À cet âge où l’on porte…

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À cet âge où l’on porte un grand chapeau de paille,
Une robe à la vierge aux plis légers et frais,
Un simple ruban bleu qui se noue à la taille,
Une croix d’or au cou, vers douze ans, à peu près,
En voyage à Lyon, je visitais Loyasse,
Superbe cimetière, et qui, de sa hauteur,
Jette sur la cité, que le regard embrasse,
L’ombre des noirs cyprès dans toute sa grandeur.
Seule, je parcourais ce cloître de feuillage,
Ce séjour d’éternel et sain recueillement,

Quand un frisson subit en moi se fit passage,
Et je sentis quelqu’un m’arrêter doucement.
Sur un gazon brodé de roses cinéraires,
Près de là reposait une tête de mort ;
Comme je traversais les funèbres parterres,
Elle avait accroché ma robe par le bord.
Son aspect était bon ; elle semblait me dire
Reste ici, pauvre enfant ! il est stérile et vain
De fatiguer tes pas à voir, pour en sourire,
Le peu qu’une existence enferme dans son sein ;
Sur le sentier pénible où le destin t’envoie,
Chaque instant de plaisir est payé par des pleurs !
La tristesse, ici-bas, l’emporte sur la joie ;
La vie est un néant paré de quelques fleurs.
Ici, plus de chagrin que le deuil éternise,
Et ce signe pieux, qu’à nos tombes tu vois,
Annonce qu’en touchant la terre promise
Chacun dans cet asile a déposé sa croix.
J’entendais ce langage et, toute jeune fille,
Je comprenais la paix et le repos des morts !
Mais tout à coup ma mère apparut à la grille,
Et le soleil pourpré rayonnait au dehors.
Depuis, combien de fois, songeant à cette tête
Que je vis, ce jour-là, blanchir sur le gazon,
J’entendis ses conseils au milieu d’une fête !
Le mort du cimetière, hélas ! avait raison.