Wikisource:Extraits/2012/10

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James Fenimore Cooper, Le Lac Ontario 1840

Traduction Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret 1840


LE


LAC ONTARIO.




CHAPITRE PREMIER


« Le gazon sera mon autel de parfums ; cette arche dont tu couvres ma tête, ô Seigneur, sera mon temple, l’air des montagnes deviendra la fumée de mon encensoir, et mes pensées silencieuses seront mes seules prières. »
Moore.


Il ne faut que des yeux pour concevoir l’idée de sublimité qui se rattache à une vaste étendue. Les pensées les plus abstraites, les plus perçantes, peut-être les plus châtiées du poète s’accumulent sur son imagination quand il jette un regard sur les profondeurs d’un vide sans limites. Il est rare que le novice voie avec indifférence l’étendue de l’océan, et l’esprit trouve, même dans l’obscurité de la nuit, un parallèle à cette grandeur qui semble inséparable d’images que les sens ne peuvent atteindre. C’était avec un sentiment semblable d’admiration respectueuse, née de la sublimité, que les différents personnages qui doivent commencer les premiers à figurer dans cette histoire, regardaient la scène qui s’offrait à leurs yeux. Ils étaient quatre ; deux de chaque sexe. Ils avaient réussi à monter sur des arbres empilés, déracinés par une tempête, pour mieux voir les objets qui les entouraient. C’est encore l’usage du pays d’appeler ces endroits wind-rows[1]. En laissant la clarté du ciel pénétrer dans les retraites obscures et humides de la forêt, ils forment une sorte d’oasis dans l’obscurité solennelle des bois de l’Amérique. Celui dont nous parlons en ce moment était sur le haut d’une petite éminence ; mais, quoique peu élevée, elle offrait à ceux qui pouvaient en occuper le sommet, une vue très-étendue, ce qui arrive rarement au voyageur dans les bois. Comme c’est l’ordinaire, l’espace n’était pas grand ; mais comme ce wind-row était situé sur le faîte de la hauteur, et que la percée pratiquée par le vent s’étendait sur la déclivité, il offrait à l’œil des avantages assez rares. La physique n’a pas encore déterminé la nature du pouvoir qui souvent désole ainsi dans les bois des endroits semblables ; les uns les attribuant aux tourbillons qui produisent des trombes sur l’océan, tandis que d’autres en cherchent la cause dans le passage subit et violent de courants de fluide électrique ; mais les effets qui en résultent dans les bois sont généralement connus. À l’entrée de la percée dont il est ici question, cette influence invisible avait empilé les arbres sur les arbres d’une manière qui avait permis aux deux hommes, non seulement de monter à environ trente pieds au-dessus du niveau de la terre, mais, avec un peu de soins et d’encouragement, d’engager et d’aider leurs compagnes plus timides à les y accompagner. Les énormes troncs que la force du coup de vent avait renversés, brisés comme des fétus de paille, entrelacés ensemble, et dont le feuillage exhalait encore l’odeur de feuilles à demi desséchées, étaient placés de manière que leurs branches pouvaient offrir aux mains un appui suffisant. Un grand arbre avait été complètement déraciné, et ses racines élevées en l’air avec la terre qui en remplissait les interstices, fournit une sorte de plate-forme aux quatre aventuriers, quand ils eurent atteint cette élévation.

Le lecteur ne doit s’attendre à rien trouver qui lui fasse reconnaître des personnes de condition dans la description que nous allons faire de ce groupe. C’étaient des voyageurs dans le désert ;

  1. File d’arbres renversés par le vent. (Note du traducteur.)