Wikisource:Extraits/2015/33

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Marie-Victorin, Le Rosier de la Vierge dans Récits laurentiens 1919



Est-il bien vieux, grand-mère, le rosier de l’église ?…

— Oh ! mes enfants ! Il est plus vieux que moi ! J’ai soixante-quinze ans et je l’ai toujours vu là, sous le clocher, au bord de la niche…

— Mais qui donc est allé le planter si haut ?…

— On ne sait pas !

— Mais pourquoi, demanda l’un des plus jeunes, que le curé, il ne l’a pas fait arracher ?…

— Ça, mes petits enfants, c’est une histoire ! Je l’ai entendu conter par mon grand-père, le défunt Jacques Hamel !

— Oh ! mémére ! contez-nous l’histoire du rosier !…

Sans attendre la réponse, tous, fillettes en tablier à manches et aux cheveux nattés, petits gars ébouriffés, barbouillés de la poussière et de la sueur du jeu, nous nous groupâmes sur les cinq marches qui conduisaient dans le parterre, tout parfumé ce soir-là de la forte haleine des muguets et des pruniers en fleur. Et grand'mère étant allée quérir son tricotage, nous raconta l’histoire du rosier.

Je vous la transcris fidèlement.



Il faut d’abord savoir que si l’Ancienne-Lorette est aujourd’hui un petit village bien français et le plus tranquille des villages, il n’en a pas toujours été ainsi. Les pauvres débris de la nation huronne, chassés des rivages de la Mer Douce par les féroces Iroquois, vinrent d’abord se réfugier à la pointe ouest de l’Île d’Orléans. Traqués jusque dans cette retraite par la haine attentive de leurs ennemis, ils furent ensuite placés sous la protection immédiate du canon français, aux portes mêmes de Québec et plus tard, à Sainte-Foy. Mais il semblait que le sort de la tribu était de ne pouvoir fixer nulle part ses wigwams d’écorce et bientôt, conduits par leur saint missionnaire le P. Chaumonot, les Hurons passèrent dans la seigneurie de Saint-Gabriel que les Jésuites possédaient à trois lieues de Québec et qui n’est autre que l’Ancienne-Lorette. La bourgade fut d’abord appelée Nouvelle-Lorette, à cause de la chapelle que, dans sa vénération pour le célèbre sanctuaire italien, le P. Chaumonot édifia sur le plan de la Santa Casa et qui devint bientôt un lieu de pèlerinage très fréquenté. Le comte de Frontenac allait y faire ses dévotions et l’on y vit un jour l’ange de Ville-Marie, Marguerite Bourgeoys, prosternée aux pieds d’une statue de la Mère de Dieu envoyée d’Italie au P. Chaumonot, vers 1674 par le P. Poncet.

Les historiens prétendent bien que la célèbre Madone n’a pas quitté Sainte-Foy, ou que la statue authentique est celle que l’on vénère aujourd’hui à la Jeune-Lorette, et bien d’autres choses encore ! Mais les historiens sont des gens ennuyeux qui ne connaissent rien aux belles histoires ; je les invite à aller voir la Vierge des Hurons dans le coin de la luxueuse église de l’Ancienne-Lorette où elle est aujourd’hui reléguée.

Cette statue en bois, assez grande, ne ressemble en rien aux Vierges qu’affectionne le goût moderne. Les cheveux fortement bouclés s’échappent d’une sorte de bandeau égyptien qui couvre la tête ; la draperie de la robe et du manteau est compliquée, d’un art naïf et charmant. La Vierge, la tête légèrement inclinée en avant, semble parler : sa main gauche s’abaisse vers la terre tandis que