Voyages en Égypte et en Nubie/Additions du traducteur

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Traduction par G. B. Depping.
Librarie française et étrangère (tome 2p. 309-328).

ADDITIONS DU TRADUCTEUR[1].




Tom. I, p. 48. Eunuques de Siout.

Cest à Zawyet-ed-Deyr, village situé auprès de Siout, et habité principalement par des chrétiens, que se fait cette opération barbare. « Pendant mon séjour dans ce pays, dit M. Burckhardt, les opérateurs étaient deux moines coptes ; on prétendait qu’ils surpassaient tous leurs prédécesseurs en habileté. Leur profession est en mépris même chez les derniers Égyptiens ; mais ils sont protégés par le gouvernement auquel ils payent une taxe annuelle, et les grands bénéfices que les propriétaires des esclaves retirent de ceux à qui ils ont fait subir cette opération, les engage à consentir à une action que plusieurs d’entre eux détestent dans leur cœur. » D’après ce voyageur, l’opération n’est dangereuse que pour des garçons âgés de plus de douze ans. Sur soixante enfans mutilés dans l’automne de 1813 il en est mort deux ; et on lui a assuré à Siout, qu’on ne comptait ordinairement qu’un de perte sur cent. Mais l’opération paraît altérer toute la constitution physique ; les individus maigrissent au point de ressembler à des squelettes. Un enfant mutilé se vend environ mille piastres. C’est ce prix énorme qui rend les marchands d’esclaves impitoyables. On fait à Siout environ cent cinquante eunuques par an. Le pacha d’Égypte a fait en une seule fois mutiler deux cents jeunes esclaves de Darfour, pour les envoyer en présent au grand Seigneur. Au reste, la crainte de paraître riche, et d’exciter l’avidité du gouvernement, a réduit considérablement le nombre des eunuques en Égypte et en Syrie. La plupart de ceux qui viennent de Siout, passent à Constantinople et dans l’Asie mineure.

Tom. I, p. 106, et p. 168. Ruines de Kardassy.

À Kardassy, en deçà de Tafa, l’ancienne Taphis, on trouve des antiquités qui ont été visitées par M. Burckfardt. C’est un grand mur d’enceinte, de dix pieds d’épaisseur, avec une grande porte d’entrée, semblable à celle qui décore la façade du temple de Mérouau : sur les deux facesce mur est formé de pierres taillées, et l’intervalle est rempli de petites pierres qui y ont été jetées confusément, et ne sont unies par aucun ciment. Il est probable que cette enceinte était un lieu de défense ; peut-être était-ce un poste romain contre les incursions des Blemmis. À un mille au-dessus de cette station, auprès du fleuve, on voit sur une butte le portique d’un ancien temple ; il ne reste du plafond qu’une seule pierre, qui a au moins seize pieds de long ; les chapiteaux de deux colonnes représentent, sur les quatre faces, la tête d’Isis, coiffée comme à Tentyra ; mais sa figure annonce plus de jeunesse et sa physionomie est moins sévère. Presque toutes les colonnes paraissent avoir été couvertes d’hiéroglyphes.

Au sud-ouest de la butte qui porte ce temple, la roche sablonneuse est percée de grandes carrières qui paraissent avoir fourni les pierres de cette espèce, employées aux temples de Philae et de Parembole, où les roches sont toutes de granit. Dans une niche de ces carrières on trouve un piédestal qui paraît avoir porté une statue. Cette niche a dû être l’objet d’un culte particulier, tant de la part des anciens Égyptiens que des Grecs, Païens et Chrétiens : les dévots y priaient pour leur santé et pour celle de leurs amis, à en juger par les nombreuses inscriptions tracées auprès de la niche.’ M. Burckhardt en a fait une ample récolte. Voici la première.

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Des figures de sphinx se mêlent sur ces rochers, aux figures des Saints du christianisme. Il y a dans ces carrières d’autres niches plus petites, et surmontées du globe ailé ; mais elles n’ont point d’inscriptions.

Tom. I, p. uo. Petit temple d’El-Kalabché. Si l’on veut connaître plus en détail les deux temples d’El-Kalabché, il faut lire l’intéressante description qu’en fait M. Burckhardt, dans la relation de son voyage sur les bords du Nil. Ce voyageur regarde le grand temple comme un des modèles les plus précieux de l’architecture égyptienne ; le monument doit être du meilleur temps et peut être comparé aux temples de Tentyra et d’Edfou ; mais, dans quelques parties, l’exécution en est plus négligée que dans les temples de ces deux endroits.

Les sculptures du petit temple, décrites avec beaucoup de détail par le même voyageur, sont très-remarquables d’abord par les sujets mêmes, et puis par l’analogie que ces sujets présentent avec ceux qui ont été sculptés à Ybsamboul et dans d’autres monumens sacrés de l’antique Égypte. Il vaut la peine de nous en occuper quelques momens.

Sur les murs d’une aire ouverte devant ce temple on voit divers sujets historiques. Ici c’est le héros debout sur son char de guerre, chassant devant lui ses ennemis vaincus qui fuient dans une contrée abondante en arbres fruitiers, sur lesquels on remarque des singes. Deux chars plus petits suivent celui du vainqueur ; ils portent chacun une femme et un conducteur. Dans un autre compartiment c’est une procession triomphale, qui défile devant Osiris assis : d’abord passent des hommes portant sur les épaules de gros morceaux de bois, que M. Burckhardt présume être de l’ébène ; l’un de ces hommes conduit une chèvre sauvage, un second porte une autruche, un troisième une gazelle, et un quatrième un singe ; un autre conduit deux buffles : la procession est terminée par une giraffe et son conducteur, et deux prisonniers qui n’ont pour tout vêtement qu’une peau de bête sauvage nouée autour des reins. Dans un compartiment placé au-dessus de celui-ci on voit un gros lion avec son conducteur, un animal de la taille d’une grande chèvre avec de longues cornes droites, une couple de buffles. Enface de ces deux compartimens on voit représenté le roi on héros, ayant devant lui des amas d’arcs, de dents d’éléphans, de peaux et de fourrures de bêtes sauvages, et une rangée de calebasses contenant peut-être des parfums précieux ou des liqueurs. Ailleurs on conduit devant le héros assis des prisonniers barbus, ayant les mains liées, et des femmes prisonnières, vêtues de longues robes, et.avec de hautes coiffures. Dans un autre endroit on immole un prisonnier ; ailleurs on a représenté l’assaut et la prise d’une tour ; un homme, armé d’une hache, cherche à faire une brèche dans les murs du haut desquels sont précipites plusieurs des assiégés, tandis que d’autres-sont amenés comme prisonniers.

Tous ces sujets, ajoute M. Burekhardt, sont les plus beaux échantillons de sculpture historique, que j’aie vus dans la vallée du Nil ; les figures sont même dessinées avec plus de chaleur que celles de Thèbes ; celles des animaux annoncent une grande correction. Les sujets acquièrent de l’importance par la considération qu’ils retracent un fait historique que ne rappelle aucun autre monument. On voit que le héros d’Égypte a porté ses armes dans un pays habité par des lions, des giraffes, des singes et des éléphans ; on ne trouve aucun de ces animaux en Nubie ou en Dongola ; l’éléphant et la giraffe habitent les bords du Nil vers Sennaf, les forêts des frontières de l’Abyssinie, ainsi que les bords de l’Astaboras et de l’Astapus, d’où l’on importe aussi maintenant en Égypte les femmes esclaves les plus belles et les plus estimées. Tous ces triomphes, retracés par la sculpture, annoncent donc que le théâtre de la guerre a dû être dans les pays situés au sud de la contrée civilisée de l’ancienne Méroé ; car les prisonniers, qui ne portent d’autre vêtement que des peaux d’animaux, annoncent un peuple sauvage. Les batailles représentées à Thèbes, à Louxor et à Carnak paraissent se rapporter à des expéditions moins lointaines. Ne pourrait-ou pas admettre que les châteaux entoures d’eau, qui y figurent, représentent les îles fortifiées du Batn-el-Hadjar, où l’on trouve encore tant de ruines en briques ? La’coiffure des fugitifs qui n’est qu’une chevelure coupée en rond, et non pas un bonnet, comme on l’a dit par erreur, et leur barbe courte et étroite convient parfaitement aux Noubas méridionaux dont le teint est d’un cuivre foncé. Il est facile à croire que les habitans des districts stériles de Nubie, et du Batn-el Hadjar, convoitaient anciennement les richesses de l’Égypte, et excitaient fréquemment le ressentiment des monarques de Thèbes par les excursions qu’ils faisaient de leurs forts dans les provinces égyptiennes.

Je ferai remarquer seulement sur cet intéressant passage que Burckhardt se trompe en croyant que le temple d’El-Kalabché est le seul dont les sculptures fassent allusion aux guerres lointaines d’un des rois d’Ëgypte. On peut voir par le voyage de M. Belzoni, que la giraffe et d’autres animaux des pays situés au midi de l’Égypte, sont représentés sur divers monumens antiques le long du Nil.

Tom. I, p. 1l6. Temple de Dakké.

M. Burckhardt qui a décrit le temple de Dakké très en détail, rapporte la même inscription, mais avec quelques différences. Comme ce voyageur en a copié deux autres, je vais les transcrire ici toutes les trois d’après sa relation.

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Il est évident que ces inscriptions ont été tracées par des hommes qui ont fait, sous le règne des Romains, leurs dévotions à ce temple, et qui ont voulu laisser un souvenir de leur pélerinage. M. Burckhardt présume que Dakké est l’ancien Pselcis, et que le temple a été bâti en petit sur le modèle de celui de Philae. Les colonnes y sont surmontées des mêmes chapiteaux qu’on voit seulement dans cette île ; les figures sculptées en grand nombre sur les murs du dehors et dans les diverses salles, sont exécutées avec un soin qui les met au rang des plus beaux modèles de sculpture égyptienne que les voyageurs admirent à Philse et à Hermonthis. « Je préfère, dit ce voyageur, les figures dans la salle derrière l’adytum à tout ce que j’ai vu dans les temples de ces contrées ; dans aucun je n’ai trouvé cette correction de dessin, cette grâce dans les esquisses ; quelques figures auraient fait honneur à un édifice grec. » Sur une des colonnes M. Burckhardt vit représenté un harpiste, et dans une chambre obscure à côté de l’adytum, il trouva un tombeau profond au-dessus duquel|il y avait un gros lion sculpté sur le mur. Le couloir qu’on remarque dans ce temple derrière le vestibule, est particulier aux temples de Nubie ; M. Burckhardt ne l’a point retrouvé dans ceux d’Égypte. Au-dessus de chaque groupe ou compartiment de figures, il y a un carré vide qui paraît destiné à recevoir une inscription ; on remarque la même particularité dans les temples de Kalabché, Philae et Aamara ; elle ne se retrouve pas dans les temples situés plus au nord.

À Koban sur la rive orientale du Nil, presque en face de Dakké, on trouve les ruines d’une ville ancienne, ceinte de murs en briques cuites au soleil, comme celles d’Elé— thyia ; on y voit des restes de maisons, des chapiteaux de petites colonnes égyptiennes ; et hors de l’enceinte, on observe le débris d’une très-petite chapelle égyptienne d’un style grossier. Sur les pierres sont sculptées quelques hiéroglyphes, et un char qui apparemment a fait partie d’un sujet guerrier.

Tom. I, p. 118. Fille de Seboua.

Wady-Seboua, ou le vallon du lion, nommé ainsi à cause des sphinx à corps de lion qu’on voit devant les ruines du temple à l’ouest du fleuve, est, selon M. Burckhardt, le district le mieux cultivé entre Assouan et Deir. Les habitans de Seboua et ceux de Wady-el-Arab, au midi de cette ville, font un commerce actif et profitable. Ils tirent de Berber, éloigné de huit journées, tous les articles pour le marché de Sennar : cette route est si sûre, qu’elle est constamment pratiquée, et qu’on voit arriver, presque chaque semaine, de petits convois de quatre à cinq chameaux chargés. Quant aux marchands mêmes, ils passent pour perfides et inhospitaliers ; ils sont de la tribu des Arabes Aleykat, originaires du Hedjaz. M. Burckhardt a trouvé leurs compatriotes établis sur les montagnes de Sinaï. Les gouverneurs de la Nubie, lèvent un tribut sur toutes les marchandises que les marchands des deux villes importent du midi ; mais, nombreux et bien armés, les marchands Aleykat savent se soustraire à la contribution, et c’est ce qui fait leur aisance. Ils vendent, dans la Haute-Égypte, des esclaves, de l’ivoire, de la gomme arabique, des plumes d’autruche et des chameaux achetés à Berber ; et ils se procurent en Égypte les articles qui ont le meilleur débit dans les marchés du midi. Chaque hiver une caravane de trente à quarante chameaux chargés se rend de Seboua au Caire. Les marchands s’arrangent ordinairement avec de pauvres familles nubiennes, à qui ils avancent de petites sommes d’argent et qui font pour eux le voyage de Berber. Au retour le bénéfice se partage à moitiés égales.

La ville de Seboua forme la démarcation entre les deux divisions de Barabras, qui habitent la Nubie -depuis Assouan jusqu’à Deir. Le pays au nord de Seboua est le Wady-el-Kenous, et la contrée au midi de la même ville jusqu’aux frontières de Dongola, le Wady-Nouba. Les Arabes Kenous ou habitans du premier sont originaires du Nedjed ; il se trouve aussi parmi eux des descendans des Bédouins des environs de Bagdad ; les Kenous se subdivisent en un grand nombre de petites tribus qui se font souvent la guerre. Leur langue diffère entièrement de l’arabe ; il en est de même du Nouba. Il est remarquable, dit M. Burckhardt, que deux langues étrangères aient pu se maintenir jusqu’à présent entre deux pays, l’Égypte et le Dongola, où l’arabe est la langue dominante.

Tom. I, p. 120. Temple de Deir.

M. Burckhardt a visité et décrit le temple de Deir ou Derr, que M. Belzoni n’a pu voir. Il paraît, dit le voyageur suisse, que les divinités d’Égypte ont été adorées ici long-temps avant de recevoir des autels dans les temples gigantesques de Carnal et Gournah, qui paraissent être les plus anciens du pays. Celui de Derr est taillé dans la roche sableuse, avec son péristyle, son sekos et son adytum. Le vestibule consiste en trois rangs de piliers carrés, chaque rang de quatre piliers. Sur le devant de chacun des piliers du premier rang on voit sculptées les jambes d’une figure colossale, comme sur ceux des temples de Gournah à Thèbes. Un" par du mur du vestibule s’est écroulé. On voit sur les fragmens la représentation d’une bataille : le héros, sur son char, poursuit un ennemi vaincu qui se retire dans un pays marécageux et boisé, emportant les blessés avec lui. Dans un compartiment inférieur du même mur, les prisonniers, ayant les mains liées sur le dos, sont conduits devant l’exécuteur, qui est représenté dans l’action d’abattre l’un d’eux. Toutes ces figures sont très-dégradées. Sur le mur opposé on voit sculptée une autre bataille ; mais ce tableau est encore plus mutilé. Des prisonniers y sont conduits devant Osiris à tête d’épervier. De chaque côté de l’entrée principale de la nef, Briarée est sur le point d’être tué ; mais Osiris, ayant le bras levé, arrête le coup. C’est le même groupe qu’on voit si fréquemment dans les temples d’Égypte ; mais ici Briarée n’a que deux têtes et quatre bras, au lieu du grand nombre de têtes et de bras qu’on lui attribue ailleurs. Sur les quatre piliers, devant la nef, on a représenté des figures avec divers cos tumês, placées deux à deux et se donnant la main. Le Mendès, ou Priape égyptien, se voit aussi en divers endroits. Les deux rangs de piliers qui conduisent de l’entrée de la nef au sanctuaire, annoncent l’enfance de l’architecture, n’étant que des étais taillés grossièrement dans le roc. Les murs de la nef sont couverts de figures mystiques d’un travail plus grossier que celles d’aucun autre temple d’Égypte. On y remarque entre autres cinq figures en longues robes, ayant la tête rase, et portant sur leurs épaules un bateau, qui est soutenu aussi au milieu par un homme ayant une peau de lion sur l’épaule. Un globe ailé surmonte l’entrée du sanctuaire, dans lequel on voit les bases de quatre statues taillées dans le mur. De chaque côté du sanctuaire sont percées de petites chambres : l’une d’elles a une profonde excavation qui a probablement servi de sépulcre. M. Burckhardt a trouvé aussi des tombes creusées dans le flanc de la montagne auprès du temple. Au-dessus de ces cavernes étaient des mots grecs. Au sujet de la figure de Briarée qu’on voit si souvent, M. Burckhardt remarque ailleurs que dans les temples de Nubie, il est toujours représenté avec des cheveux ronds et des anneaux d’oreilles, précisément comme les Noubas et habitans actuels de Mahass. Il pense que la défaite et l’exécution de quelque grand chef bédouin par un roi d’Égypte, a pu donner lieu à la fable des prêtres au sujet d’un monstre à tant de têtes et de bras. On dit encore aujourd’hui par forme d’adage, dans l’Orient, au sujet des pillards bédouins : coupez-leur une tête, et il en naîtra cent.

Tom. I, p. 124. Ville d’Ibrim. Les habitans d’Ibrim, qui, grâce à leur origine bos nienne, sont indépendans des cacheffs, despotes de Nubie, et qui dans cet état de liberté avaient acquis une grande prospérité par leur commerce de dattes, ont tout perdu en 1810, lors de la retraite des Mamelouks sur Dongola, où le pacha d’Égypte doit les attaquer cette année (1820). Après le départ de cette soldatesque féroce qui avait tout ravagé, une famine fit périr le tiers de la population. Quant aux cacheffs de Nubie, le peuple d’Ibrim a toujours su défendre contre eux son indépendance ; il n’obéit qu’à un aga de sa nation, et il a un cadi héréditaire. Les habitans ont des querelles fréquentes entre eux. En cas de meurtre on n’accepte point de compensation en argent comme chez les Nubiens ; le sang se venge alors par le sang. Au reste, toutes les blessures sont taxées suivant les parties du corps où elles sont infligées, comme chez les anciens peuples du nord de l’Europe. Une loi semblable existe chez les Bédouins de la Syrie. Le vol est presque inconnu chez les Bosniens d’Ibrim. Les habitans laissent tous leurs biens à l’abandon, sans avoir lieu de se repentir de leur confiance. Dans le château-fort d’Ibrim, M. Burckhardt n’a trouvé d’autre antiquité qu’une petite colonne de granit gris.

On peut remarquer que depuis Ibrim M. Belzoni n’a point eu de guide pour l’itinéraire de sa route à la seconde cataracte ; c’est que lors de la rédaction de son voyage, celui de M. Burckhardt n’était probablement pas imprimé. Le dernier de ces voyageurs indique tous les lieux, non seulement jusqu’à la seconde cataracte, mais même jusqu’à la cataracte de Koke, la plus méridionale qu’il y ait en Nubie. Voyez la carte du cours du Nil. Tom. I, p. 131. Cacheffs de la Nubie.

Les trois cacheffs ou gouverneurs de la Basse-Nubie descendent de Hassan-Cousy, que le sultan Sélim envoya avec un corps de Bosniens au secours des Arabes El-Gharbye, qui avaient été opprimés par les Arabes Djowabère, depuis que ces deux tribus s’étaient établies dans le pays. Les soldats bosniens qui étaient venus avec lui chasser les Djowabère, s’établirent dans les trois forts d’Assouan, Ibrim et Saï, et furent exempts de tous les impôts. Leurs descendans jouissent encore de ce privilège : ils s’appellent eux-mêmes Kaladeliy, ou gens des châteaux-forts ; mais les Nubiens les désignent simplement sous le nom d’Osmanli. Leur teint clair les fait distinguer aisément des Nubiens. Ils sont gouvernés par leurs propres agas, et ne dépendent point des gouverneurs de la Nubie. Quant à Hassan-Cousy, il fut, sa vie durant, maître de la Nubie, en payant un miri annuel au pacha d’Égypte. Les trois cacheffs ses descendans ont à peu près la même autorité. Selon M. Burckhardt ils paient un tribut annuel d’environ deux mille huit cent quatre vingts francs, et ils ont chacun environ soixante-douze mille francs de revenu, dont ils ne dépensent pas plus du dixième. Leurs sujets sont taxés non pas d’après l’étendue de leurs terres, mais d’après la quantité des machines d’arrosage ou sakies. On en compte six à sept cents entre la première et la seconde cataracte du Nil. Ce mode de taxation règne le long du fleuve jusqu’à Sennar ; mais le montant en varie : à Wady-Halfa, chaque sakie paie six brebis grasses et autant de mesures égyptiennes de dourrah ; à Mahass, le malek ou roi prend pour chaque sakie six brebis, deux ardeps de dourrah et une chemise de toile.

Tome II. 21 Les cacheffs prennent aussi une petite quantité de dattes sur chaque dattier, et perçoivent un impôt sur tous les bateaux qui chargent des dattes à Deir. Ces chargemens destinés pour l’Égypte, se montent annuellement à quinze cents ou deux mille ardeps. Les cacheffs sont en outre juges ; et comme la justice se paie, ils tirent de ces fonctions un bénéfice, indépendamment des vexations criantes qu’ils se permettent, et qui poussent quelquefois leurs sujets désespérés à des actes de rébellion ouverte. Quand un Nubien s’enfuit pour échapper à la tyrannie des cacheffs, ils mettent en prison sa femme ou ses enfans jusqu’à ce qu’il revienne ; tandis qu’en Égypte et en Syrie, les pachas respectent les familles mêmes de leurs plus grands ennemis. Lorsqu’un Nubien, qui vit dans quelque aisance, a une fille à marier, les cacheffs la demandent en mariage ; après la noce ils extorquent, sous divers prétextes, les biens du beaupère. Aussi les cacheffs ont contracté des mariages dans presque tous les grands villages. Osseyn - Cacheff a, selon M. Burckhardt, plus de quarante fils, dont vingt sont mariés de la même manière.

Tom. I, p. 152. Petit temple d’Ybsamboul

Le petit temple d’Ybsamboul sert, suivant M. Burckhardt, de refuge aux habitans de Ballyane et aux Arabes des environs, qui sont obligés régulièrement, chaque année, de se dérober aux incursions des Bédouins Mogrebins, établis entre la grande Oasis et Siout. Ces nomades commencent leur expédition par le pillage d’Argo et de tous les villages de la rive occidentale du Nil : ils visitent ensuite Mahass, Sukkot, Batu-el-Hadjar, Wady-Halfa, les villages situés vis-à-vis de Deir, et enfin Dakké. Auprès de cette place ils gravissent les montagnes, et retournent par le désert vers Siout. Leur troupe consiste ordinairement en cent cinquante cavaliers et autant d’hommes montés sur des chameaux. Aucun Nubien n’ose leur résister ; les gouverneurs leur font au contraire des visites, et leur offrent quelques présens. C’est particulièrement à cau : e des incursions de cette tribu, qu’une grande partie de la rive occidentale du Nil est déserte. Lorsque ces pillards se portent sur Ballyane, les habitans se réfugient avec leurs bestiaux dans le temple d’Ybsamboul, et s’y défendent même comme dans un fort.

Le mot d’Ybsamboul est vraisemblablement d’origine grecque ; la terminaison en mXiç est changée en boul, comme dans le mot Stamboul.

Tom. I, p. 167. Esclaves des officiers turcs.

Les officiers turcs achètent souvent, dans la Haute Égypte, des enfans, les élèvent dans leur service ; et lorsque ces jeunes esclaves sont en âge de porter les armes, on les habille et on les arme comme soldats, et on les inscrit sur le rôle de la compagnie ou du corps commandé par leurs maîtres. Ceux-ci touchent alors la paie de leurs esclaves et la gardent ; en sorte que c’est pour eux une source de bénéfices d’avoir beaucoup d’esclaves. M. Burckhardt assure que par ce moyen un grand nombre de soldats noirs a été introduit dans l’armée turque, et que le pacha a même voulu former un corps de noirs exercés à l’européenne ; mais que l’aversion des officiers pour cet exercice l’a fait renoncer à son projet. Le nombre d’esclaves achetés annuellement par les officiers turcs en Égypte, se monte à six ou huit cents. Tom. I, p. 351. Temple de Debod.

Debod est l’ancienne Parembole. Les deux monolythes sculptés en forme de temples, que l’on trouve dans le sanctuaire, paraissent à M. Burckhardt avoir servi de loges à des animaux sacrés, peut-être à des scarabées qui fourmillent en Nubie sur les sables brûlans, et qui étant toujours privés d’eau, ont pu être, suivant l’opinion de ce voyageur, le symbole de la résignation aux : décrets de la Providence. On reconnaît sur ces monolythes l’endroit où étaient fixés les gonds de la porte. Il y a des monolythes semblables à Philae, auprès de l’avenue des Sphinx, à Carnak, et à Gow ou Gaou, l’ancienne Antœopolis. Le dernier est le plus grand, et il est couvert en dedans d’inscriptions et de sculptures. Parmi les objets qu’elles représentent, on remarque des scarabées. Le plus grand des deux monolythes de Debod a huit pieds de haut sur trois de large. Dans les murs des deux chambres, derrière le sanctuaire du temple de Debod, on remarque des enfoncemens semblables à ceux du temple de El-Ka— labché, et qui, probablement, ont servi aussi de réceptacles à des animaux sacrés.

« Ce temple, ajoute M. Burckhardt, me paraît avoir été bâti à une époque où les arts, en Égypte, avaient commencé à décliner. Les colonnes et sculptures du monument sont imitées de celles de Philae ; mais elles sont très-inférieures en beauté à leurs modèles. Le petit temple de Merou ou Merouau, paraît être à peu près de la même époque ; mais l’exécution en est bien plus soignée. Ainsi nous trouvons en Nubie des échantillons de l’architecture égyptienne de toutes les époques ; et ce m’est qu’en Nubie qu’on peut suivre l’histoire de cet art : car il semble que tous les temples qui subsistent encore en Égypte, peut-être à l’exception de celui de Gournah, ont été construits à une époque où l’art de l’architecture avait à peu près atteint à la perfection. Si j’avais à classer les temples de Nubie dans l’ordre chronologique probable de leur construction, voici comment je les rangerais : i°.Ybsamboul ; 2°. Ghirché ; 3°. Deir ; 4°- Samné ; 5°. Ballyane ; 6°. Hassaya ; 7°. Seboua ; 8°. Aamara et Kalabché ; 9°. Dakké et Meharraka ; 10°. Kardassy 11°. Merouau ; 12°. Debod ; 13°. Korty ; 14°. Tafa. » Le même voyageur a vu dans l’aire du vestibule d’énormes pierres servant de fondemens au temple ; il présume que cet édifice a des souterrains comme on en a trouvé au-dessous d’autres temples d’Égypte.

Tom. II, p. 246. Le kerkedan.

Le grain du kerkedan est noir et ressemble à la coriandre. Cette plante croît spontanément dans le Batnel-Hadjar ; et on la tire par semence dans quelques districts de la Nubie septentrionale. On brûle le grain comme le café ; mais il sert encore davantage à la confection du pain, et c’est même la principale nourriture du peuple dans ces districts.

Tom. II, p. 244- Grains de verre. Les grains de chapelet ou de collier sont, en Afrique, à la fois un article de parure générale et une espèce de monnaie courante : hommes, femmes, enfans, tous en portent des cordons au cou, ou aux bras, ou à la main. M. Burckhardt en a vu faire un grand commerce au marché de Shendy, au-delà de Dongola. Les plus communs sont faits en bois par les tourneurs de la Haute Égypte, et se débitent chez les Bédouins. On en fait d’autres avec les noyaux du daoum, surtout à Dendera, où est la principale fabrique de ce genre. Ceux-là se portent par une espèce de dévotion ; apparemment parce qu’on leur attribue quelque qualité mystique. On importe en Égypte une grande quantité de grains rouges et noirs de Jérusalem. Les grains de verre (kberraz) sont recherchés en Égypte, en Nubie, en Abyssinie et en Oarfour, et viennent, pour la plupart, d’EI-Khalil ou de l’Ebron, auprès de Jérusalem. Ce lieu fournit de la verrerie à toute la Syrie méridionale, et à la plus grande partie de l’Égypte et de l’Arabie. On en introduit de plus beaux* de Venise et de la Bohême : ceux du dernier pays sont blancs. Il se vend annuellement au Caire quatre à cinq cents caisses de grains ; de verre de Venise, chacune de dix quintaux et de la valeur de quatre à huit louis. À Djedda, M. Burckhardt vit des assortimens de grains destinés pour les marchés d’Abyssinie, et composés d’une douzaine d’espèces différentes qui sont en vogue dans des districts particuliers. Les marchands de Souakin importent au marché de Shendy une espèce de grains de collier, appelés reych, qui sont achetés particulièrement par les marchands de Kordofan, pour servir dans leur pays à l’achat des esclaves. Avec un millier de ces grains on peut se procurer à Kordofan six femmes esclaves. À Djedda, le mille de reych se vend quinze dollars d’Espagne. Ce sont de petites boules d’agate de l’Inde, perforées, et de la grosseur des billes de marbre qui servent chez nous aux jeux d’enfans. Les femmes les portent en collier, et les marchands en font un objet de spéculation lucratif. Tom. II, p. 257. Femmes nubiennes.

Je citerai ici tout au long les remarques de M. Burckhardt, auxquelles madame Belzoni fait allusion.

« Les Nubiennes, dit ce voyageur, sont toutes bien faites, et, sans être jolies, elles ont généralement la physionomie douce et des manières fort agréables : j’ai même vu des beautés parmi elles. M. Denon ne leur a sûrement pas rendu justice. Il est vrai que depuis leur enfance elles sont accablées par un travail continuel, étant chargées de tout le ménage, tandis que les hommes ne se livrent qu’à l’agriculture. De toutes les femmes de l’est, celles de la Nubie ont le plus de vertu ; ce qui fait d’autant plus leur éloge, que le voisinage de la Haute Égypte, où la licence dés mœurs est à son comble, aurait pu exercer quelque influence sur elles. Pendant mon séjour à Esné, des filles venaient tous les matins à ma demeure pour vendre du lait ; les Égyptiennes entraient hardiment dans la cour, et découvraient leur face, ce qui équivalait à une offre de leurs personnes ; mais les filles des familles nubiennes établies à Esné, restaient modestement sur le seuil de la porte ; rien ne pouvait les engager à entrer, et elles y recevaient le prix de leur lait sans lever leur voile. Les Nubiens achètent leurs femmes des parens. Le prix ordinaire chez les Kenous, est de douze mahboubs ou trente-six piastres. Ils se marient fréquemment avec les Arabes Ababdeh, dont quelques uns cultivent la terre comme eux. Une fille ababdeh vaut six chameaux, que l’on donne au père ; celui-ci en rend trois à sa fille pour être la propriété commune du jeune couple. En cas de divorce, la moitié de la valeur des trois autres chameaux se restitue au mari. Dans la Haute Égypte, quand’une femme demande le divorce, le mari a le droit de lui arracher ses vètemens et de lui raser la tête ; personne n’ose alors l’épouser avant que les cheveux lui soient revenus. Le Nubien est très-jaloux de l’honneur de sa femme : au moindre soupçon d’infidélité, il la conduit la nuit sur le bord du fleuve, et après lui avoir ouvert le sein d’un coup de couteau, il la précipite dans l’eau pour être dévorée par les crocodiles. Les femmes publiques qu’on rencontre par milliers dans toutes les provinces d’Égypte, ne sont pas tolérées en Nubie, excepté à Deir ; encore celles qu’on y voit sont-elles, non pas.-des indigènes, mais des esclaves émancipées, qui, privées de toute ressource, ont eu recours à la prostitution pour ne pas mourir de faim. Les goûts détestables que les Mamelouks ont rendus si communs en Égypte, même parmi les plus pauvres paysans, sont abhorrés en Nubie ; il n’y a que les cacheffs et leurs familles qui cherchent à imiter les Mamelouks jusque dans leur plus profonde dépravation.

FIN.


  1. Tirées des Voyages en Nubie, par M. Burckhardt, Londres, 1819. in-4o.