À Krüger

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De Maasbode (p. 3-4).
À Kruger.


Donc la France n’est pas le but de ton voyage,
Donc, ce n’est pas à nous que tu penses en mer,
Indomptable vieillard, ô stoique Krüger,
Sacré par le malheur, par l’exil et par l’âge.


Jadis, à tout proscrit, à tout persécuté,
La France ouvrait ses bras comme une tendre mère.
Pour nous, ses fils déchus, quelle tristesse amère
Qu’elle ne t’offre pas son hospitalité !

Ta vas la traverser, mais l’ignoble police
Écartera le peuple accouru sur tes pas.
Passe vite. Krüger ! Tu ne comprendrais pas
Que des tyrans du jour il n’est pas le complice.

Passe vite ! À cette heure, ainsi qu’un vil troupeau,
Il obéit à l’ordre infamant, d’être lache,
On brise son essor vers toute noble tâche,
Et la honte pâlit les couleurs du drapeau.

Passe ! La pauvre France est toute endolorie
Da poison qui la ronge et qu’on lui verse encor.
Passe ! Tu pourrais voir se dresser le Veau d’or
Où jadis s’élevait l’autel de la Patrie.

Passe, mais ne sois pas injuste dans ton deuil,
Devant toi, grand vaincu, sons le joug qu’il secoue,
Tout Français rougira. Que ce sang sur sa joue
Te rappelle le sang de Villebois-Mareuil !

Sache bien que nos cœurs ne sont pas si débiles,
Qu’ils ont frémi davant le combat inégal
Où es héros, les fire paysans du Transvaal
De tous leurs défilés ont fait des Thermopyles.

Et, quand tu passeras parmi nous, redis toi
Que pour nous tous ta cause est auguste et sacrée.
Si l’Europe fut lâche et s’est déshonorée,
N’accuse que les chefs ; les peuples sont pour toi.

Et le peuple français surtout ! Non cette clique,
Ce parlement pourri, ces ministres tremblants
Qui, pour ton infortune et pour tes cheveux blancs,
N’ont pas d’asile en leur soi disant république !

Mais le peuple, moi, tous !… Ah ! notre bon renom
D’autrefois, qu’en ont fait nos maîtres ! Quel supplice !…
Tu passes, grand vieillard, en demandant justice,
Et l’Histoire écrira que la France a dit non.