Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/08

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VIII

Vérité sur le voyage de La Fontenelle à Nantes

Mercœur avait on le sait bien, fait une trêve, entre temps comme il avait su que le partisan s’en souciait peu, il manifestait le désir de le voir à Nantes, ville dans laquelle il se trouvait attendant tout des circonstances, et il était obligé de feindre.

De son côté le parti du Roi, craignait que le Duc ne livrât les places dont il avait le commandement au roi d’Espagne, qui eut été trop heureux d’en prendre possession.

L’aventureux Guy Eder ne faillit pas à une visite, et n’avait-il pas des navires capturés à Penmarc’h et des marins expérimentés ? Comme toujours son fidèle Rheunn, de Poullan devait l’accompagner. Un des meilleurs voiliers est aménagé et il part, remontant la Loire… on ne redoutait guère alors les croiseurs de haute mer. Un messager vint prévenir le Duc de l’arrivée du hardi partisan. Mercœur le dit à ses amis intimes : Nous verrons aujourd’hui, le terrible comte de Cornouaille… Sans doute, vous voulez rire, dit son principal conseiller, un italien de Florence… si justice parlait, il ne faudrait pas parler du roi de la Basse Cornouaille, mais il faudrait lui donner nom, roi des pendus, c’est un mécréant, un brigand que la corde atteindra — Je te donne, mille sous, dit le duc, si tu te sens le courage de répéter cette phrase devant le baron de La Fontenelle, et sans en changer un mot !… Le timide conseiller répliqua : Monseigneur, je n’ai pas été dressé à me battre contre les loups… mais si votre altesse veut me croire, la venue de La Fontenelle à Nantes, lui sera plus funeste que la venue de Louis XI à Péronne ! Êtes-vous de cet avis, Messieurs… Faut-il pendre celui qui nous vient comme ligueur et allié ; pour ma part, je ne le ferai pas. Je vous convie à m’accompagner au port, pour recevoir mon fidèle et dévoué serviteur et allié,… cruel peut-être, mais toujours heureux… cela excuse bien des choses.

Ceci se disait dans la cour du château de Nantes… Le Florentin ne put qu’exprimer dans ses traits, le dégoût que lui inspirait la venue de l’objet indigne de la bienveillance du maître.

Que veux-tu, mon pauvre conseiller, la catholicité de Navarre fait tort à notre cause… avec sa messe et son absolution, ce diable de Béarnais, a renversé mes projets, il a presque ruiné ma fortune… — C’est votre faute, seigneur Duc, si vous aviez voulu en 1595, accepter la proposition de Duplessis-Mornay, la Bretagne restait votre propriété… mais, vous vouliez un duché tout catholique, vous teniez au Pape et à Rome, plus qu’à la couronne… ne vous plaignez pas, voilà votre malheur, n’en accusez personne.

Le Duc répondit sévèrement : Silence, tu deviens aussi hérétique, laisse-moi… le Florentin piqué répond : Amen et s’éloigne de mauvaise humeur, au moment où de grands cris partent du port… quelques hommes descendaient d’un beau navire… Le partisan descend aussitôt, il est fastueux dans ses vêtements, c’était une de ses manies, il aimait à frapper les yeux, à exciter l’admiration… Par dessus une étincelante armure, il portait une pelisse fourrée d’hermine : la tête recouverte d’un superbe casque que surmontait le légendaire panache rouge…… comme toujours la visière dorée était baissée : un superbe manteau recouvrait majestueusement le tout.

Vrai Dieu, dit le Duc, notre héros de la Cornouaille, n’est pas appauvri par la guerre — ces paroles sont restées historiques, commue les suivantes : à combien d’hommes ce beau manteau a-t-il coûté la vie ?… Le partisan avec suffisance énuméra ses hauts faits…… sans embarras, La Fontenelle s’était incliné devant le prince… sous des marques de soumission il témoigna tant de bonnes grâces que le Duc descendu de cheval, lui tendit la main.

Que le baron de la Fontenelle soit le bienvenu, dit Mercœur, ce nom fit circuler dans la foule un frémissement d’horreur, qui se laissa apercevoir… seigneur, dit le Duc, vous le voyez, la Cornouaille n’est pas seule à redouter votre nom, et le bon peuple de Nantes a entendu parler de vos prouesses.

Votre altesse doit à la terreur que j’inspire, la conservation de la bannière de l’union dans la basse Cornouaille.

Je vous en témoigne ma gratitude, et Guy Eder s’inclina. D’un air très affable le prince ajouta : Ouvrez un peu les rangs pour livrer passage à mon hôte et ami… à petits pas on gagna le château, à travers une foule de curieux. Guy Eder sûr de son effet, releva la visière, pour que chacun pût être frappé de la beauté de son visage toujours jeune.

Vous avez un beau titre, sire Duc, dit le partisan… le Duc devint soucieux ; je vais cependant y renoncer, c’est probable, et regardant Guy Éder fixement : Craindriez-vous pour vous, sire de La Fontenelle… Le maître de la Cornouaille a prouvé qu’il ne craint ni le bourreau ni les balles des gens du roy. Mais, est-ce donc, pour assister à l’abaissement de votre gloire que votre altesse, m’a fait venir ?… Non, dit fièrement le Duc, aucun danger ne menace ma gloire qui ne court aucun risque, tant que j’aurai une épée pour me défendre… si j’arrive peut-être à me décider à rendre les armes à Henri de Navarre, ce sera parce que je croirais le faire, accédant de la sorte, aux vœux des peuples bretons qui sont las de la guerre… j’espère que le baron de la Fontenelle suivra mon exemple.

Guy Éder resta atterré de ces ouvertures… non au courant des évènements, il n’était pas habitué à voir la ligue, telle qu’il la soutenait victorieusement à son île, comme pouvant être vaincue, il ne voulait pas la voir à son déclin… La ligue n’est donc plus, dit-il, nous verrons, et je ne désespère pas encore… Sire Duc, avez-vous donc traité avec les royaux ? Pas encore, dit Mercœur, mais je tenais à vous pressentir… une longue conversation resta secrète, et suivit ces paroles… Ils passèrent une longue heure ensemble loin du conseiller… Le soir, à la marée descendante, La Fontenelle reprenait la route de son île… mais il partait décidé on le verra bien à ne tenir aucun compte des paroles du Duc… mettre les armes à bas, jamais plutôt travailler pour mon propre compte. Mercœur me voyant partir plein de confiance, relèvera sa bannière… s’il se range, il ne peut forcer la Cornouaille à accepter la paix du roi… mon île, c’est mon royaume, je saurai m’y défendre et m’y maintenir.