À Albert Collignon - Vendredi 8 Octobre 1869

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Avignon
8, Portail Mathéron,
Vendredi 8 Octobre 1869.



Cher Monsieur,

C'est bien mal de ma part reconnaître la gracieuseté de votre souvenir très-rétrospectif que de vous parler maintenant seulement de votre livre.

J'ai pour excuse un voyage de vacances, qui a interrompu la lecture ou mieux l'étude, que demande une œuvre telle.

Mais, depuis, votre volume n'a pas quitté ma table pendant les soirées reprises ; et c'est à peine si je m'en sépare à présent, me croyant toutefois obligé, par mon long silence, à vous donner ma sensation immédiate et unique, sans la laisser se réfléchir ni s'ordonner.

Vous me pardonnerez peut-être la banalité d'un pareil jugement en faveur de ce qu'il a toujours de vrai et de la privation que je m'impose, en écartant toute la vague influence des choses que j'aimerais à vous écrire dans quelques jours.

L'art et la vie de Stendhal [1] demeure les complètes annales de cet esprit admirable ; et votre mode de critique, lequel a cette originalité de résumer, dans ses certitudes, la critique de notre temps et d'être à la fois extrêmement spacieux, me semble précisément commandé par l'écrivain de votre choix, que ranime son intime pensée.

Mais je veux que ce billet reste le hâtif serrement de main projeté, un simple remerciement, votre livre fermé, que de bonnes heures me soient venues de si loin et de si longtemps.

Veuillez croire, Monsieur, à mon entière sympathie.


STÉPHANE MALLARMÉ.



  1. Publié par Collignon en 1869.