Sulamite/2

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II


LA COUCHE EN BOIS


DE CÈDRE…






Tout ce que les yeux du roi convoitaient leur était aussitôt accordé, et nulle joie n’était refusée à son cœur. Le nombre de ses femmes était de sept cents, et il avait trois cents concubines, sans compter les esclaves et les danseuses. Et Salomon les tenait toutes sous le charme de son amour, car Dieu avait mis en lui une puissance intarissable de passion, ignorée du commun des hommes. Il aimait le visage clair, les yeux noirs, les lèvres rouges des hettéennes, dont la beauté éclatante et éphémère s’épanouissait aussi délicieusement et se fanait avec la même rapidité qu’une fleur de narcisse. Son amour allait également aux philistines ardentes, qui, pour rehausser l’éclat de leur teint de bronze, le charme de leur taille élancée et de leurs durs cheveux crépus, ornaient leurs poignets de bracelets d’or qui tintaient en s’entrechoquant. Elles chargeaient leurs épaules de cerceaux d’or, et leurs chevilles, de larges anneaux qu’une mince chaîne réunissait. Il aimait encore les petites ammoréennes, tendres et souples, de forme parfaite, dont la fidélité et la soumission en amour étaient devenues proverbiales ; les femmes de l’Assyrie aux yeux allongés par les fards, et dont le front et les joues étaient tatoués d’étoiles bleues ; les spirituelles filles de Sidon, instruites, gaies, habiles dans l’art du chant et de la danse, et qui savaient si bien jouer de la harpe, du luth et de la flûte, en se faisant accompagner d’un tambourin ; les égyptiennes à la peau jaune, infatigables en amour, terribles dans la jalousie ; les voluptueuses babylonniennes, dont le corps, sous les vêtements, était aussi lisse que le marbre, grâce à une pâte spéciale qui détruisait jusqu’au moindre duvet ; les vierges de la Bactriane aux cheveux et aux ongles teints en rouge de flamme et portant des culottes ; les moabites silencieuses dont les seins superbes conservaient leur fraîcheur durant les plus chaudes nuits de l’été ; les ammonites insouciantes et prodigués, à la chevelure de flammes, et dont le corps était d’une telle blancheur qu’il luisait dans l’obscurité ; les femmes fragiles aux yeux bleus, aux cheveux de lin, dont la peau avait une odeur suave et tendre et qui, amenées du Nord par le Baalbek, parlaient une langue mystérieuse aux habitants de la Palestine. Nombreuses étaient aussi les filles de Juda et d’Israël, aimées par le roi.

Il avait, de plus, partagé la couche de Balkiss—Makéda, reine de Saba, supérieure à toutes les femmes de l’univers par sa sagesse, sa beauté, et par la science de se renouveler sans cesse dans l’art de la passion. Salomon avait été aussi l’amant d’Avisaga la Sunamite dont la tendre et douce beauté avait réchauffé la vieillesse du roi David, et pour laquelle Salomon avait armé le bras de Vanéia, fils de Jodav, contre son frère aîné Adonia qu’il avait condamné à la mort; l’amant encore d’une pauvre vierge appelée Sulamite, que seule entre toutes les femmes, le roi aima de toute son âme.

La litière que Salomon avait commandée était du plus beau bois de cèdre, avec des piliers en argent, des accotoirs d’or représentant des lions couchés, et une tente toute en pourpre de Tyr. L’intérieur de cette tente était entièrement couvert de broderies d’or et de pierres précieuses — offrandes de l‘amour des femmes et des filles d’Israël.

Et lorsqu’aux jours des grandes fêtes il paraissait au milieu de son peuple, porté par de sveltes esclaves noirs, — en vérité, le roi semblait aussi beau qu’un lys dans la vallée de Saron !

Son visage était pâle, l’éclat de ses lèvres faisait penser à un ruban vermeil, et dans sa chevelure ondoyante, d’un noir bleuté, quelques cheveux blancs, parure de la sagesse, brillaient, telles les eaux vives qui, en filets argentés, tombent du haut des sombres rochers d’Aermon. De même, dans sa barbe noire, aux ondulations régulières, Selon l’usage des rois de l’Assyrie, quelques petits fils d’argent étincelaient. Quant à ses yeux, ils étaient sombres, comme l'agathe le plus foncé, comme un ciel d’été durant une nuit sans lune ; ses cils semblaient être deux flèches, ou encore, des rayons noirs, jaillis de deux étoiles, plus noires encore.

Nul homme au monde ne pouvait soutenir, sans baisser les yeux, le regard de Salomon, et la foudre de la colère dans les yeux du roi faisait tomber les hommes à ses pieds.

Il lui arrivait aussi d’avoir le cœur plein d’allégresse. Ces jours—là, le roi se grisait d’amour, de vin et de la douceur d’être tout-puissant. Parfois encore, il se réjouissait d’une belle et sage parole, dite à propos. Ses longs cils alors s’abaissaient à demi, jetant des ombres bleues sur son visage serein ; pareilles aux étincelles bleues jaillies de diamants noirs, les lueurs chaudes d’un tendre et doux sourire s’allumaient dans ses yeux, et telle était l’indicible beauté de ce sourire, qu’à sa seule vue les hommes étaient prêts à se livrer au roi, corps et âme. Et au seul nom du roi Salomon, prononcé devant elles, le cœur des femmes se troublait, comme à l’arôme de la myrrhe épandue, qui fait penser aux nuits d’amour.

Les mains du roi étaient blanches, douces, chaudes et belles comme celles d’une femme ; mais il y avait en ces mains une telle abondance de force vitale, que Salomon, par la simple imposition de ses paumes sur la tête des malades, guérissait les douleurs, les convulsions, la noire mélancolie et la rage.

A l’index de la main droite, le roi portait une gemme d’astérix, rouge comme le sang et qui répandait autour d’elle un rayonnement aussi doux que celui de la perle fine. Cette bague était déjà vieille de plusieurs siècles, et sur sa face intérieure on lisait, gravé dans la langue d’un ancien peuple, disparu à jamais: « Tout passe ».

Si grande était la puissance de son âme, que les bêtes mêmes obéissaient En Salomon, et quand ils le voyaient entrer dans leur gîte, les lions et les tigres venaient ramper à ses pieds, et, frottant leur museau contre ses genoux, lui léchaient les mains.

Et lui dont le cœur se réjouissait en voyant se refléter l’arc—en—ciel au fond des pierres précieuses, lui qui trouvait la joie dans le parfum des résines aromatiques de l’Egypte, dans le contact chatoyant de légers tissus, dans les sons suaves de la musique et dans le goût délicat du vin rouge, pétillant au fond d’un calice ciselé de Ninive; il aimait également à flatter de sa main les dures crinières des lions, le dos velouté des panthères noires et les pattes souples des léopards tachetés; il se plaisait à écouter les rugissements des bêtes féroces, à observer leurs mouvements puissants et harmonieux et à sentir l’odeur brûlante et fauve de leur haleine.

Tel était Salomon, selon le portrait qu’en a fait Josaphat, fils d’Achiloud, chroniqueur de l’époque.