Wikisource:Extraits/2019/21

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Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain : paragraphes 37 à 41 1776

Traduction François Guizot 1819


Contraste d’Adrien et d’Antonin-le-Pieux.

Le génie martial et ambitieux de l’un formait un contraste singulier avec la modération de l’autre, et l’infatigable activité de celui-ci ne paraîtra pas moins remarquable, si on la compare avec la douce tranquillité d’Antonin-le-Pieux, son successeur. La vie d’Adrien ne fut presque qu’un voyage perpétuel. Doué des talens de l’homme de guerre, de l’homme de lettres et de l’homme d’état, ce prince satisfit tous ses goûts, en se livrant aux soins de son empire. Insensible à la différence des saisons et des climats, il marchait à pied et tête nue dans les neiges de la Calédonie et dans les plaines embrasées de la Haute-Égypte. Il n’y eut pas une province qui, dans le cours de son règne, ne fût honorée de la présence du souverain[37], au lieu qu’Antonin passa des jours paisibles dans le sein de l’Italie : pendant les vingt-trois années que ce prince, si digne d’être aimé, tint les rênes du gouvernement, ses plus longs voyages furent de Rome à Lanuvie, où il se retirait pour goûter les douceurs de la campagne[38].

Système pacifique d’Adrien et des deux Antonins.

Malgré cette différence dans leur conduite personnelle, Adrien et les deux Antonins s’attachèrent également au système général embrassé par Auguste. Ils persistèrent dans le projet de maintenir la dignité de l’empire, sans entreprendre d’en reculer les bornes : on vit même ces princes employer toutes sortes de moyens honorables pour gagner l’amitié des Barbares. Leur but était de convaincre le genre humain que Rome, renonçant à toute idée de conquête, n’était plus animée que par l’amour de l’ordre et de la justice. Le succès couronna pendant quarante-trois ans cette politique respectable ; et si nous en exceptons un petit nombre d’hostilités qui ne servaient qu’à exercer les légions répandues sur la frontière, l’univers fut en paix sous les règnes fortunés d’Adrien et d’Antonin-le-Pieux[39]. Le nom romain était respecté parmi les nations de la terre les plus éloignées ; souvent les Barbares les plus fiers soumettaient leurs différends à la décision de l’empereur ; et, selon le témoignage d’un historien contemporain, des ambassadeurs qui étaient venus solliciter à Rome l’honneur d’être admis au nombre de ses sujets, s’en retournèrent sans avoir pu obtenir cette distinction[40].

Guerres défensives de Marc-Aurèle.

La terreur des armes romaines ajoutait de la dignité à la modération des souverains, et la rendait plus respectable. Ils conservaient la paix en se tenant perpétuellement préparés à la guerre ; et en même temps que l’équité dirigeait leur conduite, les nations voisines s’apercevaient bien qu’ils étaient aussi peu disposés à supporter l’offense qu’à offenser eux-mêmes. Marc-Aurèle employa contre les Germains et les Parthes ces forces redoutables qu’Adrien et son successeur s’étaient contentés de déployer autour de leurs frontières. Les attaques des Barbares provoquèrent le ressentiment de ce prince philosophe : forcé de prendre les armes pour se défendre, Marc-Aurèle remporta, par lui-même ou par ses généraux, plusieurs victoires sur l’Euphrate et sur le Danube[41].