Sulamite/1

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Traduction par Marc Semenoff et S. Mandel.
Édition du monde nouveau (p. 1-10).



I


DANS TOUTE SA GLOIRE…





Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau imprime-moi sur ton bras : car l’Amour est aussi fort que la Mort, et comme la Mort, cruelle est la Jalousie ; ses flèches sont des flèches de feu.
Le Cantique des Cantiques.


Le roi Salomon n’avait pas encore atteint l’âge mûr — quarante-cinq ans — mais déjà sa sagesse, sa beauté, le faste de sa vie, et la splendeur de sa cour lui avaient valu une renommée qui s’étendait bien loin, au delà de la Palestine. En Assyrie et en Phénicie, dans la Haute et la Basse-Égypte, depuis l’antique Tauride jusqu’à l’Yémen, depuis Persépolis jusqu’à Ismar, sur les rivages de la mer Noire, comme sur les îles de la Méditerranée, partout les peuples prononçaient son nom avec admiration, et nul, parmi les rois de son temps, ne pouvait l’égaler.

En l’an 480 depuis l’Exode des Enfants d’Israël, dans la quatrième année de son règne, au mois de Ziv, le roi avait entrepris, sur la montagne Morija, l’édification d’un temple grandiose consacré à l’Éternel, en même temps que la construction d’un palais à Jérusalem. Quatre-vingt mille tailleurs de pierres et soixante-dix mille porteurs de fardeaux travaillaient sans relâche dans les montagnes et dans les faubourgs de la ville, et dix mille bûcherons (ils étaient en tout trente-huit mille) se rendaient alternativement chaque mois au Liban. C’étaient quatre semaines de dur labeur qui devaient être suivis de deux mois entiers de repos. Des milliers d’hommes étaient occupés à lier en brelles les arbres coupés, et des centaines de marins à les transporter par mer jusqu’à Joppé où ils étaient façonnés par les artisans de Tyr, menuisiers et tourneurs habiles. Seule l’érection des pyramides de Khéfren, de Khitou et de Mycérinus à Giseh avait exigé une armée aussi innombrable de travailleurs.

Trois mille six cents hommes étaient préposés à la surveillance des travaux ; leur chef Asaria fils de Nathan, homme actif et cruel, avait la réputation de ne jamais dormir, dévoré qu’il était par le feu d’un mal secret et incurable.

Tous les plans du temple et du palais, les dessins des colonnes, comme ceux de la mer d’airain, les tracés des fenêtres, les ornements des murs et des trônes, tout cela était l’œuvre de l’architecte Hiram-Abi de Sidon, fils d’un chaudronnier de la tribu de Nephtali.

La construction de la maison de l’Éternel fut achevée au bout de sept ans, au mois de Bul ; celle du palais en demanda treize. Comme prix des solives en cèdre du Liban, des planches de cyprès et d’olivier et des rares bois de sitim et de tharsis ; pour d’énormes pierres précieuses, taillées et polies ; pour la pourpre, le cramoisi et le byssus brodé d’or ; pour les tissus de laine azurée ; pour l’ivoire et les peaux de moutons rouges ; pour le fer, l’onyx et le marbre ; pour les gemmes, les chaînes en or, les diadèmes, les tresses, les mouchettes, les filets, les fleurs, les éventaires, les veilleuses, et les flambeaux ; pour les gonds dorés des portes et les clous en or, d’un poids de soixante sicles chacun ; pour les coupes et les plats en or forgé ; pour les images de lions, de chérubins, de bœufs, de palmes et d’ananas, moulées ou sculptées dans de la pierre, – pour tout cela, Salomon avait offert à Hiram, roi de Tyr, une vingtaine de villes et de villages dans la terre de Galilée, – et Hiram avait trouvé ce présent insignifiant – tel était le luxe inoui déployé dans la construction du temple de l’Éternel, du palais de Salomon, et du petit palais de Millo, destiné à l’épouse du roi, la belle Astis, fille du pharaon d’Égypte, Sussakim. Quant à l’acajou qui servit plus tard pour les balustrades et les escaliers des galeries, les instruments de musique et les reliures des livres sacrés, il avait été offert à Salomon par la reine de Saba, la belle et sage Balkis, en même temps qu’une telle quantité d’aromates, d’huiles odoriférantes et de parfums précieux, qu’on n’en avait jamais vu autant en Israël.

D’année en année, les richesses du roi se multipliaient. Trois fois par an ses navires : Tharsis qui flottait sur la Méditerranée, et Hiram qui naviguait sur la mer Rouge, rentraient au port, rapportant d’Afrique de l’ivoire, des singes, des paons et des antilopes ; d’Égypte des chars richement ornés ; de Mésopotamie, des lions et des tigres vivants, ainsi que des peaux et des fourrures ; de Kouva, des coursiers aussi blancs que la neige ; le sable d’or pour six cent soixante talents par an, l’ébène et le bois de santal venaient du pays d’Ophir ; le roi Téglath-Phalazar envoyait d’Assur et de Kalak les tapis bigarrés aux dessins bizarres, présents offerts au roi Salomon ; la mosaïque artistique venait de Ninive, de Nimroud et de Sargon ; Khatoire fournissait de merveilleux tissus façonnés, Tyr des coupes en or forgé, Sidon des vitraux de couleur, et Pount, près de Bab-el-Mandeb, des parfums précieux : le nard, le cynnamon, l’aloès, l’ambre, le safran, le musc, la myrrhe et le ben join – toutes ces substances pour la possession desquelles les pharaons d’Égypte avaient déjà livré plus d’une guerre sanglante Quant à l’argent, il n’avait, du temps de Salomon, pas plus de valeur qu’une pierre commune, et l’acajou n’était guère plus estimé que les simples sycomores qui croissent dans les vallées.

Le roi avait fait aménager des thermes en pierres revêtues de porphyre, des bassins de marbre et de fraîches fontaines et l’on y avait dirigé l’eau des sources qui, du haut de la montagne, se précipitaient dans le torrent du Cédron. Autour du palais, Salomon avait fait planter des bois et des jardins, et à Baal-Hamon, des vignobles.

Pour ses mules et les chevaux de ses chars, Salomon avait quarante mille crèches, et en possédait douze mille pour la cavalerie. Tous les jours, il arrivait des provinces une grande quantité de paille et d’orge pour l'entretien des chevaux. Dix bœufs gras et vingt bœufs pris dans les pâturages, trente cors de farine de froment et soixante cors de farine de toute espèce, cent baths de vins variés, et trois cents brebis, sans compter la volaille engraissée et un grand nombre de cerfs, de chamois et de gazelles, — tout cela, passant par les mains de douze intendants, fournissait quotidiennement la table de Salomon, celles de sa cour, de sa suite et de sa garde. Soixante guerriers, parmi les cinq cents plus forts et plus braves de toute l'armée, faisaient à tour de rôle la garde dans les appartements intérieurs du palais, et pour ces gardes du corps, Salomon avait fait faire cinq cents boucliers plaqués d’or.