Wikisource:Extraits/2023/6

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Svante Arrhenius, La vie à la surface des corps de l’espace dans L’évolution des mondes (1907)

Traduction Théophile Seyrig 1910


Il est peu de spectacles plus impressionnants que celui de la voûte céleste, quand on la contemple par une nuit bien pure, avec ses milliers d’étoiles. Si l’on dirige la pensée vers ces luminaires qui semblent distants à l’infini, la question se pose involontairement de savoir s’il y a encore d’autres globes analogues au nôtre, qui puissent servir de séjour à des êtres vivants et organisés. L’intérêt que nous présente une île déserte et morte des régions circumpolaires où il n’y a pas la moindre plante, est nul, comparé à celui qu’éveille une terre quelconque des tropiques, où la vie se développe dans sa diversité magnifique. De même l’intérêt que nous éprouverons pour un monde lointain sera tout autre si nous pouvons le supposer animé, que si nous sommes obligés de nous borner à le considérer comme une masse inerte et morte, qui flotte dans un espace indéfini.

Des questions tout semblables se présentent à notre esprit en pensant à la terre. Fut-elle, de tout temps, revêtue de sa tunique de verdure vivante, ou bien y eut-il une époque où elle fut stérile et vide ? Et s’il en fut jamais ainsi, quelles sont les conditions qui l’ont appropriée à sa haute destinée actuelle où elle est le séjour d’êtres vivants ? Que notre globe fut, à un certain moment, « vide et sans forme »[1], cela n’est pas douteux, soit que nous admettions qu’elle était entièrement à l’état de matière fondue, — ce qui semble le plus probable —, soit qu’elle doive sa formation à une agglomération de pierres météoriques, comme l’ont supposé Lockyer et Moulton, pierres qui, arrêtées dans leur fuite à travers l’espace, seraient devenues incandescentes.

Ainsi que nous l’avons précédemment indiqué, il est probable que la terre est formée d’une masse gazeuse, enveloppée à sa périphérie par une croûte solide, dont la partie intérieure est à l’état de liquide pâteux. On admet en général, en se basant sur de solides raisons, que, primitivement, la terre s’est séparée du soleil à l’état d’un amas gazeux sphérique. C’est là, encore aujourd’hui, l’état du soleil. Par suite du rayonnement de sa chaleur vers les espaces célestes, cette sphère, très analogue, sous beaucoup de rapports, au globe solaire, a perdu petit à petit sa haute température. Une couche solide s’est ainsi formée à sa surface. Lord Kelvin a calculé qu’il n’a pas fallu beaucoup plus de cent ans pour faire tomber la température de la surface, à 100° C. Lors même que ce calcul ne serait pas absolument exact, nous pouvons néanmoins affirmer qu’entre le moment où la croûte terrestre était à 1 000 degrés, ce qui a dû correspondre au début de sa solidification, et celui où elle n’avait plus, à sa surface, que 100 degrés, il ne s’est passé que peu de milliers d’années. Aucun être vivant ne saurait, naturellement, exister à cette dernière température, attendu qu’elle suffit pour coaguler l’albumine des cellules, comme celle d’un œuf de poule. On affirme toutefois que certaines algues, que l’on trouve dans des sources chaudes de la Nouvelle-Zélande, y vivent par une température de 80 degrés. Ayant eu occasion de visiter le Yellowstone-Park, aux États-Unis, j’ai cherché si je trouverais à y vérifier l’exactitude de ce fait. J’ai seulement vu certaines de ces algues sur les bords de sources bouillantes, où 60 degrés était à peu près un maximum. De son côté, le célèbre physiologiste américain Loeb affirme que si les sources dépassent 55 degrés de température, on n’y trouve plus aucun de ces végétaux.

Entre l’abaissement de température de 100 degrés à 55 degrés il s’est certainement écoulé beaucoup moins de temps qu’entre 1 000 degrés et 100 degrés. On peut donc être certain qu’à partir de la formation de la première croûte solide de notre globe jusqu’au moment où est arrivée une température favorable à l’existence d’êtres organisés, il ne s’est pas écoulé beaucoup de milliers d’années. Il est peu probable que depuis lors la surface terrestre se soit jamais assez refroidie pour