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À Propos de la géométrie grecque une condition du progrès scientifique

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À PROPOS DE LA GÉOMÉTRIE GRECQUE

UNE CONDITION DU PROGRÈS SCIENTIFIQUE[1]


La Géométrie, telle qu’elle est exposée dans Euclide, est une science désintéressée. La forme de la rédaction autant que la matière du livre donnent vite au lecteur l’impression très vive de ce désintéressement.

D’une part, c’est la longueur même de la rédaction, l’insistance minutieuse à appuyer sur tous les détails d’une démonstration, la patience avec laquelle le géomètre s’attarde à fermer toutes les issues à un contradicteur supposée, le souci exclusif de clarté et de rigueur, qui montrent à quel point la préoccupation du savant n’est pas d’aboutir à quelque application pratique.

D’autre part, l’ordre, la symétrie de toutes les parties d’un problème ou d’un théorème semblent suivre des règles fixes, comme s’il s’agissait des parties successives d’un poème.

La πρότασις énonce d’abord d’une manière générale le théorème à démontrer ou le problème à résoudre. Par exemple « Sur une droite donnée et finie, construire un triangle équilatéral. » Puis vient régulièrement l’ἕχΘεσις ; qui pose les données avec figure et notation particulières « Soit une droite donnée et finie. » Le προσδιορισμός vient rappeler aussitôt avec précision quel est le problème à résoudre sur ces données : « Il faut construire sur la droite donnée un triangle équilatéral. » Et enfin la χατασχεύη indique la série des constructions auxiliaires « Du centre avec pour rayon décrivons la circonférence  ; du centre avec pour rayon décrivons la circonférence ; et, du point , où les circonférences se coupent mutuellement, conduisons aux points , , les droites ,  ». La démonstration άπόδειξις peut alors se dérouler sans interruption sur une figure, dont toutes les lignes sont tracées. Quand elle est terminée, la conclusion, ou συμπέρασμα, énonce triomphalement que le problème, indiqué d’abord d’une façon générale, puis déterminé avec précision sur les données d’une figure, se trouve résolu et cet énoncé se fait en reprenant exactement et patiemment les termes de la πρότασις, avec, en plus, les notations posées par l’ἕχΘεσις. « C’est donc un triangle équilatéral que , et il est construit sur la droite donnée et finie . » Les derniers mots sont invariablement : ὅπερ ἔδει ποιῆσαι à moins qu’il n’ait été question d’un théorème à établir, auquel cas ποιῆσαι est remplacé par δείξαι.

C’est ainsi que le livre contient comme une série de couplets, formant chacun quelque chose d’ordonné, de rythmé, pour ainsi dire, se déroulant suivant certaines règles de composition, et se terminant par une sorte de refrain. Il est bien évident que ce n’est pas l’allure d’un traité qui vise les applications usuelles, et que la spéculation pure et désintéressée s’accorde seule avec ces harmonieuses lenteurs où se complaît le géomètre grec.

Cette impression est confirmée au delà de toute exigence si on considère la matière des Éléments. On chercherait en vain dans Euclide un seul énoncé donnant la règle d’évaluation d’un volume ou d’une surface. Ce simple trait montre tout de suite à quel point les « Éléments » s’éloignent non pas seulement d’un recueil de règles pratiques, mais même de ce que nous appelons aujourd’hui nous-mêmes un traité de géométrie théorique. Car, bien que nos livres ressemblent encore beaucoup à celui d’Euclide, tant par la forme que par la matière, il n’en est pas un seul qui se crût complet, s’il s’abstenait de donner des règles à suivre pour mesurer la surface d’un triangle, d’un parallélogramme, d’un cercle, le volume d’un prisme, d’une pyramide, d’une sphère, etc.

La considération des surfaces et des volumes n’intervient donc pas dans les « Éléments » ? Oui sans doute elle intervient et prend même une place assez importante dans les spéculations du géomètre, mais elle reste purement théorique, et c’est une distinction qu’il est aisé de comprendre. On peut démontrer que deux parallélogrammes ou deux triangles de même base et de même hauteur sont équivalents, qu’un triangle est la moitié d’un parallélogramme de même base et de même hauteur, — sans en venir à l’évaluation numérique de l’aire du triangle ou du parallélogramme. On peut démontrer les théorèmes essentiels relatifs à la pyramide, sans se croire oblige de donner la règle d’évaluation numérique du volume de ce solide et ainsi de suite.

Au fond, la formule qui manque chez Euclide est une conséquence presque évidente des considérations théoriques qui, elles, sont complètes ; et il ne saurait entrer dans la pensée de personne que le géomètre ne sût pas l’en déduire. À coup sûr, mis en présence d’un champ triangulaire à mesurer, ou d’un récipient prismatique à jauger, il eût procédé comme nous. Mais c’est une marque absolument significative de sa conception de la Géométrie théorique que de ne pas vouloir dans un même livre énoncer les formules utilisables et les propositions de la science purement spéculative. Les unes et les autres ne lui semblaient pas relever du même ordre d’idées ; et, de fait, pour les Grecs, la Géométrie et la Géodésie s’opposaient dans leur objet, comme la Logistique, science des calculs pratiques, et l’Arithmétique ou science des Nombres, proprement dite.

C’est peut-être, va-t-on dire, aller chercher bien loin une explication d’un fait très simple. Les formules d’évaluation numérique pour les surfaces et les volumes exigent l’emploi courant de la notion de mesure ; or les Grecs connaissaient fort bien le cas de l’incommensurabilité de deux grandeurs : ils n’ont pas songé à introduire dans un énoncé quelconque la valeur numérique d’un rapport qui a bien des chances de ne pas exister. — Nous ne pensons pas qu’à cet égard les Grecs fussent aussi loin de nous qu’on pourrait croire. D’une part, si nous consentons plus volontiers à parler de nombre incommensurable, de mesure d’une quantité incommensurable, c’est avec le sentiment bien net que, dès la moindre application, ce nombre figurerait en réalité par une valeur approchée. Et, d’autre part à rester en dehors du toute évaluation effective, — les Grecs ne répugnaient nullement à l’idée d’un rapport incommensurable. Leur façon de définir la raison de deux quantités homogènes d’une manière générale, abstraction faite de la question de savoir si les quantités sont ou non commensurables[2], leur faconde citer ensuite les égalités de raisons, ou proportions, montrent qu’ils n’étaient pas plus effrayés que nous par la notion du rapport de grandeurs incommensurables. — «  Apollonius, dit Marie dans son Histoire des Mathématiques, eût certainement regardé comme fou l’homme qui serait venu lui proposer d’introduire la longueur du pied d’Agamemnon, par exemple, dans la démonstration de ses théorèmes sur les Coniques. » Certes, cela est très vrai, mais un géomètre d’aujourd’hui ne penserait pas autrement à cet égard qu’Apollonius. Ne cherche-t-il pas comme lui des relations géométriques nécessairement indépendantes du choix de toute unité ? Si Euclide ou Apollonius s’abstiennent plus rigoureusement que nous de toutes considérations de mesure numérique, c’est bien en partie parce qu’ils sentent l’inutilité de ces considérations pour la science pure, en partie parce que les mesures numériques ne pourraient être ordinairement qu’approchées et suffisantes tout au plus pour quelque usage pratique. Mais alors au fond, il faut bien voir où est la distinction essentielle aux yeux des Grecs, entre ce que contiennent leurs livres de Géométrie et ces sortes de formules qu’ils en ont systématiquement écartées. Elle rentre dans la distinction plus profonde qui fait mettre d’un côté ce qui est la science pure, la science générale, indépendante de toute condition particulière, et en même temps exacte, parfaite, ne maniant que des éléments rigoureusement déterminés, bref ce qui est la science proprement, dite, spéculative et désintéressée, — et d’autre part ce qui ne vise que l’application. Les idées des Grecs sur l’incommensurabilité mettaient en évidence un élément d’imperfection, d’inexactitude, dans toute opération de mesure, mais c’était loin d’être le seul. Auraient-ils pu parler de figures absolument exactes, de cercles parfaits, de carrés rigoureux, et même de droites véritablement droites, à propos des choses matérielles au milieu desquelles nous vivons et qui tombent sous les sens ? De là cette séparation si nettement tranchée entre tout ce qui répond de près ou de loin aux préoccupations pratiques et ce qui s’élève au-dessus d’elles et ne concerne que la science purement désintéressée.

Ce n’est pas que chacune des vérités successives énoncées par Euclide ait en elle-même son intérêt tout entier. Il y a dans l’œuvre un enchaînement qui permet d’attribuer à tel théorème ou à telle série de propositions, ce rôle utilitaire en un sens qui consiste à préparer telle démonstration capitale. Ainsi le premier livre tout entier marche manifestement vers la démonstration de la grande propriété caractéristique du triangle rectangle, qui clôt ce premier livre. Ce théorème lui-même na pas été démontré en vain, il servira notamment à justifier une série de relations quantitatives fondamentales exposées au second livre, et ainsi de suite. L’œuvre entière converge merveilleusement vers le problème capital qui en est comme le couronnement, à savoir la construction des cinq polyèdres réguliers. S’il est donc permis de parler en certain sens de l’utilité de tel ou tel détail, c’est de la même façon qu’à propos d’une œuvre d’art, pour exprimer le merveilleux enchaînement de toutes les parties. Le terme suprême où aboutit l’auteur des « Éléments », la construction des polyèdres réguliers, est en lui-même le plus opposé qu’il est possible à toute considération pratique.

Cette Géométrie, dont Euclide nous donne déjà un modèle aussi parfait, n’a pas été confectionnée par lui brusquement. Nous savons qu’elle est l’œuvre des siècles qui l’ont précédé. Avec quelle étonnante rapidité les progrès s’étaient réalisés, avec quelle ardeur les Grecs avaient cultivé cette géométrie, comme ils avaient su non seulement en reculer très loin les bornes, mais aussi la douer d’une force d’expansion et d’une fécondité telle que les travaux d’Archimède et d’Apollonius vont en être comme la suite naturelle et que les savants vont bientôt trouver en elle un instrument merveilleusement adapté aux applications astronomiques,… j’y ai trop souvent insisté pour y revenir. Ce qui me frappe maintenant, et sur quoi je voudrais attirer l’attention, c’est le rapprochement de ces deux faits d’une part le développement colossal qu’a reçu la mathématique pendant un temps relativement court, la force d’expansion indéfinie dont elle paraît douée, sa fécondité, même au point de vue des applications, et, d’autre part, le caractère de science désintéressée et purement spéculative qu’elle a manifesté. Il est impossible, aussitôt que la pensée fait ce rapprochement, de ne pas songer qu’il y a là plus qu’une coïncidence curieuse, et que le désintéressement, l’éloignement de toute préoccupation pratique, chez le géomètre grec, a pu être une des causes profondes des progrès de sa science, et, du même coup, de sa fécondité future à l’égard des applications elles-mêmes. Du moins si cette vue semble tout d’abord audacieuse, nous pouvons la soumettre à une épreuve, intéressante. Les progrès, qui semblaient devoir être à jamais continus, se sont ralentis, puis même complètement arrêtés. Une longue éclipse a suivi. Passons brièvement en revue les explications que peut suggérer une pareille extinction, après un si vif éclat peut-être se dégagera-t-il de cet examen que le ralentissement du progrès scientifique a suivi de près la disparition d’un élémenal, décidément vital, je veux dire du désintéressement avec lequel la science était cultivée.

Faut-il d’abord s’arrêter à cette tradition des anciens philosophes et de la plupart des religions qui, d’une façon ou d’une autre, place l’âge d’or dans le passé, et déclare l’humanité condamnée désormais à suivre des chemins difficiles, à voir toutes ses œuvres nécessairement précaires, incomplètes et jamais définitives. Pour Platon c’étaient les hommes d’autrefois qui étaient près des Dieux. Aristote disait que les arts et les sciences ont été souvent trouvés et souvent perdus. La loi du progrès continu ne serait pas, ou ne serait plus le fait de l’humanité. — Si intéressantes que puissent être de semblables théories, on ne saurait y avoir recours qu’en se déclarant incapable de trouver une explication naturelle cela équivaudrait à un abandon de la question.

Admettra-t-on que l’échafaudage scientifique construit par les anciens a manqué de solidité faute, chez eux, d’une organisation suffisante ? Les efforts des savants étaient isolés ; les moyens de les grouper, de les associer, de les amener à produire quelque œuvre durable, faisaient défaut. Les anciens n’avaient pas, comme nous aujourd’hui, « ces livres imprimés, mémoires, monographies, œuvres complètes, recueils périodiques, où, sous diverses formes, la science est inscrite et déposée, à mesure qu’elle se fait[3] ». Ils ne connaissaient pas comme nous les Académies, les Instituts, les Universités. Cela est trop clair ; mais d’abord il ne faut rien exagérer les livres, les bibliothèques abondaient autrefois ; les foyers de la science ne manquaient pas non plus. Sans parler de l’École d’Alexandrie, ne se groupait-on pas autour d’un Platon, d’un Aristote, d’un Pythagore, ou d’un Théodore de Cyrène, et ne formait-on pas alors des sociétés comparables jusqu’à un certain point à nos sociétés savantes d’aujourd’hui ? — Ensuite, à quelle époque l’éparpillement des efforts individuels dut-il être le plus considérable ? N’est-il pas évident que du viie au ive siècle, quand, par exemple, Thalès en Asie Mineure, Pythagore en Italie, Démocrite sur les côtes de Thrace, Hippocrate à Chios, contribuent chacun pour sa part à grossir l’œuvre mathématique des Grecs, — n’est-il pas évident, dis-je, qu’on ne saurait parler de rien qui ressemblât à une organisation d’ensemble ? Et pourtant nous savons bien aujourd’hui que c’est dans cette première période, de Pythagore à Platon, que s’est constitue tout le gros de l’œuvre. L’apogée de la grande époque de la science grecque sera marqué par les ouvrages d’Archimède et d’Apollonius, mais il ne feront que compléter et couronner par leurs immortels travaux l’édifice que les siècles précédents avaient construit. Comment songer alors à expliquer la décadence de la science grecque par le défaut d’organisation ? Ce défaut fut réel, mais tout d’abord, quand il fut le plus manifeste, la pensée grecque n’y trouva qu’un obstacle facile à vaincre plus tard, quand l’École d’Alexandrie réalisa ce groupement qui semble la condition indispensable du progrès, la science ne brilla plus longtemps d’un vif éclat.

Une explication autrement séduisante a été proposée. Les Grecs ne pouvaient produire qu’une ébauche imparfaite de science, parce qu’ils n’étaient pas capables de créer la méthode expérimentale, et cette incapacité tenait à la façon même dont ils envisageaient la science. Leur esprit rationaliste à outrance n’eût pas accepté des faits qu’ils n’auraient pu comprendre, ce qui est cependant indispensable à qui veut sincèrement appliquer la méthode expérimentale à la recherche patiente des lois de l’Univers. Leur science théorique serait ainsi restée comme suspendue en l’air, trop loin du contact des faits et des choses du monde sensible, et n’aurait pas reçu cette réaction bienfaisante, cette excitation qu’elle reçoit aujourd’hui de la méthode expérimentale. Celle-ci ne pouvait pas naître sérieusement, celle-là devait donc peu à peu s’épuiser et s’éteindre la science grecque dans son ensemble était ainsi destinée à une mort certaine. Il ne fallait rien moins qu’une transformation de l’esprit humain, sous l’influence du fidéisme religieux du moyen âge[4], pour amener le savant à accepter de ne pas tout comprendre, et lui rendre ainsi possible la création de la méthode expérimentale avec toute sa rigueur. — On peut répondre :

1o Les Grecs ont observé, cela est incontestable. C’est par un ensemble considérable d’observations qu’ils ont tenté de créer les sciences médicales, les sciences naturelles, les sciences biologiques. L’observation intervenait si bien à des degrés divers, chez les générations de médecins qui se sont succédé d’Hippocrate à Aristote, que la tradition nous montre, dans l’École, les esprits divisés, suivant deux tendances contraires, en dogmatiques (lisez rationalistes) et empiristes. — Citerons-nous l’exemple d’Aristote, ses collections légendaires auxquelles tant d’autres ont collaboré, l’énorme quantité, de faits et de choses qu’il a classés ?

Les observations d’ailleurs prenaient bien vite le caractère d’expériences, et quand Aristote, par exemple, allait étudier les petits poulets dans l’œuf, n’était-ce pas là déjà de la bonne expérimentation ? La tradition s’est continuée chez les médecins, et plus tard l’un d’eux, Ménodote, ne s’essayait-il pas à formuler les principales règles de la méthode inductive[5] ? — Si de même nous considérons les astronomes qui depuis des temps immémoriaux se servaient d’instruments de plus en plus parfaits pour suivre la marche des astres avec quelque précision, comment nier le caractère scientifique de leurs observations ? et comment n’être pas tenté de prononcer le mot d’expérience, dans toute sa rigueur, quand on songe à l’ensemble de précautions que prend le savant, réglant par avance l’orientation et l’équilibre de ses appareils, pour contrôler, par l’observation d’un astre, l’exactitude d’une théorie ? Non seulement Hipparque et Ptolémée ont employé tout naturellement la méthode expérimentale, mais ils l’ont fait dans l’ordre d’idées le plus propre, par son lien étroit avec les mathématiques pures, à réagir à son tour plus efficacement sur leurs progrès. Et ce n’est pas d’ailleurs ce qui semble s’être produit. Ces deux hommes ont été grands astronomes, mais il paraissent n’avoir utilisé que des notions mathématiques antérieures[6], et la mathématique pure, après leurs travaux d’application, n’a montré aucun regain d’éclat.

2o D’une façon générale on ne niera pas que les Grecs ont observé, mais on tiendra à maintenir la distance qui sépare l’observation, si savante qu’elle soit, de l’expérimentation telle que nous l’entendons aujourd’hui. Mais laquelle de ces deux opérations se trouve donc la plus éloignée, par sa nature, des éléments logiques, rationalistes, qui semblent dominer l’intelligence des Grecs et lui donner sa tournure spéciale ? N’est-ce pas évidemment l’observation dans ce qu’elle a de plus simple, de plus primitif, de moins préparé, de moins attendu ? Dès qu’elle est moins spontanée, qu’elle est tant soit peu provoquée — à plus forte raison quand l’observation se revêt des règles de la méthode expérimentale la plus parfaite, — n’est-elle pas inséparable de quelque idée a priori, de quelque théorie ? C’est là un point sur lequel il est devenu banal d’insister depuis l’« Introduction à la Médecine expérimentale ». Il n’apparaît donc pas que l’incompatibilité doive se trouver aussi forte qu’on le dit entre les caractères ’essentiels de la méthode expérimentale et l’orientation naturelle de la pensée hellène. À la rigueur, à propos de l’observation des faits imprévus, des phénomènes sans suite, sans raison, au moins provisoirement, nous comprendrions qu’on se posât la question de savoir si les Grecs étaient capables de les noter scrupuleusement, avec toute l’attention que doit le savant à tout phénomène constaté, quel qu’il soit. Mais ici justement, nous l’avons dit, aucun doute n’est possible l’exemple d’un Aristote ne permet pas de dire que les Grecs n’aient pas su recueillir toutes les observations qui s’offraient à eux.

On dira peut-être qu’il faut distinguer entre l’idée toute relative, toute provisoire, tout imprégnée du doute scientifique qu’un Claude Bernard réclame comme règle directrice de l’expérience, et les systèmes théoriques absolus, où l’esprit grec risquait de laisser se perdre toute sa liberté d’appréciation. On dira qu’il faut distinguer entre le caractère provisoire et seulement approché des théories qu’élaborent nos savants, et l’idée de la science achevée et rigoureusement parfaite que se faisaient les Grecs. Cela est juste, et nous n’hésitons pas à reconnaître que c’est la conception relativiste qui s’adapte le mieux au développement et au progrès de la méthode expérimentale. Mais d’abord on pourra remarquer que les efforts des sceptiques grecs ont certainement contribué à préparer cette conception relativiste[7], — plus à nos yeux que n’en était capable le fidéisme religieux du moyen âge. — Ensuite, et surtout, n’est-il pas évident que, si précieux que soit ce relativisme pour la formation de la méthode expérimentale, il ne lui était pas indispensable ? Est-il vraiment nécessaire, pour que le physicien se livre à des expériences d’optique, que l’éther n’ait pas pour lui une existence assurée ? Était-il nécessaire, pour que Newton déterminât l’énoncé de sa loi, qu’il fût pénétré du caractère tout relativiste de cet énoncé ? Fallait-il, pour que Mariotte donnât sa formule, qu’il sentit à quel point elle allait être provisoire ? On serait presque tenté de répondre que l’erreur à cet égard ne pouvait être qu’un excitant plus impérieux.

Mais, objectera-t-on, c’est l’esprit critique qui fera défaut là où se trouvera le dogmatisme : les lois et les formules s’énonceront sans doute avec empressement, mais seront-elles discutées ? — Que l’on veuille bien examiner de près s’il a vraiment manqué quelque chose à un Potlémée, augmentant le nombre des épicycles nécessaires pour rendre compte du mouvement des planètes ; ou à un Eudoxe, ajoutant, pour expliquer le mouvement de la lune, par exemple, une sphère ou deux il la liste de celles qui jusqu’à lui semblaient suffisantes ; — ou à l’astronome inconnu qui le premier renonça au système des sphères concentriques s’emboitant les unes dans les autres et tournant autour d’axes divers, pour créer la théorie des épicycles. N’y a-t-il pas dans les corrections, modifications, transformations radicales parfois que la théorie a dû subir ainsi dans certains domaines, la preuve manifeste que les anciens étaient capables de conceptions variables s’accommodant de mieux en mieux à l’explication des faits observés ? Là où nous voyons des idées et des symboles de plus en plus approchés, ils voyaient peut-être la vérité se substituant à l’erreur les résultats étaient-ils bien différents ?

3{{o} Enfin, la science pure, cette mathématique que les Grecs avaient créée avec tant d’éclat, ne pouvait-elle, après les premiers beaux jours de l’école d’Alexandrie, se prêter encore dé nombreux progrès ? En quoi la méthode expérimentale était-elle nécessaire pour qu’un algorithme commode se dégageât de la Géométrie grecque, comme cela devait peu à peu se produire plus tard ? En quoi a-t-elle été nécessaire pour que les travaux de Viète, de Descartes et des géomètres du xviie siècle vinssent enfin renouer l’antique tradition et donner une suite naturelle, quoique longtemps attendue, à l’œuvre des Pythagore, des Euclide, des Apollonius, des Archimède ? Est-ce en songeant au défaut de méthode expérimentale chez les anciens, ou à la tournure d’esprit trop logique des Grecs, qu’on peut expliquer ce long intervalle de dix-huit siècles qui sépare, par exemple, la représentation des coniques par leurs équations chez Apollonius, et la Géométrie analytique de Descartes ?

Il faut donc absolument chercher ailleurs la réponse au problème que nous avons posé.

Il reste les grands événements historiques qui sont venus bouleverser la Grèce et transformer plus ou moins le monde occidental : la conquête macédonienne, la domination romaine, l’avènement du christianisme. Mais notre problème est loin d’être résolu par une semblable énumération. On n’a rien expliqué, si l’on n’a pas dit pourquoi, de pareils événements ont pu aider chacun à l’extinction de la science grecque. D’autant qu’à certains égards ils auraient pu, semble-t-il, contribuer à la sauvegarder.

La conquête macédonienne mettait d’un coup les Grecs en communication immédiate avec cet Orient mystérieux qu’ils avaient appris imparfaitement à connaître, et dont les vieilles civilisations pouvaient n’avoir pas encore transmis à la Grèce tous les trésors qu’elles avaient accumulés la science n’aurait-elle pu trouver désormais dans la capitale de l’Égypte un foyer merveilleusement propice à son développement ?

La domination romaine venait enfin mettre un terme aux dissensions politiques, et faire bénéficier lit Grèce d’une paix qu’elle ne connaissait plus depuis longtemps.

Le christianisme, de son côté, n’apportait-il pas la paix morale, la paix de l’âme ? et quand, après une période si troublée au point de vue des doctrines morales et religieuses, la pensée pouvait enfin se reposer de chercher la solution des grands problèmes qui la tourmentaient, le moment n’eût-il pas semblé bien choisi pour les recherches scientifiques ?

Si donc ces grands événements ont au contraire aidé au ralentissement et à l’extinction de la science grecque, c’est par un côté qui doit leur être commun, et qu’il est facile de saisir ils ont tous concouru à éloigner la pensée hellène de la spéculation purement désintéressée.

Les Orientaux et les Égyptiens étaient d’une très grande activité, mais d’une activité que guidaient des préoccupations pratiques. Nous avons sur ce point des témoignages qui, pour dater d’époques fort différentes, n’en sont pas moins concordants. Platon, qui avait voyagé en Égypte, refusait aux habitants de ce pays le droit de s’appeler φιλομάθεις, et les déclarait propres seulement aux métiers lucratifs. Quelques siècles plus tard, l’empereur Hadrien, de passage à Alexandrie, écrivait « Ville opulente, riche, productrice, où personne ne vit oisif ! Les uns soufflent le verre, les autres fabriquent le papier, d’autres sont teinturiers. Tous professent quelque métier et l’exercent. Les goutteux trouvent de quoi faire ; les myopes ont à s’employer ; les aveugles ne sont pas sans occupation ; les manchots même ne restent point oisifs. Leur dieu unique, c’est l’argent. Voilà la divinité que chrétiens, juifs, gens de toute sorte adorent[8]. »

De leur côté, les Romains sont aussi naturellement éloignés de toute spéculation purement théorique, qu’ils sont peu idéalistes. Leur tournure d’esprit est éminemment positive, et, à cet égard, si, comme on l’a dit tant de fois, ils Subirent l’influence du peuple qu’ils avaient vaincu, comment nier qu’ils durent aussi imprimer leur marque sur la pensée grecque ?

Enfin l’esprit même de la doctrine chrétienne n’était-il pas, lui aussi, contraire à la spéculation désintéressée, en fixant désormais les regards vers un idéal moral, d’après lequel les ignorants, les pauvres d’esprit devaient être parmi les élus du Seigneur, et en détournant les hommes de tout ce qui n’était pas véritablement utile au salut ?

Envisagées de ce point de vue, ces influences diverses, que l’on incrimine parfois séparément, ont au moins l’avantage de concorder clairement dans leurs effets, et en outre même de venir confirmer seulement une tendance qu’elles n’ont peut-être pas créée. Qu’on songe en effet à la transformation qui, dès le iiie siècle, se fait sentir dans la philosophie grecque[9]. Les historiens ont essayé d’expliquer comment tout à coup la pensée réfléchie changea d’orientation, après Platon et Aristote, et comment de la contemplation des vérités éternelles, les Écoles passèrent désormais à l’étude de cet autre problème, visant directement la conduite pratique de la vie, la recherche du souverain bien. Le fait essentiel pour nous est cette transformation elle-même. Peut-être songerait-on d’abord à en reculer la date jusqu’à Socrate, le véritable fondateur de la science morale chez les Grecs, et objecterait-on que la marche de la pensée scientifique ne semble pourtant pas s’être ralentie si tôt. Mais il faut faire une distinction : Socrate est un théoricien de la morale. En cherchant pour elle les bases d’une science, au sens propre du mot, il devait tout naturellement profiter à l’idée même et aux conditions de la Science en soi, et cela est si vrai que, entre les mains de Platon et d’Aristote[10], l’essentiel de la méthode socratique se retrouve au bénéfice, non pas de la morale elle-même, mais de la théorie de la connaissance en général. Après eux, ce n’est plus une théorie spéculative que l’on veut élaborer, à propos du problème moral on se demande quelles sont les conditions pratiques où se réalisera le souverain bien. Que par là la philosophie grecque et plus tard la philosophie gréco-romaine ait pris une attitude peu compatible avec la spéculation vraiment désintéressée ; qu’elle ait exercé chez les penseurs un rôle nettement anti-scientifique, c’est ce que je n’ai pas besoin de montrer après les belles études de M. Havet. Je renvoie aux « Origines du christianisme (tomes I et II) ceux qui conserveraient quelque doute à cet égard, ou quelque illusion sur le caractère véritablement scientifique d’un Lucrèce ou d’un Sénèque, par exemple.

Nous en avons dit assez pour pouvoir conclure que si la science antique est morte, c’est que la pensée désintéressée est morte elle-même. Il est d’ailleurs une manifestation de l’activité intellectuelle dont l’éclat variable peut servir de mesure, de l’aveu de tous, au degré d’application désintéressée dont semble capable l’esprit humain c’est l’art, sous toutes ses formes. Or l’art antique est mort aussi. On sait suffisamment à quelle date il renaîtra avec la plus vivante intensité n’est-ce pas à ce moment aussi que renaîtra la science ?

Bref, n’avons-nous pas décidément le droit de formuler cette loi que la science progresse en raison du désintéressement avec lequel elle est cultivée ?

Voilà bien du mal, dira-t-on peut-être, pour démontrer ce qui n’est qu’une banale et trop évidente vérité ! Les hommes cultivent la science quand ils sont capables de l’aimer, et quand aucune préoccupation pratique ne vient les en détourner. — Mais qu’on n’oublie pas que la science est à deux faces. Si d’une part elle est, par essence, théorique et spéculative, de l’autre elle vise à l’application. De nos jours, MM. Hermite, Darboux, Poincaré sont des savants, mais MM. Eiffel ou Edison en sont aussi. Parlez à quelqu’un de la science du xixe siècle et de ses progrès : il pourra peut-être, suivant l’éducation qu’il aura reçue, songer à la Théorie générale des fonctions, ou à celle des Surfaces ; mais n’y a-t-il pas beaucoup à parier qu’il songera plutôt aux chemins de fer, aux télégraphes, aux téléphones, à la science des ingénieurs ? La spéculation et l’application sont inséparables, et les Grecs n’avaient pas fait exception à cet égard la mathématique naissante ne s’appliquait-elle pas de bonne heure à l’étude des sons, au mouvement des astres, aux phénomènes optiques ? Mais alors si la science, par un de ses côtés, est en contact direct avec les choses du monde sensible, si par là elle se pose naturellement pour but la satisfaction des besoins matériels, l’amélioration des conditions physiques où se déroule notre existence, est-il évident que ses progrès doivent être en raison du désintéressement où l’humanité sera capable de se tenir à l’égard de toute préoccupation pratique ? Notre loi ne prend-elle même pas la tournure d’un paradoxe, et ne pourrait-on essayer de dire avec plus de vraisemblance qu’au contraire la science atteindra de mieux en mieux ses fins, si les savants portent de plus en plus leur attention sur les problèmes pratiques, s’ils ne consentent même à cultiver la théorie qu’en n’oubliant jamais les rapports étroits qu’elle doit garder avec les applications futures ? Ainsi la loi que nous avons formulée est loin d’être une évidente naïveté elle revient à dire que les progrès de la science appliquée elle-même sont d’autant plus marqués que l’homme a été plus capable de spéculation pure ; elle subordonne la pratique à la théorie, et à une théorie le plus complètement détachée de tout souci utilitaire ; elle semble dire que l’intelligence humaine doit s’abandonner librement à ce qui lui plaît, à ce qui la séduit, et que c’est là même la condition nécessaire pour que les découvertes utiles se produisent, comme résultat naturel d’efforts désintéressés.

Avant d’examiner de plus près l’intérêt philosophique que peut présenter cette loi au point de vue du problème de la connaissance, nous ne saurions éviter de répondre à une question qui se pose d’elle-même. L’état actuel de la science, la nature de ses progrès, de sa méthode expérimentale, la poursuite constante des grandes découvertes ou de leurs perfectionnements, n’opposent-ils pas un démenti à la loi que nous avons cru pouvoir énoncer ? Ou bien, si, en dépit des apparences, cette loi conserve encore toute sa validité, les tendances pratiques et utilitaires de la science, en cette fin de siècle, n’ont-elles pas de quoi nous inspirer les plus vives craintes pour un temps plus ou moins éloigné ? Car les succès étonnants du présent ne sauraient être une garantie suffisante pour l’avenir[11].

Rassurons-nous. D’une part, jamais il n’avait été donné d’assister à une éclosion de travaux théoriques aussi abondante qu’aujourd’hui. Ouvrez les journaux spéciaux, les revues scientifiques, les bulletins de sociétés savantes, les comptes rendus des Académies ; jetez les yeux sur ces publications dont le nombre est devenu fantastique vous constaterez aisément que, pour une application pratique, pour une découverte annoncée, c’est par centaines que vous pouvez compter les études de théorie pure dans tous les ordres d’idées. En mathématiques, par exemple, et en mathématiques pures, dans le domaine propre de la spéculation scientifique, dans le domaine en tous cas le plus éloigné de tout souci matériel, les savants nous donnent le spectacle d’une activité prodigieuse.

D’autre part, quand on cite les merveilles de la méthode expérimentale moderne, se rend-on un compte exact de son véritable caractère ? Si, laissant de côté les sciences à peine sorties de l’empirisme, nous, allons tout droit au laboratoire du physicien, là où cette méthode expérimentale se trouve, de l’aveu de tous, dans les conditions les plus conformes à ses exigences, nous n’aurons pas de peine à découvrir dans son fonctionnement autre chose qu’un enregistrement pur et simple de faits provoqués et observés. Et ce n’est pas seulement l’idée directrice de Claude Bernard, dont nous voulons parler, cette idée qui n’est qu’une sorte de divination anticipée, une hypothèse servant de fil conducteur, mais ne s’élevant au-dessus des faits sensibles, tels qu’ils sont perçus par nous, que pour tâcher d’y saisir quelque coordination, quelque enchaînement. Cette idée, qui à son tour réagit il est vrai sur la suite des expériences, y trouvait déjà cependant l’origine, l’occasion de sa formation, et elle ne la dépasse en somme que de la puissance d’ingéniosité et d’imagination de l’expérimentateur. L’intelligence du savant intervient bien autrement encore. Elle apporte, dans l’interprétation des faits, une provision de théories, de constructions tout élaborées, un ensemble désignes, de conventions, un langage complet, à travers lequel le moindre détail d’une expérience d’optique ou d’électricité, par exemple, prend toute sa signification. Entrez sans préparation dans le laboratoire d’un physicien, et assistez à quelque expérience importante. Entre ce que vous verrez, ce que vous observerez, et ce que notera le savant, ce qu’il dira lui-même pour rendre compte de l’expérience, il y a une distance énorme qui ne pourrait être franchie que par une longue initiation théorique[12]. La méthode expérimentale, là où elle atteint vraiment sa perfection et produit des merveilles, est profondément imprégnée de vues spéculatives ; et ce peut être précisément le moyen de juger le degré d’avancement d’une science d’observation, que d’apprécier la quantité de théorie pure qui s’introduit dans l’interprétation générale des expériences.

Enfin, après les considérations historiques que nous avons présentées plus haut, on comprendra que nous nous demandions s’il n’y a pas dans les préoccupations sociales du temps présent la marque d’une orientation nouvelle, dangereuse pour la spéculation purement désintéressée.

Sans contester que bien des penseurs ne prennent goût aux questions sociales qu’en songeant à une réalisation effective de leurs conceptions, il est permis de noter, comme symptôme rassurant — (j’entends du point de vue où nous nous plaçons) — les tendances théoriques de la plupart de ceux qu’attirent ces études. On parle assez couramment de nos jours du socialisme scientifique, et même on commence à connaître en France la doctrine venue d’Allemagne, qui porte ce nom. Elle inspire jusqu’à nos hommes politiques, qui, pour la propager ou la combattre, pénètrent forcément sur le terrain de la théorie. À plus forte raison les philosophes, qui s’efforcent de constituer une science des faits sociaux, restent-ils naturellement dans un ordre d’idées qui n’a rien d’incompatible avec la spéculation scientifique, sous sa forme générale et abstraite. Bien au contraire, serions-nous tentés de dire. Auguste Comte voyait dans l’avènement de la sociologie, dont il a tâché d’être le fondateur, le principe d’une organisation systématique des sciences ; et si on pensait que depuis lors, chez les jeunes sociologues, la séparation de deux ordres d’idées risque de se faire au profit de préoccupations exclusivement pratiques, nous renverrions le lecteur aux belles études de M. Bernès[13], qui nous montrent la sociologie renouvelant la science, loin de s’y opposer, en étendant la signification même de l’idée de science. N’y a-t-il pas un rapprochement curieux et rassurant à faire entre pareils efforts et ceux d’un Socrate poursuivant, à propos de la morale, la définition et les conditions fondamentales de la connaissance scientifique ?

Bref, il nous semble que, dans ses tendances générales, ce siècle n’est pas aussi éloigné, qu’on veut parfois le dire, de la spéculation désintéressée, et que si le désintéressement est une condition du progrès scientifique, il nous est encore permis d’envisager l’avenir avec confiance.

Est-ce à dire que nous devions nous abandonner à un optimisme tranquille ? Non certes. De tout notre pouvoir nous devons lutter contre l’envahissement des tendances trop exclusivement utilitaires et pratiques ; nous devons par tous les moyens faire pénétrer dans les esprits le respect, sinon l’admiration, pour ceux qu’on est trop disposé parfois à appeler des rêveurs inutiles, et pour toute étude spéculative. Arrêtons le plus possible sur les lèvres prêtes à les prononcer, ces mots que chacun de nous a trop souvent entendus : à quoi cela sert-il ?

Il est temps d’en venir aux réflexions que nous suggère, au point de vue philosophique, la loi que nous avons énoncée. Elle subordonne l’application de la science, les grandes découvertes pratiques, l’accroissement de notre puissance sur les choses de la nature, à la pensée théorique. Or, suivant un mot connu, savoir c’est prévoir, et prévoir c’est pouvoir. Il est donc permis de dire plus simplement qu’elle fait dépendre la connaissance des phénomènes réels du progrès de la pure spéculation. Elle ne touche ainsi à rien moins qu’au nœud vital du problème de la connaissance, au lien de la pensée et des choses et si, par elle-même, elle ne suffit pas à fournir une solution du problème, du moins elle exprime une exigence dont toute solution doit tenir compte.

Le réel pour Platon, c’était les Idées, de telle sorte que le monde sensible y participât et ne devînt objet de science que dans la mesure où il participait aux Idées elles-mêmes ; et Aristote pensait de même, quoiqu’il s’exprimât en termes quelque peu différents : le réel des choses et ce que la science doit chercher à saisir en elles, n’était-ce pas pour lui l’Idée qui s’y cache ? C’était là la solution la plus naïve et la plus simple, objectivant tout naturellement au dehors les conceptions intelligibles, ou plutôt proclamant l’identité de ces conceptions et de la réalité. — À deux mille ans de distance, et d’un point de vue diamétralement opposé, Kant soumettant systématiquement la réalité des phénomènes aux formes a priori de la pensée, aboutissait à la même justification des sciences théoriques. La géométrie, l’algèbre, l’arithmétique, la mécanique, quoique formulées a priori par le mathématicien, proclament les lois mêmes des choses, puisque celles-ci n’existent pour notre connaissance qu’en tant qu’elles sont assujetties aux conditions énoncées par ces sciences spéculatives.

On ne saurait se plaindre, semble-t-il, de ce qu’une semblable doctrine ne subordonne pas suffisamment à la pensée le monde, objet de notre connaissance. Mais, en vérité, n’y a-t-il pas, à prendre la doctrine à la lettre, une exagération dépassant les bornes de ce que peut accepter notre raison ? Prenez la mathématique pure, par exemple, dira-t-on que, si loin qu’elle soit poussée, quelques limites qu’atteignent ses constructions, elle ne cessera jamais de formuler les conditions de réalité des phénomènes ? Ou bien, frappé de la fécondité de la mathématique, même dans ce qu’elle a de plus abstrait, Kant eût osé répondre oui, et alors véritablement eût réfuté lui-même sa doctrine par l’excès où il l’eût portée. Ou bien, plus probablement, préoccupé, comme il l’a toujours été d’ailleurs, des conditions que l’intuition impose à la mathématique, il eût prescrit d’avance des bornes à celle-ci, et alors il n’eût pas raisonné au fond autrement qu’Auguste Comte, et, comme celui-ci, ainsi que nous allons y insister, eût méconnu ce pouvoir de la pensée de rester si souvent féconde — même bien entendu au point de vue des applications les plus pratiques, — quand elle s’abandonne à la spéculation pure avec le plus complet détachement de toutes circonstances matérielles.

Des conceptions qui se rattachent par un rapport plus ou moins lointain à l’empirisme, la philosophie d’Auguste Comte nous semble la plus parfaite elle reste parcourue par un souffle d’idéalisme, qu’explique suffisamment d’ailleurs l’éducation mathématique de l’esprit de Comte. Les sciences théoriques, à ses yeux, considèrent chacune quelques propriétés abstraites du monde sensible, propriétés de moins en moins simples et générales à mesure qu’on s’éloigne des mathématiques pures ; mais, en tous cas, à tous les degrés de la hiérarchie, ce sont des éléments que l’esprit a dégagés des choses, et qu’il ne fait que leur rendre, pour ainsi,dire, quand, après avoir construit sur eux une science rationnelle, il l’applique au monde réel. Dans l’intervalle, Comte a le sentiment très net qu’une élaboration s’est faite d’une importance capitale pour le progrès de la science il insiste maintes fois sur les caractères de précision et de rationalité si nécessaires, dit-il, à ce progrès. Mais à ses yeux, les spéculations de la pensée théorique restent très voisines des conditions de la réalité même, ou, en tout cas, doivent ne pas s’en ̃écarter, si l’on ne veut pas tomber dans la rêverie inutile. Il faut aux conceptions de la science rationnelle certaines conditions déterminées de « positivité » pour qu’elles ne deviennent pas des chimères.

Or il arrive que ces restrictions, imposées à l’élan de la pensée, limitent considérablement son pouvoir, et il est difficile de n’être pas frappé du sentiment profond qu’a Auguste Comte des bornes de la science : ce sentiment s’exprime à chaque page des leçons de philosophie positive.

Considérant, par exemple, le degré d’abstraction, d’universalité et de simplicité auquel a atteint de son temps l’analyse mathématique, il déclare : « On ne saurait tenter d’aller plus loin sous ces trois rapports équivalents, sans tomber évidemment dans les rêveries métaphysiques. Car quel substratum effectif pourrait-il rester dans l’esprit pour servir de sujet positif au raisonnement, si on voulait supprimer encore quelque circonstance dans les notions des quantités indéterminées, constantes ou variables, telles que les géomètres les emploient aujourd’hui[14]  ? » De même, après avoir énuméré les fonctions qu’étudie l’analyse de son temps « À quelques formules, dit-il, que puisse conduire l’élaboration des équations, il n’y aurait lieu à de nouvelles opérations arithmétiques que si l’on venait à créer de véritables nouveaux éléments analytiques, dont le nombre sera toujours, quoiqu’il arrive, extrêmement petit[15] », et plus loin[16] : « Nous ne concevons nullement de quelle manière on pourrait procéder à la création de nouvelles fonctions abstraites élémentaires, remplissant convenablement toutes les conditions nécessaires. Ce n’est pas à dire néanmoins que nous avons atteint aujourd’hui la limite effective posée à cet égard par les bornes de notre intelligence. Il est même certain que les derniers perfectionnements spéciaux de l’analyse mathématique ont contribué à étendre nos ressources sous ce rapport, en introduisant dans le domaine du calcul certaines intégrales définies, qui à quelques égards tiennent lieu de nouvelles fonctions simples, quoiqu’elles soient loin de remplir toutes les conditions convenables, ce qui m’a empêché de les inscrire au tableau des vrais éléments analytiques. Mais, tout bien considéré, je crois qu’il demeure incontestable que le nombre de ces éléments ne peut s’accroître qu’avec une extrême lenteur. » Pour sentir à quel point la modestie de Comte est exagérée à l’égard du développement des mathématiques, et comme il se rend peu compte du degré d’abstraction auquel elles peuvent attendre, de la quantité illimitée de symboles et de fonctions qu’elles peuvent être amenées à envisager, il suffit de songer aux progrès qu’elles ont faits depuis cinquante ans, dans toutes les directions où des bornes étroites leur étaient ainsi assignées.

La faiblesse de notre intelligence, les limites qu’il lui est interdit de dépasser, voilà ce qui revient sans cesse sous là plume d’Auguste Comte, quand, après avoir montré l’état actuel de la science, il s’interroge sur l’avenir : « Il y a lieu de croire que sans avoir déjà atteint les bornes imposées par la faible portée de notre intelligence, nous ne tarderions pas à les rencontrer en prolongeant avec une activité forte et soutenue cette série de recherches[17] ». « L’analyse transcendantale est encore-trop près de sa naissance pour que nous puissions nous faire une juste idée de ce qu’elle pourra devenir un jour. Mais, quelles que doivent être nos légitimes espérances, n’oublions pas de considérer avant tout, les limites imposés par notre constitution intellectuelle, et qui, pour n’être pas susceptibles d’une détermination précise, n’en ont pas moins une réalité incontestable[18]. » Les mathématiques s’appliqueront-elles jamais aux corps vivants ? « La première condition pour que des phénomènes comportent des lois mathématiques susceptibles d’être découvertes, c’est évidemment que les diverses quantités qu’il présentent puissent donner lieu à des nombres fixes. Or, en comparant à cet égard les deux grandes sections de la philosophie naturelle, on voit que la physique organique tout entière, et probablement aussi les parties les plus compliquées de la physique inorganique, sont nécessairement inaccessibles, par leur nature, à notre analyse mathématique, en vertu de l’extrême variabilité des phénomènes correspondants. Toute idée précise de nombre fixe est véritablement déplacée dans les phénomènes des corps vivants, quand on veut l’employer autrement que comme moyen de soulager l’attention et qu’on attache quelque importance aux relations exactes des valeurs assignées… La considération précédente conduit à apercevoir un second motif distinct, en vertu duquel il nous est interdit, vu la faiblesse de notre intelligence, de faire rentrer l’étude des phénomènes les plus compliqués dans le domaine des applications de l’analyse mathématique. En effet, indépendamment de ce que, dans les phénomènes les plus spéciaux, les résultats effectifs sont tellement variables que nous ne pouvons pas même y saisir des valeurs fixes, il suit de la complication des cas que, quand même nous pourrions connaître un jour la loi mathématique à laquelle est soumis chaque agent pris à part, la combinaison d’un aussi grand nombre de conditions rendrait le problème mathématique correspondant tellement supérieur à nos faibles moyens que la question resterait le plus souvent insoluble. Ce n’est donc pas ainsi qu’on peut faire une étude réelle et féconde de la majeure partie des phénomènes naturels[19] ». Ce passage, plus que tout autre, a de quoi surprendre par la nature des arguments présentés leur insuffisance montre surtout la conviction profonde où est Auguste Comte que de toutes parts la science rationnelle aura bien de la peine à franchir les limites atteintes.

Qu’on lise encore ces réflexions sur l’étude des astres[20] : « Nous concevons la possibilité de déterminer leurs formes, leurs distances, leurs grandeurs et leurs mouvements ; tandis que nous ne saurions jamais étudier par aucun moyen leur composition chimique ou leur structure minéralogique, et, à plus forte raison, la nature des corps organisés qui vivent à leur surface, etc. En un mot, pour employer immédiatement les expressions scientifiques les plus précises, nos connaissances positives par rapport aux astres sont nécessairement limitées à leurs seuls phénomènes géométriques et mécaniques, sans pouvoir nullement embrasser les autres recherches physiques, chimiques, physiologiques, etc. »

Il faudrait à chaque instant s’arrêter, dans la lecture d’Aug. Comte, si l’on voulait recueillir tous les passages où il assigne, à propos de tel ou tel problème, les limites de ce que peut atteindre l’intelligence humaine, si elle ne veut pas produire de chimériques fictions. Citons encore l’insistance avec laquelle il demande aux physiciens de se méfier des mathématiciens purs qui leur feraient perdre de vue les conditions de positivité indispensables pour l’objet de leur science ; qui pourraient, par exemple, les entraîner à appliquer la mécanique à l’étude de la lumière, négligeant ainsi l’hétérogénéité radicale des phénomènes de lumière et de ceux de mouvement[21]. Qu’aurait-il pensé s’il avait assisté depuis aux efforts des savants pour transformer non pas seulement la physique, mais la chimie elle-même, en un chapitre de mécanique ?

Bref, sans insister davantage, n’est-il pas surabondamment établi que, quel que soit le rôle attribué à la rationalité, à l’idée, par conséquent, la positivité domine encore dans la doctrine d’Aug. Comte et suffit à enserrer l’idée, à limiter son essor, au point que de toutes parts on se croie parvenu aux termes extrêmes où puisse atteindre la science théorique. — Qui ne sent que c’est bien là une conséquence de la doctrine elle-même, et non point une vue qui se justifie par l’état des sciences au temps d’Auguste Comte ? Supposez qu’il eût écrit son livre deux cents ans plus tôt, si les tendances mathématiques de son esprit l’eussent empêché d’atteindre à l’étroitesse de vue d’un Bacon, il eût du moins déclaré impossibles, ou purement fictives et vaines, quantité de notions qu’il présente comme ayant tout naturellement droit de cité dans la science positive : en mathématiques, les nombres négatifs et surtout les nombres imaginaires — puis tout algorithme maniant à quelque degré la chimère de l’infini. En astronomie, il eût énergiquement sans doute refusé au savant, comme il le fait pour les phénomènes de lumière, le droit d’étudier les mouvements des astres autrement que par la géométrie : avec quelle vivacité surtout en eût-il exclu cette incompréhensible chose qu’on nomme force ! et ainsi de suite.

Et de fait, comment les idées d’abord envisagées en elles-mêmes, sorties pour ainsi dire de l’intelligence toute pure du théoricien, finissent cependant tôt ou tard — si fréquemment, au moins — par se prêter à quelque progrès effectif de la science, c’est ce que la doctrine positiviste de la connaissance scientifique aurait quelque peine à expliquer. C’est l’aveu de cette difficulté qui se trouve au fond dans les déclarations d’impuissance ou d’inutilité de toute conception qui, par elle-même, semble dépourvue de conditions suffisantes de positivité. En présence de la loi qui subordonne le progrès de la connaissance au pur désintéressement de la spéculation théorique, la seule attitude permise à toute philosophie positiviste est celle-ci : Plus nombreuses seront les conceptions formulées et essayées, plus nombreuses aussi seront les chances que quelqu’une remplisse les conditions de positivité nécessairement requises pour une application féconde. Mais n’est-ce pas faire une trop grande part au hasard ? N’est-ce pas laisser subsister comme un mystère, qui seul expliquerait pourquoi, si fréquemment, les rencontres heureuses avec les conditions du monde réel sont réservées aux conceptions nées de la spéculation théorique ?

Peut-être aussi finirons-nous — pour expliquer le lien qui rattache la pensée pure au réel par ne plus nous croire nécessairement condamnés à l’une ou à l’autre de ces deux solutions :

Ou bien revêtir la pensée d’un caractère tel que, par essence, consciemment ou non, elle ne puisse se dégager des conditions d’objectivité des phénomènes ;

Ou bien accepter que seule puisse être efficace et scientifique une idée qui, par ses conditions particulières objectives ou subjectives, se trouve être véritablement une vue sur le réel.

Ces deux solutions n’ont-elles pas le tort de supposer un lien trop directement nécessaire entre les créations de la pensée et le réel ?

D’une part pouvons-nous contester la multiplicité des voies par lesquelles l’intelligence atteint tel ou tel groupe de faits ? Et ce ne sont pas seulement les sciences physiques qui nous fournissent de nombreux exemples d’explications diverses pour une même catégorie de phénomènes les mathématiques, elles aussi, dans leurs ramifications multiples, nous donnent fréquemment cette surprise d’aboutir à quelque point fondamental par des chemins infiniment variés.

D’autre part, comment nier que la science tire le plus grand profit de notions fictives, invérifiables, échappant, par leur nature, aux conditions de détermination ordinaire des choses, dépourvues, semble-t-il, le plus qu’il est possible, de tout caractère de positivité, — comme, par exemple, l’éther et les atomes, en physique comme, en mathématiques, chaque symbole nouveau introduit par généralisation précisément dans le cas où, en vertu des conditions premières, il cessait de rien représenter. Et ce ne sont pas seulement les notions fictives qui peuvent réussir ; ce sont parfois des vues manifestement absurdes essayez, par exemple, de supposer les longueurs composées d’un nombre fini de points, les surfaces d’un nombre déterminé de lignes, vous n’aurez pas de peine à démontrer certains théorèmes connus, et dont l’intérêt heureusement ne dépend pas de cette conception si manifestement contradictoire avec l’ensemble de nos vues géométriques ordinaires.

De ces deux caractères de la science — de se prêter à la multiplicité des théories, et d’utiliser des notions manifestement étrangères aux conditions des choses, — on ne rendra raison que si on devient moins exigeant pour la nature du lien qui resserre la spéculation pure et la réalité ; si on ne demande plus que la première pénètre directement la seconde ; si on se contente enfin de poser entre elles un simple parallélisme. Pour que les conceptions de l’esprit s’utilisent, ne suffit-il pas qu’une interprétation soit trouvée, un mode de correspondance entre elles et les phénomènes réels ? pour cela enfin, si elles doivent satisfaire encore à un minimum de conditions objectives, du moins on comprend qu’elles doivent surtout s’accorder avec celles dont l’ensemble forme déjà un langage adopté, qu’elles doivent s’assimiler à cet ensemble. Et ce résultat s’obtiendra peut-être tout naturellement, si la pensée, spéculant sur la langue théorique qu’elle possède déjà, en recule les limites avec continuité.

L’interprétation se substituant à la pénétration directe, il n’y a plus de difficulté à admettre la multiplicité des théories. Il n’y en a pas non plus à comprendre le rôle efficace des fictions les plus chimériques à l’égard de la réalité objective ne suffit-il pas qu’elles contribuent à perfectionner une langue ? et, pour cela, est-il nécessaire qu’elles soient en rapport direct avec autre chose que l’ensemble des symboles, dont elles doivent être un prolongement ? L’imaginaire n’a pas besoin d’un substratum effectif pour être utile, il suffit que ce signe facilite les transformations algébriques et perfectionne l’instrument que manie la pensée, en le rendant plus souple et plus malléable.

Et alors l’esprit peut se donner libre carrière, son activité peut s’exercer sans limite nous ne serons plus aussi surpris de voir aboutir ses spéculations à l’interprétation des faits naturels, donc à leur prévision, donc à leur transformation ; et nous comprendrons mieux enfin la possibilité de cette loi du progrès scientifique, qui le fait dépendre moins de sollicitations pratiques que de la facilité avec laquelle la pensée sait s’en écarter pour s’abandonner aux séductions de la théorie pure.

G. Milhaud.
  1. Nous donnons, sous ce titre, le résumé de quelques leçons de notre cours de cette année.
  2. « Λόγος ἐστὶ δύο μεγεθῶν ὁμογενῶν ἡ κατὰ πηλικότητα πρὸς ἄλληλα ποιὰ σχέσις » (L. V.)
  3. Egger, Science ancienne et Science moderne, p. 3.
  4. Egger, op. cit.
  5. Cf. V. Brochard, les Sceptiques grecs.
  6. Y compris la théorie des épicycles qui remonte au moins à Apollonius Cf. P. Tannery, Recherches sur l’Astronomie ancienne.
  7. Cf. Brochard, op. cit.
  8. Lettre à Servien, citée par Renan, l’Église chrétienne, p. 189.
  9. Cf. l’introduction à la Géométrie grecque de M. P. Tannery (Gauthier-Villars 1887), qui nous a suggéré l’idée fondamental de ce travail.
  10. Cf. Boutroux, Socrate fondateur de la Science morale.
  11. Cf. Renouvier, le Progrès dans les Sciences, Crit. phil., 1, 1875.
  12. Cf. Duhem, Quelques réflexions au sujet de la Physique expérimentale, Revue des questions scientifiques, juillet 1894, et notre article « la Science rationnelle », Revue de Métaphysique, mai 1896.
  13. Cf. particulièrement l’article paru dans cette Revue, mars 1895 : La Sociologie, ses conditions d’existence, son importance scientifique et philosophique.
  14. Cours de phil. positive, leçon III.
  15. Ibid., leçon IV.
  16. Ibid., leçon IV.
  17. Cours de phil. positive, leçon V
  18. Ibid., leçon VII.
  19. Cours de phil. positive, leçon III.
  20. Ibid., leçon XIX.
  21. Cours de phil. positive, leçon XXXIII.