Louise d'Alq, Anthologie féminine 1893
ANTHOLOGIE FÉMININE
PREMIÈRE PÉRIODE
XIIIe-XVIe siècle
MARIE DE FRANCE
(xiiie siècle)
a première femme poète qui écrivit pour
le public, quoique peu de ses ouvrages
soient parvenus jusqu’à nous, Marie de France, naquit à Compiègne, d’après ce que raconte
d’elle un poète, Jehan Dupain. De son
origine, on connaît seulement ce qu’elle dit elle-même
par ce vers :
Marie ay nom, ii sui de France.
Elle fit partie du groupe de trouvères attirés par les princes anglo-normands à l’époque des troubadours et du Roman du Renart.
Un de ses plus beaux poèmes a pour titre le Purgatoire de Saint-Patrice ; elle a publié, sous le pseudonyme d’Ysopet, une imitation en langue d’oïl de cent trois fables d’Ésope, de Phèdre et d’autres auteurs, que le roi Henri Ier a traduites en anglais. Elle puisa souvent ses inspirations à la source féconde des anciennes légendes de Bretagne et d’Irlande. On connaît d’elle aussi une quinzaine de lais, entre autres celui du Léotic ou Rossignol, dont on trouve une réminiscence dans le conte de Mme d’Aulnoy, l’Oiseau bleu. Les Deux Amants est un autre petit poème de Marie de France plein de gracieux et touchants détails.
Tant de loin que de prez n’est laide
La Mors. La clamait à son ayde
Tosjors ung povre bosquillon
Que n’ot chevance ne sillon :
« Que ne viens, disoit, ô ma mie,
Finer ma dolorouse vie ! »
Tant brama qu’advint ; et de voix
Terrible : « Que veux-tu ? — Ce bois
Que m’aydiez à carguer, Madame ! »
Peur et labeur n’ont mesme game.
AGNÈS DE NAVARRE CHAMPAGNE
(Dame de FOIX, née vers 1330.)
Fille de Thibaut VII, comte de Champagne, de Navarre par sa grand’mère, elle avait hérité de son aïeul, Thibaut VI, d’une nature de poète et d’artiste ; musicienne, rieuse, expansive, c’est la plus ravissante personnalité de l’époque qu’Agnès de Champagne. Son imagination ardente, son goût pour les lettres dans ce qu’elles ont de plus exquis, l’entraînèrent dans une liaison romanesque avec Guillaume de Machau, chansonnier célèbre du XIVe siècle, secrétaire de Jean de Luxembourg, contrefait, goutteux, déjà âgé. Elle lui fit savoir mystérieusement qu’une jeune princesse admirait ses vers ; il n’en fallut pas davantage pour exciter l’imagination de Machau : une correspondance littéraire et sentimentale s’établit ; Agnès devint l’élève et l’émule du spirituel et tendre poète. De charmantes lettres pleines d’enjouement et de sensibilité, de nombreux rondeaux, ballades et chansons[2], dont Machau fit la musique et qu’Agnès chantait à ravir, furent le résultat de ce bel enthousiasme, qui, malgré les protestations affectueuses de la jeune élève, resta certainement