit de veiller comme sur un territoire qui doit lui revenir par droit de réversibilité ; si Ton ajoute qu’une grande et sérieuse exaspération a été excitée en Piémont et dans la Ligurie par la conclusion d’un traité entre Sa Majesté Impériale et les ducs de Parme et de Modène, traité qui, sous l’apparence de secours à fournir à ces petits États, les a réellement englobés dans la monarchie autrichienne, en portant les frontières militaires, du Pô, où elles devraient finir, jusqu’à la Méditerranée, et en rompant ainsi l’équilibre qui existait entre les diverses puissances de l’Italie, il est naturel de penser que la situation du Piémont est telle que, d’un moment à Vautre, à V annonce que la république a été proclamée en Lomhardie, un mouvement semblable éclaterait aussi dans les États de Sa Majesté le roi de Sardaigne, ou que, du moins, il y aurait quelque grave commotion qui mettrait en danger le trône de Sa Majesté. C’est dans cet état de choses que le roi… se croit obligé de prendre des mesures qui, en empêchant que le mouvement actuel de la Lombardie ne devienne un mouvement républicain, épargneront au Piémont et au reste de l’Italie les catastrophes qui pourraient avoir lieu, si une telle forme de gouvernement venait à être proclamée[7].

Abercromby se rendit vers minuit chez le comte Balbo ; et en obtint des renseignements plus détaillés. « Lui et ses collègues, d’après les divers rapports officiels qui leur avaient été transmis par le directeur de la police, sur le danger imminent d’une révolution républicaine dans le pays, en cas que le gouvernement différât encore à porter secours aux Lombards, et voyant l’impossibilité de mettre un frein à la grande excitation qui s’étendait dans tous les États de Sa Majesté Sarde avaient décidé, etc. [8]. »

Le marquis de Normamby écrivait de Paris, le 28, à lord Palmerston, le récit d’une conversation qu’il venait d’avoir avec le marquis de Brignole, ambassadeur sarde en France. Celui-ci lui avait répété, d’après une dépêche de Turin, les raisons déjà énoncées ; et il insista, en outre, sur le fait que « Charles Albert avait repoussé par un refus la première députation de Milan, lorsque la ville était encore aux mains des Autrichiens, ajoutant que la seconde députation avait déclaré au roi que, s’il ne se hâtait pas de leur porter secours, on entendrait le cri de république, et que le roi n’avait commencé les hostilités que pour maintenir l’ordre sur un territoire laissé, par la force des choses, sans maître[9]. »

Dans une autre dépêche du 25 mars, Abercromby exposait à lord Palmerston avec de plus amples détails l’état des affaires du Piémont à l’époque de la décision royale, — les intentions toutes pacifiques du cabinet Balbo-Pareto ; l’insurrection lombarde ; — l’immense action exercée par le peuple, qui menaçait de se révolter en Piémont, et d’attaquer les Autrichiens en dépit de l’autorité du gouvernement ; — et le danger imminent de la monarchie de Savoie, qui avait forcé les ministres aux hostilités[10].

Mais ce n’est pas tout. Dans les instructions que le ministre des affaires étrangères expédiait de Turin au marquis Ricci, envoyé sarde à Vienne, il était dit : « … Il y avait lieu de craindre que les nombreuses associations politiques existant en Lombardie et la proximité de la Suisse, ne fissent proclamer un gouvernement républicain. Cette forme aurait été fatale à la nation italienne, à notre gouvernement, à l’auguste dynastie de Savoie. Il fallait prendre un parti prompt et décisif. Le gouvernement et le roi n’ont pas hésité, et ils sont profondément convaincus d’avoir agi, au risque des dangers auxquels ils s’exposent, pour le salut des autres États monarchiques[11]. »

Cette idée était tellement enracinée dans les esprits, que, le 30 avril, quand déjà la guerre était commencée, et qu’il n’était plus nécessaire de dissimuler, mais seulement de vaincre, Pareto déclarait de nouveau à Abercromby que, si l’armée piémontaise avait tardé à franchir le Tessin, il eût été impossible d’empêcher Gênes de se révolter et de se séparer des États de Sa Majesté Sarde[12].

C’était sous de pareils auspices et avec de pareilles intentions que la monarchie piémontaise et les modérés marchaient à la conquête de l’indépendance. La nation, trompée, les applaudissait, eux, Charles-Albert, le grand duc de Toscane, le roi de Naples, le pape. Tant d’amour inondait l’âme des Italiens, en ces rapides et bienheureux jours, qu’ils auraient embrassé leurs plus mortels ennemis, pourvu que ceux-ci eussent porté sur la poitrine une cocarde tricolore !

III

EXIGENCES ET CONSÉQUENCES FUNESTES DE LA GUERRE ROYALE

Dans la genèse des faits, la logique est inexorable. Il n’est ni utopies de modérés, ni calculs de politiques obliques qui puissent la fausser. En politique, comme en tout autre chose, un principe entraîne inévitable • ment avec lui un système, une série de conséquences, une progression d’applications faciles à prévoir pour quiconque a du bon sens. A toute théorie correspond une pratique. Et réciproquement, si le principe générateur d’un fait est faussé, trahi dans ses applications, ce fait est irrévocablement condamné à disparaître, à périr sans développement, programme inaccompli, page isolée dans la tradition d’un peuple, prophétique pour l’avenir, mais stérile en ses conséquences immédiates. Pour avoir oublié cette vérité, le mouvement italien de 1848 devait périr, et il périt.

Le mouvement italien était un mouvement national avant tout, mouvement de peuple qui tend à définir, à représenter, à constituer sa propre vie collective ; il devait se soutenir et vaincre par une guerre de peuple, par une guerre à laquelle concourraient toutes les forces nationales d’un bout de l’Italie à l’autre.

Tout ce qui tendait à faire converger vers ce but la plus grande somme de forces, favorisait le mouvement ; tout ce qui tendait à les amoindrir devait lui être fatal.

La mesquine idée dynastique contredisait la pensée mère du mouvement. La guerre royale avait un but tout différent, et par conséquent des règles également toutes différentes, et qui ne correspondaient pas au but que l’insurrection s’était proposé. Elle devait donc étouffer la guerre nationale, la guerre de peuple, et avec celle-ci le triomphe de l’insurrection.

Les pauvres esprits qui, contraires à notre parti, reconnaissent néanmoins leur impuissance à nous réfuter sur notre propre terrain, se sont systématiquement appliqués à travestir sans cesse nos idées. — Confondant république et anarchie, pensée sociale et communisme, le besoin d’une foi conforme, active, et la négation de toute croyance, ils ont souvent affecté de voir dans la guerre de peuple une guerre désordonnée, mêlée d’éléments confus, sans idée régulatrice, sans uniformité d’ordres et de matériel, au point qu’ils en sont venus jusqu’à affirmer que nous voulions faire la guerre sans canons et sans fusils, choses ridicules qui ne nous appartiennent pas, car le peu de faits émanés du principe républicain, et qui serviront de prologue au drame de l’avenir, l’ont assez démontré. Le petit nombre d’hommes réunis dans deux villes d’Italie autour du drapeau républicain[13], ont fait une guerre plus opiniâtre et plus savante que toute cette foule attachée à la bannière de la monarchie.

Par guerre de peuple, nous entendons une guerre sanctifiée par un but national, dans laquelle l’on met en mouvement le plus grand nombre de forces possible appartenant au pays, en se servant d’elles selon leur nature et leurs moyens ; — dans laquelle les éléments réguliers et irréguliers, distribués sur un terrain adapté à leurs aptitudes diverses, alternent leur action ; — dans laquelle on dit au peuple : « La cause pour laquelle on combat ici est la tienne ; le prix de la victoire sera à toi ; les efforts pour l’obtenir doivent être faits par toi ; » — dans laquelle un principe, une grande idée hautement proclamée, loyalement appliquée par des hommes purs, intelligents, aimés, vigilants, consciencieux, excite à une vie extraordinaire, exalte jusqu’à la fureur toutes les facultés de lutte et de sacrifice qui se réveillent et s’endorment si facilement dans le cœur des multitudes ; — une guerre dans laquelle aucun privilège de naissance, de faveur ou d’ancienneté sans mérite ne peut présider à la formation de l’armée, mais où le droit d’élection aussi largement appliqué que possible, renseignement moral alterné avec l’enseignement militaire, et les récompenses proposées par les compagnies approuvées par les chefs et données par la nation, font sentir au soldat qu’il n’est point une machine, mais bien une partie du peuple, un apôtre armé dans une cause sainte ; — une guerre dans laquelle les esprits ne s’habituent Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/262 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/263 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/264 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/265 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/266 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/267 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/268 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/269 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/270 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/271 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/272 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/273 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/274 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/275 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/276 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/277 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/278 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/279 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/280 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/281 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/282 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/283 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/284 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/285 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/286 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/287 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/288 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/289 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/290 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/291 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/292 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/293 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/294 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/295 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/296 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/297 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/298 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/299 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/300 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/301 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/302 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/303 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/304 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/305 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/306 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/307 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/308 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/309 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/310 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/311 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/312 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/313 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/314 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/315 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/316 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/317 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/318 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/319 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/320 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/321 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/322 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/323 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/324 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/325 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/326 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/327 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/328 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/329 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/330 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/331 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/332 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/333 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/334 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/335 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/336 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/337 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/338 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/339 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/340 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/341 Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/342

C’est ce concours des sentiments les plus délicats du cœur avec la fermeté et l’énergie d’une volonté et d’un caractère qui s’est toujours inspiré du patriotisme et jamais d’un calcul personnel, qui font de Jacques Médici un type, que nous proposons à l’imitation de nos jeunes frères pour le jour de notre rédemption. »

  1. De l’insurrection de Milan en 1848, et de la guerre qui s’ensuivit (Mémoires de Charles Cattaneo, Lugan, 1849).
  2. Correspondance respecting the affairs of Italy. Part 12 from January to June 1848, présentée par ordre de Sa Majesté aux deux Chambrés, le 31 juillet 1849.
  3. « Des bandes de citoyens parcourent la ville armés de fusils de chasse, de carabines, de pistolets, de hallebardes, portant des drapeaux tricolores, leurs chapeaux ornés de cocardes pareilles, et criant : Vive Pie IX ! vive l’Italie ! vive la république ! » Dépêche du 18 au 22 mars, envoyée de Milan à lord Palmerston par Robert Campbell. Pour ce qui regarde la condition des combattants, voir le registre mortuaire des barricades, et Cattaneo, pag. 309.
  4. Voir un document dans le livre de Cattaneo, pag. 99.
  5. Cattaneo, pag. 68.
  6. Fiquelmont à Dietrichstein ; dépêche du 5 avril.
  7. Dépêche du marquis Pareto à l’honorable Ralph Abercromby.
  8. Abercromby à lord Palmerston.
  9. Normanby à Palmerston.
  10. Dépêche du 25, d’Abercromby à Palmerston.
  11. Pareto à Ricci.
  12. Abercromby à Palmerston.
  13. Rome et Venise.