Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/07

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VII

Île Tristan assiégée

On peut dans un roman rompre la monotonie. Les romans historiques brodés sur la Fontenelle ont eu cet avantage. On a su grouper des épisodes d’amour, de famille… Le caractère du partisan ne prêtait guère cependant… le côté sentimental, ne pouvait je le suppose, donner grande saillie.

Ce n’est donc que par une chronique sèche qu’il est possible de rendre la note promise… la vérité de l’histoire, des dates, autant qu’il est possible.

Quand Vertot eut écrit son siège de Rhodes, on vint lui apporter des faits précis, exacts contredisant ceux qu’il avait avancés… mon siège est fait, se contenta-t-il de dire, nous n’avons donc là-dessus que des fleurs de Rhétorique, et non la vérité… pour ma part je tiens à me tenir à la vérité, ce sera aride, mais bref… le style n’est pas la vérité.

Remettons la situation au clair… quand le maréchal d’Aumont était venu au nom du roi combattre les ligueurs, surtout les Espagnols soutenaient dans la rade de Brest, il s’attarda près de ceux-ci, et les Espagnols étaient fortement retranchés dans le fort de Crozon, à la pointe sud-ouest de Roscanvel, ceux-ci soutinrent un siège de six semaines en septembre 1594… Le plus sérieux et le plus terrible qu’il y eût en Bretagne… une maladie pestilentielle ravagea les troupes, s’étendit jusqu’à Quimper, l’île Tristan fut épargnée, cependant d’Aumont n’y vint pas. Guy Eder n’est qu’un détrousseur de grand chemin, objectait le maréchal… ces propos n’émurent pas La Fontenelle… il ne s’en montra même pas froissé, était-il du reste le seul gentilhomme qui se livrât aux rapines ?

Les Espagnols étaient les alliés des ligueurs, et ceux-ci prépondérants dans la rade de Brest, garantissaient de ce coté le royaume prétendu de La Fontenelle, plus tard il songea aussi à se garantir du côté de la terre en laissant une garnison à Penmarc’h. Celle-ci en cas d’attaque de l’île serait venue inquiéter les assiégeants par derrière…

L’ambition de Guy Eder s’en accrut d’autant. Il avait nous l’avons dit, ramené de Penmarc’h une flotte véritable qui admirablement dirigée par les marins de la côte, écumait les plages de la baie de Douarnenez (ce qui ne lui était pas difficile), elle ruinait le commerce local… s’aventurant même plus loin, elle surprit un vaisseau anglais dans les parages de l’Iroise,… l’équipage eut beau réclamer pitié, il fut précipité dans les flots… il n’y avait donc plus de limites à son ambition… il songea un jour à se procurer des canons, et porta une pointe jusqu’à Brest. Bien que les Espagnols eussent été battus l’année précédente, Sourdéac, gouverneur de Brest eut vent du coup de main. À la tête de neuf vaisseaux il donna la chasse à ceux de La Fontenelle et les atteignit près de Camaret. Les ligueurs n’en avaient que trois… un des navires du partisan fut démoli et coulé bas… Les deux autres se hâtèrent de venir à l’abri du fort Tristan.

Croyez-vous que cet échec pût déconcerter l’aventurier ? au contraire, il donna à son plus adroit lieutenant, de Romar, seigneur de Murion, une mission d’espionnage. C’était de se rendre à Brest sous un déguisement de pêcheur.

Disons en passant que les archives de St-Brieuc, disent que cet envoyé était fort instruit pour son temps, et c’est chez sa sœur dans une communauté de Saint-Malo, qu’il avait dirigé Marie de Mézarnou.

L’échec reçu près Camaret, le dépit d’une tentative, surprise de nuit, avortée, détermina le partisan qui n’avait pu surprendre les canons. Un espion intelligent était nécessaire pour savoir ce que l’on pensait de lui là-bas.

La population de Brest, alors en 1596, n’était tout au plus que de 2,000 habitants disséminés à l’abri du château-fort. De Romar habile s’introduisit dans un cabaret fréquenté, survint un sergent d’armes qui dit : Bientôt nous allons déloger le bandit du fort Tristan, et vous bourgeois, si vous n’êtes pas des lâches, vous demanderez à suivre les troupes du gouverneur.

Au plus vite de Romar qui a tout compris revient prévenir son chef…

Le sergent avait dit vrai… Sourdéac part de Brest, accompagné de quelques seigneurs… Rosmadec, Molac, seigneur de Pont-Croix, le seigneur de Guingamp, etc., l’accompagnaient, quelques mauvais canons d’affût étaient trainés à la suite d’une nombreuse troupe qui prit par Châteaulin.

Marche discrète pour donner le change (on ignorait l’espionnage de de Romar). La troupe se dirige sur Penmarc’h, pour réduire en premier lieu la garnison mise par La Fontenelle. Cette diversion était intelligente, car celle-ci détruite dès lors qu’elle ne s’attendait pas à une attaque, ne saurait donner d’inquiétude quand on irait à l’île Tristan.

La garnison surprise se défendit vaillamment… mais les mauvais canons ruinèrent les palissades à bout portant… on fit un massacre de tous les routiers, une partie fut pendue au clocher.

La surprise de l’attaque de Penmarc’h fut grande à l’ile Tristan, dès qu’elle fut ébruitée… La Fontenelle était furieux quand il en eut la nouvelle, il vit bien que l’on allait venir ensuite à lui, il ne se découragea pas et rassembla tout son monde au fort Tristan, et attendit…

Sourdéac ne se pressa pas et voulut s’assurer de Quimper, qui regrettait plus que jamais le pardon fait par St-Luc.

Charles de Liscoët, évêque de Quimper, félicita Sourdéac au nom de Dieu et du roy… vous allez enfin anéantir ce terrible fléau… La ville elle-même s’engagea à prendre les dépenses de l’expédition à sa charge.

Les intentions étaient bonnes, mais promettre et tenir c’est deux, on le verra plus tard… on détestait tellement La Fontenelle que tous les vœux étaient pour Sourdéac, à la suite des promesses de Quimper, les royaux vinrent occuper Tréboul et les hauteurs de Douarnenez. Ils étaient bien jalonnés en fer à cheval, ils fermaient toutes les issues, eh bien et après, à quoi cela leur servait-il ? À haute mer, une ceinture d’eau assez forte les séparait… à basse mer aurait-on le temps d’approcher, au risque de se faire prendre par la nappe d’eau, et de se faire massacrer à la suite.

Le partisan demeurait peu inquiet du résultat, comme je l’ai déjà dit autre part, il faut se rapporter aux armes de l’époque, on ne connaissait pas les combats à longue portée… où pourrait-on essayer une escalade, soit de nuit soit de jour, comment pourrait-on se rencontrer dans un combat corps à corps, un à un ou même par petits groupes.

L’armée des royaux put bien s’installer à son aise, on n’y mit pas d’obstacle, et ce fut d’abord une vraie parade… ils s’aventuraient bien un peu, et La Fontenelle se contentait de temps en temps d’aller jeter le désordre dans les rangs des royaux… et quelques barques se trouvaient prêtes à reprendre les ligueurs qu’on ne pouvait poursuivre.

Au fort la discipline la plus sévère était observée par ordre. Le partisan donnant aux royaux le spectacle curieux de soldats paradant sans soucis des assiégeants, passant et repassant d’un air narquois.

On avait bien établi de terre quelques batteries, à quoi cela servait-il ?…

Les routiers s’asseyaient sur les remparts, aux fenêtres des maisons, sur la colline semblant compter les coups, faisant des gestes de gamin les plus grotesques, et depuis cette époque la pantomime n’a pu changer… quand ils comptaient les coups, de grands éclats de rire saluaient les boulets impuissants qui tombaient à l’eau à distance, on le comprend bien avec les tromblons de l’époque… et quand un groupe assez important de royaux ou d’officiers se trouvaient en vue du côté ennemi, le cri bruyant et souvent répété de vive le Baron de La Fontenelle se faisait entendre.

À une basse marée, Sourdéac commanda une attaque, Guy Eder le laissa déployer ses compagnies, braquer quelques mauvais canons, et il riait de son rire perfide quand quelques batteries cachées au fort firent une décharge qui tua beaucoup de royaux, et les forca à se retirer à la marée montante. La mer se chargea d’enlever les cadavres.

Sourdéac rassembla un conseil, les uns étaient pour une surprise de nuit… c’était hasardeux, on risquait de se faire prendre, l’île avait comme alliée la marée. L’avis qui prévalut était d’attendre l’arrivée de vaisseaux de Brest… et les plus sages disaient ; la famine seule viendra à bout de l’île Tristan.

Et comment la famine pourrait-elle en venir à bout ? Sourdéac ne se doutait nullement des approvisionnements accumulés à l’île… ensuite les bateaux allaient à la mer, et des pêches fructueuses venaient ravitailler les assiégés… rapportons-nous toujours aux armes de l’époque.

Un soir quatorze vaisseaux parurent à la pointe de la Chèvre, on les aperçut dans le lointain s’approcher. Sans délai dès le matin, ils vinrent s’embosser, canonnèrent le fort… On n’avait pas à redouter de ce côté un débarquement impossible, et l’artillerie de mer alors encore plus défectueuse que l’armée de terre, envoyait bien quelques boulets, mais ricochant à peine sur la falaise et tombant à la mer.

Sur ces entrefaites le temps devint mauvais, et les vaisseaux furent contraints de se réfugier sous ce que nous nommons le grand port, qui n’avait alors ni son môle, ni son fanal… Les navires royaux étaient impuissants à surveiller les barques de pêche, soit de nuit soit de jour… Les marins expérimentés choisissaient l’heure, la base et le moment… on ne songeait même pas à leur barrer la route.

Il fallait bien en finir cependant, et Sourdéac décida une attaque générale et par mer et par terre.

Ce n’était pas l’avis des vieux chefs, des barbes blanches, mais il est toujours des impatients, et parmi ceux-ci, se trouvaient deux jeunes hommes… un était Du Granec, le vaincu de Plogastel, et le chevalier de Treffilis du même âge que La Fontenelle, brûlant de le rencontrer dans une mêlée… On dit que pour celui-ci il y avait une rivalité de Boncourt.

Pour nous qui connaissons ces plages, reportons-nous à cette époque.

D’une part une forteresse admirablement fortifiée, c’est une justice que tous rendirent à La Fontenelle, n’oublions pas que c’était cent ans avant Vauban.

D’autre part, une plage de sable couverte d’hommes d’armes, d’arquebusiers à cheval, argoulets, mousquetaires, quelques pièces mal dirigées sur de mauvais affuts, tout cela attendant le moment propice pour l’attaque… Quand le moment est venu ils se mettent en branle, il y a même de l’ardeur, car on n’a que le temps strict… Une partie des ligueurs, gens aguerris fait une sortie subite, La Fontenelle commande, et le fidèle Rheunn ne le quitte pas suivant son habitude. Guy Eder s’attend à la rencontre de Treffilis, car il est prévenu, il le cherche même dans les groupes, car il ne tient pas à Du Granec… Les hommes sont pleins d’entrain, mais avec La Fontenelle une lutte corps-à-corps ne saurait durer, après quelques passes, le vaillant chevalier de Treffilis, tomba la gorge percée d’un coup d’épée… Ce jeune chef étaient fort aimé des siens qui avaient suivi la rencontre prévue, et dont ils virent l’issue, ils essayèrent bien de le venger mais tout était calculé par la défense, à un moment donné des troupes fraiches font irruption, prennent les royaux en flanc, essayent de les faire prendre par le flot qui survient à temps, pour faire les assaillants reculer, malgré la voix des chefs qui sont impuissants à dominer l’effroi que cause le flot qui s’approche… Les assaillants se retirent, mais quelques hommes dévoués emportent le cadavre du jeune Treffilis. Sur un ordre du partisan, les ligueurs renoncent à la poursuite, et rentrent à l’île triomphants, gais et contents, le cœur bien aise, et le cri de vive le baron de La Fontenelle se fait entendre. Les vaisseaux de Brest ne furent d’aucun appui car on n’avait pas à les redouter.

Le lendemain avec solennité, le corps de Treffilis fut inhumé dans la vieille église de Tréboul.

Et voici que ce siège durait depuis plus de 40 jours, tous les assauts avaient été infructueux… Sourdéac fit demander des secours promis à Quimper… mais hélas ! je l’ai dit : Promettre et tenir c’est autre chose.

On reçut une réponse évasive… Elle aurait dû être prévue vu les malheurs des temps et malgré la haine inspirée par le vainqueur… Il était impossible de donner un secours d’argent, quant aux troupes encore moins, on en avait trop besoin pour défendre Quimper.

Le vieux Sourdéac était exaspéré. Que n’eut-il pas donné pour tenir entre ses mains le cruel partisan ?

Lui Gouverneur de Brest, se voir contraint d’abandonner la place, et quelle place !… Il rassemble son conseil il est découragé… Puisque Quimper nous refuse assistance, puisqu’il est impossible de déloger l’oiseau de proie de son aire inaccessible, il serait folie de rester ici plus longtemps. Qui pourrait nous accuser de lâcheté ? Notre conscience n’est-elle pas là pour nous dire que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, nous avons fait notre devoir.

On fut unanime à l’approuver.

Quel fut l’étonnement de Guy Eder… Les vaisseaux qui n’avaient rien fait disparaissaient au large le lendemain, et les royaux aussi abandonnaient leurs retranchements… Le jour même La Fontenelle fit incendier Tréboul et les quartiers encore debout de Douarnenez… Ils avaient donné abri aux troupes du roi.

Et bien de Romar, dit-il, au seigneur de Murion, son lieutenant… On ne saurait me reprocher d’avoir donné à mon île, le nom de Guyon… n’est-ce pas mon royaume à moi… Les plus vaillants capitaines de la Bretagne sont contraints de fuir avec déshonneur, ils me laissent la place libre, ne le voyez vous pas ?

L’île Tristan, baron de La Fontenelle, est bien à vous, dit le lieutenant, il n’y a qu’un seul homme en France, un seul qui puisse vous en chasser… Quel est donc cet homme, dit fièrement Guy Eder… Le Béarnais, capitaine… Qu’il vienne, je l’attends, dit audacieusement le partisan, avec un air de défi non joué.

Mais auparavant, qu’il me laisse au moins le temps et le loisir de rendre visite au Duc de Mercœur, qui m’attend à Nantes, pendant la trêve qu’il a signée

Je pars un de ces premiers jours…