Système de la nature/Partie 1/Chapitre 1

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s. n. (Tome 1p. 1-12).

PREMIERE PARTIE
De la Nature & de ses loix. De l’Homme. De l’Ame & de ses facultés. Du dogme de l’immortalité. Du bonheur.


CHAPITRE PREMIER

De la Nature.


Les Hommes ſe tromperont toujours quand ils abandonneront l’expérience pour des ſyſtêmes enfantés par l’imagination. L’Homme eſt l’ouvrage de la nature, il exiſte dans la nature, il eſt ſoumis à ſes loix, il ne peut s’en affranchir, il ne peut même par la penſée en ſortir ; c’eſt en vain que ſon eſprit veut s’élancer au delà des bornes du monde viſible, il eſt toujours forcé d’y rentrer. Pour un être formé par la nature & circonſcrit par elle, il n’exiſte rien au delà du grand tout dont il fait partie, & dont il éprouve les influences ; les êtres que l’on ſuppoſe au deſſus de la nature ou diſtingués d’elle-même ſeront toujours des chimeres, dont il ne nous ſera jamais poſſible de nous former des idées véritables, non plus que du lieu qu’elles occupent & de leur façon d’agir. Il n’eſt & il ne peut rien y avoir hors de l’enceinte qui renferme tous les êtres.

Que l’homme ceſſe donc de chercher hors du monde qu’il habite des êtres qui lui procurent un bonheur que la nature lui refuſe : qu’il étudie cette nature, qu’il apprenne ſes loix, qu’il contemple ſon énergie & la façon immuable dont elle agit ; qu’il applique ſes découvertes à ſa propre félicité, & qu’il ſe ſoumette en ſilence à des loix aux quelles rien ne peut le ſouſtraire ; qu’il conſente à ignorer les cauſes entourées pour lui d’un voile impénétrable ; qu’il ſubiſſe ſans murmurer les arrêts d’une force univerſelle qui ne peut revenir ſur ſes pas, ou qui jamais ne peut s’écarter des regles que ſon eſſence lui impoſe.

On a viſiblement abuſé de la diſtinction que l’on a faite ſi ſouvent de l’homme phyſique & de l’homme moral. L’homme eſt une être purement phyſique ; l’homme moral n’eſt que cet être phyſique conſidéré ſous un certain point de vue, c’eſt-à-dire, relativement à quelques-unes de ſes façons d’agir, dues à ſon organiſation particuliere. Mais cette organiſation n’eſt-elle pas l’ouvrage de la nature ? Les mouvemens ou façons d’agir dont elle eſt ſuſceptible ne ſont-ils pas phyſiques ? Ses actions viſibles ainſi que les mouvemens inviſibles excités dans ſon intérieur, qui viennent de ſa volonté ou de ſa penſée, sont également des effets naturels, des ſuites néceſſaires de son méchaniſme propre, & des impulſions qu’il reçoit des êtres dont il eſt entouré. Tout ce que l’eſprit humain a ſucceſſivement inventé pour changer ou perfectionner ſa façon d’être & pour la rendre plus heureuſe, ne fut jamais qu’une conséquence néceſſaire de l’eſſence propre de l’homme & de celle des êtres qui agiſſent ſur lui. Toutes nos inſtitutions, nos réflexions, nos connoiſſances n’ont pour objet que de nous procurer un bonheur vers lequel notre propre nature nous force de tendre ſans ceſſe. Tout ce que nous faiſons ou penſons, tout ce que nous ſommes & ce que nous ſerons n’eſt jamais qu’une ſuite de ce que la nature univerſelle nous a faits : toutes nos idées, nos volontés, nos actions ſont des effets néceſſaires de l’eſſence & des qualités que cette nature a miſes en nous, & des circonſtances par lesquelles elle nous oblige de paſſer & d’être modifiés. En un mot, L’ART n’eſt que la Nature agissante à l’aide des inſtrumens qu’elle a faits.

La nature envoie l’homme nud & deſtitué de ſecours dans ce monde qui doit être ſon ſéjour ; bientôt il parvient à ſe vêtir de peau ; peu à peu nous le voyons filer l’or & la ſoie. Pour un être élevé au deſſus de notre globe, & qui du haut de l’atmoſphere contempleroit l’eſpèce humaine avec tous ſes progrès & changemens, les hommes ne paroitroient pas moins ſoumis aux loix de la nature lorſqu’ils errent tout nuds dans les forêts, pour y chercher péniblement leur nourriture, que lorſque vivant dans des ſociétés civilisées, c’eſt-à-dire enrichies d’un plus grand nombre d’expériences, & finiſſant par ſe plonger dans le luxe ils inventent de jour en jour mille beſoins nouveaux & découvrent mille moyens de les ſatisfaire. Tous les pas que nous faiſons pour modifier notre être ne peuvent être regardés que comme une longue ſuite de cauſes & d’effets, qui ne ſont que les développemens des premieres impulſions que la nature nous a données. Le même animal, en vertu de ſon organiſation, paſſe ſucceſſivement de beſoins ſimples à des beſoins plus compliqués, mais qui n’en ſont pas moins des ſuites de ſa nature. C’eſt ainſi que le papillon dont nous admirons la beauté, commence par être un œuf inanimé, duquel la chaleur fait ſortir un ver, qui devient chryſalide, & puis ſe change en un inſecte aîlé, que nous voyons s’orner des plus vives couleurs : parvenu à cette forme, il se reproduit & ſe propage ; enfin dépouillé de ſes ornemens, il eſt forcé de diſparoître après avoir rempli la tâche que la nature lui impoſoit, ou décrit le cercle des changemens qu’elle a tracés aux êtres de son eſpece.

Nous voyons des changemens & des progrès analogues dans tous les végétaux. C’eſt par une ſuite de la combinaiſon, du tiſſu, de l’énergie primitive donnés à l’aloës par la nature, que cette plante inſensiblement accrue & modifiée, produit au bout d’un grand nombre d’années des fleurs qui ſont les annonces de ſa mort.

Il en eſt de même de l’homme qui, dans tous ſes progrès, dans toutes les variations qu’il éprouve, n’agit jamais que d’après les loix propres à ſon organiſation & aux matieres dont la nature l’a compoſé. L’Homme phyſique eſt l’homme agiſſant par l’impulſion de cauſes que nos ſens nous font connoitre ; l’homme moral eſt l’homme agiſſant par des cauſes phyſiques que nos préjugés nous empêchent de connoître. L’Homme Sauvage eſt un enfant dénué d’expérience, incapable de travailler à ſa félicité. L’Homme policé eſt celui que l’expérience & la vie ſociale mettent à portée de tirer parti de la nature pour ſon propre bonheur. L’Homme de bien éclairé eſt l’homme dans ſa maturité ou dans ſa perfection [1]. L’homme heureux eſt celui qui ſçait jouir des bienfaits de la nature ; l’homme malheureux eſt celui qui ſe trouve dans l’incapacité de profiter de ſes bienfaits.

C’est donc à la phyſique & à l’expérience que l’homme doit recourir dans toutes ſes recherches : ce ſont elles qu’il doit conſulter dans ſa religion, dans ſa morale, dans ſa légiſlation, dans ſon gouvernement politique, dans les ſciences & dans les arts, dans ſes plaiſirs, dans ſes peines. La nature agit par des loix ſimples, uniformes, invariables que l’expérience nous met à portée de connoître; c’eſt par nos ſens que nous ſommes liés à la nature univerſelle, c’eſt par nos ſens que nous pouvons la mettre en expérience & découvrir ſes ſecrets ; dès que nous quittons l’expérience nous tombons dans le vuide où notre imagination nous égare.

Toutes les erreurs des hommes ſont des erreurs de phyſique ; ils ne ſe trompent jamais que lorſqu’ils négligent de remonter à la nature, de conſulter ſes regles, d’appeller l’expérience à leur ſecours. C’eſt ainſi que faute d’expériences ils ſe ſont formés des idées imparfaites de la matiere, de ſes propriétés, de ſes combinaiſons, de ſes forces, de ſa façon d’agir ou de l’énergie qui réſulte de ſon eſſence ; dès lors tout l’univers n’eſt devenu pour eux qu’une ſcène d’illusions. Ils ont ignoré la nature, ils ont méconnu ſes loix, ils n’ont point vu les routes néceſſaires qu’elle trace à tout ce qu’elle renferme. Que dis-je ! Ils ſe ſont méconnus eux-mêmes ; tous leurs ſyſtêmes, leurs conjectures, leurs raiſonnemens dont l’expérience fut bannie ne furent qu’un long tiſſu d’erreurs & d’abſurdités.

Toute erreur eſt nuiſible ; c’eſt pour s’être trompé que le genre humain s’eſt rendu malheureux. Faute de connoître la nature, il ſe forma des Dieux, qui ſont devenus les ſeuls objets de ſes eſpérances & de ſes craintes. Les hommes n’ont point ſenti que cette nature, dépourvue de bonté comme de malice, ne fait que ſuivre des loix néceſſaires & immuables en produiſant & détruiſant des êtres, en faiſant tantôt ſouffrir ceux qu’elle a rendu ſenſibles, en leur diſtribuant des biens & des maux, en les altérant ſans ceſſe : ils n’ont point vû que c’étoit dans la nature elle même & dans ſes propres forces que l’homme devoit chercher ſes beſoins, des remedes contre ſes peines & des moyens de ſe rendre heureux ; ils ont attendu ces choſes de quelques êtres imaginaires qu’ils ont ſuppoſé les auteurs de leurs plaiſirs & de leurs infortunes. D’où l’on voit que c’eſt à l’ignorance de la nature que ſont dues ces puiſſances inconnues, ſous lesquelles le genre humain a ſi longtems tremblé, & ces cultes ſuperſtitieux qui furent les ſources de tous ſes maux.

C’est faute de connoître ſa propre nature, ſa propre tendance, ſes beſoins & ſes droits que l’homme en ſociété est tombé de la liberté dans l’eſclavage ; il méconnut ou ſe crut forcé d’étouffer les deſirs de son cœur, & de ſacrifier ſon bien être aux caprices de ſes chefs ; il ignora le but de l’aſſociation & du gouvernement ; il ſe ſoumit ſans réſerve à des hommes comme lui, que ſes préjugés lui firent regarder comme des êtres d’un ordre ſupérieur, comme des Dieux ſur la terre ; ceux-ci profitèrent de ſon erreur pour l’aſſervir, le corrompre, le rendre vicieux & miſérable. Ainſi c’eſt pour avoir ignoré ſa propre nature que le genre humain tomba dans la ſervitude, & fut mal gouverné.

C’est pour s’être méconnu lui-même & pour avoir ignoré les rapports néceſſaires qui ſubſistent entre lui & les êtres de ſon eſpèce, que l’homme a méconnu ſes devoirs envers les autres; il ne ſentit point qu’ils étoient néceſſaires à ſa propre félicité. Il ne vit pas plus ce qu’il ſe devoit à lui même, les excès qu’il devoit éviter pour ſe rendre ſolidement heureux, les paſſions auxquelles il devoit réſister ou ſe livrer pour ſon propre bonheur ; en un mot il ne connut point ſes véritables intérêts. De là tous ſes déréglemens, ſon intempérance, ſes voluptés honteuſes, & tous les vices auxquels il ſe livra aux dépens de ſa conſervation propre & de ſon bien être durable. Ainſi c’eſt l’ignorance de la nature humaine qui empêcha l’homme de s’éclairer ſur la morale; d’ailleurs les gouvernemens dépravés auxquels il fut ſoumis l’empecherent toujours de la pratiquer quand même il l’auroit connue.

C’est encore faute d’étudier la nature & ſes loix, de chercher à découvrir ſes reſſources & ſes propriétés que l’homme croupit dans l’ignorance, ou fait des pas ſi lents & ſi incertains pour améliorer ſon ſort. Sa pareſſe trouve ſon compte à ſe laiſſer guider par l’exemple, par la routine, par l’autorité plutôt que par l’expérience, qui demande de l’activité, & par la raiſon qui exige de la réflexion. De là cette averſion que les hommes montrent pour tout ce qui leur paroit s’écarter des regles auxquelles ils ſont accoutumés ; de là leur respect ſtupide & ſcrupuleux pour l’antiquité & pour les inſtitutions les plus inſenſées de leurs peres ; de là les craintes qui les ſaiſiſſent quand on leur propoſe les changemens les plus avantageux ou les tentatives les plus probables. Voilà pour quoi nous voyons les nations languir dans une honteuſe léthargie, gémir ſous des abus tranſmis de ſiecle en ſiecle, & frémir de l’idée même de ce qui pourroit remédier à leurs maux. C’eſt par cette même inertie & par le défaut d’expériences que la médecine, la phyſique, l’agriculture, en un mot toutes les ſciences utiles font des progrès ſi peu ſenſibles & demeurent ſi longtems dans les entraves de l’autorité : ceux qui profeſſent ces sciences aiment mieux ſuivre les routes qui leur ſont tracées que de s’en frayer de nouvelles ; ils préferent les délires de leur imagination & leurs conjectures gratuites à des expériences laborieuses, qui ſeules ſeroient capables d’arracher à la nature ſes ſecrets.

En un mot, les hommes, ſoit par pareſſe, ſoit par crainte, ayant renoncé au témoignage de leurs ſens, n’ont plus été guidés dans toutes leurs actions & leurs entrepriſes que par l’imagination, l’entouſiasme, l’habitude, le préjugé & ſur-tout par l’autorité, qui ſçut profiter de leur ignorance pour les tromper. Des ſyſtêmes imaginaires prirent la place de l’expérience, de la réflexion, de la raison : des ames ébranlées par la terreur, & enivrées du merveilleux, ou engourdies par la pareſſe & guidées par la crédulité, que produit l’inexpérience, ſe créèrent des opinions ridicules ou adopterent ſans examen toutes les chimeres dont on voulut les repaître.

C’est ainſi que pour avoir méconnu la nature & ſes voies, pour avoir dédaigné l’expérience, pour avoir mépriſé la raiſon ; pour avoir deſiré du merveilleux & du ſurnaturel ; enfin pour avoir tremblé, le genre humain eſt demeuré dans une longue enfance dont il a tant de peine à ſe tirer. Il n’eut que des hypotheſes puériles dont il n’oſa jamais examiner les fondemens & les preuves ; il s’étoit accoutumé à les regarder comme ſacrées, comme des vérités reconnues dont il ne lui étoit point permis de douter un inſtant : ſon ignorance le rendit crédule ; ſa curiosité lui fit avaler à longs traits le merveilleux ; le tems le confirma dans ses opinions & fit paſſer de races en races ſes conjectures pour des réalités ; la force tyrannique le maintint dans ſes notions devenues néceſſaires pour aſſervir la ſociété ; enfin la ſcience des hommes en tout genre ne fut qu’un amas de menſonges, d’obſcurités, de contradictions, entremêlé quelquefois de foibles lueurs de vérité, fournies par la nature dont l’on ne put jamais totalement s’écarter, parce que la néceſſité y ramena toujours.

Élevons-nous donc au deſſus du nuage du préjugé. Sortons de l’athmosphere épaiſſe qui nous entoure pour conſidérer les opinions des hommes & leurs ſyſtêmes divers. Défions-nous d’une imagination déréglée, prenons l’expérience pour guide ; conſultons la nature ; tâchons de puiſer en elle-même des idées vraies ſur les objets qu’elle renferme ; recourons à nos ſens que l’on nous a fauſſement fait regarder comme ſuſpects ; interrogeons la raiſon que l’on a honteuſemenr calomniée & dégradée ; contemplons attentivement le monde viſible, & voyons s’il ne ſuffit point pour nous faire juger des terres inconnues du monde intellectuel ; peut-être trouverons-nous que l’on n’a point eu de raiſons pour les diſtinguer, & que c’est ſans motifs que l’on a ſéparé deux empires qui ſont également du domaine de la nature.

L’univers, ce vaſte aſſemblage de tout ce qui exiſte, ne nous offre par-tout que de la matiere & du mouvement : ſon enſemble ne nous montre qu’une chaîne immenſe & non interrompue de cauſes & d’effets : quelques-unes de ces cauſes nous ſont connues parce qu’elles frappent immédiatement nos ſens ; d’autres nous ſont inconnues, parce qu’elles n’agiſſent ſur nous que par des effets ſouvent très éloignés de leurs premieres cauſes.

Des matieres très variées & combinées d’une infinité de façons reçoivent & communiquent ſans ceſſe des mouvements divers. Les différentes propriétés de ces matieres, leurs différentes combinaiſons, leurs façons d’agir ſi variées qui en ſont des ſuites néceſſaires, conſtituent pour nous les eſſences des êtres ; & c’eſt de ces eſſences diverſifiées que réſultent les différens ordres, rangs ou ſyſtêmes que ces êtres occupent, dont la ſomme totale fait ce que nous appellons la nature.

Ainsi la nature, dans ſa ſignification la plus étendue, eſt le grand tout qui réſulte de l’aſſemblage des différentes matieres, de leurs différentes combinaiſons, & des différens mouvemens que nous voyons dans l’univers. La nature, dans un ſens moins étendu, ou conſidérée dans chaque être, eſt le tout qui réſulte de l’eſſence, c’eſt-à-dire, des propriétés, des combinaiſons, des mouvemens ou façons d’agir qui le diſtinguent des autres êtres. C’eſt ainſi que l’homme eſt un tout, réſultant des combinaiſons de certaines matieres, douées de propriétés particulieres, dont l’arrangement ſe nomme organiſation, & dont l’eſſence eſt de ſentir, de penſer, d’agir, en un mot de ſe mouvoir d’une façon qui le diſtingue des autres êtres avec lesquels il ſe compare : d’après cette comparaiſon l’homme ſe range dans un ordre, un ſyſtême, une claſſe à part, qui differe de celle des animaux dans lesquels il ne voit pas les mêmes propriétés qui ſont en lui. Les différens ſyſtêmes des êtres, ou, ſi l’on veut, leurs natures particulieres, dépendent du ſyſtême général, du grand tout, de la nature univerſelle dont ils font partie, & à qui tout ce qui exiſte est néceſſairement lié.

NB. Après avoir fixé le ſens que l’on doit attacher au mot Nature, je crois devoir avertir le lecteur, une fois pour toutes, que lorſque dans le cours de cet ouvrage, je dis que la nature produit un effet, je ne prétends point perſonnifier cette nature, qui eſt un être abſtrait ; mais j’entends que l’effet dont je parle eſt le réſultat néceſſaire des propriétés de quelqu’un des êtres qui compoſent le grand enſemble que nous voyons. Ainſi quand je dis la nature veut que l’homme travaille à ſon bonheur, c’eſt pour éviter les circonlocutions & les redites, & j’entends par là qu’il eſt de l’eſſence d’un être qui ſent, qui penſe, qui veut, qui agit, de travailler à ſon bonheur. Enfin j’appelle Naturel ce qui eſt conforme à l’eſſence des choſes ou aux loix que la nature preſcrit à tous les êtres qu’elle renferme, dans les ordres différens que ces êtres occupent, & dans les différentes circonſtances par leſquelles ils ſont obligés de paſſer. Ainſi la ſanté eſt naturelle à l’homme dans un certain état ; la maladie eſt un état naturel pour lui dans d’autres circonſtances, la mort eſt un état naturel du corps privé de quelques-unes des choſes néceſſaires au maintien, à l’exiſtence de l’animal &c. Par ESSENCE, j’entends ce qui constitue un être ce qu’il eſt, la ſomme de ſes propriétés ou des qualités d’après lesquelles il exiſte & agit comme il fait. Quand on dit qu’il eſt de l’eſſence de la pierre de tomber, c’eſt comme ſi l’on diſoit que ſa chûte eſt un effet néceſſaire de ſon poids, de ſa denſité, de la liaiſon de ſes parties, des élémens dont elle eſt compoſée. En un mot l’eſſence d’un être eſt ſa nature individuelle & particuliere.


  1. Ciceron dit eſt autem virtus nihil aliud quam in ſe perfecta & ad ſummum perducta natura. V. de Legibus I. cap.