Wikisource:Extraits/2023/34

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Arnould Galopin, Le Grand Razaïou

in Le Docteur Oméga, Albin Michel éditeur, 1906, (p. 161-178)


Pendant que je faisais ces tristes réflexions, le docteur Oméga, la tête penchée en avant, l’œil fixe, la lèvre inférieure pendante, semblait poursuivre une idée…

Parfois, il poussait un petit cri guttural et faisait claquer ses doigts, ou bien il tirait désespérément sur la chaîne qui le rivait au mur.

Je cessai de monologuer afin de ne point troubler les méditations de mon ami… Car en le voyant si absorbé je finis par me bercer de l’espoir que peut-être cet homme étonnant trouverait le moyen de nous sauver…

Pourquoi pas, après tout ?… Était-il inadmissible qu’il parvînt à reconstituer un nouveau navire aérien ?… Les Martiens étaient un peuple industrieux… on devait trouver dans leurs usines tout ce qu’il fallait pour confectionner un Cosmos…

Autant qu’il m’en souvient, nous restâmes environ un jour et une nuit dans les casemates martiennes.

Depuis le moment où nous avions aperçu les gnomes qui nous retenaient prisonniers, nous n’avions pris aucune nourriture et nous commencions à ressentir de douloureux tiraillements d’estomac.

— Ces sauvages, dis-je au docteur, veulent donc nous laisser mourir de faim ?

— Cela m’étonnerait, répondit-il…

— Cependant, ils sont assez intelligents pour comprendre que nous ne pouvons nous nourrir en léchant les murs.

— Peut-être leur façon de s’alimenter est-elle différente de la nôtre… des êtres si petits doivent se contenter d’une nourriture insignifiante.

— Pensez-vous qu’ils soient carnivores ?…

— Je n’en sais rien… mais cela m’étonnerait beaucoup… je les crois plutôt végétariens…

Cette conversation fut brusquement interrompue par l’arrivée de trois Martiens qui glissèrent sur le sol comme de gros rats noirs, passèrent auprès de nous et disparurent dans l’ombre… Presque aussitôt, nous entendîmes un bruit sourd, puis la plate-forme sur laquelle nous nous trouvions, après avoir oscillé doucement de droite et de gauche s’éleva rapidement vers la voûte de la crypte…

— Mais… nous allons être écrasés ! hurla Fred…

— Non… dit le docteur… voyez, la voûte s’entr’ouvre progressivement au fur et à mesure que nous montons… tout ici est réglé mécaniquement comme dans un théâtre… Ces petits diables sont décidément de grands ingénieurs…

En effet, le plafond s’était écarté et n’avait pas tardé à disparaître dans des rainures invisibles.

Maintenant, nous étions à l’air libre !

Autour de nous, la foule martienne s’agitait en poussant des cris aigus et des centaines d’yeux glauques, ronds et transparents, nous fixaient avec curiosité…