À l’heure des mains jointes (1906)/Elle passe

La bibliothèque libre.

À l’Heure des Mains jointesAlphonse Lemerre (p. 93-94).


ELLE PASSE



Le ciel l’encadre ainsi que ferait une châsse,
Et je vivrais cent ans sans jamais la revoir.
Elle est soudaine : elle est le miracle du soir.
L’instant religieux brille et tinte… Elle passe…

Je suis venue avec la foule des lépreux,
Car, dès l’aube, j’ai su que je serais guérie.
Ils regardent vers elle avec idolâtrie
Et pleurent à voix basse… Et je pleure comme eux.


Son regard vespéral illumine l’espace
Et ses pieds nus ont sanctifié le chemin.
Un lys mystérieux est tombé de sa main.
Les sanglots se sont tus brusquement… Elle passe…

De nous tous qui pleurions elle a fait ses élus…
Une cloche s’ébranle et le monde l’écoute…
Elle ne reviendra plus jamais sur la route,
Mais je la vois passer et je ne souffre plus.

Nous devinons que nous aurons l’âme plus lasse,
Et que l’effroi sera plus intense et plus noir
Lorsque sa robe aura disparu, dans le soir.
Mais nous aurons connu le miracle… Elle passe…