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Joseph Bertrand, Les Fondateurs de l’astronomie moderne : Copernic et ses travaux

1865


COPERNIC
ET
SES TRAVAUX


La rotation diurne de notre globe et son mouvement annuel autour du soleil sont aujourd’hui des vérités sans contradicteurs ; il en est peu cependant qui se soient plus difficilement imposées à la conscience de l’esprit humain. Copernic eut la gloire de les affirmer, et il en est, suivant Voltaire, le véritable et seul inventeur. « Le trait de lumière qui éclaire aujourd’hui le monde est parti, dit le grand écrivain, de la petite ville de Thorn. » Il tranche ailleurs la question en affirmant qu’une si belle et si importante découverte, une fois proclamée, se serait transmise de siècle en siècle, comme les belles démonstrations d’Archimède, et ne se serait jamais perdue. Il n’en a pas été ainsi pourtant : les hommes n’acceptent pas si facilement une vérité aussi éloignée des sens, et une erreur aussi ancienne que le monde ne s’arrache pas par un seul effort. Les philosophes de l’antiquité ont cru au mouvement de la terre, et, sans qu’il soit possible de marquer l’origine de cette opinion, on voit qu’elle avait fait impression sur Archimède comme sur Aristote et sur Platon. Cicéron et Plutarque en parlent en termes très-précis. Cette théorie n’était donc pas nouvelle ; mais le nombre de ses adeptes ayant diminué d’âge en âge, elle était complètement délaissée et comme éteinte dans l’oubli, lorsque Copernic, lui donnant pour ainsi dire une nouvelle vie, la fit retentir assez haut pour y attacher son nom à jamais. Les preuves sont nombreuses et précises ; il serait inutile de les rapporter ; mais il ne l’est peut-être pas d’avoir signalé l’erreur dans laquelle Voltaire est tombé pour s’être trop fié à la logique. Ce n’est pas elle qui décide les questions historiques, et un fait bien constant doit prévaloir sur les conjectures et les opinions du plus admirable bon sens.

Copernic a, d’ailleurs, réfuté d’avance son trop exclusif admirateur en rapportant avec une grande bonne foi les passages d’écrivains anciens où il a puisé la première idée de son système ; les indications qu’il donne, malheureusement très-brèves, forment presque tout ce que nous possédons sur la marche secrète de son esprit. L’histoire de ses idées restera donc, quoi qu’on fasse, mal connue, et, en cherchant à en retracer les principaux traits, nous serons souvent réduits aux conjectures.

Copernic est né à Thorn, en 1472. Il perdit son père à l’âge de dix ans, et reçut, sous la direction de son oncle, évêque de Warmie, une éducation très-soignée et dirigée surtout vers l’étude des lettres. On a conservé de lui une élégante traduction latine des épîtres de Théophylacte, qu’il offrit à son oncle, en l’avertissant qu’expurgées avec soin, elles méritent toutes le titre de lettres morales, accordé par l’auteur grec à quelques-unes seulement.

Copernic, à l’âge de dix-sept ans, fut envoyé à Cracovie pour y étudier la médecine ; mais, loin d’en faire son occupation exclusive et unique, il suivit avec succès tous les cours de l’Université. Celui du professeur d’astronomie, Albert Brudvinski, intéressa particulièrement sa curiosité ; un charme puissant s’attacha tout d’abord pour lui aux rudes et grossiers instruments alors en usage, et le jeune étudiant se fit initier à leur emploi. L’ardeur de son esprit l’entraînait en même temps vers les arts ; il suivit un cours de perspective, et, passant de la théorie à la pratique, il s’adonna pendant quelque temps à la peinture ; il y montra, comme en tous ses travaux, de très-heureuses dispositions, et fit même quelques portraits d’après nature qui furent trouvés très-ressemblants.

Rabelais nous apprend que « les jeunes gens studieux et amateurs de pérégrinité » étaient déjà, à cette époque, « convoiteux de visiter les gens doctes, antiquités et singularités d’Italie. » Copernic, bien préparé à profiter d’un tel voyage, se rendit, à l’âge de vingt-trois ans, à l’Université de Padoue, dont les maîtres habiles étaient alors en grand renom ; il y suivit les cours de médecine et de philosophie, et obtint deux des couronnes décernées chaque année aux élèves les plus distingués par la science et par le talent. Ses études médicales étaient cependant interrompues par de fréquentes excursions à Bologne, où l’attiraient la réputation et le savoir du professeur Dominique Maria, de Ferrare, dont il devint bientôt l’ami intime. L’exemple et les conseils de Maria fortifièrent le goût de Copernic pour l’astronomie et l’engagèrent dans la voie qu’il ne devait plus quitter. La médecine fut bientôt délaissée : le jeune étudiant vint se fixer à Bologne, et Maria l’admit à travailler dans son observatoire ; cette flatteuse collaboration fut utile à Copernic et contribua