Souvenirs de 1848/2/5

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V

PRÉFACE DES
CONTES POUR LES JOURS DE PLUIE


PAR
ÉDOUARD PLOUVIER


Voici une série de Contes charmants qui amusent et qui attendrissent. Ils sont d’un talent jeune par le cœur, mûr par la réflexion. Ils sont d’un goût romantique, ils ne sont point d’un esprit satanique.

C’est quelque chose, c’est même beaucoup que de n’être pas satanique. La jeune école moderne, formée à celle qui fit une révolution dans les lettres, il y a déjà vingt-cinq à trente ans, a pris volontiers les défauts plus que les qualités des chefs de cette école. C’était dans l’ordre éternel des choses et des choses d’art en particulier. Le côté désolé du romantisme s’était montré excessif, et c’est même par là que le romantisme a péri, non pas comme richesse acquise, mais comme nouveauté sympathique.

C’est qu’il y a eu un moment où l’on eût pu l’appeler l’école du désespoir. Nous étions tous plus ou moins alors les fils de René : nous nous sentions atteints de cet amer désenchantement dont M. de Chateaubriand avait signalé l’invasion à son début. Il avait, le premier, ressenti et chanté avec éclat cette maladie de l’âme ; il nous l’avait inoculée dès nos jeunes ans. Le vent du siècle nous l’apportait fatalement ; le poème de René nous apprit à lui donner un nom, et à lui trouver des formes descriptives.

Plusieurs furent atteints bien réellement et ils en sont peut-être toujours très malades sans vouloir en parler davantage. Comme ce furent ceux-là qui surent rendre compte de leurs souffrances et y intéresser les autres, ce fut vite la mode d’être non seulement malade moralement, mais encore physiquement. De splénétique on devint poitrinaire, et l’école menaçait de devenir un hôpital, lorsque le public, voyant qu’on ne mourait pas plus dans celui-là qu’ailleurs, se lassa d’attendre des tombeaux et demanda autre chose.

Alors, aux poitrinaires, on vit succéder les furieux. Il y eut beaucoup plus de Lara que de René, et puis des don Juan à foison. Il y eut même des lycanthropes. On vit éclore une foule de productions véritablement enragées, où le délire, l’orgie, la fureur, la haine du genre humain, le mépris des femmes, le genre pacha, en un mot, étaient préconisés de la façon la plus bizarre. On m’a envoyé des manuscrits qui me sont tombés des mains au bout de quelques pages, comme des cauchemars écœurants, et j’ai été longtemps sans pouvoir me décider à lire la dixième partie des œuvres inédites ou publiées auxquelles on me priait de m’intéresser. Il y a eu pourtant énormément d’esprit et de talent dépensés dans cette mauvaise voie, pour satisfaire les goûts terribles du moment ; il faut bien se dire que, de tout temps, la mode a fait le plus grand tort possible à la naïveté ou à la sincérité individuelles, partant à la vérité qui est la mère des talents de bon aloi.

Ce qui nous a plu dans les Contes qu’on va lire, c’est l’absence d’affectation, c’est la bonne foi, et cette douceur de l’âme qui est une qualité bien appréciable après tant de féroces tentatives faites par des esprits peut-être excellents, pour paraître détestables. Celui qui a écrit ce recueil a cependant souffert, on le voit bien ; beaucoup souffert peut-être : mais il n’a renié ni le ciel ni les hommes. Son talent a conservé de la grâce, et c’est un signe certain que son cœur a gardé de la jeunesse. Grande rareté par le temps qui court ; grand mérite aussi, car il faut avouer que l’époque où nous vivons est de celles qui ébranlent violemment toutes les notions acquises à l’humanité, et qui amènent le doute et l’aigreur dans les têtes vives. Sachons donc beaucoup de gré aux hommes d’imagination, aux jeunes artistes, êtres impressionnables par excellence, qui croient et nous font croire encore à l’amitié, à l’honneur, au dévouement, à l’amour et à Dieu !

Nohant, 16 décembre 1852.