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TITRE OEUVRE/L’Amour à passions/13

La bibliothèque libre.
Jean Fort (p. 207-211).

XIII

L’Affaire X…


Elle a fait grand bruit.

L’on ne s’ennuya pas aux audiences. Ce fut, d’ailleurs, à la fois, grotesque et lamentable.

Les faits sont, certainement, encore présents à la mémoire de tous.

M. X., directeur d’un journal de chantage politique, membre de plusieurs ligues contre la traite des blanches et la prostitution, chargé officiellement par le Gouvernement d’étudier leur répression, est, un jour, arrêté en compagnie de sa maîtresse et plusieurs proxénètes, pour détournement et excitation de mineurs et mineures à la débauche.

Et quels mineurs ! Des enfants de onze, douze, treize ans !

Il les recevait chez lui, à Paris, ou, même, se les faisait expédier jusque dans sa villa de Cannes !

Lors de son arrestation, il ne se laissa pas démonter : il prétendit que c’était un coup monté par ses ennemis politiques ! Il menaça de révélations sensationnelles. Les journaux de son parti le défendirent ardemment. On faillit le relâcher !

Vraiment, c’eût été dommage ! Nous n’eussions pas connu le commerce auquel se livrent les tenancières de maisons de rendez-vous !

La Loi ne nous permet malheureusement pas de raconter le procès en détails. Nous pourrions essayer de dépeindre le triste défilé des petites martyres que des mères infâmes n’avaient pas craint de vendre au satyre et à sa maîtresse. Laissons ces pauvres gosses en paix.

Et contentons-nous de reproduire quelques-unes des lettres qui furent lues à l’audience : elles décriront suffisamment la mentalité de ce détraqué et des matrones de Paris :

« Chère, Envoie-moi jeudi, sans faute, de trois à quatre, deux petits numéros, blonds de préférence. Mais, pas de blague, hein ? ne m’expédie pas, comme la dernière fois, deux chameaux : elles avaient au moins quatorze ans ! Je ne te les demande pas avec leur acte de naissance. Mais, j’y mets le prix, sois honnête ! »

Autre lettre :

« Je pense que tu te fiches de moi. Ce sera tant pis pour toi. Il ne manque pas de maquerelles à Paris. La grosse B…y ou Cécile me fourniront tout ce que je leur demanderai. La première m’enverra sa propre fille si je la lui demande. Quant à toi, si tu m’embêtes, je ferai fermer ta boutique, ce n’est pas pour rien que je fais partie de plusieurs ligues moralisatrices. »

Autre lettre :

« Tes deux derniers colis étaient bien. Seulement l’un avait les ongles sales. Je ne te demande pas, pardi, des filles d’impératrices, mais tu pourrais dire à tes élèves d’acheter deux sous de citron et s’en laver le bout des doigts. Et puis, pendant que tu y seras, tu leur recommanderas de ne pas employer du savon trop bon marché ou de l’eau de Cologne à deux francs le litre : ça pue. Et les dessous ! bon Dieu ! fais soigner les dessous ! les dessous et les dessus ! je n’aime pas les jupes crottées, tu le sais pourtant bien. Et, surtout, des escarpins vernis, à hauts talons ; pas de bottines. »

Autre lettre :

« Ah non ! Tu m’envoies un numéro avec des tatouages ! Pas de ça, Lisette ! Nous ne sommes pas sur les fortifs ! Et puis, je ne suis pas gâteux, je ne suis pas un sénateur (mais, je le deviendrai !), je n’ai pas besoin de tatouages obscènes pour m’exciter ! Mais l’autre numéro était bien. Seulement n’avait-il pas déjà servi ? Avoue la vérité, vieille crapule ! Elle était rudement dessalée ! Trop pour son âge, trop pour une innocente. Elle ne donnait pas l’impression de la candeur. Ton fruit vert était mûr. Tâche donc de les dresser un peu, fais leur bien le boniment. Ci-joint vingt-cinq louis pour le prochain envoi, mais soigne-le. As-tu dans ta collection une rousse, une vraie rousse, ou une mulâtresse — pas une négresse, hein ? Ça me changerait un peu. Si tu pouvais me trouver une petite mulâtresse avec des étoffes jaunes, bleues, vertes, des couleurs criardes, ça me ferait plaisir. »

X. fut condamné à un an de prison, sa maîtresse à six mois. Franchement, ça valait mieux que ça !

Nous avons oublié de dire que X., comme beaucoup d’autres, trouvait les adresses de ces complaisantes proxénètes dans une feuille tri-hebdomadaire appartenant à deux individus, dont l’un, bien que marié, était l’amant de la sœur de l’autre ; il avait marié celle-ci dont il avait un enfant à l’un de ses employés, et était le parrain du petit. Sa femme légitime mourut — empoisonnée, dit-on — ; il pria, alors, son employé de divorcer, et épousa son ex-maîtresse, de sorte qu’il se trouve le beau-père de son fils légitime. Et l’associé, le frère de la jeune personne, regarde tout cela tranquillement.

Quel monde délicieux !