Un fil à la patte/Acte III
ACTE III
Le théâtre est divisé en deux parties. La partie droite, qui occupe les trois quarts de la scène, représente le palier du deuxième étage d’une maison neuve ; au fond, escalier praticable, très élégant, montant de droite à gauche. Contre la cage de l’escalier, face au public, une banquette. Au premier plan, à droite, porte donnant sur l’appartement de Bois-d’Enghien ; bouton électrique à la porte ; à droite de la porte, un siège en X appareillé à la banquette. À gauche, premier plan, dans la cloison qui coupe le théâtre en deux, et formant vis-à-vis à la porte de droite, autre porte ouvrant directement sur le cabinet de toilette de Bois-d’Enghien. La porte se développe intérieurement dans le cabinet, de l’avant-scène vers le fond. C’est ce cabinet de toilette qui forme la partie gauche du théâtre. À gauche, deuxième plan, une fenêtre ouvrant sur l’intérieur. Au fond à gauche, face au public, une porte à un battant ouvrant extérieurement sur un couloir. À droite de la porte, grande toilette-lavabo avec tous les ustensiles de toilette, flacons, brosses, peignes, éponges, verre et brosse à dents, serviettes, etc. À gauche, premier plan, une chaise avec, dessus, des vêtements d’homme pliés ; au-dessus, un fauteuil. Entre le fauteuil et la fenêtre, une patère à laquelle est suspendu un peignoir de femme ; par terre, une paire de mules de femme. À la cloison de droite, près du lavabo, portemanteau à trois champignons. Les deux portes du palier sont munies à l’intérieur de vraies serrures ouvrant et fermant à clé.
Scène première
C’est épatant !… Le lendemain du soir où l’on a signé son contrat, ne pas être encore rentré à dix heures du matin ! C’est épatant ! (Il pose la bottine qu’il tenait et prend l’autre qu’il frotte également.) Moi, je ne pose pas pour la morale, mais quand on est fiancé on doit rentrer coucher chez soi… (Il souffle sur la bottine pour la faire reluire.) Ou alors on fait ce que je faisais… on couche avec sa future femme !… (Le fleuriste, qui est monté pendant ce qui précède avec une corbeille de fleurs sur la tête, s’arrête sur le palier, regarde la porte de droite et celle de gauche, et va sonner à droite.) Qui est-ce qui sonne ! Ça n’est pas monsieur, il a sa clé. (Indiquant la porte au fond qui ouvre sur le couloir.) Ah ! bien, si tu crois que je vais faire le tour pour t’ouvrir… (Il ouvre la porte du cabinet qui donne sur le palier.) Quoi ? qu’est-ce que c’est ?
Ah ! pardon !… le mariage Brugnot ?
Eh ! c’est au-dessus, le mariage Brugnot ! au troisième !
Le concierge m’a dit au deuxième.
Eh bien ! oui ! au-dessus de l’entresol.
Je vous demande pardon. (Jean referme la porte avec mauvaise humeur. Le Fleuriste monte au-dessus.)
C’est assommant ! C’est le sixième depuis ce matin pour le mariage Brugnot. Si ça continue, je mettrai un écriteau : « La mariée est au-dessus ! »
Scène II
(Bois-d’Enghien en habit, sous son paletot, l’air défait, la chemise chiffonnée, la cravate mise de travers, paraît sur le palier.)
En voilà une nuit ! (Il sonne à droite longuement.)
Allons, bon ! encore un pour le mariage Brugnot ! (Ouvrant brusquement la porte du cabinet de toilette sur le palier et d’un air dur.) C’est pas ici, c’est au-dessus !
Hein ?
Monsieur ! Comment, c’est Monsieur !
Vous voyez bien que c’est moi !
Oh ! Monsieur, dix heures du matin ! un lendemain de soirée de contrat ! Est-ce que c’est une heure pour rentrer ?
Ah ! fichez-moi la paix !
Oui, Monsieur !
Non, je vous conseille de parler… vous à cause de qui j’ai dû passer ma nuit à l’hôtel !
À l’hôtel, à cause de moi ?
Absolument ! Si vous aviez été là quand je suis rentré cette nuit… Mais non, j’ai eu beau sonner, carillonner…
Mais Monsieur n’avait donc pas sa clé.
Mais si !… je l’avais bien emportée ; seulement je l’ai oubliée dans le dos de quelqu’un !
Ah ! si Monsieur laisse sa clé n’importe où !
Est-ce que c’est ma faute !… D’abord pourquoi n’étiez-vous pas là ? Où étiez-vous ?
Monsieur le demande ! Mais chez ma femme ! chez Mme Jean… C’était mon jour… Monsieur sait bien qu’il m’a autorisé une fois par semaine à honorer Mme Jean.
Oui. Eh bien ! vous êtes embêtant avec Mme Jean.
Embêtant… pour Monsieur !
Naturellement, pour moi !
Ah ! oui ! parce que pour Mme Jean…
Qu’est-ce que ça me fait, Mme Jean. Je ne m’occupe que de moi là-dedans.
Je le vois, Monsieur.
Je vous demande un peu ce qu’elle a de si attrayant, Mme Jean !
Monsieur me dispensera de lui donner des détails… Je dirai seulement à Monsieur que je n’ai pas encore de petits Jean, et comme ce n’est pas Monsieur qui m’en donnera… ni personne…
Allons, c’est bon… Et tenez, au lieu de tenir des propos inutiles et pendant que j’y pense, à cette clé, vous allez me faire le plaisir d’aller toute de suite…
… La réclamer, oui, Monsieur. (Il remonte.)
Mais non ! mais non ! Attendez donc ! Je la laisse où elle est !… Mais d’aller chercher un serrurier pour qu’il me mette une autre serrure à laquelle mes anciennes clés ne pourront pas aller.
Ah ! bon, oui, Monsieur. (Il remonte pour sortir par le fond.)
Non, tenez, passez par là… ce sera plus vite fait.
Bien, Monsieur. Monsieur a là tout ce qu’il faut pour se changer.
Bon, bon, faites vite !
Scène III
Ah ! je m’en souviendrai de la nuit du 16 avril 1893 ! Elle doit être contente de son ouvrage, Lucette… Un scandale épouvantable ; moi, expulsé de la maison ; mon mariage fichu… Elle doit être contente. Oh ! mais si elle croit qu’elle l’emportera en paradis. (Il est en caleçon et va à sa toilette dont il fait couler le robinet pour remplir sa cuvette.) Et par-dessus le marché, cette nuit, dans cet hôtel… en habit… sans linge, sans rien de ce qu’il faut pour la toilette… J’ai dû coucher avec ma chemise de jour ! Ah ! je m’en souviendrai ! (Il se plonge la tête dans sa cuvette et se débarbouille.)
Mais non, mon ami, ça doit être là.
Tu crois ?
Mais oui, tu vois la porte est entre-bâillée comme ça se fait les jours de cérémonie !
Ah ! je veux bien. (Il entre carrément, suivi de sa femme, chez Bois-d’Enghien.) C’est drôle, tu crois que c’est là… ? (Il gagne le 1.)
Eh bien ! qu’est-ce que vous demandez ?
Oh ! (La dame passe à l’extrême gauche.)
Oh ! pardon !
Un homme déshabillé !
Qu’est-ce que vous voulez ?
Le mariage Brugnot, ça n’est pas ici ?
Mais vous le voyez bien que ce n’est pas ici… c’est au-dessus… En voilà des façons d’entrer quand je fais ma toilette.
Aussi, Monsieur, on ferme sa porte quand on est dans cette tenue.
Non, mais c’est ça, attrapez-moi encore ! Je ne vous ai pas prié d’entrer ! ce n’est pas « entrée libre » ici… Allez-vous-en, voyons ! Allez-vous-en ! (Il leur ferme la porte au nez.)
Quel butor !
Non, elle est bonne encore celle-là !… (Il s’essuie la figure.)
Mais tu vois ! Je savais bien que c’était au-dessus.
Qu’est-ce que tu veux, mamour, on peut se tromper. (Ils disparaissent.)
Il ne manque plus que de faire le métier de concierge ici ! Aussi c’est la faute à cet imbécile de Jean qui ne ferme pas sa porte en s’en allant.
Scène IV
Bois-d’Enghien… au deuxième ! C’est ici ! (Il sonne à droite.)
Allons, bon ! On sonne, et Jean qui n’est pas là. Qui est-ce qui peut venir à cette heure-ci ! Tant pis ! On attendra !
Ah ! ça, il n’y a donc personne ! (Il ressonne.)
Encore !… Je ne peux pourtant pas aller ouvrir dans ce costume !
Eh bien ! voyons ! (Il sonne longuement.)
Quoi ? Qu’est-ce que c’est ?
Ah ! Monsieur Bois-d’Enghien, c’est moi !
Vous ! Qu’est-ce que vous voulez ? Je ne suis pas visible ! (Il veut refermer sa porte.)
Ce ne sera pas long, Monsieur. C’est Me Lentery qui m’envoie…
Mais non, voyons ! Je m’habille !…
Oh ! moi, Monsieur, ça n’a pas d’importance.
Après tout, comme vous voudrez… Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? (Bouzin entre dans le cabinet de toilette dont Bois-d’Enghien referme la porte.)
Eh bien ! voilà ! C’est Me Lentery qui m’a chargé de vous remettre cet exemplaire de votre contrat. (Il tire un contrat plié de sa poche.)
De mon contrat ! Ah ! bien ! il tombe bien ! il est joli mon contrat ! Vous pouvez le déchirer, mon contrat !
Comment ?
Mais d’où arrivez-vous ? Vous ne savez donc pas qu’il est rompu, mon mariage ? Et tenez ! (Mettant sa brosse à dents dans sa bouche et l’y maintenant par la pression de ses mâchoires, tandis qu’il prend le contrat des mains de Bouzin.) Voilà ce que j’en fais de votre contrat ! (Il le déchire en deux.)
Oh ! Eh bien ! et moi qui étais chargé de vous remettre la note des frais et honoraires.
Ah ! ah ! ah ! la note des frais, Ah ! ah ! ah ! la note des frais… Ah ! il en a de bonnes ! Tout est rompu et il faudrait encore que ça me coutât de l’argent. Ah ! non !
Cependant…
Allons bon !… Qui est-ce qui vient là encore ?
Pardon, mais…
Oui, oui, tout à l’heure ! Tenez, voulez-vous me rendre un service… je n’ai personne pour ouvrir, voulez-vous y aller ?
Volontiers ! (Il fait mine d’aller à la porte du palier.)
Non. Tenez, par là… Vous suivez le couloir et à droite… Vous m’excuserez et vous direz que je ne puis recevoir.
Parfait. (Il sort par le fond, le général ressonne.)
Qu’est-ce qu’on a donc à sonner comme ça, ce matin ?
Caraï ! Me van hacer esperar toda la vida ? (Il sonne longuement avec colère.)
Oh ! oh ! on s’impatiente !
Voilà, voilà !
Eh bienne ! voyons ! (Bouzin ouvre la porte.) Monsieur Bodégué ?
Ciel ! le Canaque ! (Il esquisse une volte-face rapide, se sauve éperdu et ferme brusquement la porte au nez du général.)
Boussin ! Quel il a dit ? la Canaque ? Veux-tu ouvrir ? Boussin ! Veux-tu ouvrir ? (Il sonne et frappe à coups redoublés sur la porte.)
Bois-d’Enghien, au bruit que fait le général, ouvrant sa porte qui donne sur le palier et passant la tête, tout en se cachant derrière le battant de la porte. Eh bien ! qui est-ce qui fait ce tapage ?… Le Général ?
Vous ! c’est vous ! Bueno ! Tout à l’heure, vouss ! Boussin il est ici ?
Mais oui, quoi ?
Il m’a nommé « la Canaque » ! Boussin ! « la Canaque » ! (Il a gagné l’extrême gauche no 1.)
Monsieur, c’est le géné… (Reconnaissant le général.) Sapristi, encore lui ! (Il referme brusquement la porte et disparaît comme un fou.)
Loui ! Attends, Boussin ! Attends, Boussin !
Voyons ! voyons !
Laissez-moi ! Tout à l’heure, vouss ! (Il repousse Bois-d’Enghien et se précipite par le fond à la poursuite de Bouzin.)
Non, mais c’est ça, ils viennent se dévorer chez moi, à présent ! (Il ouvre la porte donnant sur le palier pour voir, toujours derrière son battant de porte, ce qui va se passer.)
Bouzin, apparaissant par la porte donnant de droite, qu’il referme brusquement, s’élance dans l’escalier en passant devant Bois-d’Enghien sans s’arrêter. Ne lui dites pas que je monte ! Ne lui dites pas que je monte !
Non !
Faites donc attention ! (Le Fleuriste et Bouzin disparaissent, le premier descendant, le second montant.)
Où il est Boussin ? Où il est ?
Tenez, il descend ! il descend !
Oui, yo le vois !… (Se précipitant dans l’escalier qu’il descend quatre à quatre.) Attends, Boussin ! Attends, Boussin ! Ah ! yo souis oune Canaque ! (Il disparaît.)
Oui, cours après ; tu auras de la chance si tu le rattrapes !
Scène V
Il est parti ?
Oui, oui, il est en train de courir après vous !
Oh ! là, mon Dieu !
Eh bien ! j’espère que vous en avez piqué, une course !
Ah ! ne m’en parlez pas !… Mais qu’est-ce qu’il a après moi, ce sauvage ? Qu’est-ce qu’il a ? Est-ce que je suis voué à cette chasse à courre chaque fois que je le rencontrerai… Enfin, qu’est-ce qu’il me reproche ? il ne vous l’a pas dit ?
Il vous reproche d’être l’amant de Lucette Gautier.
Moi ? mais c’est faux ! Mais dites-lui que c’est faux ! Jamais, vous m’entendez, jamais, il n’y a rien eu entre Mlle Gautier et moi ! (Se méprenant sur le sourire railleur de Bois-d’Enghien.) Je vous en donne ma parole d’honneur !
Non ?
Jamais ! J’ignore si Mlle Gautier a un sentiment pour moi, — elle ne me l’a jamais dit, — en tout cas… je sais très bien que de mon côté… aussi, si c’est Mlle Gautier qui a été raconter… Eh bien, j’ai le regret de le dire : elle se vante !… (Suppliant.) Oh ! je vous en prie, ça ne peut pas durer, cette situation-là ! Voyez le général, expliquez-lui… et faites cesser ce malentendu dont les conséquences deviennent menaçantes pour moi.
C’est bien, je lui parlerai !
Ah ! le premier choc va être dur !
Encore !… (La figure de Bouzin exprime un sentiment d’épouvante.) Ah ! Bouzin, je vous en prie, voulez-vous aller ouvrir… ?
Moi ! Oh ! non, non, je n’ouvre plus, je n’ouvre plus !…
Comment ?
Oh ! non ça n’aurait qu’à être un nouveau général ! (Lucette ressonne.)
Voyons ! je ne peux pourtant pas aller ouvrir comme ça !
Il doit se douter que c’est moi ! Il n’ouvre pas ! Eh ! je suis bête… j’ai la clé de son cabinet de toilette que j’ai retrouvée dans mon dos… (Elle prend la clé dans sa poche et traverse le théâtre.)
Allons, Bouzin ?
Non ! non ! non ! non !
Eh bien ! Qu’est-ce que c’est ? (La porte s’ouvre.) Qui est là ?
C’est moi !
Lucette Gautier !
Toi ?… Vous ?
Oui, moi !
Ah bien ! par exemple, c’est de l’aplomb !
J’ai à te parler.
À moi ?
Eh ! non ! (À Bois-d’Enghien.) À toi ! (À Bouzin.) Laissez-nous, Monsieur Bouzin.
Inutile ! Vous n’avez rien à me dire qui ne puisse être dit devant un tiers.
J’ai à te parler… (À Bouzin.) Laissez-nous, Monsieur Bouzin !
Soit !… Veuillez m’attendre à côté, Bouzin, je vous appellerai quand… Madame aura fini !
Bien ! (Il remonte jusqu’à la porte du fond, puis, à part, au moment de sortir.) Est-ce qu’elle m’aurait suivi ? (Il sort.)
Et maintenant, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que vous voulez ?
J’étais venue… (Intimidée par le regard dur de Bois-d’Enghien) pour te rapporter ta clé.
C’est très bien, posez-la là !… (Elle pose la clé sur la toilette.) Je suppose que vous n’avez rien d’autre à me dire ?
Si ! (Avec expansion, se jetant à son cou.) J’ai à te dire que je t’aime.
Oh ! non ! pas de ça, Madame ! c’est fini ces plaisanteries-là !
Oh !
J’ai pu être bête pendant longtemps, mais il y a limite à tout. Ah ! vous avez cru que ça se passerait comme ça, que vous pourriez briser mon mariage en me ridiculisant par un éclat grotesque et qu’il vous suffirait de revenir et de me dire : Je t’aime ! pour qu’aussitôt tout fût oublié et que je reprisse ma chaîne ?
Sa chaîne !
Oui… Eh bien ! vous vous êtes trompée !… Ah ! vous m’aimez !… Eh bien ! je m’en fiche que vous m’aimiez ! J’en ai par-dessus la tête de votre amour, et la preuve, tenez ! (Il ouvre la porte.) La porte est ouverte, vous pouvez la prendre.
Tu me chasses ! moi ! moi !
Ah !… Et puis, pas d’histoires, hein ? Allez-vous en !… que ce soit fini, allez-vous-en !…
Ah ! c’est ainsi ? C’est bien ! Tu n’auras pas besoin de me le dire deux fois ! (Elle sort.)
Mais, prends garde ! Si tu me laisses franchir le seuil de cette porte, tu ne me reverras jamais !
Marché conclu !
Bon ! (Même jeu que précédemment. Sortie de Lucette et rentrée au moment où Bois-d’Enghien referme la porte.) Mais réfléchis-y bien !
Oh ! le fil à la patte !
Si tu me laisses franchir…
Oui, oui, oui, c’est entendu !
C’est très bien !… (Elle sort. Bois-d’Enghien referme brusquement la porte sur elle. Lucette se retournant dans l’intention de rentrer comme précédemment.) Mais tu sais… (Trouvant la porte close.) Fernand, veux-tu m’ouvrir ! Fernand, écoute-moi !
Non !
Fernand, réfléchis bien à ce que tu fais… Tu sais, c’est pour toujours !
Oh ! oui, pour toujours ! oh ! oui, pour toujours !
Oh ! ingrat ! sans cœur !
Et tiens, ton peignoir ! (Il referme brusquement la porte et court chercher les mules de Lucette.)
Oh !
Tiens, tes mules ! (Il referme la porte.)
Oh !… (À travers la porte, à Bois-d’Enghien.) Ah ! c’est comme ça ! Eh bien ! tant pis pour toi, tu pourras dire que c’est toi qui m’auras poussée à cette extrémité.
Hein ?
Tu sais, mon pistolet ? Eh bien ! je vais me tuer !
Te tuer ! te tuer ! (Se jetant sur Lucette.) Veux-tu me donner ça !
Jamais de la vie !
Veux-tu me donner cela ? (Au public, tout en lui tenant le bras au bout duquel est le pistolet.) Oh ! ce pistolet ! je le trouverai donc toujours entre nous ?
Veux-tu me laisser !
Allons ! allons ! donne-moi ça !
Non !
Si ! (Il a saisi le pistolet par le canon, Lucette le tire par la crosse, ce qui fait sortir l’éventail de sa gaine. Restant avec le pistolet en main, l’éventail sorti.) Hein ?
Oh !
Un éventail !
Tu sais, Fernand, tu sais…
Ah ! ah ! ah ! voilà avec quoi elle se tue, un accessoire de théâtre !
Tu sais, Fernand, tu sais…
Ah ! ah ! ah ! c’est avec ça qu’elle se tue !… Va donc… cabotine !
Tu ne me reverras jamais ! (Elle disparaît dans l’escalier.)
C’est ça, va donc… (Posant l’éventail sur la banquette et prenant la robe de chambre et les mules.) Tu oublies ton peignoir !… (Il le lui jette par-dessus la rampe, dans la cage de l’escalier.) et tes mules ! (Même jeu.)
Oh !…
Ah ! là ! là !… Et dire que j’ai été assez bête pour donner dans ses suicides !… Avec un éventail ! Ah ! là ! là ! (Il a rentré l’éventail dans le canon et posé le pistolet sur le siège de droite.) Enfin, j’aurai la paix maintenant. (Il est à l’extrême droite et va pour rentrer chez lui ; à ce moment, la fenêtre de son cabinet de toilette s’ouvre brusquement, un courant d’air s’établit et la porte se referme violemment. Il s’est précipité pour l’empêcher, mais il arrive juste à temps pour recevoir la porte sur le nez.) Oh ! allons bon ! ma porte qui s’est fermée !… (Appelant et frappant à la porte.) Ouvrez ! ouvrez !… Ah ! mon Dieu… Personne ! ma clé qui est sur la toilette… et Jean qui est dehors… (Ne sachant où donner de la tête.) Mais je ne peux pas rester sur le palier dans cette tenue !… Que faire ?… mon Dieu ! que faire ? (Appelant dans la cage de l’escalier.) Concierge, concierge !
Vous ne m’avez pas oublié, Monsieur de Bois-d’Enghien ?… Hein ? personne… Comment, il est parti ? (Voyant la fenêtre ouverte, il la referme.)
Ah ! mon Dieu !… Et dire qu’il y a une noce dans la maison !
Ma foi, je n’ai qu’une chose à faire, je reviendrai. (Il se dirige pour sortir vers la porte sur le palier.)
Oh ! si je sonnais… Bouzin entendrait peut-être. (Il va à droite et sonne sans interruption.)
Mon Dieu ! ça doit être encore le général… et je suis seul ! (Il se sauve par le fond pour se réfugier dans le salon.)
Non, non, il ne viendra pas !… Parbleu, il entend ! mais il n’osera pas ouvrir… Ah ! bien, je suis bien, moi, je suis bien ! (Se penchant au-dessus de la rampe.) Concierge ! concierge !… (Brusquement.) Ah ! mon Dieu ! quelqu’un qui monte (Il se précipite dans l’escalier qui monte aux étages supérieurs, il disparaît un instant ; il reparaît presque aussitôt, absolument affolé.) Toute la noce… toute la noce qui descend !… Je suis cerné !… je suis cerné !… (Il se fait tout petit dans l’embrasure de la porte de droite.)
Scène VI
La noce descend du dessus. Tout le monde parle à la fois. — Le beau-père : « Dépêchons-nous ! » — La mariée : « Mais nous avons le temps ! » — Le gendre : « La mairie, c’est à onze heures ! » (Etc., etc.)
Oh !
Madame, tous mes vœux de bonheur !
Quelle horreur !
Un homme en caleçon !
Il faut se plaindre !
Il faut avertir le concierge !
Mesdames, Messieurs !
Voulez-vous vous cacher… ! Quelle horreur !
Quelle position, mon Dieu ! (Apercevant le général.) Allons, bon ! le général !
Bodégué ! en maillotte !
Le Général, à présent !… Il ne manquait plus que lui !
Porqué vous l’est en maillotte ?
« Porqué… ! Porqué… ! » porqué vous voyez bien que je ne peux pas rentrer chez moi !… Ma porte s’est fermée sur mon dos…
Ah ! ah ! il est rissible !
Ah ! bien, je ne trouve pas !
Ah ! cet Boussin !… vous savez cet Boussin… yo l’ai couru après.
Eh bien ! ça m’est égal !… Vous ne l’avez pas attrapé, n’est-ce pas ?
Si !… yo loui ai flanqué ma botte… Seulement, il n’était pas Boussin… Yo no sé comme est fait… quand il s’est retourné, il était oun autre !
Ah !
Oh ! mais yo lo rattraperai, cette Boussin !
Eh bien !… c’est très bien… mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?
Bueno !… Il n’est pas là la chosse !… yo souis venu qué yo vous parle.
Oui. Eh bien ! plus tard… j’ai autre chose à faire que de causer.
Porqué ?…
« Porqué ». Il est étonnant avec ses « porqué » ! Je vous dis que je suis à la porte de chez moi…
Bueno… c’est oune pâcatile ! l’on peut causère sur la palière.
Mais, sacristi, voyons… (Se penchant par-dessus la rampe en apercevant quelqu’un qui monte.) Oh ! quelqu’un ! (Il se précipite dans l’escalier et gagne les dessus.)
Eh bien ! où l’y va ! où l’y va ? (Montant trois marches et appelant.) Bodégué ! Bodégué !
Oui, tout à l’heure ! tout à l’heure !
Mais il est fol ! (Un monsieur apparaît sur le palier, salue le général (1) en passant (2) et gagne l’étage supérieur. Le Général rend le salut.) Buenos dias !… quel il fait là-haut ?… Bodégué !… Bueno Bodégué… Bodégué ! (Appelant avec le cri des ramoneurs.) Eh ! Boo-dégué !
Eh !
Eh ! bienne, vénez !
Eh bien ! voilà, mon Dieu, voilà !
Bueno… que vous l’avez, qué vous filez comme oun lapen ?
Je ne peux pourtant pas me montrer dans cette tenue quand il y a des gens qui montent… (Secouant sa porte qui résiste.) Oh ! cette porte ! vous n’auriez pas un passe-partout sur vous, n’importe quoi, un rossignol ?
Oun oisseau ?
Ah ! « oun oisseau » ! (Revenant à la question.) Enfin quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?… Qu’est-ce que vous voulez ?
Qué yo l’ai ! yo l’ai qué yo vous l’ai disse hier, yo l’étais vénu qué yo vous tue !
Encore !… Ah ! zut !
Bodégué ! yo souis à vos ordres !
Oui ? Eh bien ! allez donc me chercher un pantalon.
Oun pantalon, moi ! (Il change de ton.) Oh ! yo vous prie qué vous né fait pas le squeptique.
Quoi ?
Yo dis : qué vous ne fait pas le squeptique.
Ah ? le sceptique. (Haussant les épaules.) « Le squeptique ». Qu’est-ce que ça veut dire le squeptique ? Parlez donc français au moins : s, c, é, ça ne fait pas squé, ça fait cé. On dit : « le sceptique », pas « le squeptique. »
Bueno, il m’est égal, squeptique, sceptique, c’est le même.
Oui. Eh bien ! c’est bon !… finissons-en… Vous voulez me tuer ?
Non !
Comment, non ?
Yo l’étais venu pour !… Mais maintenant yo ne vous toue plouss !
Ah ? Eh bien ! tant mieux !
Non, porqué yo viens de voir Loucette Gautier qu’il est en bas !
Ah ?
Il m’a dit oun chose… qu’elle m’embête, mais que yo n’ai pas le choix… Il m’a dit : yo no serai la votre que si Bodégué il veut encore être le mienne !
Hein ?…
Voilà !… Il m’est dour, allez ! surtout quand yo pense à la sandale d’hier !
La sandale ? Qu’est-ce que c’est que la « sandale ».
Eh ! la sandale qué vous l’avez fait Loucette et vous chez Madame Duvercher.
Ah ! « le scandale », vous voulez dire ! Vous dites la « sandale », s, c, a, ça fait sca, ça ne fait pas sa !
Bodigué ! est c’qué tou té foutes de moi ? Tout à l’heure yo l’ai dit « squeptique », vous disse « sceptique » ! bueno. Maintenant yo dis « sandale », vous dis « scandale »… (Menaçant.) Bodégué !
Général ?
Prenez garde !
Et à quoi donc ?
Bueno ! yo vous disse maintenant vous allez raccommoder avé Loucette.
Moi ? (Se penchant à l’oreille du général comme pour lui faire une confidence, et très haut.) Jamais de la vie !
Non ?… Alors yo revoutoue !
Eh bien ! c’est ça, remetuez-moi ! (Revenant au général.) Mais, sacristi ! il faudrait s’entendre, cependant ! Tout à l’heure, c’était parce que j’étais avec Lucette ; maintenant, c’est parce que je ne suis plus avec elle ! Qu’est-ce que vous voulez, à la fin ?
Qué yo veux ?… Tou es bête.
Hein ?
Yo veux que Loucette il soit à moi.
Eh bien ! oui, à toi, mais pas à moi. Eh bien ! il y a un moyen tout trouvé.
Vrai ? Ah ! Bodégué, vous l’est oun ami !
Tu vas aller… ça t’est égal que je te tutoie.
Yo vous prie !
Vous allez dire à Lucette que vous m’avez vu et que je refuse tout rapprochement.
Porqué ?
« Porqué » (Au général.) Eh bien ! « porqué » à cause de son vice de constitution.
Hein ?
Un vice de constitution qui n’est appréciable que dans la plus stricte intimité.
Il a oun vice dans la constitoution, Loucette ?
Elle ?… Pas du tout.
Bueno ?
Eh bien ! justement ! Elle est femme !… Elle a encore plus d’amour-propre que d’amour… et quand vous lui aurez dit… Je la connais, la vanité… elle est à vous !…
Oh ! yo comprends !… Ah ! Bodégué !… Fernand !… Gracias, gracias !… Muchas gracias !
Allez ! allez ! c’est bon !
Yo cours !… Adieu ! Fernand ! Adieu ! et una buena santé ! Et pouis, tous sais : yo no to toue plous ! (Il s’en va en courant.)
C’est ça ! c’est ça ! Ni moi non plous ! (Il le regarde partir.)
Scène VII
Je n’entends plus de bruit… ma foi, je ne vais pas coucher là !
En voilà un raseur avec son occidomanie ! (Voyant Bouzin qui sort de gauche sur le palier, vivement, en se précipitant.) Ne fermez pas !
Oh !
Ah ! que le diable vous emporte !… Et je vous crie encore : ne fermez pas !
Qu’est-ce que vous voulez ?… ça a été plus vite que ma volonté.
C’est agréable, me voilà encore à la porte de chez moi !
Mais qu’est-ce que vous faites dans cette tenue sur le palier ?
Ce que j’y fais !… Si vous croyez que c’est pour mon plaisir…
Ah ! ah ! c’est amusant !
Vous trouvez, vous ?… Parbleu ! Ce n’est pas étonnant, vous êtes habillé, vous ! (Il s’assied sur le siège de droite, sans voir qu’il y a un pistolet dessus. Se relevant aussitôt.) Oh ! (Voyant le pistolet ; à part.) Oh ! quelle idée ! (Il ramasse le pistolet et, le cachant derrière son dos, il va à Bouzin, et, très aimablement.) Bouzin !
Monsieur Bois-d’Enghien ?
Bouzin, vous allez me rendre un grand service !
Moi, Monsieur Bois-d’Enghien ?
Donnez-moi votre pantalon.
Hein ?… Oh ! Vous êtes fou !
Oui, je suis fou ! Vous l’avez dit, je suis fou ! Donnez-moi votre pantalon ! (Il braque son revolver sur Bouzin.)
Oh ! mon Dieu ! Monsieur Bois-d’Enghien, je vous en supplie !
Donnez-moi votre pantalon !
Grâce, Monsieur Bois-d’Enghien, grâce !
Allons, vite ! votre pantalon ! ou je fais feu !
Oui, Monsieur Bois-d’Enghien… (Terrifié, il défait son pantalon en s’adossant à la cloison.) Oh ! mon Dieu ! quelle situation ! Moi, en caleçon, dans l’escalier d’une maison étrangère !
Allons ! allons, dépêchons-nous !
Voilà, voilà, Monsieur Bois-d’Enghien ! (Il lui donne son pantalon.)
Merci !… Votre veste, à présent ! (Il braque à nouveau son pistolet.)
Hein ?… Mais, Monsieur, qu’est-ce qui me restera ?
Il vous restera votre gilet… Allons, vite, votre veste !
Oui, Monsieur Bois-d’Enghien, Oui !
Merci !
Oh ! pourquoi ai-je mis les pieds ici ! (Bois-d’Enghien, pendant ce temps, est allé s’asseoir sur la banquette, avec les vêtements, a posé son pistolet à sa droite et enfile le pantalon de Bouzin. Une fois les deux jambes passées, il se lève et va à droite achever de se boutonner, en tournant le dos aux spectateurs. Bouzin, apercevant le pistolet déposé par Bois-d’Enghien sur la banquette, sa figure s’éclaire et mettant son chapeau.) Oh ! le revolver ! (Il va jusqu’à lui à pas de loup et s’en empare. Cela fait, après avoir assuré son chapeau d’une petite tape de la main, il s’avance, l’air vainqueur, le chapeau sur l’oreille et, avec un geste plein de promesses ; indiquant Bois-d’Enghien.) À nous deux, maintenant, mon gaillard ! (À Bois-d’Enghien, en dissimulant son revolver, et, avec un ton gracieux, comme l’autre avait fait précédemment.)… Monsieur Bois-d’Enghien ?
Mon ami ?
Mon pantalon.
Hein ? (Il rit.)
Vous allez me rendre mon pantalon, ou je vous tue !
Oui, mon vieux, oui.
Oh ! vous savez, je ne ris pas. Mon pantalon ou je tire ! je tire !
Parfaitement, allez, allez !
Hein ?
Seulement, c’est pas comme ça, tenez, c’est comme ça !… (Du bout des doigts et aux yeux ébahis de Bouzin, il tire l’éventail du canon du revolver que Bouzin tient toujours par la crosse.) Vous ne savez pas vous y prendre, mon ami !
Je suis joué ! (Il pose l’éventail tout ouvert sur la banquette.)
Ah ! ce pauvre Bouzin ! (Il reprend l’éventail, le rentre dans le pistolet et le fourre dans sa poche.)
Venez, Messieurs, venez !
Allons, bon !… Voilà du monde ! (Il gravit quatre à quatre les marches qui montent aux étages supérieurs.)
C’est égal ! ça fait du bien de se sentir habillé, même dans les vêtements d’autrui !
Scène VIII
Venez, Messieurs, venez !
Le Concierge avec des agents !… Qu’est-ce que vous cherchez ?
Un homme qui est en caleçon dans l’escalier !…
Un homme en caleçon… (À part.) Oh ! ce pauvre Bouzin ! (Haut.) Mais je n’ai pas vu !… Messieurs, je n’ai pas vu…
Si ! si !… C’est la noce Brugnot qui a porté plainte, c’est pour ça que j’ai dû aller chercher des agents. (Montant à la suite des agents.) Venez, Messieurs, il doit être en haut…il ne pourra toujours aller plus loin que le cinquième !… Il n’y a que cinq t’étages dans la maison. (Ils disparaissent dans le dessus.)
Ah ! le pauvre Bouzin !… Il n’a vraiment pas de chance.
That way, Miss ! (Elle tient un rouleau de musique à la main.)
All right !
Viviane ! vous ici !
Oui, moi !… Moi qui viens vous dire : je vous aime !
Est-il possible !… quoi !… malgré ce qui s’est passé ?
Qu’importe ce qui s’est passé. Je n’ai vu qu’une chose : c’est que vous étiez bien tel que j’avais rêvé mon mari !
Oui ? (Au public.) Ce que c’est que de se montrer en gilet de flanelle !
I beg you pardon. But who is it ?
Yes, yes… (Présentant.) Mon institutrice : Miss Betting ! Mister Capoul !
Hein ?
Oh yes ! I know Mister Capoul… Paol and Vergéné !… (Tout ce qui suit doit être joué par Viviane, sans un geste, face au public, pour donner le change à l’institutrice.)
Qu’est-ce que vous dites… « Monsieur Capoul » ?
Mais oui ! vous pensez bien que si j’avais dit à miss Betting que je voulais aller chez vous, elle ne m’y aurait pas conduite ; alors, j’ai dit que nous allions chez mon professeur de chant.
Non ?… Mais elle va bien voir…
Mais non. Elle ne comprend pas le français !
Ah ! ces petites filles !…
Ah ! dites ? Vous avez donc eu beaucoup de femmes qui vous ont aimé ?
Mais…
Oh ! dites-moi que si…, je ne vous en aimerai que mieux.
Ah ?… Oh ! alors !… des masses !
Oui ?… Et il y en a peut-être qui ont voulu se tuer pour vous.
Quinze !… Tenez, pas plus tard que tout à l’heure, voilà un pistolet que j’ai arraché à l’une d’elles.
Un pistolet ?… Et je n’aimerais pas un homme tant aimé !… Ah !…
Ah ! Viviane !
Chut !… pas de gestes !… pas de gestes !
Hein ?
(Viviane, pour se donner une contenance, rit à miss Betting, qui rit aussi sans comprendre. Bois-d’Enghien en fait autant.
But why do we stay on the stairs ?
Ah ! c’est vrai, au fait !
Qu’est-ce qu’elle dit ?
Elle demande ce que nous faisons dans l’escalier… Entrons chez vous !
Oh ! impossible, ma porte est fermée. On est allé me chercher ma clé !
Cependant… pour ma leçon de chant…
Eh bien ! dites-lui que c’est l’usage… que les grands artistes donnent toujours leurs leçons de chant dans les escaliers… il y a plus d’espace.
Bon ! (À miss.) Mister Capoul always gives his singing lessons on the stairs.
No ?
Si.
Oh ! it is curious !
Sit down, Miss ! (Elle s’assied sur le tabouret de droite.) Là. (Puis, bien large.) Et maintenant, maman peut arriver !
Votre maman ; mais qu’est-ce qu’elle dira ?…
Oh ! tu ! tu ! tu ! tu ! il ne s’agit plus de parler maintenant.
Hein ?
Nous sommes à ma leçon de chant ! Si vous avez quelque chose à me dire, dites-le moi en chantant.
Comment… vous voulez ?…
Mais dame, sans ça, ça va éveiller les soupçons de Miss ! (Lui donnant une partie et en prenant une autre.) Tenez, prenez ça ! (Après avoir donné son rouleau de musique à Miss Betting, revenant à Bois-d’Enghien.) Et maintenant vous disiez… ?
Eh bien ! je disais : Mais votre maman, qu’est-ce qu’elle dira ?
En chantant !… en chantant !…
Oui ! hum ! (Chantant sur l’air de Magali, de Mireille.)
Mais vot’maman, qu’est-ce qu’elle dira ?
Quand ell’saura, ell’voudra pas.
Maman, j’y ai laissé un mot
Où j’lui dis : Si tu veux me voir,
Tu m’trouv’ras chez M’sieur Bois-d’Enghien… ghien !
Ah ! ah ! ah ! ah !
Ell’qui m’a flanqué à la porte
Hier au soir !
Oh ! very nice ! very nice.
N’est-ce pas ?
Oh ! Yes… (Voulant montrer qu’elle connaît le morceau.) Mirelle !
Parfaitement, Mirelle. (À Viviane, parlé.) Oui, mais tout ça, c’est très gentil…
En chantant… en chantant !…
Oui, mais tout ça, c’est très gentil, ti, ti, ti !
Si vot’maman dans sa colère
M’envoi’prom’ner après tout ça ?
Allons donc ! Est-ce que c’est possible ?
Maman criera,
Mais comm’je me suis compromise
Ell’cédera.
Oui ? (Chantant avec transport)
Gais et contents
Nous marchons triomphants,
Et nous allons gaîment
Le cœur à l’ai-ai-se.
Gais et contents
Car nous allons fêter,
Voir et complimenter
L’armée françai-ai-se !
Oh !
What that !
Qu’est-ce qui vous demande quelque chose à vous ? Voulez-vous vous en aller ! voulez-vous vous en aller !
Oh !
Voulez-vous vous en aller ! (Sortie des domestiques.)
Viviane ! toi, ici… Malheureuse enfant !…
Maman !
Voulez-vous vous en aller ?… (La reconnaissant.) La baronne !
Oh ! good morning, Médème.
Vous !… Vous n’avez pas honte, Miss, de vous faire le chaperon de ma fille ici !
What does that mean ?
Ah ! laissez-moi tranquille ! Avec son anglais, il n’y a pas moyen de l’attraper !…
Madame, j’ai l’honneur de vous redemander la main de votre fille.
Jamais, Monsieur ! (À Viviane.) Malheureuse, qui est-ce qui t’épousera après ce scandale ?
Mais lui, maman ! je l’aime et je veux l’épouser !
Lui !… Le je ne sais pas quoi de Mlle Gautier !
Mais je ne suis plus le… « je ne sais pas quoi de Mademoiselle Gautier » !
Vraiment, Monsieur ! après ce qui s’est passé hier au soir !
Eh bien, justement, ce que vous avez pris pour tout autre chose, c’était une scène de rupture.
Allons donc ! dans cette tenue ?
Parfaitement : j’étais en train de dire à Mlle Gautier : « Je veux qu’il ne me reste rien qui puisse vous rappeler à moi, rien !… pas même ces vêtements que vous avez touchés ! »
Hein ?
Et joignant l’acte à la parole, je les enlevais à mesure… Deux minutes plus tard et je retirais mon gilet de flanelle.
Oh !
Tu vois, maman, que tu peux bien me le donner pour mari !
Qu’est-ce que tu veux, mon enfant ! si tu crois que ton bonheur est là !
Ah ! maman !
Ah ! Madame !
Ah ! Miss, je l’épouse ! I will marry him !
Mister Capoul ?… Aoh !
Scène IX
Tiens, où est donc Monsieur ? (Il ouvre la porte du palier.)
Enfin, c’est vous ! (Sur le pas de la porte.) Tenez, entrez, belle-maman ; entrez, Viviane ; entrez, Miss.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Enfin, nous le tenons ! Nous avons dû faire une chasse à l’homme sur les toits.
Bouzin !
Le clerc en caleçon !
Quelle horreur !
Shocking !
Allons, venez !
Mais non ! mais non ! Ah ! Monsieur Bois-d’Enghien, je vous en prie !
Qu’est-ce que c’est… ? Voulez-vous vous cacher ! (Il entre dans le cabinet dont il ferme la porte sur Bouzin.)
Oh !
Allons ! allons ! Au poste ! au poste !
C’est un peu pendable ce que je fais là ! Mais bast ! je connais le commissaire, j’en serai quitte pour aller le réclamer.
Au poste ! au poste !
J’en appelle à la postérité !
Au poste !