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Henri de Régnier, Le Voleur d’abeilles dans Épisodes, Sites et Sonnets 1891

LE VOLEUR D’ABEILLES


Tuned to the noon-day of the trees
A simple flute calls forth the humming bees…
Francis Vielé-Griffin. (Ode to Edgard Poe.)


Le poids des grappes a courbé le jet des treilles
Lourdes de soir et d’ambre et de maturité,
Une rumeur de mer, au loin, berce nos veilles
Et parmi l’ombre où notre amour s’est abrité
La brise aux feuilles semble un passage d’abeilles.

Les ors divers des blonds soleils et des miels roux
Qui ruissellent de cire aux ruches des collines
Nuancent de leur double éclat tes cheveux doux,
À mon étreinte dénoués, et tu t’inclines
Pour baiser le front las posé sur tes genoux.

Un sourire de toi vaut une autre conquête
Et toute cette joie est lourde et c’est assez…
Un clairon vibre sur la grève, et sa requête
Arrive dans le soir jusqu’à moi qui ne sais
Plus rien de ce vain rêve où leur orgueil s’entête.

Ce lent jour écoulé d’aventure et d’émoi
Relègue en un oubli radieux la mémoire
De tout, hormis l’amour qu’il m’a valu de Toi,
Et laisse-moi, d’un trait, t’en redire l’histoire
Merveilleuse, la suite et le naïf exploit…

L’attente, et dans la nuit d’étoiles l’aube née
À l’Orient de cette mer où nous voguons
Vers les défis à notre proue éperonnée
Jetés par le Pays de l’or et des Dragons
Vers qui par le hasard notre course est menée,

La terre en fleurs surgie à l’aurore en chemin,
Et la plage déclive et le décor de vignes
Et d’oliviers, et sur le ciel clair du matin
La neige des sommets ondés en lentes lignes.
Et les vallons s’ouvrent pour qu’y fuie un lointain ;