Vie et opinions de Tristram Shandy/2/72

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 207-208).



CHAPITRE LXXII.

Mon chapitre des hasards.


Quel long chapitre des hasards, dit mon père en se retournant vers mon oncle Tobie, comme il étoit sur la première marche de l’escalier pour descendre ; quel long chapitre de hasards, frère Tobie, les événemens de ce monde pourroient nous fournir, si nous prenions la peine de les rassembler ! Parbleu ! frère, vous n’êtes pas fort occupé, prenez la plume et calculez-les. Moi ! je ne sais pas plus calculer que cette rampe. Mon oncle Tobie étoit démonstratif. En parlant de la rampe, il l’avoit frappée de sa canne, et le contre-coup renvoya la canne assez vivement sur l’os de la jambe de mon père. Je ne l’ai pas fait exprès, s’écria mon oncle Tobie. Je le crois bien frère, répartit mon père, en se frottant là jambe. Je vous assure que c’est un pur hasard. Eh bien ! frère, c’est un hasard de plus à mettre dans notre chapitre.

Le double succès de la répartie de mon père lui fit oublier la douleur qu’il ressentoit à la jambe. Rien n’étoit plus heureux, et ce fut bien encore là un pur hasard. Sans cela personne n’auroit jamais été instruit de ce qui faisoit alors le sujet des calculs de mon père… Je défie à qui que ce soit de le deviner

Mais que ce chapitre des hasards a pris une heureuse tournure ! je l’avois promis ; et il s’est trouvé fait comme sans y songer. Tant mieux, ma foi ! j’ai bien assez de besogne sans celle-là. N’ai-je pas promis un chapitre sur les nœuds ? Un autre sur les souhaits ? Un autre sur les moustaches ? N’en ai-je pas deux à faire sur le bon et sur le mauvais côté des femmes ?… Le premier, à la vérité, ne m’inquiète guère ; il sera court, très-court ; mais l’autre ! j’en sue d’avance. Et mon chapitre sur les chapitres quand viendra-t-il ? C’en est trop pour si peu de temps qui me reste cette année. Cependant je m’y obstine, et je ne me coucherai peut-être pas que n’aie fait un de ces articles importans.