«Le Bois de Pins - Le Regret - A mon Fils...»

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«Le Bois de Pins - Le Regret - A mon Fils...»
Revue des Deux Mondes5e période, tome 25 (p. 209-219).
POÉSIES

LE BOIS DE PINS


Il faut avec une humble et paisible sagesse
Accepter la douceur de l’instant passager ;
Et la tristesse proche, ou le plaisir qu’on laisse,
Il n’en faut pas souffrir, il n’y faut pas songer.

Car le moment furtif se perd dans les pensées
De l’avenir lointain, des espoirs superflus
Ou bien dans le regret des heures dépensées,
Et l’amour déchirant de tout ce qui n’est plus.

Cette heure qui s’enfuit était belle peut-être
De ce charme secret dont nous parons demain ;
Cet air est pur et chaud, que le soleil pénètre.
Il faut oublier tout, sauf la soif et la faim.

Ainsi que l’aphrophore et que la libellule
Il faut jouir du jour brûlant et de l’été ;
Il faut comme les pins où le doux vent module,
Abandonner sa vie à la sérénité.

Et dans le bois bleuâtre où la pénombre accueille,
En contemplant les bonds d’un écureuil peureux,
Être pareil à l’herbe, à la fleur, à la feuille,
Tâcher d’ignorer tout, même qu’on est heureux.

Ah ! sans regret, sans leurre, ou désir inutile,
Sans orgueil, sans effroi, sans trouble et sans tourment
Puisses-tu voir ainsi qu’une eau calme et tranquille
Couler le flot des jours, ô cœur indifférent !


LE REGRET


Quand je refermerai mes grands yeux dans la mort,
Vous pleurerai-je, hélas ! amèrement, ô vie !
Et vous, âge du rire et de la fantaisie !
Et vous, ô bel amour, doux, joyeux, sombre ou fort !

Et vous, naïf orgueil de mon jeune visage,
Et vous, souple fraîcheur de mes bras ronds et nus,
Et vous lointains pays, charmes ressouvenus
Du départ, du retour, et du changeant voyage !

Certes, de tout cela le multiple regret
Tournoiera tout au fond de ma mémoire lasse,
Long cortège masqué qui passe et qui s’efface,
Mirage, oubli, bonheur, tristesse, ombre, reflet…

Mais non, ce n’est pas vous, grâce de ma jeunesse,
Ni vous, ô liberté, rêve de mon cœur fier,
Que je verrai s’enfuir dans un sanglot amer,
Mais vous, mais vous ! ô chère et divine tendresse !

Alors qu’il me faudra pour jamais oublier,
C’est vous, c’est vous ! douceur des choses coutumières,
Vous qui resplendirez de suprême lumière,
Vous, mes humbles objets au charme familier !

Ce sera février, égrenant les grains d’ambre
De son beau mimosa duveteux et doré ;
Ce seront les glaïeuls de l’automne adoré
Et l’enivrante odeur des roses de novembre ;

Ou bien mars, mauve et rose et tout glacé, qui sent
La violette bleue et la jacinthe lisse,
La maison qui s’emplit d’un parfum de narcisse,
Plaisir renouvelé d’avril, frôle et naissant ;

Les pivoines de juin tout en nacre et en soie,
Gerbe claire mirée en un miroir obscur ;
Un bouquet, découpant son ombre sur le mur,
L’odeur des premiers feux qui semblent feux de joie ;

Le goût et la saveur succulente d’un fruit,
Le rayon de soleil qui me dore la joue,
Et l’heure paresseuse où le rêve se joue,
Et le petit croissant de lune dans la nuit !

Le beau rythme secret de deux strophes égales,
Ce qui pour d’autres cœurs est inutile et vain,
Le grand calme de l’ombre et le sommeil divin,
Les jeux des papillons et le vol des cigales ;

Les torrides midis de juillet étouffant
La voix fraîche des eaux sous la verte ramure
Et vous, chère langueur, tristesse douce et pure,
Et vous ! et vous ! et vous ! rires de mon enfant !


A MON FILS


Ma maison a pour dieu lare,
Qui la garde et la défend,
Un petit satyre enfant
Dont j’aime le masque hilare.

Ses jambes couleur de miel
Ses pieds, son ventre, son torse,
Et ses bras ronds, pleins de force,
Sont dignes d’un immortel.

Ses cheveux sont un pelage
Noir et soyeux d’animal ;
Il ne fait jamais le mal,
Qu’il soit rêveur, vif ou sage.

L’air le dore et le recuit,
Bronze clair ou marbre jaune
Sa grâce de jeune faune
A le charme frais d’un fruit.

Il gambade, il court, il joue,
Agile, prompt et léger ;
Et les pommes d’un verger
Sont moins rondes que ses joues

Turbulent, naïf, joyeux,
Tour à tour tendre ou farouche,
On voit rire avant sa bouche
La malice de ses yeux,

Qui, limpides et pleins d’ombre,
Sont rayonnans de clarté,
Pareils à ces jours d’été
Que reflète un grand lac sombre.

Il aime le ciel et l’eau
La lumière sur les roses,
Il trouve étranges les choses,
Pour lui, tout est vaste et beau ;

Tout s’anime avec mystère,
Tout est vivant : herbe, fleur…
Il ne sait pas que l’on meurt,
Et se couche sur la terre.

Le monde entier est à lui ;
Il s’empare de la vie :
Un jour pâtre d’Arcadie
Et peut-être roi la nuit !

Le matin, chat qui paresse
Dans la tiédeur du foyer,
Et toujours dieu familier,
Et le fils de ma jeunesse.


STANCES AUX DAMES CRÉOLES


Lorsqu’il fait chaud, et que je suis songeuse et seule,
Je pense à vous,
Vous dont je ne sais rien, je rêve, ô mes aïeules,
A vos yeux doux.

Grand’mères mortes, et jadis des ingénues
Aux bras si frais,
Jeunes et tendres, et que je n’ai pas connues
Même en portraits,

Qui vivaient autrefois, toutes petites filles
Aux longs cheveux
Dans une sucrerie, en un coin des Antilles
Voluptueux.

La chaleur trop ardente entr’ouvrait les batistes
Sur leur sein blanc,
Elles se balançaient, paresseuses et tristes,
En s’éventant.

Leurs yeux se reposaient de la lumière vive
Joyeux de voir
Le visage lippu d’une esclave furtive
Luisant et noir.

Les bons nègres rieurs dansaient des nuits entières
Leurs bamboulas,
Ou bien chantaient des chants parmi les cafeyères,
Câlins et las.

Protégeant votre teint, pâle sous la mantille,
Et délicat,
Vous savouriez dans les vergers la grenadille
Et l’avocat.

En rêve, sous les transparentes moustiquaires
Vous revoyiez
Le vieil aïeul voguant vers l’or des îles claires
Sur ses voiliers

Les papillons étaient plus grands que votre bouche,
Et que les fleurs
Qu’illuminait le vol du rapide oiseau-mouche
Tout en lueurs.

La nuit se parfumait d’astres et de corolles,
Et, peu à peu,
Vous regardiez s’ouvrir au ciel, belles créoles !
Des fleurs de feu.

Ah ! songiez-vous alors, nocturnes et vivantes,
Qu’un temps viendrait
Où rien de vos beautés aux grâces indolentes
Ne resterait ?

De tout ce qui fut vous, nulle petite trace
N’a subsisté,
Pas même un pauvre toit sous lequel votre race
Ait habité.

Tout est mort, ruiné, dispersé ; les allées
N’existent plus
Qui menaient aux maisons, en marbre frais dallées
Pour les pieds nus.

Par la grande liane et les forêts sauvages
Tout est repris !
Et les flots tièdes qui mirèrent vos visages
Se sont taris.

Pas même un livre usé que j’aime et je manie
Ne fut à vous ;
Et l’île où vous jouiez à Paul et Virginie
Sous les bambous,

Si je pouvais la voir splendide et différente
En aucun lieu
Je ne retrouverais votre mémoire errante
Dans l’air trop bleu.

Sous quel oubli profond, lointain et solitaire
Gît votre cœur,
Ce cœur qui m’a légué sa flamme héréditaire,
Et sa langueur ;

Ce cœur qui verse en moi quelques gouttes rougies
D’un sang vermeil,
Et qui m’aurait transmis toutes vos nostalgies
Loin du soleil,

Si je n’évoquais pas les beautés éternelles
D’un ciel brûlant
Du fond magique et noir de tes larges prunelles
O mon enfant !


SUR UNE BAGUE


Opale ! qui changez tout autant que mon âme,
Qui dans votre pâleur recelez une flamme
Éclatante, ainsi que dans son ciel gris et bleu
L’aube pâle dérobe un soleil tout en feu,
Opale ! qui semblez à mon doigt qui vous aime
Une larme de fée ou bien mon cœur lui-même,
Opale ! si j’étais fille d’un ancien roi
Je voudrais qu’en ma tombe on vous cache avec moi.
Là, l’or qui vous sertit verdirait sous la terre,
Et des siècles plus tard, avec un grand mystère,
On rouvrirait au jour mon cercueil embaumé
Où sur vous dans la mort mon doigt s’était fermé.

J’apparaîtrai ; pareille à ces roses noircies
Et sèches, comme sont les antiques momies ;
Car des papillons morts on garde les couleurs
Mais non celles, hélas ! des femmes ni des fleurs !
Alors, vous qui rêviez dans l’ombre morne et froide
On vous arrachera de mon doigt noir et roide,
Vous revivrez, Opale ! en reflétant le jour…
Et moi je resterai sans souffle et sans amour.


LUNE SUR LA MER


Au fond du crépuscule vert
Le croissant de la lune a l’air
D’un coquillage,
Et nacré, courbe, lisse et clair
Polit les conques de la mer
A son image.

A quelle oreille dans la nuit
Lune triste ! se plaint et luit
Mystérieuse,
Votre voix pareille à ce bruit
Houleux qui s’enfle, et qui remplit
La conque creuse ?

Divine lune, ta rumeur
Voudra-t-elle bercer mon cœur
Qui se lamente ?
Verse à mon rêve ta lueur
Ainsi qu’à la nocturne fleur
L’arbre et la plante !

Le pin léger, noir et vibrant,
Garde encor ton étrange chant
Sous son écorce ;
Harmonieux, sombre et mouvant,
Ton murmure il le livre au vent,
O lune torse !

Je garderai dans mes cheveux
Ta verte rumeur si tu veux,
Toi qui pour plages
A le ciel rose ou ténébreux,
Comme les grèves sont les cieux
Des coquillages.

Et comme la plainte du pin
Imite le soupir marin
D’une, spirale,
Mes vers répéteront sans fin
Ton écho paisible et serein
O lune pâle !


AUX PAPILLONS


Vous qui portez écrits sur vos ailes sans nombre
En signes inconnus des secrets fabuleux,
0 vous dont j’aime tant le vol brillant ou sombre,

Etrangement fuyans, fiers et mystérieux,
Couleur d’or et d’azur ou bien revêtus d’ombre,
Velus ou rayonnans, ternes ou luisans d’yeux,

O papillons ! parure errante des journées !
Lorsque va revenir le meurtrier hiver
Suivant le jaune essaim des feuilles entraînées,

Amis des fleurs du soir ou des fleurs du jour clair,
Vous vous mélangerez aux corolles fanées
Dans le tourbillon froid et sinistre de l’air !

Pour la dernière fois, ouvrant grandes vos ailes,
Papillons ! d’un suprême et fatidique effort,
Vous atteindrez les champs de tristes asphodèles.

Au funèbre pays d’où nul humain ne sort,
Tâchez de bien apprendre, ô mes amis fidèles,
Ce que tout ce qui vit devient après la mort.

Puis, renaissez ! marqués d’une horreur si profonde
Que nul ne pourra croire en vous voyant, pareils
Sous vos anneaux rampans à quelque larve immonde,

Que c’est bien vous, joyeux, étincelans, vermeils,
Vous, plus beaux que les fleurs et que tout être au monde
Qui revenez couverts d’astres et de soleils !

Hors de cette dépouille ainsi que d’un suaire,
Vous déploierez au jour votre essor enfermé,
Et l’un de vous viendra battre ma vitre claire.

Alors dans le printemps vivace et parfumé
Saurai-je enfin de toi, céleste et funéraire !
Si là-bas tout est vain, même d’avoir aimé ?


PSYCHÉ

Elle passe sans bruit dans la maison déserte
Tenant entre ses mains une lampe qui meurt ;
Son voile safrané flotte dans la nuit verte,
Y laissant le parfum nocturne d’une fleur.

Elle passe sans bruit dans la maison de songe,
Son visage invisible est sans doute ingénu,
Et sa jambe divine, et longue et pâle, allonge,
Un pied prudent et froid sur le dallage nu.

Parfois, son beau genou brille comme la lune
Ou son ventre, entrevu sous le lin transparent ;
Ou bien, pour relever sa chevelure brune,
S’éclaire et s’arrondit un souple bras d’argent.

Sur l’étroitesse de son épaule polie,
De sa taille mouvante à son col étiré,
L’écharpe aérienne enroule ou bien replie
La spirale d’un grand coquillage nacré.

Sa main, en protégeant la lueur faible et rose,
Se colore un moment d’un feu vermeil et pur,
Et comme un papillon sur une sombre rose
Ses doigts illuminés cachent son sein obscur.

Elle presse à présent sa marche curieuse.
On ne voit plus briller la tremblante clarté,
Qu’elle porte, et sa grâce errante et ténébreuse
Disparaît dans la nuit du palais enchanté…

Elle revient sans bruit quand naît l’aube rosée,
Et son petit visage est pâle et plein d’effroi ;
Son voile tremble et luit dans l’aurore irisée
Et le dallage lisse à ses pieds nus est froid.

C’est qu’elle a vu dormir parmi les peaux de bêtes
Cruel, mystérieux et terrible, l’Amour
Qui, dans son poing crispé, tenait ses flèches prêtes,
Et semblait tout sanglant sous la lampe et le jour !

Elle a vu le sourire inhumain de sa bouche,
Et sa fureur divine et son haineux désir,
Et soudain a senti, debout près de sa couche,
Une invincible horreur brusquement la saisir.

Elle fuit en pleurant son étrange démence.
Son voile jaune s’enfle au vent du matin bleu,
Et ses yeux sont remplis de la terreur immense
D’avoir vu cet amour… qu’elle croyait un Dieu !