Une femme m’apparut (1904)/07

La bibliothèque libre.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 93-101).

VII
LA MORT D’YSEULT
wagner.



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VII


Ione partit quelques jours plus tard. Je reçus d’elle des fleurs ensoleillées, et une lettre délicate qui les suivit, comme un bonheur suit un espoir.

Je songeai parfois à elle avec une intense inquiétude. Puis ma passion dévorante absorba de nouveau mon âme tout entière.

De plus en plus, Vally s’éloignait de moi. Je ne la voyais qu’à de rares et amers intervalles. Elle était éprise d’espace et de liberté comme une mouette, et je suivais de loin son essor en plein azur.

Un soir, je reçus un billet de San Giovanni. L’écriture tourmentée s’allongeait et s’élançait plus fiévreusement encore que de coutume sur le papier gris pâle.


Je vous en prie, usez de toute votre influence pour mettre en garde l’impétueuse Vally. Le Prostitué a très malheureusement en sa possession une lettre d’elle, qui contient une promesse formelle de mariage. Je ne crois pas que Vally ait l’intention de l’épouser en effet. Les Américaines s’amusent parfois à se fiancer ex improviso, sans attacher plus d’importance à ce détail qu’à une partie de golf ou de tennis. Mais le Prostitué ne l’entend pas de la sorte.

Je vous en conjure, avertissez Vally.


La nausée du dégoût était plus puissante encore que ma jalousie crucifiée. Je m’inclinai devant la haine de San Giovanni pour l’Homme crapuleux.

Le soir tombait. Je n’osai plus me rendre chez la trop insouciante enfant. Le lendemain, j’allai frapper à la porte de Vally. Je regardai à le Bois dentelé de givre et pareil à une merveilleuse architecture mauresque. L’imperturbable valet de pied britannique me fit savoir, avec toute la majesté de l’accent anglais, que sa maîtresse était sortie. Mais la solennité de James ne réussit point à me convaincre. J’avais vu, dans l’antichambre, un chapeau et un pardessus d’homme. Et, à mes yeux jaloux, s’évoqua l’image du Prostitué.

« C’est bien, » dis-je à James, scandalisé jusqu’au plus profond de son âme de footman, « j’attendrai la rentrée de Mademoiselle. »

Et, sans souci des conventions mondaines, que j’offusquais en l’immobile personne de ce respectable serviteur, je m’installai dans l’atelier de Vally.

Les instants passèrent, plus lourds que les instants qui précèdent un orage. La porte allait s’ouvrir. Vally entrerait dans un frisson de parfums. Elle serait vêtue de clair de lune et elle aurait à son cou son collier d’opales perverses. Ses manches légères laisseraient entrevoir les bras nus que j’adorais.

Elle entrerait, en me souriant. Quelles paroles de voluptueuse colère trouverais-je pour exprimer la haine de mon amour ? Comment l’accueillerais-je, lorsqu’elle paraîtrait ?

… Le Prostitué était au-dessous de mon mépris. Il cherchait un établissement : c’était sa raison d’être et sa fonction sociale. Mais elle, mais Vally, ma vierge amoureuse et ma Prêtresse ?

Je pleurais sur sa déchéance morale plus encore que sur moi-même. Qu’importait mon misérable supplice de toujours, devant cette dégradation du vivant symbole de mon culte ?

Elle s’était fiancée, elle s’était promise toute à cet individu de sentiments inavouables, à ce personnage au-dessous de toute insulte.

Comment l’accueillerais-je lorsqu’elle paraîtrait ?

… Je ne lui dirais rien. J’irais vers elle, et je contemplerais au fond de ses yeux sa cruelle âme blonde. Elle s’épouvanterait de mon silence et de mon calme. Puis, froidement, résolument, je l’étranglerais…

Je l’étranglerais. Ce serait laid, brutal, sauvage mais ce serait un cauchemar bref, et, dans la joie du meurtre mystique, je l’étendrais sur le divan d’étoffe verte qui ressemble à un banc moussu. Je disposerais autour de son front le halo de ses pâles cheveux. Je mettrais dans ses mains des lys expiatoires, et j’effeuillerais sur son corps les roses qu’elle préfère, les roses blanches un peu vertes. Elle dormirait, un peu plus pâle que dans l’habituel sommeil. Et je l’aimerais, à cette heure surhumaine, plus que nul être n’a jamais osé aimer. Ce serait la Folie, avec ses exaltations et ses terreurs, et ses au-delà.

Je veillerais auprès d’elle jusqu’à l’aube. Je regarderais vaciller les cierges. L’azur de minuit remplirait les coins d’ombre… Les paupières de Vally bleuiraient étrangement. Et je dirais très-haut, comme un homme qui parle dans l’ivresse :

Je l’ai tuée !

Elle demeurerait à tout jamais ma virginale Prêtresse. Elle serait la blancheur de mes songes, l’Inaccessible et l’Internissable.

Je l’aurais sauvée en me sauvant moi-même. Je l’aurais emportée afin de la contempler dans l’Infini. Je garderais à travers l’éternité son cri d’effroi, — le seul cri sincère que j’eusse recueilli sur ses lèvres de mensonge, — et sa vaine prière. Elle ne connaîtrait point le remords d’avoir failli à soi-même. Elle ne connaîtrait point les lendemains de grâce, les empreintes caricaturales du Temps sur la statue humaine. Elle serait la Beauté que la Mort éternise dans un sourire. Elle ne pleurerait ni sur les autres ni sur elle-même. Et peut-être ressentirait-elle une gratitude compréhensive à l’égard de l’être qui l’aimait assez noblement pour la tuer.

La porte s’ouvrit avec lenteur… Elle allait paraître, mon rêve s’accomplissait… Et je m’avançai, mes mains crispées dans le geste de la strangulation… Ce serait si vite accompli, et après… et après…

San Giovanni entra. Elle ne vit point mes yeux hallucinés, car ses yeux à elle étaient remplis de larmes.

« Je vous cherchais, » balbutia-t-elle. « Je savais que je vous trouverais chez Vally. Je viens de recevoir ce télégramme… Ione… »

Je lui arrachai le papier banal où était intimé l’ordre solennel du Destin. Quelques mots qui résumaient brièvement, stupidement, tragiquement, la vie et la mort de deux êtres.


« Ione gravement malade… Venez… »


Lorsque je levai les yeux, il me sembla que je ressurgissais, comme Alkestis et comme Lazare, des profondeurs funèbres.

« Ione est atteinte de la fièvre typhoïde, » continuait San Giovanni. « Il y a des complications très redoutables…

— Je vais à Nice, » annonçai-je brusquement. « Je n’ai que le temps de très courts préparatifs de départ. Faites mes adieux à Vally… »