CHAPITRE VI
PROPAGATION RECTILIGNE DE LA LUMIÈRE
80. Étude des ondes sphériques. — Jusqu’ici nous
n’avons considéré que des solutions très particulières des
équations du mouvement, celles qui correspondent aux ondes
planes.
Nous allons chercher à généraliser notre étude et considérer
d’autres solutions de ces équations. Rappelons d’abord leur
forme.
En posant :
nous avons trouvé
ou
en prenant :
En général nous supposerons , et les équations se
réduiront à
étant de plus assujettis à la condition
Si nous nous plaçons au point de vue de la théorie électromagnétique,
nous aurons les mêmes équations pour la force
magnétique et pour la force électrique
avec
et
avec
Comme dans le premier cas, le problème se ramène à trouver
trois solutions de l’équation fondamentale, ces trois solutions
devant obéir à une relation différentielle.
81. Mais le problème peut se simplifier encore, car il suffit
de trouver trois solutions indépendantes de l’équation pour
former celles qui nous conviennent.
Soient en effet, trois solutions indépendantes de
l’équation fondamentale
(1)
|
|
|
Faisons :
ainsi déterminés satisferont à toutes les conditions.
En effet, puisque sont des solutions de l’équation
fondamentale, on a :
Retranchons la deuxième de la première, il vient :
Il est facile en outre de vérifier que :
identiquement. Les fonctions satisfont donc bien aux
conditions demandées.
82. De même pour les équations de la théorie électromagnétique,
il suffira de trouver trois solutions indépendantes de
l’équation fondamentale ; à l’aide de celles-là, on pourra en
former d’autres vérifiant l’équation de continuité.
Soient en effet trois fonctions satisfaisant à l’équation :
Posons :
On vérifierait comme dans le cas précédent que ces fonctions
sont bien des solutions de l’équation fondamentale ;
sont formés avec
comme avec et
ces dérivées satisfont aussi à l’équation fondamentale. Il est aisé de voir aussi qu’on a identiquement
En ce qui concerne la force électrique, si je remplace
par leurs expressions dans les relations
je trouve :
en posant pour abréger :
Intégrons par rapport à en supposant que toutes les quantités
soient nulles à l’origine du temps, il viendra :
Hertz a procédé de cette façon dans l’étude de son excitateur : il a pris :
et
étant le rayon vecteur Cette fonction satisfait
à l’équation fondamentale ; elle est finie et continue en
tout point, sauf à l’origine des coordonnées.
Mais cette solution particulière ne peut pas représenter ce
qui se passe dans une onde lumineuse sphérique telle que
nous les observons habituellement, c’est-à-dire une onde
sphérique produite par une source de dimensions infiniment
petites, assimilable à un point lumineux, et étudiée en un
point très éloigné de la source. Supposons l’excitateur placé
à l’origine et une sphère de rayon très grand ayant son centre
à l’origine : il est facile de voir que pour les points de cette
sphère l’intensité est proportionnelle au carré du sinus de
l’angle que fait le rayon vecteur avec Au contraire, avec
une onde lumineuse naturelle, l’intensité serait sensiblement
la même dans toutes les directions.
Pour que le calcul rende compte de ce qui se passe dans le
cas de l’onde lumineuse, il faut chercher une solution beaucoup
plus générale que celle de Hertz.
Nous pouvons d’abord remplacer la fonction de Hertz
par une quelconque de ses dérivées etc.,
ou par une combinaison linéaire de ces dérivées. Enfin, pour avoir la
solution la plus générale, il faudrait adopter pour les trois
fonctions des combinaisons linéaires des dérivées de
tous les ordres de cete fonction
83. Propagation rectiligne de la lumière parallèle. —
Poisson ne pouvait comprendre (cf. sa correspondance avec Fresnel) comment, dans la théorie des ondulations, il était
possible que la lumière se propageât en ligne droite.
C’est ce dont nous allons essayer de nous rendre compte.
Considérons un faisceau de rayons parallèles
est un très grand nombre ; il est égal à multiplié par le
nombre des oscillations par seconde ; est aussi un
très grand nombre, étant la longueur d’onde qui est très
petite.
Lorsqu’il s’agit d’une onde plane, sont des constantes :
il n’en est plus de même ici : nous supposerons que
sont fonctions de mais que ces fonctions ne
varient pas très rapidement, de telle sorte qu’elles soient continues
ainsi que leurs dérivées.
doit satisfaire à l’équation fondamentale :
Or, d’après la formule de Leibnitz,
en posant
Substituons et supprimons le facteur
ou
(1)
|
|
|
étant très grand, nous pouvons développer suivant les
puissances croissantes
Substituons dans l’équation et identifions les coefficients
des mêmes puissances de
Ces relations permettent de résoudre le problème.
En général les dérivées etc. seront finies, la seconde
équation donnera une valeur finie pour
sera négligeable
et il restera seulement avec
d’où :
Comme l’intensité est proportionnelle à on voit qu’elle
se propage dans la direction de avec une vitesse ce
qui explique pourquoi la lumière se propage en ligne droite.
Mais le faisceau ne pourra être aussi délié que nous le
voudrons. Supposons en effet que ce faisceau soit limité par
un cylindre de section très petite : aurait des valeurs très
grandes dans l’intérieur du cylindre et très petites à l’extérieur :
il faudrait donc que variât très rapidement sur les
bords du faisceau. Ses dérivées deviendraient très grandes et
ne serait plus négligeable, parce que deviendrait très
grand : il se produirait des phénomènes de diffraction.
En raisonnant sur et comme nous venons de le faire
sur nous arriverions aux mêmes conclusions.
En outre, doivent vérifier l’équation de transversalité :
qui devient, en substituant à leurs expressions et supprimant
le facteur
Développons suivant les puissances croissantes de
Faisons la substitution et égalons les coefficients des mêmes
puissances de
donc
Par conséquent est très petit, de l’ordre de et dans une
première approximation on peut prendre
À ce degré d’approximation, la vibration est donc parallèle
au plan de l’onde
84. Réflexion totale. — J’ai supposé jusqu’ici qu’on avait
affaire à une onde plane ordinaire, mais il ne sera peut-être
pas sans intérêt, on verra tout à l’heure pourquoi, d’examiner
ce qui se passe dans le cas des ondes planes évanescentes
produites par la réflexion totale.
Si l’onde lumineuse se réfléchit (la force électrique étant perpendiculaire au plan d’incidence), nous aurons en reprenant
les notations que nous avons déjà employées :
Pour l’onde incidente
Pour l’onde réfléchie
Et enfin pour l’onde réfractée
Au premier degré d’approximation, c’est-à-dire en supposant
la propagation perpendiculaire à l’onde, ce qui revient à négliger
les termes en l’équation (1) du numéro précédent
deviendrait :
puisque
Mais dans le numéro précédent nous avions supposé l’onde
parallèle au plan des nous ne faisons plus ici la même
hypothèse ; on trouve alors en se bornant toujours à la première
approximation :
(2)
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|
Écrivons maintenant les conditions aux limites ; et
doivent être continus quand on traverse la surface réfléchissante :
(3)
|
|
|
mais les dérivées par rapport à sont négligeables vis-à-vis
des autres termes, et on peut écrire :
(4)
|
|
|
Supposons qu’à l’origine nous ayons une perturbation se
propageant vers la surface réfléchissante, mais circonscrite
dans une certaine région, n’ayant aucun point commun avec
cette surface ; nous nous donnons qui est nul d’ailleurs en
dehors de la région considérée ; de même et sont nuls.
Nous pourrons calculer alors les valeurs de à un instant
ultérieur à l’aide des équations ci-dessus.
Si le milieu inférieur est le plus réfringent ou si le contraire
ayant lieu, l’angle limite n’est pas dépassé, il n’y a rien à
ajouter ; les trois équations (2) signifient que la propagation se
fait perpendiculairement au plan de l’onde. Mais, s’il y a
réflexion totale, devient imaginaire. Posons :
Alors :
La présence de ce cosinus a induit Cauchy en erreur. Il a
conclu que ce rayon se propageait parallèlement à c’est-à-dire à la surface réfléchissante avec une vitesse
et il a cru observer un tel rayon dans une lunette rasant la surface
réfléchissante. Mais cette observation n’a pas été vérifiée par
les expériences ultérieures, en particulier par les expériences
que M. Quincke a faites sur les anneaux colorés. Nous avons
vu qu’en faisant tomber de la lumière sur la base d’un prisme
à réflexion totale, au point de contact de cette base avec une
lentille, on observait des anneaux ou plutôt une tache lumineuse.
Si le rayon tombe en dehors du point de contact et que
le rayon réfracté se propage parallèlement à la surface comme
le veut Cauchy, on observera encore des anneaux : or rien de
pareil n’a été observé. Il est aisé de le comprendre.
Les équations (2) sont encore les mêmes pour les ondes
imaginaires, mais elles ne doivent plus recevoir la même
interprétation. Les deux premières montrent encore que le
rayon se propage perpendiculairement au plan d’onde, mais
la dernière n’a plus la même signification quand on y fait
imaginaire.
Les équations (3) et (4) nous apprennent d’abord quelles
sont les valeurs de sur la surface réfléchissante, et en
particulier que ces valeurs sont nulles en dehors des parties
de cette surface où tombent les rayons incidents.
La troisième équation (2) nous permettrait ensuite de calculer
en un point situé à distance finie de cette surface ;
mais cela est inutile ; en un pareil point, en effet, quel que soit
sera négligeable à cause du facteur qui
est très petit dès que atteint une valeur notable. Ainsi pas de lumière
près de la surface réfléchissante en dehors des points
où tombent les rayons incidents à cause des équations (3) et (4) ; pas de lumière non plus loin de cette surface à cause de
ce facteur exponentiel.
85. Étude des faisceaux très déliés. — Il est possible de
nous représenter d’une manière un peu plus précise le degré
de ténuité que peut prendre le faisceau lumineux sans que les
lois de la propagation soient changées. Considérons la fonction
de Bessel
Cette série est convergente quel que soit et il est aisé de
vérifier qu’elle satisfait à la relation :
Si nous construisons la courbe
Fig. 11.
cette courbe sera symétrique par rapport à l’axe des ; elle
coupe cet axe au point , et présente ensuite des ordonnées
maxima et minima qui vont en décroissant à mesure que
devient plus grand (fig. 11).
Pour suffisamment grand, est représenté asymptotiquement par
À partir d’un certain moment, est donc Ainsi
pour est toujours plus petit que
Reprenons l’équation fondamentale
Supposons en particulier que soit une fonction de de
et de autrement dit que ne change pas quand
les axes tournent d’un angle quelconque autour de
L’équation prend alors la forme :
Posons :
étant des constantes.
est la période, une quantité analogue à la longueur
d’onde Nous pourrons appeler longueur d’onde
apparente par opposition à la longueur d’onde normale
Pour que satisfasse à l’équation fondamentale, il faut que
ces quatre constantes soient liées par une relation. En effet :
puisque seul le facteur dépend de
Substituons ces valeurs dans l’équation et nous obtenons la
condition :
Cette formule nous apprend que n’est pas égal à mais
que
Mais nous ne pourrons pas supposer que cette différence
soit grande, car les phénomènes différeraient trop alors
des phénomènes lumineux pour qu’il nous soit permis d’appliquer
nos équations à ces derniers. La valeur de nous
donnera donc en quelque sorte une mesure de la finesse que
peut prendre un faisceau lumineux, sans que les lois de la
propagation soient troublées.
Pour plus de clarté, prenons quelques nombres. Posons par
exemple :
ou
D'après ce que nous avons vu, on a :
L’intensité lumineuse est proportionnelle à c’est-à-dire qu’elle sera plus petite que le de l’intensité en un point de
dès que l’on sera à une distance de cet axe égale ou supérieure
à
Si nous considérons par exemple un cylindre de révolution
autour de et de rayon égal à
µ
et que nous prenions nous trouverons que l’erreur
relative est inférieure à
Avec µ, c’est-à-dire un diamètre de un peu plus
de millimètre, cette erreur devient inférieure à
86. On serait tenté de croire, d’après ce qui précède, que la
vitesse de propagation d’un faisceau très délié est égale à
et par conséquent plus grande que la vitesse normale. Ce
serait une erreur.
Reprenons en effet la formule
et posons pour abréger
Jusqu’ici était considéré comme une constante : nous le
regarderons maintenant comme une fonction de et de
Substituons à son expression dans l’équation
On a :
Additionnons ces sept relations membre à membre et faisons
les réductions ; il vient :
D’autre part :
Or et sont des nombres très grands, les autres
facteurs sont de l’ordre de et
sont donc très grands
vis-à-vis de et les termes qui contiennent seulement
peuvent être négligés en regard de ceux qui contiennent ces dérivées.
Notre relation se réduira donc à :
Substituons aux dérivées leurs valeurs ; nous trouvons :
et par suite :
ou
L’intégrale générale de cette équation est la suivante :
La perturbation se propage donc avec une vitesse
Cette vitesse est donc moindre que la vitesse normale. Cette
différence n’a jamais été observée, ce qui prouve que
est toujours négligeable.
87. Propagation de la lumière non parallèle. — Pour
étudier ce qui se passe dans le cas où le faisceau est formé
de rayons qui ne sont pas parallèles, nous ferons un changement
de coordonnées.
Considérons trois fonctions de et les trois systèmes de surfaces :
Nous prendrons comme nouvelles coordonnées et
nous supposerons que les surfaces forment un système triple
orthogonal.
Considérons deux points dont les coordonnées soient
autrement dit deux points infiniment voisins
situés sur une normale à la surface j’appellerai
la distance de ces deux points. De même sera la distance
de deux points infiniment voisins
situés sur une normale à la surface la
distance des deux points etc.,
étant des fonctions de
On démontre alors que :
Et l’équation
devient dans ce nouveau système
Nous ferons en outre sur les systèmes de surfaces une
hypothèse particulière. Les surfaces seront des
surfaces parallèles : les trajectoires orthogonales
seront les normales communes à ces surfaces ; sera une longueur
Fig. 12.
comptée sur ces normales, la distance des deux points
,
sera et par suite
Considérons deux des
surfaces prenons sur la
première un élément d’aire
infiniment petit et
menons les normales en tous
les points de son contour :
le pinceau de normales
ainsi obtenu découpera sur
l’autre surface un élément
d’aire (fig. 12).
Soient et les valeurs
des coefficients et relatives
à et les valeurs relatives à
Nous aurons
Si donc nous posons :
sera aux différents points d’un même pinceau de normales
infiniment délié proportionnel à la section droite de ce pinceau.
Soit :
étant un très grand nombre (comme ci-dessus). est
une fonction quelconque de Je suppose que ces
dérivées sont finies, ce qui sera vrai en tous les points du
faisceau, sauf en général sur les bords.
Il résultera de cette hypothèse que les termes seront de
grandeur très différente suivant qu’ils contiendront en facteur
ou ne contiendront pas Aussi ne conserverons-nous
que les termes renfermant au moins en facteur.
Alors les termes
seront négligeables.
Posons pour abréger
il vient :
Le premier terme ne contenant pas est négligeable, il reste :
L’équation fondamentale devient donc : en remarquant que
les termes en se détruisent et supprimant les facteurs communs :
ou
comme est indépendant de
Intégrons
La perturbation se propage donc avec une vitesse
rectiligne dans la direction des normales
aux surfaces parallèles
L’amplitude varie comme et par suite l’intensité est
proportionnelle à c’est-à-dire qu’elle est en raison inverse de
la section du faisceau.
Il est à remarquer que cette formule contient toute l’optique
géométrique.
88. Les surfaces sont les surfaces de l’onde. Comme
cas particulier on peut supposer que ce sont des sphères, les
rayons lumineux se réduisent alors aux rayons de la sphère.
L’intensité est proportionnelle à mais dans le calcul actuel
donc
et
étant les coordonnées polaires définies par les
relations :
Nous avons à tenir compte encore de la condition de transversalité.
Soient :
Les fonctions ne sont pas indépendantes, mais elles
sont liées par une relation que nous obtiendrons précisément
en écrivant la condition de transversalité
Or
Le premier terme ne contient pas et est négligeable.
Donc :
La condition de transversalité s’écrira :
D’ailleurs
Si trois fonctions réelles des coordonnées d’un point
de la sphère satisfont à cette relation, il y a forcément sur la
sphère deux points au moins pour lesquels simultanément
et pour lesquels par conséquent l’intensité
lumineuse serait nulle. En effet, entre les deux relations :
on peut éliminer par exemple et obtenir une équation différentielle ordinaire. Cette équation représentera certaines
courbes tracées sur la sphère, ces courbes auront des points
singuliers pour lesquels (cf. mon Mémoire
sur les courbes définies par les équations différentielles,
Journal de Liouville, 3e série, tome vii).
En effet, on démontre que de semblables courbes ont des
points singuliers de deux espèces et que le nombre des points
singuliers de première espèce surpasse toujours de deux unités
celui des points de deuxième espèce. Il y aura donc toujours
sur la sphère au moins deux points singuliers pour ces
courbes.
Mais alors dans cette direction, étant nuls, l’intensité
lumineuse sera nulle. Or l’expérience montre que l’onde
sphérique n’est pas ainsi constituée et que l’intensité est la
même dans toutes les directions. Mais ceci n’infirme pas la
théorie : en effet, les coefficients sont variables ; par
exemple est une fonction de de
de Si nous
considérons un point sur une sphère donnée, dans une direction
donnée, ont des valeurs déterminées, mais varie
avec Cette variation des coefficients est très lente
relativement à la durée des vibrations, mais très rapide relativement
à nos unités ordinaires par exemple à la durée (¹/₁₀ de
seconde) de la persistance des impressions lumineuses sur la
rétine : dans cet intervalle, ont pris un grand nombre
de fois toutes les valeurs dont ils sont susceptibles, et on n’observe
que l’intensité moyenne. Il convient d’ajouter que la
phase ne sera pas la même dans toutes les directions et par
conséquent que seront imaginaires ; il y aura alors
une direction pour laquelle les parties réelles de
s’annuleront à le fois, et une autre pour laquelle les parties imaginaires seront nulles à la fois ; mais ces deux directions
ne coïncideront pas, de sorte qu’il n’y aura pas de direction
d’intensité nulle ; mais cette circonstance ne suffirait pas à
elle seule pour expliquer l’égalité d’intensité dans toutes les
directions.