Tableau de Paris/562

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CHAPITRE DLXII.

Jours ouvrables.


Dans les pays catholiques, les fêtes occupent la quatrieme partie de l’année. On vient d’en supprimer treize à quatorze, après un demi-siecle de réclamations. Il y en avoit quelquefois cinq de suite, & assez souvent trois. On auroit dû les rejeter toutes au dimanche ; mais la superstition a bataillé, & le bien ne s’est fait qu’à moitié.

Savez-vous quel est le corps qui seroit le plus fâché de la réforme entiere, & qui s’y oppose le plus par ses discours ? C’est la ferme générale, parce que ces jours-là l’église donne le signal d’aller au cabaret, & que l’on ne voit que des ivrognes qui y consument le gain d’une semaine.

Le peuple appelle jours ouvrables les jours que les boutiques ne sont pas fermées ; distinction que ne connoissent pas les gens du beau monde, tous les jours de la semaine étant égaux pour leurs plaisirs.

C’est un jour de fête qu’il faut voir l’affluence du peuple aux Champs-Élysées, aux Boulevards, & considérer ces phalanges bigarrées de promeneurs qui offrent une variété bizarre, de physionomies & d’accoûtremens. Là, vous pourrez lire sur le front du Parisien si ce que j’ai écrit de son air soucieux, gêné ou compassé, n’est pas vrai ; & si l’étranger qui lui attribuoit, il y a soixante ans, un air riant, libre, ouvert, dégagé, n’est pas autorisé à prononcer aujourd’hui qu’il a dans ses manieres quelque chose de contraint & de triste.

Je parle de la petite bourgeoise, la classe assurément la plus nombreuse, & dont l’attitude & le regard me paroissent exprimer un caractere souffrant : indice d’une vie contentieuse & pénible. Le peuple, quand il travaille, me paroît plus gai que lorsqu’il se promene.

Rien ne doit plus étonner que de le voir s’amonceler dans un jardin public, & là ne faire autre chose, pendant une après-dînée entiere, que de parcourir les allées & s’asseoir sur des bancs ou des chaises. On voit qu’il ne sait se créer aucun amusement, & qu’un jour de fête est encore pour la petite bourgeoise un jour où il ne faut rien dépenser ; car l’avertissement pressant de la capitation, envoyé par le terrible receveur & qui menace de poursuivre, semble écrit sur toutes les physionomies.

Ce receveur de capitation est un rabat-joie perpétuel, un publicain décidé ; c’est une espece de financier dont on vient d’ériger l’emploi fatal en charge, & qui va rechercher des têtes contribuables jusques dans les flancs des veuves. Il vous impose arbitrairement ; & l’on a beau lui dire, ma tête vaut peu de chose, il vous soutient que votre tête est excellente pour lui payer tant. Dès que son tarif est tracé, rien ne l’efface, pas même le malheur imprévu. Le mort paie la capitation, dès que sa vie a entamé de quinze jours l’année financiere.