À fond de cale/61

La bibliothèque libre.
Traduction par Henriette Loreau.
Hachette (p. 339-342).


CHAPITRE LXI

Nouvelle caisse


L’examen ne fut pas long ; j’eus bientôt découvert que le fond de ce vide était formé par une grande caisse. À droite il y en avait une pareille ; à gauche se trouvait l’obliquité du piano, qui, par son écartement, donnait à la base du triangle une largeur de cinquante centimètres.

Mais je me souciais fort peu de ce qu’il y avait au fond, à droite et à gauche de cet espace vide ; c’était le dessus de la logette qui m’intéressait, puisque c’était perpendiculairement que je voulais percer mon tunnel. L’obliquité du piano avait encore pour moi l’avantage de me faire arriver diamétralement au-dessous de la grande écoutille. Je n’avais plus à m’occuper de ce qui était sur les parties latérales, à moins de rencontrer un obstacle imprévu. Quant à présent, je ne pensais qu’à monter. « Excelsior ! excelsior ! » me répétais-je avec ivresse. Deux ou trois étages à franchir, peut-être moins, et je serais libre ! Cette pensée me faisait battre le cœur.

Ce fut avec une vive anxiété que je portai la main au plafond de la logette ; mes doigts tremblèrent tout à coup et reculèrent involontairement. Bonté divine ! encore un ballot de toile.

En étais-je bien sûr ? Je m’y étais déjà trompé lors de la caisse de velours. Avant de se désoler il fallait examiner de plus près.

Je fermai le poing et frappai la base du prétendu ballot. Quel son agréable me répondit ! c’était une caisse recouverte de son emballage. Un bloc de toile ou d’étoffe m’aurait donné un son mat, à peine sensible, tandis que cette nouvelle caisse résonnait comme si elle eût été vide.

Il devait cependant se trouver quelque chose ; elle n’aurait pas été là si elle n’avait rien contenu ; mais que pouvait-elle renfermer ?

Je la frappai plusieurs fois avec le manche de mon couteau, elle rendit toujours le même bruit : un son creux annonçant le vide.

« On aura peut-être oublié de la remplir ; de mieux en mieux : pensai-je. Dans tous les cas, c’est quelque chose de léger dont je me débarrasserai facilement. »

Mais à quoi bon ces conjectures ? Il valait mieux défoncer la boîte que de perdre son temps à deviner une énigme ; et en deux tours de main j’eus arraché la toile.

Je n’ai pas besoin de vous dire au moyen de quel procédé j’ouvris cette caisse ; vous le connaissez aussi bien que moi : une planche fut coupée en travers, puis arrachée, ainsi qu’une seconde, et le passage fut libre.

Ma surprise fut extrême ; je ne comprenais pas ce qu’il y avait dans cette boîte. Cependant, lorsque je fus parvenu à détacher l’un des objets bizarres qui m’intriguaient, je finis par découvrir que c’étaient des chapeaux.

Mon Dieu oui ! des chapeaux de femme tout garnis de rubans, de fleurs et de panaches.

Si j’avais connu, à cette époque, le costume péruvien, j’aurais encore été bien plus surpris. J’aurais su qu’on ne voit jamais pareille coiffure charger la tête d’une Péruvienne. Mais je l’ignorais complétement, et n’étais étonné que de voir un article aussi futile faire partie de la cargaison d’un vaisseau.

On me donna plus tard l’explication de cette bizarrerie, en me disant qu’il y avait beaucoup de Françaises et d’Anglaises dans l’Amérique du Sud : les femmes et les filles des négociants établis dans cette partie du monde, celles des consuls, etc., et que malgré la distance qui les séparait de l’Europe ces dames n’en persistaient pas moins à suivre les modes de Paris ou de Londres, en dépit du mauvais effet que leur coiffure absurde produit aux yeux des indigènes.

C’était donc à ces élégantes qu’était destinée la caisse de modes où je venais de m’introduire.

Il faut avouer que ces dames furent trompées dans leur espoir ; les chapeaux n’arrivèrent pas à leur destination, ou plutôt ils y parvinrent dans un état qui ne permettait plus d’en faire un objet de parure. Je les saisis tous d’une main impitoyable, et dans la nécessité où je me trouvais de les réduire au moindre volume possible, on comprend ce qui advint de la grâce et de la fraîcheur de ces objets délicats.

Par suite de cette manœuvre, une foule de malédictions a dû retomber sur ma tête ; et la seule chose que je puisse répondre, c’est qu’il s’agissait pour moi d’une question de vie ou de mort devant laquelle s’effaçait l’importance des chapeaux. Il n’est pas probable que cette excuse fut trouvée bonne à l’endroit où on les attendait. Je n’en ai jamais rien su. Tout ce que je puis dire, c’est que plus tard j’eus la satisfaction de décharger ma conscience en payant l’indemnité que réclamait la marchande de modes.