Vie et opinions de Tristram Shandy/3/45

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 124-125).



CHAPITRE XLV.

Intermède.


À Présent, mon cher monsieur, arrêtons-nous encore deux minutes, et rentrons dans la salle pour recueillir les suffrages. — Vous savez comme mon amour-propre y trouve son compte.

Ce n’est pas que je m’en plaigne ; il faut être juste. Les dissertations savantes de mon père, ses verbes auxiliaires, son ours blanc, peuvent très-bien ne pas plaire à tout le monde. — Je vois là un gros abbé qui dort, et je ne lui en veux point de mal. Et cette dame, non pas cette vieille présidente qui prend du tabac, et qui n’a pas mieux compris tout ce que vous venez d’entendre, que son mari n’a compris le procès qu’il a jugé ce matin ; — mais cette jeune marquise qui est dans la même loge, avec ce duc qui lui parle à l’oreille, croyez-vous qu’elle nous ait entendus ? Elle ne nous a pas même écoutés. — Cependant, voyez comme elle applaudit. — Et je m’en plaindrois et je lui en ferois un reproche ! — Non, mon cher monsieur. — Le public est partagé en deux classes, dont l’une admire tout ce qu’elle ne comprend pas, et l’autre déchire tout ce qu’elle comprend. — Il y a encore une troisième classe, mais réduite à un si petit nombre ! — Ce sont ceux qui, comme vous, monsieur, jugent sans prévention, critiquent sans humeur, et louent sans partialité. C’est pour ceux-là que j’écris ; ce sont ceux qui me consolent des autres.