Un pauvre (Glatigny)

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Le Fer rouge : nouveaux châtiments[Poulet-Malassis] (p. 43-45).



 
Vous n’avez pas de flair, Ollivier. C’est dommage.
Comment ! Vous vous mettez à changer de plumage
Juste à temps pour vous faire appeler renégat ;
Quand il ne reste plus même un peu de nougat
Sur la table où Rouher a joué des mâchoires !
Rien sur la nappe, rien même dans les armoires,
O Machiavel deux, on a tout nettoyé !
Eh quoi ! C’est pour l’honneur que vous aurez ployé
Assez piteusement, il est vrai, votre échine ?
Vous a-t-on assez pris pour un magot de Chine !

Vous a-t-on bien roulé, ministre au pas vainqueur !
Ah ! Tête plus légère encore que le cœur !
Vous vous disiez : « Tant pis ! La république est morte.
Badinguet est un gueux, mais Badinguet l’emporte ;
C’est lui qui tient le sac en ses doigts triomphants,
Il est temps de songer à mes petits enfants.
L’honneur est un beau mot qui représente un mythe,
Mais les mythes jamais n’ont empli la marmite.
Foin de l’honneur ! Il faut devenir sérieux. »
Et tout droit, quand les rats, d’un trot mystérieux,
Décampaient en sentant s’écrouler la boutique,
Vous avez dit : « A-t-on besoin d’un domestique ? »
C’était raide. Il fallait mentir et renier
Un passé déjà lourd, mais l’anse du panier
Avait en ce moment des séductions telles,
Que vous avez franchi toutes ces bagatelles.
C’est Rouher qui riait dans sa calotte, quand
Debout à la tribune, ô ministre éloquent !
Vous tâchiez de prouver au patron votre zèle,
Cherchant la pie au nid, qui n’était plus chez elle.
êtes-vous satisfait maintenant ? Avez-vous,
Pour remettre un morceau d’étoffe à vos genoux
Usés sur les parquets cirés des tuileries,
En vos six mois de règne et de tartuferies,
Pu grapiller assez dans les coffres à sec ?
Pas un maravédis, hélas ! Pas un copeck !
La bénédiction paternelle vous reste,

Mais ne saurait emplir les poches de la veste
Qui livre aux coups de pied le bas de votre dos.
Avoir été Colbert pour cinq ou six badauds
Désillusionnés, et Judas pour le monde,
Et n’avoir rien tiré de ce commerce immonde,
C’est désolant ! Aussi pourquoi venir si tard ?
Vous eussiez, au début, pu tirer votre part.
Voyez Morny, voyez Rouher, toute la clique.
Chacun de ces gueux-là, sinistre et famélique,
N’avait pas quatre sous au fond de son gousset.
Ils sont venus à temps, un bon vent les poussait ;
Il fallait profiter de leur barque. à cette heure
Votre position certes serait meilleure ;
Vous seriez un gredin, mais un gredin renté.
Enfin, consolez-vous, pauvre déshérité,
Il vous reste, infirmant l’arrêt qui vous condamne,
La gloire académique, avec le bonnet d’âne !


6 octobre