Voyage en Asie (Duret 1871)/Inde/18

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Michel Lévy (p. 354-357).


XVIII

ELLORA


Excursion de Bombay à Ellora. — Monuments taillés dans le roc appartenant aux trois grandes religions de l’Inde. — Le Kylass.
Décembre 1872.


Après quelques jours passés à Bombay à nous reposer des charrettes et des bœufs, nous allons visiter Ellora. Nous prenons le chemin de fer de Jubbulpour jusqu’à Nangaum, à cent soixante-dix-sept milles de Bombay, et de là à Ellora, en quelques heures, sur une excellente route avec voiture et chevaux. Par comparaison avec ce que nous avons fait, ce n’est plus qu’une excursion comme on pourrait en entreprendre de Paris ou de Londres.

Ellora est peut-être ce qu’il y a de plus étonnant dans l’Inde.

À Ellora on trouve, creusée au flanc d’une montagne, dans l’intérieur du rocher, ou taillés à ciel ouvert, une série de caves et d’édifices monolithes ayant appartenu aux trois grands cultes de l’Inde. Les caves s’étendent sur un espace de plus d’un kilomètre. Si l’on se place dans la plaine regardant vers la montagne, on a à sa droite les caves bouddhiques, au centre, en allant vers la gauche, les caves sivaïtiques, et enfin à l’extrême gauche celles de la religion des jaïns. Il est assez difficile de donner le nombre exact des excavations ; il y en a plusieurs à double étage, d’autres qui communiquent et dont on peut à volonté faire une seule ou plusieurs ; selon qu’on les comptera d’une manière ou d’une autre, on en fera varier le nombre entre vingt et trente. Sauf une ou deux, les caves sont à plafond plat ; lorsqu’elles atteignent une grande largeur, le plafond est soutenu par des rangées de colonnes ; les murs sont ornés de sculptures. Tout cela est le résultat d’un simple travail de creusement ; les détails de l’architecture et de la sculpture sont des parties qu’on a découpées dans le roc vif et auxquelles elles restent adhérentes.

Ce sont certainement les bouddhistes qui ont ici commencé, on ne peut pas dire à construire, mais à creuser ; toutefois c’est aux sivaïtes, venus après eux, qu’est dû le plus étonnant de tous les monuments d’Ellora, le Kylass. Le Kylass appartient au type des édifices monolithes ; pour lui donner naissance, on a pratiqué dans le flanc de la montagne une gigantesque excavation de quatre cents pieds de profondeur sur cent quatre-vingts de large. On dirait une sorte de carrière à ciel ouvert. Au milieu de l’excavation s’élève l’édifice, de forme conique. Il a plus de cent pieds de haut, avec portique et colonnades. Il est divisé en étages avec chapelles et chambres aux divers étages. Le toit conique est aux angles surmonté de clochetons. Les parois extérieures et intérieures du temple et de ses parties sont couvertes de sculptures et de détails d’architecture.

Cet ensemble si compliqué est un bloc qui tient au sol. C’est en creusant et en taillant partout la masse rocheuse qu’on lui a donné naissance. Tout fait corps et ne forme qu’un seul et unique morceau, sans que nulle part il y ait une pierre ajoutée ou un point de suture. Ce monument dépasse de beaucoup comme proportion les monuments monolithes que nous avons vus près de Madras, et dans son genre il est quelque chose d’unique.

On ne se trouve point à Ellora en présence d’un art qui, par la beauté de la forme et par l’harmonie des lignes, séduise absolument, mais ses procédés sont si particuliers, son originalité est si grande, que la curiosité la plus vivement excitée par avance trouve amplement à se satisfaire.