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George Sand, Le Pavé dans Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 34 1861


LE PAVÉ
NOUVELLE DIALOGUÉE.

AVANT-PROPOS.

Certaines situations de la vie intime ou certaines émotions individuelles sont plus aisément retracées par le dialogue que par le récit, et sans songer à sortir du cadre du roman, nous avons quelquefois senti le besoin de leur donner la forme d’une conversation entre un petit nombre de personnages. Ces essais ne méritent ni le titre de proverbes, qui semble indiquer la mise en action d’une idée générale, ni celui de saynètes, qui promet une action particulière assez vive et spécialement dramatique. Nous nous contenterons donc de celui de nouvelles dialoguées, qui doit bien faire comprendre que ceci n’a jamais été destiné au théâtre.

Pourtant ces dialogues ont été récités sur la scène, mais entre amis, et devant un public d’amis intimes, fort restreint par conséquent, et il s’est produit là quelque chose d’intéressant. Convaincu que tout sujet est bon quand il est honnête et bien compris, nous nous plaisions à demander d’avance aux acteurs la donnée du dialogue qu’ils voulaient dire, et sur cette donnée, la plus simple étant toujours, selon nous, la meilleure, nous leur indiquions dans un canevas détaillé les raisonnemens et les contradictions, les volontés et les imprévus, les efforts et les spontanéités que leurs sentimens et leurs caractères nous semblaient devoir comporter. C’était un travail d’analyse qui leur plaisait, et comme ils étaient libres de développer nos indications, nous les avons vus souvent composer leur rôle avec une rare intelligence, et trouver dans la liberté de leur étude, et même dans la chaleur de l’improvisation, les accens d’une vérité très frappante, ou les aperçus d’une appréciation très ingénieuse.

Nous avons pensé souvent à récrire ces dialogues, non pas tels que nous les avons entendus sur le théâtre de Nohant (verba volant), mais sous l’impression qui nous en est restée, et de les publier en recueil pour les loisirs des réunions d’amateurs à la campagne.

Nous disons campagne avec intention. Ces petits essais conviendraient moins aux salons de Paris, où il faut de l’esprit et point du tout de naïveté, de l’art un peu factice comme les rapports superficiels que le monde exige, et très peu d’étude des passions. À la campagne, on devient tôt ou tard plus sérieux et plus simple. Ce n’est pas un mal, comme disent les bonnes gens.

Nohant, 26 juillet 1861.
PERSONNAGES

M. DURAND. Jean COQUERET, son valet.

LOUISE, sa servante. Un VOISIN de campagne.


(La scène est dans une maison de campagne. Intérieur d’un cabinet de travail. Rayons chargés de minéraux, de fioles, de livres et de divers instrumens à l’usage d’un amateur naturaliste. Bureau encombré, fauteuil de cuir ; porte au fond donnant de plain-pied sur un jardin ; porte à droite conduisant à une chambre à coucher ; fenêtre à gauche. Un fusil de chasse et un carnier à la muraille.)


Scène PREMIÈRE.

le voisin, parlant à la cantonade. Au fond.

Bien, bien, Rosalie ! Je me reposerai, j’attendrai un peu, et s’il ne revient pas, ma foi, je m’en irai, (il entre.) Ce diable d’homme ! il me tarde de savoir s’il a fait la démarche. Ma sœur m’écrit qu’elle ne l’a pas vu ; mais la lettre est du 25, nous voici au 30,… et puisqu’il a dit ici qu’il reviendrait au bout de huit jours… Voilà les huit jours écoulés. Sans doute il s’est décidé à se présenter à sa future. Dès lors il a quelque affaire à régler chez lui, sa maison à mettre en ordre… Pourvu que les fantaisies, les manies de la science ne l’y retiennent pas trop longtemps !… Mais je suis là pour le réveiller, moi ! Ah ! c’est lui.