Wikisource:Extraits/2014/32

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Jonathan Swift, Opuscules humoristiques 1724

Traduction Léon de Wailly 1859



INSTRUCTIONS AUX DOMESTIQUES



Quoique d’une certaine étendue, ce traité n’est qu’un fragment. On présume que Swift voulait faire tout un volume, mais que le temps et la santé lui manquèrent. Ce qui paraît certain c’est qu’il faisait grand cas de ce travail, car en 1739, alors qu’il avait perdu la mémoire, et que l’indifférence pour la littérature le gagnait de plus en plus, il écrit avec anxiété à Faulkner, son éditeur irlandais, au sujet de ce manuscrit qu’il a égaré.


Règles qui concernent tous les domestiques en général.


Quand votre maître ou maîtresse appelle un domestique par son nom, si ce domestique n’est pas là, aucun de vous ne doit répondre, car alors il n’y aura pas de raison pour que vous finissiez de trimer ; et les maîtres eux-mêmes reconnaissent que si un domestique vient lorsqu’on l’appelle, cela suffit.

Quand vous avez fait une faute, payez d’effronterie et d’impertinence, et conduisez-vous comme si c’était vous qui aviez à vous plaindre ; cela calmera immédiatement votre maître ou maîtresse.

Si vous voyez un de vos camarades faire tort à votre maître, ayez soin de n’en rien dire, de peur d’être traité de rapporteur : à moins, pourtant, qu’il ne s’agisse d’un domestique favori, qui soit justement haï de toute la maison ; auquel cas il est prudent de rejeter sur lui tout ce qu’on pourra de fautes.

Le cuisinier, le butler, le groom, l’homme qui va au marché, et tous les autres domestiques chargés des dépenses de la maison, feront bien d’agir comme si la fortune entière du maître devait être affectée à leur budget particulier. Par exemple, si la cuisinière évalue la fortune de son maître à mille livres sterling par an, elle en conclut raisonnablement qu’avec un millier de livres par an on aura suffisamment de viande, et que par conséquent il n’est pas besoin de lésiner ; le butler fait le même raisonnement ; autant en peuvent faire le groom et le cocher ; et ainsi la dépense en tous genres se fait à l’honneur de votre maître.

Quand vous êtes grondé devant le monde (ce qui, avec toute la déférence due à vos maîtres et maîtresses, est de bien mauvais goût), il arrive souvent que quelque étranger a la bonté de glisser un mot à votre excuse ; dans ce cas, vous serez en droit de vous justifier vous-même, et vous pouvez justement conclure que lorsqu’il vous grondera plus tard, dans d’autres occasions, il peut avoir tort ; opinion dans laquelle vous vous confirmerez en exposant à votre façon le cas à vos camarades, qui certainement décideront en votre faveur ; c’est pourquoi, je le répète, toutes les fois que l’on vous gronde, plaignez-vous comme si c’était vous qui étiez lésé.

Il arrive fréquemment que les domestiques envoyés en message sont sujets à rester un peu plus longtemps que le message ne l’exige, peut-être deux, quatre, six ou huit heures, ou quelque semblable bagatelle ; car